La palingénésie philosophique/PARTIE X. Nouvelles considerations de l’auteur sur les reproductions animales

La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 354-379).

DIXIEME PARTIE

nouvelles

considérations

de l’auteur

sur les

reproductions animales.

Nous venons d’assister à un grand spectacle : nous avons contemplé quelques unes des plus brillantes décorations du règne organique. Ce ne sont en effet pour nous, que de simples décorations ; car les machines ou les ressorts qui les éxécutent, demeurent cachés derrière une toile impénétrable à nos regards. J’ai tenté de soulever un peu cette toile, & j’ai raconté dans mes deux derniers ouvrages, ce que j’ai entrevu.[1]

La nature ne m’a point paru former un tout organique, à la façon d’une ardoise ou d’un cristal ; je veux dire, par l’apposition successive de quantité de molécules, plus ou moins homogènes, à une petite masse déterminée & commune. Un tout organique quelconque ne m’a point semblé un ouvrage d’ébénerie, formé d’une multitude de pièces de rapport, qui ont pu éxister à part les unes des autres & être réünies en des tems différens les unes aux autres. J’ai cru voir qu’une tête, une jambe, une queuë étoient composées de parties si manifestement enchaînées ou subordonnées les unes aux autres, que l’éxistence des unes supposoit essentiellement la coéxistence des autres. J’ai cru reconnoître, par éxemple, que l’éxistence des artères supposoit celle des veines ; que l’éxistence des unes & des autres supposoit celles du cœur, du cerveau, des nerfs, etc.

Des observations éxactes ont concouru avec le raisonnement pour me persuader la prééxistence simultanée des parties diverses qui entrent dans la composition du tout organique. Ces observations m’ont découvert plusieurs de ces parties sous des formes, sous des proportions & dans des positions si différentes de l’état naturel, que je les aurois entièrement méconnues, si leur évolution n’avoit peu à peu manifesté à mes yeux leur véritable forme, & ne leur avoit donné un autre arrangement. J’ai reconnu encore, que l’extrême transparence, comme l’extrême petitesse, la forme & le lieu des parties, contribuoit également à les dérober à mes yeux.

J’ai donc mieux compris encore, qu’il n’y a point de conséquence légitime de l’invisibilité à la non-éxistence, & ce que j’avois toujours soupçonné, m’a paru écrit de la main même de la nature dans un bouton ou dans un œuf.

J’ai donc tiré de tout ceci une conclusion générale, que j’ai jugée philosophique ; c’est que les touts organiques ont été originairement préformés, & que ceux d’une même espèce ont été renfermés les uns dans les autres, pour se développer les uns par les autres ; le petit, par le grand ; l’invisible, par le visible.

Je n’ai point prétendu, que cette préformation fut identique dans toutes les espèces : je sçavois trop combien l’intelligence suprême a pu varier les moyens qui conduisent à la même fin. Toute la nature atteste des fins générales & des fins particulières : mais ; elle atteste aussi que les moyens qui leur sont rélatifs ont été indéfiniment diversifiés. « Je ne prétens point, disois-je dans la préface[2] de ma contemplation, prononcer sur les voyes que le créateur a pu choisir pour amener à l’éxistence divers touts organiques ; je me borne à dire, que dans l’ordre actuel de nos connoissances physiques, nous ne découvrons aucun moyen raisonnable d’expliquer méchaniquement la formation d’un animal, ni même celle du moindre organe. J’ai donc pensé, qu’il étoit plus conforme aux faits, d’admettre au moins comme très probable, que les corps organisés prééxistoient dès le commencement. »

Il est en effet très vraisemblable, que différentes parties d’un tout organique, se régénérent par des moyens différens. La diversité des parties éxigeoit, sans doute, cette diversité corrélative des moyens. Il est assés apparent, que les parties similaires n’étoient pas faites pour se régénérer précisément comme les parties dissimilaires.

