La huronne/Texte entier

Librairie Granger et frères limitée (p. 7-138).


I

LE PARI



IL faisait bon ce soir-là dans la grande bibliothèque du docteur Granville. En plus des chauds calorifères, un beau feu de bois flambait dans la cheminée, complétant le charme intime de cette vaste pièce tapissée de livres et meublée de grands et solides meubles de vieux noyer.

Au dehors, une violente tempête de neige battait son plein, et les autos circulaient difficilement dans cette rue peu fréquentée sur le versant du Mont-Royal, où la neige, poussée par un gros vent du nord, s’amoncelait très vite.

Le petit-fils du docteur était étendu de tout son long sur le tapis devant l’âtre, examinant curieusement la page comique d’un grand quotidien et riant aux éclats des aventures ineffables de « Ti-Lou », de « Margot » et de « Lucette et ses amis ».

La jeune Mme Granville, veuve d’un officier de la grande guerre, fils du vieux médecin, était aussi la fille adoptive de ce dernier, car, restée orpheline à cinq ans, la petite Berthe Le Roy, enfant de cousins éloignés, avait été recueillie et élevée par le docteur et sa femme qui lui vouèrent une profonde affection, et furent heureux plus tard lorsque leur fils, Pierre-Marc, désira l’épouser.

La femme du docteur était morte l’année qui avait suivi le mariage de Berthe et de Pierre.

La jeune veuve avait deux enfants : Gabrielle, l’aînée, pensionnaire chez les Dames de la Congrégation et Marc, âgé de treize ans, dont la santé délicate ne permettait pas la vie de pension, et qui suivait des cours privés, donnés par un jeune professeur, ami de la famille.

Au moment de la guerre, Pierre-Marc Granville habitait avec sa famille dans l’Ouest canadien.

En 1916, il avait rejoint un régiment volontaire de Winnipeg qui partait pour la France. À Cambrai où il s’était distingué par son courage et par sa capacité militaire, il avait été englouti par l’explosion d’un obus, au printemps de 1917.

La famille tant aimée qu’il laissait dans les vastes prairies du Manitoba, revint alors à Montréal, où elle habitait depuis, chez le père de l’officier, le docteur Granville.

Ce dernier avait accueilli de tout cœur sa fille adoptive et les orphelins, et dans le grand home confortable qui avait abrité son enfance, Berthe sut mieux endurer son malheur ; la jeune veuve et le vieillard avaient pleuré les mêmes larmes et se consolaient des mêmes espoirs, en voyant s’épanouir les deux jeunes vies confiées à leur tendresse.

Le docteur était un grand et robuste vieillard, portant lestement ses soixante-dix ans, gai de caractère, indulgent pour son entourage, mais intransigeant sur les questions d’honneur.

Il aimait Gabrielle et Marc d’une grande et belle affection, sans toutefois se laisser tyranniser par cette jeunesse exubérante et irréfléchie. Si la grande ressemblance de Gabrielle, avec les portraits de l’aïeule qu’elle n’avait pas connue, donnait au grand-père un faible pour celle-ci, il voyait cependant avec orgueil les talents en herbe et l’intelligence primesautière de Marc, et il se réjouissait que l’on eût donné à ce petit ces noms qui étaient les siens : Marc-Henri Granville.

Marc était un enfant charmant, mais pas sans défaut. Comme les autres gamins de tous les âges, surtout ceux de 1929, il pensait en savoir bien plus long que les anciens !

— Toi, grand-père, disait-il un jour, tu n’es jamais allé en aéroplane ?

— Non, mon ami.

— Moi, quand je serai grand, j’en piloterai un et je deviendrai célèbre comme Lindbergh !

— Il faut d’abord t’instruire, mon vieux, dit le docteur. Tu as encore des croûtes à manger et des pensums à faire d’ici là !

— Zut pour les pensums ! Hein, maman, je serai un aviateur ?

— Je ne le souhaite pas, Marc, c’est trop dangereux !

— Eh bien ! maman, j’aimerai le danger et je ne le craindrai pas !

— Non ? Et si tu tombes… si ton aéro prend feu ?

— Je descendrai en parachute !

— Et si tu te tues ?…

Marc regarda sa mère dont les yeux gris étaient pleins de larmes.

— Tu sais bien, maman, dit-il que je ne puis me tuer… d’ailleurs, c’est loin dix-huit ans, et je ne puis pas faire d’aviation avant ça… du moins comme profession !

— Et pour gagner les moyens de faire de l’aviation, dit le docteur, que comptes-tu faire ?

— Entrer chez un courtier… spéculer ! Tiens, je sais comment ça se fait. Tu connais Paul Robert, mon camarade, qui est venu me voir l’autre jour ? Eh bien ! il avait une belle toupie neuve. Comme c’est l’hiver, il n’en voulait pas. Je la lui ai achetée pour dix sous. Au printemps, il en voudra sûrement une… je la lui revendrai vingt cinq sous !

— Tu trouves cela bien de profiter du besoin d’argent de ton ami pour lui faire du tort ?

— Ça ne lui fait pas tort ! Il voulait dix sous et il n’avait que faire de la toupie !

— Mais pourquoi ne pas lui revendre au printemps pour les mêmes dix sous ?

— Tiens ! Je ne suis pas assez gogo pour ça ! Je sais spéculer !

— Moi, j’appelle ça être vilain, dit sa mère, ton père n’aurait pas voulu faire ça !

— Aussi il est mort pauvre, tu me l’as dit, maman !

— Mais sa mémoire est riche en honneur ! C’est un bel héritage qu’il t’a légué !

Marc ne répondit pas, mais regarda la croix de guerre suspendue au-dessus de la cheminée… il se leva et vint embrasser sa mère :

— Tu as raison, maman, dit-il. Je me le rappellerai toujours !

Au-dessus du pupitre du docteur Granville était placée une petite aquarelle aux couleurs un peu effacées, représentant une jeune indienne aux longs cheveux noirs tressés en deux nattes ; une bande multicolore lui encerclait le front et la tête et deux plumes rouges et droites, placées un peu de côté, complétaient sa coiffure, sa tunique frangée dépassait un peu les genoux, ses jambes étaient nues et ses pieds bruns foulaient un sol brûlé et dévasté ; ses bras nerveux se resserraient sur un petit coffret noir de forme rectangulaire.

Ses yeux foncés avaient un éclat étrange qui persistait malgré les années… car la petite aquarelle était déjà très vieille… au bas on y lisait : Ginofenn 1756.

Marc avait souvent demandé ce que représentait ce petit tableau que son grand-père affectionnait tant ; ce dernier lui avait dit :


C’est une jeune Huronne ; un jour, je te raconterai son histoire…

— C’est une jeune Huronne ; un jour, je te raconterai son histoire…, lorsque je te jugerai assez sérieux pour l’apprécier !

Et Marc dut se contenter de cette promesse, sachant que lorsque grand-père avait décidé quelque chose, il n’y avait plus qu’à faire comme il le voulait !

À l’été, Gabrielle revint de son couvent, grande et déjà très jolie. Elle avait quinze ans. Blonde et élancée, les yeux bleus comme l’azur, les cheveux courts et bouclés, l’air mutin et indépendant…

— Maman, maman, je suis aussi grande que toi ! Vois, dit-elle, entraînant sa mère vers une glace, tu as l’air d’être ma sœur, petite maman ! Tes cheveux sont blonds comme les miens, tes yeux gris ont des reflets bleus, ta bouche a la forme de la mienne !…

C’était vrai que Mme Granville avait l’air bien jeune… mais l’expression de tristesse de ses yeux, dénotait, malgré son sourire, des heures de chagrin… des veillées de larmes… Elle sourit à sa fille et dit :

— Ce n’est pas à moi que tu ressembles, mignonne, c’est à ta grand’mère ! Regarde ! La voici à vingt ans !

