La palingénésie philosophique/PARTIE V. Application aux zoophytes

La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 226-235).

CINQUIEME PARTIE

application

aux

zoophytes.


Tandis que la troupe nombreuse des nomenclateurs & des faiseurs de règles générales pensoit avoir bien caractérisé l’animal, & l’avoir distingué éxactement du végétal ; les eaux sont venuës nous offrir une production organique, qui réünit aux principales propriétés du végétal, divers traits qui ne paroîssent convenir qu’à l’animal. On comprend que je parle de ce fameux polype à bras, dont la découverte a tant étonné les physiciens, & plus embarassé encore les métaphysiciens.

À la suite, ont bientôt paru beaucoup d’autres espèces d’animaux, de classes & de genres différens, les uns aquatiques les autres terrestres, & dans lesquels on a retrouvé avec surprise les mêmes propriétés.

Ce sont ces propriétés, qui ont fait donner à plusieurs de ces animaux le nom général de zoophytes : nom assés impropre ; car ils ne sont point des animaux-plantes ; ils sont ou paroîssent être de vrais animaux ; mais, qui ont plus de rapports avec les plantes, que n’en ont les autres animaux.

Je me copierois moi-même, & je sortirois de mon sujet, si je retraçois ici en abrégé l’histoire du polype. Je m’en suis beaucoup occupé dans mes considérations sur les corps organisés[1] & dans ma contemplation de la nature.[2] D’ailleurs, qui ignore aujourd’hui, que le moindre fragment du polype peut devenir en assés peu de temps un polype parfait ? Qui ignore que le polype met ses petits au jour, à peu près comme un arbre y met ses branches ? Qui ignore enfin, que cet insecte singulier peut être greffé sur lui-même ou sur un polype d’espèce différente, & tourné & retourné comme un gand ?

On sçait encore, que pendant que le polype-mère pousse un rejetton, celui-ci en pousse d’autres plus petits ; ces derniers en poussent d’autres encore, etc. Tous tiennent à la mère comme à leur tronc principal, & les uns aux autres comme branches ou comme rameaux. Tout cela forme un arbre en mignature, la nourriture que prend un rameau passe bientôt à tout l’assemblage organique. La mère & les petits semblent donc ne faire qu’un seul tout, & composer une espèce singulière de société animale, dont tous les membres participent à la même vie & aux mêmes besoins.

Mais ; il y a cette différence essentielle entre l’arbre végétal & l’arbre animal ; que dans le premier, les branches ne quittent jamais le tronc, ni les rameaux les branches ; au lieu que dans le second, les branches & les rameaux se séparent d’eux-mêmes de leur sujet, vont vivre à part, & donner ensuite naîssance à de nouvelles végétations pareilles à la première.

L’art peut faire du polype une hydre à plusieurs têtes & à plusieurs queuës, & s’il abbat ces têtes & ces queuës, elles donneront autant de polypes parfaits. L’imagination féconde d’Ovide n’avoit pas été jusques-là.

Ce n’est qu’accidentellement qu’il arrive quelquefois au polype de se partager de lui-même par morceaux : mais, il est une famille nombreuse de très petits polypes, qui forment de jolis bouquets, dont les fleurs sont en cloche, & qui se propagent en se partageant d’eux-mêmes. Chaque cloche se ferme, prend la forme d’une olive, & se partage suivant sa longueur en deux olives plus petites, qui prennent ensuite la forme de cloche. Toutes les cloches tiennent par un pédicule effilé à un pédicule commun. Toutes se divisent & se soûdivisent successivement de deux en deux, & multiplient ainsi les fleurs du bouquet. Les cloches se séparent d’elles-mêmes du bouquet, & chacune va en nageant se fixer ailleurs, & y produire un nouveau bouquet.

D’autres espèces de très petits polypes se propagent de même en se partageant en deux ; mais, d’une manière différente de celle des polypes à bouquet, dont je viens de parler.

Voilà une ébauche bien grossière des principaux traits qui caractérisent quelques espèces de polypes d’eau douce. Ceux de mes lecteurs qui n’auront pas une idée assés nette de leur histoire, pourront consulter le chap XI du tome I de mes corps organisés, & les chapitres XI, XII, XIII, XV de ma contemplation, part VIII.

S’il n’est pas démontré que les plantes sont absolument privées de sentiment, il l’est bien moins encore que les polypes n’en soient point doués. Nous y découvrons des choses qui paroîssent se réunir pour constater leur sensibilité. Tous sont très voraces, & les mouvemens qu’ils se donnent pour saisir ou engloutir leur proye, semblent ne pouvoir convenir qu’à de véritables animaux.

Mais ; si les polypes sont sensibles, ils ont une ame, & s’ils ont une ame quelle foule de difficultés naît de la supposition que cette ame éxiste ! J’ai montré dans le chapitre III, du tome II de mes corps organisés, & dans la préface de ma contemplation, page XXIX[3] etc. À quoi se réduisent principalement ces difficultés, & j’ai essayé le premier d’en donner des solutions conformes aux principes d’une saine philosophie.