Ceci n’est pas même simplement vraisemblable : c’est un fait que l’observation établit. L’écorce d’un arbre, la peau d’un animal se régénèrent par des filamens gélatineux, qui sont comme les élémens d’une nouvelle écorce ou d’une nouvelle peau. Ces filamens ne représentent pas en petit l’arbre ou l’animal ; ils ne représentent en petit que certaines parties similaires de l’arbre ou de l’animal ; je veux dire, des fibres corticales ou des fibres charnuës, qui par leur évolution formeront une nouvelle écorce ou une nouvelle peau.

Mais ; les branches ou les rejettons d’un arbre, la tête ou la queuë d’un ver-de-terre sont représentés en petit dans un bouton végétal ou animal. Ce bouton contient actuellement en raccourci l’ensemble des parties intégrantes qui constituent le tout organique particulier.

L’arbre ou l’animal entiers, le tout organique général, est représenté en petit dans une graîne ou dans un œuf.

Une graîne ou un œuf n’est proprement que l’arbre ou l’animal concentré & replié sous certaines enveloppes. Il est prouvé que les petits des vivipares sont d’abord renfermés dans un œuf, & qu’ils en sortent dans le ventre de leur mère. On connoit des animaux qui sont à la fois vivipares & ovipares.[3]

J’ai exposé tout cela fort en détail dans mes considérations sur les corps organisés. Je renvoye sur tout aux articles 179, 180, 181, 244, 245, 253, 254, 306, 315. Si l’on prend la peine de consulter ces divers articles, on prendra une idée plus nette de ces différentes sortes de régénérations ou de reproductions, qu’il me suffit ici d’indiquer.

J’apperçois bien des choses dans les curieuses découvertes de Mr Spallanzani, qui paroîssent confirmer les principes que j’ai adoptés sur les reproductions animales, & que j’ai exposés dans mes derniers écrits. Par éxemple ; ce petit globe qui renferme les élémens des petites cornes, de la bouche, des lévres & des dents du limaçon ; cette espèce de nœud formé par trois des cornes ; ce petit bouton qui ne contient que les lévres ;[4] tout cela donne assés à entendre, que les parties intégrantes de la tête du limaçon, prééxistent sous les différentes formes de globe, de nœud, de bouton, & qu’il en est à peu près ici comme de quelques autres reproductions soit végétales, soit animales que j’ai décrites. La principale différence ne consiste peut-être que dans les tems ou la manière de l’évolution. Nous avons vu qu’il arrive souvent, que les diverses parties qui composent la tête du limaçon, n’apparoîssent que les unes après les autres, & dans un ordre plus ou moins variable : mais ; ceci peut dépendre de causes ou de circonstances étrangères à la préformation.

Nous avons remarqué encore,[5] que les jambes de la salamandre se montrent d’abord sous la forme d’un petit cone gélatineux, qui n’est que la jambe elle-même en mignature, & qu’il en est de même des doigts à leur première apparition. Ce cone qui est une jambe très en raccourci, & où l’on démêle néanmoins toutes les articulations ; ces cones beaucoup plus petits qui sont des doigts, ne semblent-ils pas assés analogues au bouton végétal ou au bouton animal ?

Et si ce qui se reproduit dans la jambe de la salamandre, est toujours égal & semblable à ce qui en a été retranché, n’est-ce point qu’il éxiste dans toute l’étendue de la jambe, des germes, qu’on pourroit nommer réparateurs, & qui ne contiennent précisément que ce qu’il s’agit de remplacer ?

Il faut même, qu’il y ait un certain nombre de ces germes dans chaque point de la jambe ou autour de ce point ; puisque si l’on coupe plusieurs fois la jambe dans le même point, elle reproduira constamment ce qui aura été retranché.