En effet, la ressemblance avec l’aïeule, qui souriait dans son cadre doré, était frappante !

— C’est vrai que je lui ressemble à grand’maman ! C’est peut-être pour ça que grand-père me gâte tellement ! Et Marc ? Où est-il donc ?

— Il joue au football, je pense, avec des amis. Il doit être au moment de revenir.

Marc, en effet, était allé à une partie de football ; avec plusieurs de ses camarades, il était à regarder une joute entre deux équipes connues et l’intérêt des petits hommes allait croissant à mesure que la partie devenait plus serrée et que le succès final restait en suspens…

— La Cité ! La Cité ! criaient les uns…

— La Prairie ! La Prairie ! criaient les autres…

— En avant La Cité ! Cours !… Donne ! cria Paul Robert, l’ami de Marc.

— Non ! Vive La Prairie ! Je suis de l’Ouest, moi ! riposta Marc.

— Veux-tu parier ? Mon papa fait toujours des paris sur les courses ?

— Parier quoi ?

— Deux piastres !

— Je ne les ai pas !

— Ça ne fait rien, tu les trouveras ! Je les aurai, moi, si je perds. Papa laisse souvent de l’argent sur sa table…

— Mais moi, je te dis que je n’en ai pas, dit Marc.

— Ah ! Tu as peur !… La Cité va gagner, hein ?

— Peur ? Non ! et c’est La Prairie qui va gagner ! Je le tiens ton pari ! Viens !

Les enfants suivent frénétiquement le jeu… les paris tiennent… les cris de joie ou de désappointement se suivent… puis la fortune favorise La Cité dont l’équipe sort triomphante…

— Tu me dois deux dollars ! dit Paul.

— Je me demande où je vais les prendre, dit Marc. Je n’ai que quinze sous.

— Demande-les à ton grand-père, il est riche !

— Maman dit toujours qu’il n’est pas riche et que nous devons être bien économes !

— Bah ! Les parents disent toujours ça ! En tous les cas, il faut que tu me paies !

— Je ferai de mon mieux !

Marc rentra tout penaud à la maison. L’arrivée de sa sœur lui fit un instant oublier son malheureux pari, mais le souvenir lui en revint bientôt et il resta silencieux et songeur, se demandant ce qu’il allait faire.

Le lendemain matin, comme il descendait déjeuner, il aperçut, sur le buffet, une facture et trois dollars placés tout auprès… Il regarda la facture, c’était un compte de fournisseur, se montant à trois piastres. Un billet de deux dollars, c’est ce qu’il lui faut !… S’il le prenait ? Personne n’en saurait rien et il paierait son pari !… Il regarda autour de lui… personne !… Alors, prenant le billet convoité, il l’enfouit dans sa poche, laissant l’autre avec la facture sur le buffet… Quelques instants plus tard la famille arriva et on se mit à table pour déjeuner.

— Tu ne manges pas, Marc ? dit sa mère. Serais-tu malade ?

— Non, maman, mais j’ai hâte d’aller jouer !

— Va, mon petit, va… mais ne sois pas parti trop longtemps ! N’oublie pas que tu sors avec moi à onze heures !

— Merci, maman, je reviendrai à temps, dit Marc en se levant. Il avait hâte de se trouver dehors, et arrivant près du petit parc où d’habitude, il jouait avec ses camarades, il aperçut Paul qui l’attendait.

— Mon argent, l’as-tu ? dit-il.

— Oui… tiens, prends-le !

— Tu gagneras la prochaine fois !

— Je ne parierai plus !

— Ta mère te l’a défendu ?

— Maman ne sait rien de la chose !

— Alors, où as-tu pris le billet doux ?

— Ça n’est pas ton affaire ! Tu es payé, hein ?

— Je pense que tu l’as volé, ce billet, c’est pour ça que tu es si maussade !

— Tais-toi, ou je vais te faire taire ! cria Marc furieux, s’élançant vers Paul ; mais celui-ci s’esquiva, prit un détour et se sauva à toutes jambes…

Marc revint à l’heure voulue et sortit avec sa mère et sa sœur. À leur retour, Mme Granville demanda à la bonne :

— L’épicier est-il venu pour le petit compte ?

— Oui, Madame, il a dit qu’il repasserait.

— Qu’il repasserait ? Pourquoi ?

— Pour le solde.

— Mais il n’y a pas de solde, son compte était de trois piastres…

— Oui, madame, mais il n’y avait qu’une piastre pour payer.

— J’avais pourtant laissé trois piastres… un billet d’une et un de deux !

— Peut-être le vent a-t-il emporté l’autre, dit la bonne.

— C’est possible, après tout. Vous verrez en balayant, Marie.

Marc, ne sachant quelle attitude prendre se mit à siffloter et sa mère le réprimanda.

— Tu ne dois pas siffler quand je parle à Marie, dit-elle, c’est très impoli !

Marc s’excusa et s’en alla jouer. La responsabilité de son acte allait donc être assumée par le vent ! Tant mieux ! Mais il ne ferait plus jamais rien de semblable… pour ça il était bien décidé… La droiture naturelle de l’adolescent se révoltait et l’empêchait d’oublier… Cependant, il s’efforçait de se faire une raison.

« Pourquoi serait-ce si mal ce que j’ai fait ? Je voulais cet argent pour une dette… maman l’avait aussi mis pour une dette… autant vaut payer une dette qu’une autre !… Si j’en parlais à confesse… non… on va me forcer de le dire à maman !… et si ce n’est pas mal, je n’ai pas à m’en accuser ! Alors, pourquoi me tourmenter ?… »

À force de sophismes, il finit par ne plus y penser et pendant quelque temps l’incident parut complètement oublié.




II

LES FEUX-FOLLETS — LE LOUP-GAROU



AVEC les chaleurs de juillet vint l’exode vers la campagne. Mme Granville et les enfants auraient bien voulu aller revoir le grand ranch qui avait été leur home de jadis, mais il était loué depuis plusieurs années et d’ailleurs ce long voyage eût été trop coûteux.

Ce fut dans un petit village de la côte nord que l’on passa six courtes semaines. De bons vieux habitants de l’endroit, les Ladoré, amis du Docteur Granville, avaient loué leur maison à la jeune veuve et habitaient eux-mêmes le petit fournil attenant.

Ce village étant sur les bords du Saint-Laurent, l’on pouvait se baigner, canoter et faire la pêche.

Marc partait souvent avec le père Ladoré, dans sa grosse barque de pêcheur. Assis auprès du vieillard qui fumait sa pipe de plâtre, il écoutait avec intérêt les récits imagés du vieux campagnard.

— Toi, mon p’tit, disait le bonhomme, méfie-toi des feux-follets et du loup-garou !

— Des feux-follets, père Ladoré ? Il y en a donc encore ?

— Encore ? Ma foé du Bon ! De d’ça, y en a toujours ! Fallait voir, y a queuques hivers, quand Le Blanc à Jean-Louis était revenu en brosse de chez son oncle, dans le rang du P’tit Cap… L’Blanc avait oublié de payer sa dîme, ou plutôt, il faisait semblant, depuis deux ans, de l’oublier…

— Que lui est-il arrivé ? demanda Marc, intéressé.

— Rendu au milieu de la grand’route, vers minuit, son cheval s’arrête net…

— Qu’est-ce qu’il y avait ?