En raisonnant donc sur la supposition si naturelle, que les polypes sont au nombre des êtres sentans ; nous admettrons, que l’ame de chaque polype a été logée dès le commencement dans le germe dont le corps du petit animal tire son origine.

J’ai eu soin d’avertir, qu’il ne falloit pas prendre ici le mot de germe dans un sens trop resserré, & se représenter le germe comme un polype réduit extrêmement en petit, & qui n’a qu’à se développer pour se montrer tel qu’il doit être. J’ai pris le mot de germe dans un sens beaucoup plus étendu, pour toute préformation organique dont un polype peut résulter comme de son principe immédiat.

Contemplation. Préf pag XXIX.[4]

J’ai averti encore, que l’analogie ne nous éclairoit point sur la véritable nature des polypes à bouquet, & j’en ai dit la raison ibid part VIII chap XVI. Ces polypes ont été construits sur des modèles qui ne ressemblent à rien de ce que nous connoissons dans la nature. On diroit qu’ils occupent les plus bas degrés de l’échelle de l’animalité. Nous ne nous y méprendrons pas néanmoins, & nous présumerons qu’il peut éxister des animaux bien moins animaux encore, & placés beaucoup plus bas dans l’échelle.

On découvre dans différentes sortes d’infusions, à l’aide des microscopes, des corpuscules vivans, que leurs mouvemens & leurs diverses apparences, ne permettent guères de ne pas regarder comme de vrais animaux. Ce sont les patagons de ce monde d’infiniment-petits, que leur éffroyable petitesse dérobe trop à nos sens & à nos instrumens. C’est même beaucoup que nous soyons parvenus à appercevoir de loin les promontoires de ce nouveau monde, & à entrevoir au bout de nos lunettes quelques uns des peuples qui l’habitent. Parmi ces atomes animés, il en est probablement, que nous jugerions bien moins animaux encore que les polypes, si nous pouvions pénétrer dans le secret de leur structure, & y contempler l’art infini avec lequel l’auteur de la nature a sçu dégrader de plus en plus l’animalité sans la détruire. On voudra bien consulter ce que j’ai exposé sur ces dégradations de l’animalité, chap XVI, part VIII de la contemplation.

Je ne puis dire où réside le siège de l’ame dans le polype à bras ; bien moins encore dans les polypes à bouquet, & dans ceux qui leur sont analogues. Combien l’organisation de ces petits animaux, qui semblent n’être qu’une gelée épaissie, différe-t-elle de celle des animaux, que leur grandeur & leur consistence soumet au scalpel de l’anatomiste !

Mais ; si les polypes ont une ame, il faut que cette ame reçoive les impressions qui se font sur les divers points du corps auquel elle est unie. Comment pourroit-elle pourvoir autrement à la conservation de son corps ? Seroit-il donc absurde de penser, qu’il est quelque part dans le corps du polype, un organe qui communique à toutes les parties, & par lequel l’ame peut agir sur toutes les parties ?

Cet organe, quelques soient sa place & sa structure, peut en renfermer un autre, que nous considérerons comme le véritable siège de l’ame, que l’ame n’abandonnera jamais, & qui sera l’instrument de cette régénération future, qui élévera le polype à un degré de perfection que ne comportoit point l’état présent des choses.

En simplifiant de plus en plus l’organisation dans les êtres animés, le créateur a resserré de plus en plus chés eux la faculté de sentir ; car les limites physiques de cette faculté sont toujours dans l’organisation. Si donc l’on suppose, que le polype a été réduit au seul sens du toucher, son ame ne pourra éprouver que les seules sensations attachées à l’éxercice de ce sens. Et si le polype est en même tems privé de la faculté loco-motive, son toucher s’appliquant par cela même à un nombre de corps beaucoup plus petit & à des corps beaucoup moins diversifiés, ses sensations seront bien moins nombreuses & bien moins variées que celles des polypes doués de la faculté de se mouvoir.

Mais ; si le siège de l’ame du polype renferme les élémens de nouveaux organes & de nouveaux sens, cette ame éprouvera par leur développement & par leur ministère de nouvelles sensations, & des sensations d’un nouvel ordre, qui reculeront les limites de sa faculté de sentir, & ennobliront de plus en plus l’être du polype.

Je l’ai dit ; c’est sur tout par le nombre & la perfection des sens, que l’animal est le plus animal. Il l’est d’autant plus qu’il sent d’avantage, & il sent d’autant plus, que ses organes sont plus multipliés & diversifiés.

  1. Tom. I Chap. IV, XI, XII. Tom. II, Chap. II, III, IV.
  2. Part. III, Chap. XIII, Part. VIII, Chap. XV, Part. IX, Chap I.
  3. Voyés dans ces Opuscules, le petite Ecrit intitulé Tableau des Considérations, Art. XVI.
  4. Tables des Considérat. XV.