J’ai rappellé à dessein dans la partie V de cet écrit, une remarque importante que j’avois faite ailleurs[6] sur le mot germe. On entend communément par ce mot, un corps organisé réduit extrêmement en petit ; ensorte que si l’on pouvoit le découvrir dans cet état, on lui trouveroit les mêmes parties essentielles, que les corps organisés de son espèce offrent très en grand après leur évolution. J’ai donc fait remarquer, qu’il est nécessaire de donner au mot de germe une signification beaucoup plus étendue, & que mes principes eux-mêmes supposent manifestement. Ainsi, ce mot ne désignera pas seulement un corps organisé réduit en petit ; il désignera encore toute espèce de préformation originelle, dont un tout organique peut résulter comme de son principe immédiat.[7]

Il convient que je développe ceci un peu plus, puisque l’occasion s’en présente, & que le sujet l’éxige. Je prie mon lecteur d’écarter pour un moment de son esprit l’idée d’un certain corps organisé pour ne retenir que celle d’une simple fibre.

Une fibre, toute simple qu’elle peut paroître, est néanmoins un tout organique, qui se nourrit, croît, végète. Je retranche une de ses extrêmités, & en peu de tems elle reproduit une partie égale & semblable à celle que j’ai retranchée.

Comment peut-on concevoir que s’opère cette reproduction ? Je dis, qu’il n’est pas nécessaire de supposer, que la partie qui se reproduit, prééxistoit dans la fibre sous la forme d’un germe proprement dit, où elle ne différoit de la partie retranchée que par sa petitesse, sa délicatesse & l’arrangement de ses molécules constituantes : en un mot ; il n’est pas nécessaire de se représenter la partie qui se régénére comme concentrée ou repliée sous la forme de globe, de nœud, de bouton, etc. Il suffit de supposer, qu’il prééxiste autour de la coupe de la fibre principale une multitude de points organiques ou de fibrilles, qui sont comme les élémens de la partie qui doit être reproduite.

En retranchant l’extrêmité de la fibre, j’occasionne une dérivation des sucs nourriciers vers ces points organiques ou vers ces fibrilles, qui en procure l’évolution.

Je conçois donc, que la partie qu’il s’agit de reproduire, peut résulter du développement & de la réünion des fibrilles en un tout organique commun. On sçait qu’une fibre, qu’on nomme simple, est composée elle-même d’une multitude de fibrilles ; celles-ci sont composées à leur tour d’une multitude de molécules, plus ou moins homogènes, qui sont les élémens premiers de la fibre ; les fibrilles en sont les élémens secondaires.

Mais ; il ne se reproduit précisément dans la fibre, que ce qui en a été retranché. J’essayerois de rendre raison de ce fait, en supposant, que les élémens réparateurs ou régénérateurs placés dans les différens points de la fibre, ont une ductilité ou une expansibilité rélative à la place qu’ils occupent ou éxactement proportionnelle à la portion de la fibre, qu’ils sont destinés à remplacer.

Ainsi, en admettant, par éxemple, seize parties dans la fibre principale, & en supposant qu’on la coupe transversalement dans le milieu de sa longueur ; les élémens ou fibrilles logés autour de la coupe ou de l’aire de la fibre auront reçu un degré d’expansibilité originelle, tel qu’en se développant, ils fourniront une longueur de 8 parties ; c’est-à-dire, qu’ils restitueront à la fibre une partie précisément égale & semblable à celle qu’elle avoit perdue.

Le degré de ductilité ou d’expansibilité de la fibre ou des fibrilles, paroît devoir dépendre en dernier ressort de la nature, du nombre & de l’arrangement respectif des élémens, & du rapport secret de tout cela à la force qui tend à chasser les sucs nourriciers dans les mailles de la fibre & à écarter les élémens. Cet écart a un terme, & ce terme est celui de l’accroîssement.