— Marche, donc ! Cancre ! crie Ti Blanc à son cheval, en lui lançant un coup de fouet… mais le cheval ne bronchait pas… Alors, voyant une carriole qui arrivait, Ti Blanc leur crie d’arrêter… « Allons, allons, quoi que c’est ? » que l’autre demande. « C’est mon moses de cheval qui veut pu marcher » ! « Tu vois ben, pauv’innocent, que c’est un loup-garou qui barre le chemin ! » « Quoi faire ? » que dit Ti Blanc. « Fais un’croix sur la neige avec l’manche de ton fouet, si tu doé de l’argent promets de payer ou ben… » pi la carriole repartit au grand trot du cheval… pi Ti Blanc fit un’ grand’croix su la neige et promit de payer sa dîme… dès ce moment, le cheval se mit à trotter, mais vré de vré une lueur bleu suivit la carriole quasiment tout l’reste du chemin et Ti Blanc, complètement dégrisé, se mit à dire son acte de contrition ! »

Marc ouvrait des grands yeux et s’amusait fort de ces récits extraordinaires.

— Sur l’eau, père Ladoré, il n’y a pas de feux-follets ?

— Ah ben ouiche, tu cré ça, mon p’tit ! Ben, moé, j’peux t’dire que ceusses qu’ont pas la conscience en paix en rencontrent souvent ! Ils viennent tirer l’gouvernail ou faire devier les rames, y en a qui sautent su l’eau comme des grosses mouches à feu !

— Ils ne suivent pas les bateaux à moteur, hein, ni les gros vaisseaux ?

— Ça mon p’tit, c’est c’que j’peux dire ! J’ai jamais navigué avec des engins !

— Tu connais grand-père depuis longtemps ?

— Oui, on est du même temps ! Ça c’t un homme ! Ça, ç’a jamais couru le loup-garou ni fait danser les feux-follets !… C’tait un rude gaillard dans sa jeunesse, mais jamais y a trompé personne ! Non, pas pour une piastre ni pour deux piastres !

Marc tressaillit… le souvenir du billet dérobé lui revint à la mémoire…

Ce soir-là, il dit à sa mère :

— Maman, est-ce vrai qu’il y a des feux-follets et des loups garous ?

— Pas comme le raconte la légende, chéri, mais, tu sais, le feu-follet, au fond, c’est la conscience… le loup-garou, c’est le remords qui fait peur et fait imaginer toutes sortes de choses !

Marc resta songeur… mais il ne parla plus des feux-follets…

Dès septembre l’on retourna à Montréal, Gabrielle et Marc devant reprendre leurs études. Au lendemain de l’arrivée, Marc entendit sa mère dire au docteur :

— Papa, j’ai décidé de renvoyer Marie.

— Pourquoi ? C’est une brave fille… Elle m’a très bien servi en ton absence.

— Je ne suis pas sûre de son honnêteté !

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Rien de très sérieux, mais vous vous rappelez le billet de deux dollars pour l’épicier qui n’a jamais été retrouvé ?

— Je me rappelle la chose, en effet.

— Eh bien ! Marie l’a certainement pris ! Où donc serait-il allé. Il n’a pu sortir par la fenêtre, les persiennes étaient closes ! J’ai attendu… maintenant une de mes bagues est introuvable, je l’avais hier et je ne suis pas sortie de la maison… je n’aime pas à accuser Marie, mais quand on peut prendre de l’argent…

— Tu as raison. Il faut lui faire rendre la bague et ensuite la renvoyer. Appelle-la !

Comme Mme Granville s’apprêtait à sonner la bonne, Marc entra, la mine si déconfite que sa mère s’arrêta en disant :

— Es-tu malade, mon petit Marc ?

— Non, maman, mais… et il éclata en sanglots.

— Qu’est-ce qu’il y a, voyons, dit le grand-père, tandis que Mme Granville attirait l’enfant auprès d’elle, ne pensant plus à l’affaire de la bonne.

— Allons, Marc, tu n’es plus un bébé ! Qu’y a-t-il ? Parle ! Sois un homme !

Marc s’essuya les yeux et tenant la main de sa mère, il dit bravement :

C’est moi qui ai pris le billet de deux dollars qui était sur le buffet avant les vacances !

— Toi ? dit sa mère, pourquoi ?

— J’avais perdu un pari de football ! Et Marc raconta ce qui s’était passé.

— Et tu n’as pas craint avant aujourd’hui de garder le silence sur l’aveu de cette mauvaise action ? dit sa mère tristement.

— Je ne croyais pas que c’était si mal… du moins je me suis persuadé que ce n’était pas mal… mais tantôt, quand j’ai entendu accuser Marie… c’était trop honteux ! Je ne pouvais plus me taire ! finit le pauvre enfant en baissant la tête.

— Viens ici, Marc, dit grand-père. Tu as noblement réparé ta faute et je vois que tu comprends qu’il n’y a rien de plus vil que de manquer à l’honneur ! Aussi, je ne te punirai pas, et je demande à ta mère et à Gabrielle de ne plus y penser. Une faute avouée dans ces circonstances est non seulement à demi, mais complètement pardonnée !

Marc se jeta dans les bras de son grand-père et à ce moment la bonne frappa à la porte.

— Entrez ! dit Mme Granville.

— Madame, dit Marie, en donnant une bague à sa maîtresse, j’ai trouvé cette bague au pied de l’escalier ce matin, en balayant. Je vous l’apporte tout de suite, au cas où vous l’auriez cherchée.

— Merci, Marie, je suis bien contente de retrouver ma bague ! fit Mme Granville d’une voix douce, et tandis que la bonne se retirait, la maman dit à ses enfants :

— Vous voyez, mes petits, il ne faut jamais juger trop vite ! Je remercie Dieu de m’avoir empêchée de commettre une grave injustice !

— Et maintenant, dit grand-père, puisque Marc s’est montré un homme et que ma petite Gaby approche de ses seize ans, il est temps que vous connaissiez la jeune Huronne, dont l’histoire est si intimement liée à celle de notre famille. Ce soir, tout de suite après le dîner, je vous en ferai le récit.




III

LE PETIT MOUSSE DE L’ALCIDE



ON avait dîné de bonne heure et la famille était réunie dans la bibliothèque. Les enfants attendaient avec hâte ce qu’allait leur raconter grand-père.

— Tu la sais cette histoire, maman ? dit Gabrielle.

— Oui, petite, mais je l’entends toujours avec un intérêt nouveau et toujours elle me semble plus touchante.

Le docteur ouvrit un tiroir de son pupitre et en tira un vieux cahier.

— Ce manuscrit, mes enfants, dit-il, a été écrit d’après les notes et le journal de l’ancêtre dont je vais vous parler ce soir. Je vais vous le lire, tel que l’a rédigé mon père… Je n’ai pas besoin de vous demander de l’attention, le récit sera assez palpitant pour vous tenir en éveil… C’est intitulé : « Mémoires et Souvenirs de Marc-Henri Granville ».

Installé dans son fauteuil, sous l’abat-jour vert de la grande lampe de bureau, le docteur commença sa lecture :

C’était en avril 1755. Dans une vieille ville de France, port de mer bien connu, (Brest), un gamin de treize ans errait par les rues. Sa figure dénotait un sérieux précoce et dans ses yeux noirs et profonds une lueur de tristesse donnait à sa physionomie d’adolescent un air plus vieux que son âge. Il s’appelait Marc-Henri Granville et depuis trois jours il était complètement orphelin.