Et parce que si l’on coupe la fibre dans la partie nouvellement reproduite, il se reproduira encore une partie pareille à celle qu’on aura retranchée ; il est naturel d’en insérer, que les élémens secondaires sont formés eux-mêmes d’élémens, que je nommerois du troisiéme ordre etc. J’admettrois ainsi, autant d’ordres primitifs & décroîssans d’élémens, qu’il y a de reproductions possibles : car, comme je l’ai souvent répété ; je ne connois aucune méchanique capable de former actuellement la moindre fibre. Je me représente toujours une simple fibre comme un petit tout très organisé. J’ai dit ci-dessus, part IX, les raisons qui me persuadent, que ce tout est bien plus composé qu’on ne l’imagine. La conjecture que je viens d’indiquer sur sa reproduction, ajoûte beaucoup encore à cette composition, & nous fait sentir plus fortement, qu’une simple fibre d’un corps organisé quelconque, est pour nous un abîme sans fond.

Appliquons ces conjectures à la régénération d’une membrane, d’un muscle, d’un vaisseau, d’un nerf, puisqu’ils ne sont tous que des répétitions de fibres & de fibrilles. Ces fibres & ces fibrilles sont liées les unes aux autres par des filets transversaux, qui renferment pareillement les élémens des nouveaux filets appropriés aux régénérations, etc.

On entrevoit, que l’arrangement originel & respectif des fibres & des fibrilles ; la manière dont elles tendent à se développer en conséquence de cet arrangement ; l’inégalité plus ou moins grande de l’évolution en différentes fibrilles ; la diversité des tems & des degrés de leur endurcissement, peuvent déterminer la forme & les proportions de la partie qui se régénère. Elles peuvent encore être prédéterminées par bien d’autres moyens physiques, dont je ne sçaurois me faire aucune idée ; mais, qui supposent tous une préordination organique, & une préordination telle, que la partie qui se régénère actuellement en soit le résultat immédiat.

C’est à l’aide de semblables principes, que je tente de me rendre raison à moi-même de la régénération d’un tout organique similaire. Mais ; quand il est question d’expliquer la reproduction d’un tout organique dissimilaire, il me paroît, que je suis dans l’obligation philosophique d’admettre, que ce tout prééxistoit dans un germe proprement dit, où il étoit dessiné très en petit & en entier. J’admets donc, qu’une tête, une queuë, une jambe prééxistoient originairement sous la forme de germe, dans le grand tout organique où elles étoient appellées à se développer un jour. Je considère ce tout comme un terrein, & ces germes comme des graînes semées dans ce terrein, & ménagées de loin pour les besoins futurs de l’animal.

Ainsi, je serois porté à penser, qu’il éxiste au moins quatre genres principaux de préformations organiques.

Le premier genre est celui qui détermine la régénération des composés similaires ; par éxemple ; d’une écorce, d’une peau, d’un muscle, etc. Je dis, qu’à parler à la rigueur, ces sortes de composés ne prééxistent pas dans un germe, qui les représente éxactement en petit : mais, ils se forment par le développement & l’entrelassement d’une multitude de filamens déliés & gélatineux, qui appartiennent à l’ancien tout, qui les nourrit & les fait croître en tout sens. Ces filamens ne sont pas proprement des germes d’écorce, des germes de peau, etc. ; mais, ils sont de petites parties constituantes ou les élémens d’une écorce, d’une peau, etc. Qui n’éxiste pas encore, & qui devra son éxistence à l’évolution complette & à l’étroite union de tous les filamens. Si néanmoins on vouloit regarder comme un germe, chacun de ces filamens pris à part, ce seroit un germe improprement dit ; car, il ne contiendroit que des particules similaires, & ne représenteroit, pour ainsi dire, que lui-même. Il seroit, en quelque sorte, à la nouvelle écorce ou à la nouvelle peau, ce que l’unité est au nombre. C’est ce que j’ai voulu exprimer ci-dessus, en désignant les principes de ces filamens par les termes de points organiques. Il y a peut-être dans certains animaux des classes les plus inférieures ; par éxemple dans les polypes, des organes d’une structure si simple, que la nature parvient à les former par une semblable voye. On ne peut pas dire, à parler éxactement, que ces organes prééxistoient tout formés dans l’animal ; mais, il faut dire, que les élémens organiques dont ils devoient résulter, éxistoient originairement dans l’animal, & que leur évolution est l’effet naturel de la dérivation des sucs, etc.