Marc était le fils d’un officier de marine. Il se rappelait, lorsqu’il était plus petit, les départs nombreux de son père, puis les retours qui remplissaient la maison de joie, sa mère, jolie et souriante et le bel officier qui la prenait dans ses bras, tandis que lui enfant, réclamait bien vite sa part de caresses qu’on lui donnait avec usure. Puis, un de ces retours fut triste et grave. Marc, ne savait pourquoi. Trop petit pour comprendre, il se réjouissait, tout en s’étonnant, que son père ne s’éloignât plus, mais son intelligence d’enfant précoce voyait bien que la gaieté était absente de la maison… Puis, la santé de son père inspira des inquiétudes… bientôt le médecin fut appelé… un jour le petit Marc vit entrer un prêtre qui resta seul auprès du malade… puis, sa mère en larmes l’avait amené au chevet de son père qui l’avait embrassé avec une tendresse extrême et lui avait dit : « Marc, mon enfant, aie soin de ta mère et souviens-toi que ton père a toujours fait son devoir ! » Puis, on l’avait emmené et ses sept ans n’avaient pas été témoins des dernières tristes heures.

Il avait donc grandi auprès de sa mère veuve ; il ne se rappelait plus d’avoir vécu dans l’aisance, car depuis la mort du lieutenant l’on était pauvre dans la maison… mais la nature gaie et exubérante de Marc remplissait d’un bonheur enfantin la triste demeure et sa mère, qui ne vivait que pour lui, s’ingéniait à lui faire la vie aussi heureuse que possible.

Un jour, revenant de chez le vieux prêtre qui lui faisait un peu de classe, il la trouva étendue sur son lit et leur vieille bonne Babette en larmes auprès d’elle… Inquiet et désolé il s’élança vers sa mère et la couvrit de baisers. Babette l’éloigna doucement, lui disant : « Il ne faut pas fatiguer votre maman, monsieur Marc » !

Pendant plusieurs semaines il l’avait vue ainsi, toujours couchée… toujours pâle… et le médecin venait souvent, et aussi le vieux prêtre…

Un soir, il venait d’avoir treize ans, sa mère le fit asseoir près d’elle et lui parla ainsi :

— Marc, mon fils chéri, je vais te parler comme à un homme ! Tu ne sais pas ce qui a tué ton père et assombri à jamais notre foyer ? Je vais te le dire ce soir !… Tu sais que ton père était lieutenant de vaisseau. Il fut envoyé en mission spéciale auprès de certaines autorités étrangères. Muni de documents et de plans confidentiels, il partit accompagné seulement de deux sous-officiers et d’un matelot. Rendu à destination, ses plans, ses papiers… tout avait disparu !… Peu de temps après le retour à son vaisseau, on apprit que ces documents étaient en des mains ennemies et on accusa ton père de trahison !… Il ne put jamais prouver son innocence, perdit ses titres de distinction dans la marine, et son grade d’officier… Il revint ici malade et découragé et mourut peu de mois après… sa famille et la mienne nous ont depuis lors complètement abandonnés !

— Mais, qui donc, maman, avait volé ces papiers ?

— Ton père n’a jamais eu de preuves, mais il a toujours soupçonné la vengeance d’un sous-officier nommé Cabot qui lui en voulait de son prompt avancement dans la marine !

— Est-ce que Cabot l’accompagnait pour la mission ?

— Non, mais il a pu en payer d’autres pour voler les documents ! Ton père avait un culte pour l’honneur de son nom et il m’a dit avant de mourir : « Quand Marc sera plus grand, tu lui raconteras les choses et tu lui diras que je lui confie une mission sacrée : puisque la mort m’empêche de le faire moi-même, ce sera à lui de relever le nom de Granville de l’injuste disgrâce qui pèse sur lui et de lui faire reprendre sa place parmi les noms honorables de France. Dis-lui que son père a toujours fait son devoir d’honnête homme et de loyal Français !

La malade pleurait en redisant à son fils les paroles du père ; mais l’enfant essaya de la consoler :

— Ne pleure pas, petite maman. Je vais grandir vite ! Quand je serai un homme, tu verras, je trouverai bien le coupable !

— Même si je n’y suis plus, mon chéri, dit-elle faiblement, n’oublie jamais ce testament d’honneur !

— Jamais, maman !

Marc songeait à toutes ces choses au lendemain de l’enterrement de sa mère, tandis qu’il errait, triste et solitaire, dans les rues de Brest.

Comme il arrivait sur les quais, il vit beaucoup d’animation et des rassemblements et il demanda ce qui se passait.

— C’est, dit-on le départ pour le Canada, de la flotte de M. Dubois de la Motte. Il y a plusieurs vaisseaux… On dit même que le Gouverneur de la Nouvelle-France sera à bord l’un d’eux !

— Quand part la flotte ? demanda Marc.

— Demain, au petit jour. Tiens, justement, voilà le commandant d’un des vaisseaux qui passe, M. de Hocquart, commandant du Lys, je crois, ou plutôt de l’Alcide !

Marc regarda l’officier galonné, se rappelant avoir vu son père dans un uniforme presque semblable.

Tout à coup, une idée lui vint… Il s’approcha de l’officier, souleva sa casquette et lui dit :

— Monsieur le Commandant, vous n’auriez pas besoin d’un mousse ?

— Qui es-tu, mon petit ami ?

— Je suis Marc-Henri Granville.

L’officier le regarda plus attentivement…

— Le fils du Lieutenant Granville ?

— Oui, mon Commandant.

— Depuis combien d’années as-tu perdu ton père ?

— Six ans !

— Tu vis avec ta mère ?

Les yeux bruns de l’enfant se voilèrent de larmes…

— Maman… on l’a enterrée hier !

— Pauvre gosse ! dit l’officier, et qui donc a soin de toi ?

— La vieille Babette… mais il n’y a plus d’argent et elle va retourner dans son pays… et moi… je voudrais être mousse !

L’officier réfléchit, puis regardant la figure intelligente et anxieuse du petit, il lui dit :

— Je n’ai pas de mousse sur l’Alcide, je pourrais peut-être en prendre un, mais… c’est dur, mon petit, d’être mousse !

— Je saurai endurer ! dit l’enfant.

— Il y a aussi… diable ! ton nom pourrait te causer des ennuis ! Ton père…

— Mon père était innocent ! fit Marc fièrement.

— Je le crois sincèrement, mon enfant, c’est pourquoi j’aiderai son fils s’il est en mon pouvoir de le faire. Écoute, je veux bien te prendre comme mousse, mais il faudra t’appeler seulement Marc Henri !

Marc le regarda et sourit bravement…

— Je reprendrai l’autre nom plus tard, mon Commandant !

— Et il faudra partir demain au petit jour… t’embarquer dès ce soir !

— Le temps d’avertir Babette et je suis prêt.

— Alors, mon ami, c’est entendu. Sois sur le grand quai à sept heures ce soir ; une chaloupe de L’Alcide viendra te chercher !

— Merci, mon Commandant, je serai là !… J’essaierai de devenir bon mousse, ajouta-t-il, et tandis que M. de Hocquart s’éloignait, Marc partit en courant vers la maison.

Babette lui prépara à la hâte un paquet de hardes pour le voyage, lui mit au cou un médaillon d’or contenant le portrait de sa mère et celui du Lieutenant. Elle l’accompagna jusque sur le quai… À l’heure dite, une chaloupe, conduite par six matelots, vint accoster.

L’Alcide ? demanda Marc.

— Oui… quel nom, mon gars ?

— Marc Henri ! dit l’enfant.

— C’est ça ! À bord ! Nous partons !

Babette l’embrassa maternellement et il partit avec les marins.

— Jésus Dieu ! dit la vieille Bretonne en se signant, pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur, le pauvre cher gosse !


Et c’est ainsi que l’orphelin de Brest, fils du Lieutenant Granville, devint Marc Henri, petit mousse à bord l’Alcide

Et c’est ainsi que l’orphelin de Brest, fils du Lieutenant Granville, devint Marc Henri, petit mousse à bord l’Alcide, faisant voile vers la Nouvelle-France.




IV

LA BATAILLE SUR MER



LES longues semaines en mer ne furent pas aussi dures, pour Marc, qu’on aurait pu le croire. Cet enfant bien né, qui avait été choyé et adulé par sa mère, avait cependant dans les veines le sang d’un marin et de son ascendance bretonne et normande, il tenait une endurance remarquable et un caractère courageux. Si les jours étaient parfois fatigants, les heures de travail longues, une nuit de lourd sommeil dans son hamac de mousse le mettait frais et reposé pour le lendemain.

Il se fit vite des amis à bord, parmi ces vieux loups de mer qui aimaient la mine éveillée, la repartie toujours prête de ce gosse dont l’endurance et la crânerie leur plaisaient.

L’un des matelots était son ami attitré. Il s’appelait Martin Maltais, mais à cause de sa figure fort laide, on l’avait surnommé « Martin Le Bourru ».

— Pourquoi t’appelle-t-on ainsi ? lui demanda Marc un jour. Tu n’es pas bourru du tout !

— Sans doute à cause de ma jolie figure ! répondit-il en riant. Même quand je suis de bonne humeur, j’ai toujours l’air bourru !

— Moi, je ne t’aurais pas appelé ainsi ! dit Marc.

— Non ? Et dis donc, petiot, quel sobriquet m’aurais-tu donné ?

— Je t’aurais appelé « Martin À Pas Peur » ou « Martin le Géant ». Tu es si grand et puis le Capitaine m’a dit que tu ne connaissais pas la peur !

— Comme ça se trouve, mon gosse… C’est peut-être pour ça que nous sommes des copains. Toi non plus tu n’es pas un peureux !

Parfois le Commandant faisait venir Marc dans sa cabine et causait avec lui, cherchant à savoir si l’enfant n’était pas malheureux ; mais Marc ne se plaignait pas.

Un jour qu’il se trouvait chez M. de Hocquart, un officier entra pour demander quelque chose. En voyant le mousse qu’il n’avait jamais remarqué, il eut un mouvement de surprise…

— Vous ne connaissiez pas mon mousse, Cabot ? dit monsieur de Hocquart.

— Non, mon Commandant.

— Marc, voici le Lieutenant Cabot.

Marc salua l’officier.

— Marc ? questionna celui-ci.

Marc Henri, lieutenant, que j’appelle parfois ouistiti parce qu’il grimpe si vite dans les mâts et les cordages !

Le lieutenant sourit, salua et sortit.

— Tu n’avais jamais vu cet officier ? demanda le Commandant.

— Si, mon Commandant, mais sans savoir son nom.

— C’est étrange, il ne t’avait pas remarqué, dit-il, et cependant, il a eu l’air de te reconnaître…

Ce soir-là, lorsque Marc fut couché dans son hamac bercé par les flots, l’incident de l’après-midi lui revint à la mémoire… « Cabot… Cabot… » murmura-t-il, où ai-je entendu ce nom ? Soudain, il se rappela les paroles de sa mère et il se demanda si cet officier pouvait être celui dont son père se méfiait… Non, sans doute, car c’était un sous-officier et non un officier que son père avait désigné… Tout en songeant à ces choses, le mousse s’endormit… quelques heures plus tard, il s’éveilla en sursaut… Le vent faisait rage, on entendait les roulements du tonnerre, les éclairs sillonnaient la nue, semblant embraser tout le ciel, et l’Alcide ballotté par la tempête, plongeait et replongeait dans la mer, dansait sur les vagues et semblait devoir s’engloutir…

Marc ne put se défendre d’un mouvement de frayeur et il serra convulsivement une petite médaille de la Sainte Vierge qui pendait à son cou sous sa vareuse de marin, avec le médaillon de sa mère…

Avec le jour, cependant les éléments se calmèrent et l’Alcide, continua fièrement sa course. Aucun vaisseau de l’escadre ne semblait avoir souffert de la tempête.

Cependant, dans la nuit d’orage, Martin Le Bourru avait été blessé. Dans sa hâte de passer, le Lieutenant Cabot lui avait donné un coup de pied et Martin, en tombant, s’était frappé la tête et s’était fait une blessure assez sérieuse.

Le petit mousse courut au secours de son ami et voyant que le sang coulait toujours, il avertit le Commandant, qui envoya de suite le chirurgien panser la tête de Martin. Le vieux matelot dut rester couché pendant plusieurs jours et Marc allait causer avec lui aussi souvent qu’il le pouvait.

— Comment es-tu tombé, Martin ? demanda-t-il.

— C’est ce Cabot de malheur qui m’a poussé du pied !

— Attention, Martin ! S’il t’entendait…

— As pas peur ! J’ai de quoi lui clore le bec à c’t oiseau-là !

— Hein ? fit Marc étonné.

— Oui ! Et si je n’ai pas parlé avant c’est que je guettais mon heure !

— Il t’a fait un mauvais coup ?

— Pas à moi, mais c’est tout comme ! Je m’en doutais bien un peu, mais j’en ai eu les preuves l’été dernier !

— Martin, dit Marc, changeant de sujet, connais-tu le Canada où nous allons ?

— Non, mon gars. Je sais seulement que c’est un beau pays avec de la neige et des sauvages !

— C’est toujours l’hiver dans ce pays ? questionna Marc.

— Je n’en sais rien… C’est fort possible… Je le crois bien !

— Et nous allons faire la guerre là-bas ?

— Oui… il paraît… mais on dit que c’est surtout comme défense qu’ils veulent des troupes…

— Alors, toute l’escadre, toute la flotte, ce sont des soldats ?

— Oui, en très grande partie.

— Pourquoi, Martin y a-t-il tant de brouillard ici ?

— On dit que nous sommes sur les côtes de Terre-Neuve, répondit Martin, et qu’il y a toujours du brouillard à cet endroit.

L’Alcide et le Lys se trouvaient alors quelque peu éloignés du reste de la flotte. Le brouillard devint de plus en plus épais… Tout à coup, la voix du Commandant s’éleva demandant des renseignements. Des voix anglaises lui répondirent… Lorsque le brouillard disparut enfin, les deux vaisseaux français séparés de l’escadre étaient cernés par la flotte anglaise de onze vaisseaux que commandait l’Amiral Boscowen…

La bataille s’engagea terrible et inégale… à la fin, il fallut se rendre… Dans la mêlée, un ennemi visa Martin, dont la tête était encore bandée, et Marc se jeta devant son vieil ami blessé pour le défendre… une balle le frappa à l’épaule… Martin reçut dans ses bras le petit mousse évanoui et un officier anglais, voyant là un vieillard blessé et un enfant, les fit transporter tous deux à bord d’un des vaisseaux anglais pour les faire panser par le chirurgien.

Martin n’avait que la blessure de la chute, mais le pauvre mousse restait évanoui… Le chirurgien voyant la blessure à l’épaule, l’examina, localisa la balle et se prépara à l’extraire. Quoique sans connaissance, l’enfant serrait la main du vieux Martin et celui-ci touché de ce dévouement ne pouvait contenir ses larmes…

Is this your boy[1] ? lui demande le chirurgien.

Martin, ne comprenant pas, crut qu’on lui demandait le nom de l’enfant et il dit :

— Marc Henri… Brest…

Le médecin coupa les vêtements du petit blessé et vit le médaillon qui pendait à son cou. Surpris de voir un bijou de cette qualité au cou d’un mousse, il regarda à l’intérieur et vit les portraits du Lieutenant et de sa femme.