Suivant ces principes, chaque partie similaire, chaque fibre, chaque fibrille porte en soi les sources de réparation rélatives aux différentes pertes qui peuvent lui survenir, & quelle idée cette manière d’envisager un tout organique ne nous donne-t-elle point de l’excellence de l’ouvrage & de l’intelligence de l’ouvrier !

Il y a plus ; nous avons vu ci-dessus,[8] qu’il faut nécessairement, que chaque fibre, chaque fibrille soit organisée avec un art si merveilleux, qu’elle s’assimile les sucs nourriciers dans un rapport direct à sa structure particulière & à ses fonctions propres ; autrement la fibre ou la fibrille changeroit de structure en se développant, & elle ne pourroit plus s’acquitter des fonctions auxquelles elle est destinée. Son organisation primitive est donc telle qu’elle sépare, prépare & arrange les molécules alimentaires, de manière qu’il ne survient, à l’ordinaire, aucun changement essentiel à sa méchanique & à son jeu.

Le second genre de préformation que je conçois dans les touts organiques, est celui par lequel une partie intégrante, comme une tête, une queuë, une jambe, etc. Paroît se régénérer en entier. Je dis paroît, parce que dans mes principes, il n’y a pas plus de vraye régénération, que de vraye génération. Je ne me sers donc ici du mot de régénération, que pour désigner la simple évolution de parties prééxistentes, & qui en se développant remplacent celles qui ont été retranchées ou que des accidens ont détruites, etc.

Qu’on réfléchisse un peu profondément sur ce que j’ai dit[9] de l’organisation de la tête du limaçon ; sur celle de son cerveau, de ses cornes, de ses yeux, de sa bouche ; qu’on médite pareillement sur la structure des mâchoires, des jambes & de la queuë de la salamandre ; qu’on se demande ensuite à soi-même, s’il est probable, que tant de parties dissimilaires, les unes charnuës, les autres cartilagineuses, les autres osseuses, liées entr’elles par des rapports si nombreux, si compliqués, si divers, & qui forment par leur assemblage un tout si complet, si harmonique, si composé & pourtant si éxactement un : qu’on se demande, dis-je, s’il est le moins du monde probable, que tant de parties différentes si admirablement organisées, si manifestement subordonnées les unes aux autres, se forment ou s’engendrent séparément, pièce après pièce, par une sorte d’apposition ou par une voye purement méchanique, plus ou moins analogue à la crystallisation, & indépendante de toute préformation originelle ?

Un troisiéme genre de préformation qu’il me semble qu’on doit admettre, est celui qui détermine la reproduction simultanée d’un nombre plus ou moins considérable de parties intégrantes d’une plante ou d’un animal.

Telle est, par éxemple, cette préformation en vertu de laquelle les branches d’un arbre se reproduisent. Chaque branche est d’abord logée dans un bouton, qui est une sorte de graîne ou d’œuf. Toutes les parties de cette branche y sont enveloppées, concentrées, pliées & repliées avec un art, qu’on admire d’autant plus, qu’on l’observe de plus près. Cette branche est bien un arbre en mignature ; mais, cet arbre n’est pas aussi complet que celui que renferme la graîne : celle-ci, contient non seulement la petite tige & ses branches ; elle contient encore la radicule : le bouton ne renferme que la plumule ou la petite tige, etc. J’ai expliqué ceci plus en détail dans les articles 180, 181, 182, 255 de mes considérations sur les corps organisés.