This is no ordinary cabin boy[2] ! dit-il à son assistant.

Une demi-heure plus tard, l’opération était terminée, mais Marc, en proie à une fièvre ardente, était dans le délire et paraissait au plus mal…

À bord, tout était rentré dans le calme, et la flotte anglaise, avec ses deux vaisseaux prisonniers, continuait sa course.




V

PRISONNIER



LORSQUE Marc reprit pleinement ses sens, plusieurs semaines plus tard, il n’était plus à bord d’un vaisseau.

Son regard chercha autour de lui… rien ne lui était familier. Il était couché dans un lit pauvre mais propre, qui se trouvait à l’extrémité d’une grande chambre qui semblait être une cuisine ; une femme blonde au teint animé allait et venait dans la pièce, tout en jetant souvent les yeux sur un berceau, où s’agitait un bébé.

Marc éprouvait trop de bien-être pour s’étonner… il s’étira, se retourna et se rendormit encore…

Au bout d’une heure, il s’éveilla de nouveau au bruit de vaisselle et de coutellerie qui annonçait un repas et alors il constata qu’il avait faim… Soudain, se rappelant son ami Le Bourru, il appela : « Martin !»

La jeune femme s’approcha vivement de lui :

Well, laddie, better at last ?[3] dit-elle.

Marc la regarda et sourit sans comprendre ce qu’elle disait…

— Martin ! répéta-t-il.

Oh, the old sailor ![4] et elle partit vers la porte, cria quelque chose que Marc ne comprit pas et bientôt un vieillard à cheveux blancs entra dans la maison suivi de Martin.

— Eh ! mon petit, ça va donc mieux ? C’est pas trop tôt, hein, depuis le temps que tu es trop malade pour me reconnaître !

— Où sommes-nous, Martin ?

— Chez des colons anglais, du brave monde, mon fieu ! La femme t’a soigné comme son enfant… Tu pourras bien lui dire un merci à l’occasion !

— Je ne sais pas l’anglais, mais je lui dirai en français, elle comprendra bien !

La jeune femme et le vieux paysan s’approchèrent à leur tour. Marc leur tendit à chacun une de ses mains amaigries…

— Merci ! dit-il.

La jeune femme comprit, lui donna une petite tape amicale sur la joue, tapota ses oreillers et alla chercher un verre de lait qu’elle lui offrit en souriant. Marc le prit et but avidement, à la grande satisfaction de ceux qui le regardaient, puis, faible encore, il ferma les yeux et s’endormit. Mais à partir de ce jour-là, il revint petit à petit à la santé. Dès le lendemain, il commença à s’asseoir dans son lit et réclamait Martin continuellement.

— Martin, explique-moi donc ce qui s’est passé depuis hier, lui dit-il.

— Hier ? Mais tu ne sais donc pas, mon gosse, que nous sommes ici depuis plusieurs semaines !…

— Des semaines ! J’ai donc été bien malade ?

— Je crois bien ! tu as bien failli mourir, d’abord de ta blessure, puis de la fièvre ! Que te rappelles-tu en dernier ?

— La bataille sur mer… des marins ennemis qui se battent sur l’Alcide, puis un gros blond qui s’élance vers toi, puis une douleur à l’épaule… puis… plus rien !

— Eh bien ! je vais te conter ça au long… Et d’abord, toi et moi, nous sommes des prisonniers de guerre !

— Prisonniers des Anglais ?

— Oui. Ils ont pris notre vaisseau l’Alcide et aussi le Lys. Les autres, ils ne les ont pas vus !

— Nous étions donc bien près de terre ?

— Non, assez éloignés… mais écoute, ne parle pas trop, tu n’es guère fort ! C’est toi, pauvre petiot, qui as reçu le coup qui m’était destiné ! Je te reçois dans mes bras et te voyant évanoui, je pleure comme une vieille bête… Arrive un officier anglais qui nous regarde puis dit quelque chose à ses hommes… On nous amène tous les deux à bord d’un des vaisseaux anglais et là, mon petit, un docteur vient te faire une opération !

— Une opération ?

— Oui, tu avais une balle dans l’épaule. Il l’enlève, mais ensuite la fièvre te prend à son tour et tu délires comme un ivrogne… La bataille était finie et les vaisseaux étaient en marche…

— Alors, je suis resté avec toi sur le vaisseau anglais ?

— Oui, et le Capitaine Milnes (celui qui nous avait fait transporter) est venu te voir tous les jours… C’est encore lui qui a demandé au premier arrêt de la flotte, que tu soies amené ici, où tu aurais plus de chances de revenir à la santé, d’après ce que lui avait dit le médecin. Il connaît les colons chez qui nous sommes, et il m’a laissé avec toi pour que tu ne sois pas trop étranger à ton réveil dans la Nouvelle-Angleterre !

— Nous ne sommes donc pas au Canada ?

— Non, mais pas très loin de la frontière.

— Il a été très bon, cet officier ! dit Marc.

— Oui, rudement bon ! J’ai su, par un matelot qui parlait un peu le français, qu’il a un fils à Londres à qui, paraît-il, tu ressembles un peu, et de plus qu’il te trouvait trop gosse pour te traiter en ennemi !

— Et ces gens chez qui nous sommes ?

— Des paysans anglais. Le mari est à l’armée, la femme demeure ici avec son père et son mioche.

— Qui paie pour nous ici ?

— Je n’en sais, ma foi, rien ! L’état, je suppose, puisque nous sommes prisonniers… On m’a dit que je devais aider aux travaux et toi aussi quand tu seras assez fort.

— Il y a donc l’été, dans ce pays ? Tu sais, nous pensions qu’il n’y avait que de la neige et des sauvages !

— Mais nous ne sommes pas en Canada !

— En Amérique, toujours ?

— Oui, parbleu ! Et pas trop mal, hein, pour des prisonniers ?

Le lendemain, Marc demanda à se lever. La bonne Mistress Gray s’empressait autour de lui et lui faisait des recommandations qu’il ne comprenait pas, mais heureux de se lever, il souriait et répondait « yes, yes » le premier mot anglais qu’il avait appris !

Tout à coup, il pensa à son médaillon et il s’assura qu’il ne l’avait plus… mais Mistress Gray avait vu le geste et elle avait compris… d’un mot elle le rassura : « Martin » dit-elle. Il la remercia et poussa un soupir de soulagement.

Lorsque Martin revint de son travail de défrichement, Marc lui demanda son médaillon.

— Je l’ai placé en sûreté, mon brave, avec un papier qui te concerne.

— Un papier ?

— Oui. C’est demain dimanche et on ne travaille pas. J’aurai tout le temps de te le faire voir… Tu sais lire, tu en comprendras toute l’importance et tu pourras reprendre ton médaillon.

— As-tu gardé aussi ma petite médaille de la Sainte Vierge ? Je la tenais bien serrée le soir de la tempête.

Le Bourru chercha dans le fond de sa poche et sortit fièrement la médaille demandée…

— Merci, mon vieux Martin, dit Marc. Comme tu as été bon d’avoir ainsi soin de moi !

— Tiens ! Je n’ai rien fait ! Mais toi ! Recevoir une balle à ma place ! Tu as été brave !

— Je n’étais pas brave, Martin, j’avais une peur atroce ! Mais toi, tu étais blessé, la tête encore couverte de bandages… quand j’ai vu le gros blond te viser, je me suis jeté devant toi… mais je ne savais pas s’il tirerait… Je n’ai pas pensé…

— C’est égal, tu as toujours pensé assez pour sauver ma vieille peau ! Mais tu vas voir ! Martin sait se taire, mais le moment venu, il sait parler !

Marc ne comprenait pas la portée des paroles du matelot…

Il voulait lui demander une explication mais à ce moment le bébé se mit à pleurer… La maman était dehors… Marc s’approcha du berceau et regarda le beau poupon qui agitait ses petits pieds et ses bras potelés et criait à pleins poumons !

— Qu’as-tu, bébé ? dit-il, veux-tu te faire bercer ? Et poussant doucement le berceau, il le berça un peu. Le bébé le regarda, cessa de pleurer… et lorsque sa maman, quelques minutes plus tard, entra dans la maison, elle vit que son enfant souriait à Marc et tenait un de ses doigts bien serré dans son petit poing rose.




VI

LE SECRET DE MARTIN LE BOURRU



LA journée du lendemain fut chaude et ensoleillée. Ce fut un bonheur pour Marc de respirer l’air embaumé du dehors. Le proche voisinage de la forêt où croissaient les pins géants, les épinettes, les sapins et les cèdres, mettait dans l’air un parfum résineux que le mousse humait avec délices.

Il s’assit dans la cour près de la petite maison, s’appuya la tête sur un tronc d’arbre et éprouva cette joie de vivre particulière aux convalescents.

Martin vint s’asseoir auprès de lui.

— C’est bon, hein, mon brave, d’être sous le soleil du Bon Dieu ?

— Oui, Martin, c’est rudement bon ! Puis, après une pause :

— Tu as quelque chose à me raconter, dis ?

— Attends je vais chercher la boîte aux secrets ! Et le matelot entra dans la maison. Peu d’instants après il en ressortit apportant un petit coffret noir, fermé avec une bande métallique. Il fit jouer un ressort et souleva le couvercle… Marc aperçut un papier froissé et un peu jauni et le précieux médaillon.

— Prends ton médaillon, Marc Granville ! fit Martin en le regardant.

Marc tressaillit…

— Tu sais donc mon nom ? dit-il.

— Oui, mon petit.

— Qui te l’a appris ?

— Écoute : Quand on te coucha pour l’opération, (tu sais, l’extraction de la balle) le docteur anglais coupa ta vareuse et ta chemise et enleva le médaillon qu’il posa sur un banc auprès de toi. Quand tout fut terminé, le capitaine, (tu sais, celui qui nous avait fait transporter là) entre et te regarde, puis il prend le médaillon, l’ouvre et paraît surpris… Il dit quelque chose en anglais au médecin, puis il me fait signe d’approcher… Il tenait le médaillon ouvert et me désigna les portraits, disant, en français : « Qui ? »

Je regarde attentivement… puis, tout à coup, la lumière se fait dans ma vieille mémoire…

— Lieutenant Granville ! m’écriai-je.

Il répéta Granville… Granville ?… Et je pus voir que le nom ne lui était pas inconnu.

— Tu connaissais mon père, Martin ? Tu sais donc…

— Je sais que c’était le plus brave des braves et un loyal officier de la marine française !

— Oh ! pour ça, oui ! Mais…

— Mais il a été joué, le pauvre ! Il a payé pour d’autres… et j’en ai la preuve ! s’écria Martin.

— Tu en as la preuve, dis-tu ? Ah ! si j’avais su !

— Mais je ne savais pas, fiston, que ton nom était Granville !

— Non, c’est vrai ! C’est le Commandant qui m’a dit qu’il valait mieux ne pas dire mon nom complet pour ne pas avoir d’ennuis !

— C’est égal, si j’avais su… Mais, voici ce que j’ai à te dire… Je faisais partie de l’expédition, de la mission spéciale dont ton père avait été chargé… Il y avait en outre deux sous-officiers, Pontet et Lebrun. Le trajet dura vingt-quatre heures, il fallut coucher sous la tente. Dans la nuit, je crus entendre marcher… j’ouvris les yeux, c’était Lebrun qui rôdait… « Qu’est-ce qu’il y a ? » que je dis.

— Rien ! qu’il me répond, je cherchais une couverture, la nuit est fraîche !

— Pas si fort ! que je dis, le lieutenant va s’éveiller !

— Il dort bien dur, que dit l’autre, et Pontet ronfle sans arrêter depuis longtemps !

Je ne répondis pas et feignis de dormir… Lebrun retourna à son lit de camp, s’enveloppa dans une couverte et ne bougea plus… Au matin, il fallut réveiller le lieutenant et Pontet qui dormaient profondément…

— C’est étrange, me dit ton père, j’ai la tête lourde, comme si j’avais fait la fête !

— Moi, de même, mon lieutenant, fit Pontet.

— C’est le manque d’air dans la tente, dit Lebrun, les marins ne sont pas faits pour camper !

Tu sais le reste, mon fiston, comment ton père ne put s’acquitter de sa mission et fut accusé de trahison !… Cependant, faute de preuves, le Conseil de Guerre ne put le condamner à mort, mais il fut déchu de son grade… et je sais qu’il en mourut, pauvre lieutenant !…

— Mais qui donc avait fait le coup ?

— Ah ! J’arrive à la chose ! Après le retour à bord, quand je sus ce qui se passait pour ton père, je soupçonnai Lebrun d’avoir été traître… Je résolus de lui parler, un soir qu’il était seul sur le pont et m’approchant, je lui dis :

— Je sais ce que vous avez fait dans la nuit du trente mai !

— Qu’est-ce que tu veux dire, Le Bourru ?

— Vous avez volé, dans la tente, les papiers du lieutenant ! Alors il se retourne, blanc de colère, et saisissant une masse à portée de sa main, il m’en donne un gros coup sur la tête et je perds connaissance… Mon fieu, je fus trois mois à l’hôpital, puis toute une année chez ma vieille mère à Marseille. Quand je fus tout à fait rétabli, je repris la mer, mais mon bateau était parti vers les Indes, je m’engageai alors sur l’Alcide… Je voulais toujours savoir où était Lebrun. Je sus qu’il avait laissé la marine et qu’il habitait Toulon. J’appris aussi la mort de ton père…

L’année suivante, l’Alcide resta quelques jours dans la rade de Toulon et j’étais en permission un soir, lorsque, passant dans une rue sombre, je vis une bataille d’ivrognes. Je m’approche… trois bandits s’acharnaient sur un homme et achevaient de le faire mourir, pour le dévaliser… Je joue des poings, je pousse, je bouscule et finalement ils prennent la fuite laissant leur victime baignant dans son sang… Je le relève et le transporte dans une hôtellerie et juge de ma surprise… à la lueur des bougies, je reconnais… Lebrun ! Il était mourant… Il ouvrit les yeux, me reconnut et dit : « Tu es vengé, Martin ! »

— Mais mon lieutenant ne l’est pas, et il en est mort à la peine ! que je dis.

— Pauvre Granville… C’est un autre qui m’avait payé pour lui jouer ce sale tour !

— Un autre ? que je dis…

— Oui… il lui en voulait… C’est Cab… « Un frisson le secoua… » Un prêtre, Martin, vite, un prêtre !

L’hôtelier nous en trouva un qui arriva presque tout de suite et reçut la confession du mourant. Il prit une feuille de papier et écrivit le témoignage du moribond que celui-ci eut la force de signer… mais cet effort épuisa ses dernières forces et il mourut l’instant d’après… Alors le prêtre me dit : « Connaissez-vous le lieutenant Granville ? »

— Il est mort, mon révérend.

— Alors, informez-vous de sa famille et donnez-leur ce papier.