Ce que la reproduction d’une branche est à un arbre, la reproduction d’une partie antérieure ou d’une partie postérieure l’est, en quelque sorte, à un ver-de-terre. Une partie antérieure de cet insecte se montre d’abord sous la forme d’un très petit bouton, qui paroît assés analogue au bouton végétal. Ce bouton ne renferme pas seulement une tête avec toutes les parties qui la constituent ; il renferme encore une suite d’anneaux & un assemblage de viscères qui ne font pas partie de la tête ; mais, qui l’accompagnent & qui se développent avec elle. On observe à peu près la même chose dans la reproduction de la partie antérieure de certains vers d’eau douce.[10]

Je ne fais qu’indiquer ici quelques éxemples particuliers : ils suffiront pour faire entendre ma pensée. Si je m’étendois d’avantage, cet écrit deviendroit un traité d’histoire naturelle, & mon plan ne le comporteroit point : je passe donc sous silence bien des choses que je pourrai développer ailleurs.

Enfin ; un quatriéme genre de préformation, est celui auquel le corps organisé entier doit son origine.

Les trois premiers genres, comme on vient de le voir, ont pour fin principale la conservation & la réïntégration de l’individu : ce quatriéme genre a pour fin la conservation de l’espéce.

Une plante, un animal sont dessinés en mignature & en entier dans une graîne ou dans un œuf. Ce que la graîne est à la plante, l’œuf l’est à l’animal. Je renvoye ici à mon parallèle des plantes & des animaux, part X, chapitre II, III de la Contemplation. L’on n’oubliera pas ce que j’ai dit plus haut, que les petits des vivipares sont d’abord renfermés dans des enveloppes analogues à celles de l’œuf : on connoît les ovaires des vivipares. Il faut encore que je renvoye ici aux chapitres X & XI, de la part VII de la contemplation.

On ne doit pas néanmoins insérer de ceci, que chés toutes les espèces d’animaux, les petits sont d’abord renfermés sous une ou plusieurs enveloppes ou dans des œufs : ce seroit tirer une conséquence trop générale de faits particuliers. L’auteur de la nature a répandu par tout une si grande variété, que nous ne sçaurions nous défier trop des conclusions générales. Combien de faits nouveaux & imprévus sont venus détruire de semblables conclusions, qu’une logique sévère auroit désavouées ! Nous ignorons quel est l’état du polype avant sa naîssance ; mais, nous sçavons au moins que lorsqu’il se montre sous la forme d’un petit bouton, ce bouton ne renferme point un petit polype, & qu’il est lui-même ce polype, qui n’a pas achevé de se développer.[11] Nous sçavons encore qu’il éxiste une autre espèce de polype qui s’offre à sa naîssance sous l’apparence trompeuse d’un corps oviforme, qui n’est pourtant que le polype lui-même tout nud, mais plus ou moins déguisé.[12] Les polypes à bouquet sont d’autres exceptions bien plus singulières encore, & qui nous convainquent de plus en plus de l’incertitude, pour ne pas dire de la fausseté, de nos conclusions générales.[13] Les animalcules des infusions nous fourniroient beaucoup d’autres exceptions, & il est très probable que ce qu’on a pris chés eux pour des œufs, n’en étoit point.

Je l’ai répèté plus d’une fois dans mes derniers écrits : nous transportons avec trop de confiance aux espèces les plus inférieures, les idées d’animalité que nous puisons dans les espèces supérieures. Si nous réfléchissions plus profondément sur l’immense variété qui règne dans l’univers, nous comprendrions combien il est absurde de renfermer ainsi la nature dans le cercle étroit de nos foibles conceptions. Je déclare donc, que tout ce que j’ai exposé ci-dessus sur les divers genres de préformations organiques, regarde principalement les espèces qui nous sont les plus connues ou sur lesquelles nous avons pu faire des observations éxactes & suivies. Je fais profession d’ignorer les loix qui déterminent les évolutions de cette foule d’êtres microscopiques, dont les meilleurs verres ne nous apprennent guères que l’éxistence, & qui appartiennent à un autre monde, que je nommerois le monde des invisibles.

Au reste ; on comprend assés, par ce que j’ai exposé, que les trois premiers genres de préformations organiques peuvent se trouver réünis dans le même sujet, & concourir à sa pleine réïntégration.

À l’égard de la force ou de la puissance qui opère l’évolution des parties préformées, je ne pense pas qu’il soit besoin de recourir à des qualités occultes. Il me semble que l’impulsion du cœur & des vaisseaux est une cause physique qui suffit à tout.[14] Si l’impulsion s’affoiblit beaucoup aux extrêmités ou dans les dernières ramifications, il est très clair qu’elle ne s’y anéantit pas. D’ailleurs, les parties préformées qu’il s’agit de faire développer en tout sens, sont d’une telle délicatesse, que la plus légère impulsion des liqueurs peut suffire à leurs premiers développemens. À mesure, que ces parties croissent, elles se fortifient & l’impulsion augmente, &c.

Dans les insectes qui n’ont pas un cœur proprement dit, il y a toujours quelque maître vaisseau ou quelqu’autre organe qui en tient lieu. On voit à l’œil ce maître vaisseau éxercer avec beaucoup de régularité ses battemens alternatifs dans de très petites portions de certains vers d’eau douce, coupés par morceaux ; & ces portions deviennent bientôt des vers complets. J’ai vu tout cela & l’ai décrit.[15]

Les plantes se développent comme les animaux : il y a chés celles-là, comme chés ceux-ci, un principe secret d’impulsion, qui se retrouve dans chaque partie, & qui préside à l’évolution.

Il est prouvé que l’irritabilité est le principe vital dans l’animal. C’est l’irritabilité qui est la véritable cause des mouvemens du cœur.[16] Nous ignorons encore le principe vital de la plante : peut-être y en a-t-il plusieurs subordonnés les uns aux autres.[17]

  1. Corps organisés, Tom. I. Chap. XII. Tom. II. Chap. I, II, II, V. Contemplation, Part. VII., Chap. VIII, IX, X, XI, XII. Part. IX, Chap. I, II.
  2. Pag. XXVI de la Ire. Edition. Tableau des Considérations, Art. XIV.
  3. Consid. sur les Corps Org. Art. 149, 150, 306, 315.
  4. Voyés ci-dessus, Part. IX. le Précis que j’ai donné de ces Découvertes.
  5. Ibid. sur la fin.
  6. Contemp. de la Nat. Préface, page XXIX ; & Part. IX, Chap. I, pag. 249. de la Ire. Edition
  7. Remarqués que je dis immédiat, pour distinguer la Partie ou les Parties préformées en petit, du grand Tout dans lequel elles sont appelées à croître ou à se développer : car le grand Tout ne peut être envisagé ici comme le principe immédiat de la Reproduction : il n’est que la Cause médiate
  8. Part. IX, pag. 322, 323 & suiv.
  9. Voyés ci-dessus, Part. précédente.
  10. Voyés mon Traité d'Infectiologie, Paris 1745, Part. II. Corps Organisés, Art. 246, 247.
  11. Consid. sur les Corps Organ. Art. 185. Contemplation, Part. VIII, Chap. XV.
  12. Voyés l’Art. 321 des Corps Organ., & le Chap. XIII de la Part. VIII de la Cont.
  13. Corps Organ. Art. 199, 201, 319, 320. Contemplation, Part. VIII, Chap. XI.
  14. Consultés les Art. 163, 164, 165 de mes Corps Organ.
  15. Traité d'Infectiologie ; Part. II, Obs. III, XV. Corps Organ. Art. 192.
  16. Voyés Corps Organ. Art. 285. Contemp. de la Nat. Part. X. Chap. XXXIII.
  17. Corps Organ. Art. 168.