— Je leur remettrai, répondis-je, merci, mon révérend ! Et je partis rapidement pour regagner mon navire…

J’aurais peut-être dû parler tout de suite au Commandant, mais à Brest, j’appris la mort de ta mère, mon mousse et personne ne me parla de toi… alors, je ne savais pas… et j’avais dans l’idée de trouver qui avait payé Lebrun, et je pensais à…

— Cabot ? dit Marc.

— Tiens, tu le savais toi ? dit Martin surpris.

— Je ne savais pas, mais maman m’avait parlé d’un sous-officier nommé Cabot qui en voulait à papa…

— C’est le même… Il a été promu officier… et je crois bien que c’est lui le coupable… mais tiens, lis ce papier !

Marc prit la feuille jaunie que lui tendait Le Bourru et lut :

« Je reconnais avoir été payé pour dérober les papiers confiés au lieutenant Granville, ce que j’ai pu faire dans la nuit du trente mai 1748, ayant glissé une drogue dans son vin pour le faire dormir », puis la signature, presque illisible « Paul Lebrun » et la signature du prêtre avec la date, « J.-A. Vinant, prêtre, Toulon, le 25 février 1754 ».

Marc n’était pas très lettré, mais il put lire, à haute voix, tout le document.

— Oh ! Martin ! Martin ! Comme je suis heureux ! s’écria-t-il. Je savais bien que mon papa n’était pas un traître ! Est-ce que je lui ressemble à mon père, Martin ?

— Beaucoup !

— C’est donc pour ça que Cabot a fait un saut en me voyant chez le Commandant !

— C’est bien pour ça, sans aucun doute !… J’ai su qu’il avait été tué pendant la bataille en mer !

— Alors, il a son compte, hein, Martin ?

— Oui… et puisque Cabot est maintenant chez le diable, il va falloir retourner en France et montrer ça, dit le matelot désignant le précieux papier, mais… c’est diantrement embarrassant… on est prisonniers !

— Le capitaine anglais a-t-il vu ce papier, Martin ?

— Écoute, fiston, quand j’ai pensé que tu allais faire le saut, j’ai demandé au matelot qui parlait français de m’amener au capitaine… (Faut te dire, que c’est un officier de l’armée anglaise, mais non de la marine). Le capitaine nous reçut : alors je lui dis, et le matelot me servait d’interprète, que je voulais remettre ces choses (ton médaillon et le papier de Lebrun) à notre Commandant, que je le devais en justice pour le nom de ton père… Le capitaine me dit : « Le commandant Hocquart est abord de l’Alcide et nous en sommes loin ! Donne-moi ces choses et si le boy meurt, je les transmettrai moi-même aux autorités françaises… s’il revient à la santé, je te les remettrai pour lui ! »

J’avais confiance, Marc, et je lui confiai tes deux trésors… Lorsqu’on nous débarqua pour nous amener ici, le capitaine me donna ce coffret dans lequel il les avait renfermés, me disant que tu reviendrais probablement à la santé et qu’il était juste que tu les aies toi-même !

— Comme il a été bon, cet étranger, ce brave officier ! Si jamais je le retrouve, je lui dirai ma reconnaissance ! Oh ! Martin, que j’ai hâte de retourner en France ! Nous irons ensemble, dis… et Marc se leva, montrant de la main, la ligne bleutée que dessinait l’horizon… mais encore faible et très ému de la confidence qu’il venait de recevoir, il chancela et Martin l’emporta dans ses bras vigoureux et le coucha sur son lit au fond de la grande cuisine.




VII

PAUVRE MARTIN



MARC, ayant complètement repris ses forces, commença à prendre part aux travaux de la ferme.

Avec son intelligence vive et sa mémoire très fidèle, il apprit rapidement la langue anglaise, au grand plaisir de la bonne Mistress Gray, qui s’était attachée à ce jeune prisonnier presque comme à un petit frère…

Un jour, un messager arriva porteur d’une lettre de la part du Capitaine Milnes. La jeune femme lut la lettre et dit au messager :

— C’est bien. J’en suis contente. L’un et l’autre ne me causent aucune peine et le boy est guéri !

Marc comprit et dit à son tour au messager, dans un anglais incorrect mais compréhensible :

— Je remercie le capitaine de ce qu’il a fait pour moi et pour le vieux matelot !

Le soldat sourit : « All right, dit-il, je lui dirai ».

L’adolescent et le vieillard restèrent donc à la ferme…

Ce fut un temps heureux pour Marc. Il ne connaissait pas cette vie des champs… Son enfance s’était écoulée à Brest et il ne se souvenait pas d’être allé à la campagne, sauf en passant, pour quelques jours tout au plus. Ce riant pays ne gardait plus de traces de la terrible dévastation de la fin du dix-septième siècle… Schenectady, avec son ciel ensoleillé, sa rivière aux eaux limpides, ses forêts immenses et sa belle végétation, devint pour le jeune citadin un enchantement. Il avait aimé la mer, mais il ne la regrettait pas et la vie de la ferme lui était plus douce que la vie du bord. Dans ses longues journées au grand air, travaillant gaiement auprès de Martin ou du vieux John, il oubliait qu’il était prisonnier, il le sentait si peu !


Le bébé s’appelait Rose, et avait maintenant huit mois. Marc savait toujours l’amuser et la consoler…

Le bébé s’appelait Rose, et avait maintenant huit mois. Marc savait toujours l’amuser et la consoler. Pour elle, il faisait la pirouette, marchait sur ses mains, inventait mille riens pour la faire rire et petite Rosie le regardait avec ses grands yeux bleus comme des myosotis, cessait de pleurer et enfin se mettait à rire et à balbutier…

Mistress Gray recevait souvent des nouvelles de son mari, mais il ne parlait pas de revenir en permission, sauf dans le cas où la paix serait déclarée, alors le sergent laisserait l’armée et resterait à la ferme.

La jeune femme soupirait, mais reprenait bravement sa besogne…

Septembre était venu, les premières journées d’automne doraient les feuilles et mûrissaient les fruits. Martin s’était montré bon jardinier et il y avait de beaux légumes dans le petit potager.

Avec octobre vinrent des rumeurs de paix, et le sergent Gray arriva chez lui pour deux semaines de repos.

C’était un brave garçon qui adorait sa femme et son enfant, mais qui faisait sans murmurer son devoir de soldat. Il fut très bon pour les prisonniers du capitaine et leur conseilla de ne pas essayer de fuir !

— Pourquoi, Sergent ? demanda Marc.

— Parce que les Peaux-Rouges seraient des maîtres plus durs que les Anglais !

— Ceux que j’ai vus jusqu’ci n’étaient pas méchants ! dit Marc.

— Tiens, c’étaient nos amis, des gens des tribus alliées ! Mais va voir les autres, en temps de guerre… tu ne pourras jamais venir nous en donner des nouvelles !

— En tous les cas, les femmes indiennes ont du cœur, elles aiment bien leurs enfants ! dit Marc.

— Comment le sais-tu ?

— Un jour, dans un sentier de la forêt, j’ai rencontré une Indienne qui portait une charge de bois sur son épaule. À un moment donné, elle butte sur une souche et tombe. Je cours lui relever son bois et je m’aperçois qu’elle avait les doigts des deux mains en partie coupés… Je la regarde en les lui montrant, elle me dit d’un ton triste : « Papoose… papoose… » et compte sur ses doigts meurtris jusqu’au nombre six… Je lui dis à mon tour : « Vous avez perdu six papooses ? » Elle comprend et montre sur ses doigts, six phalanges parties !

— Je ne connaissais pas cette coutume, dit Jim Gray. Il y a d’ailleurs tant de rites étranges chez ces peuples, par exemple leur épreuve de bravoure…

— Qu’est-ce que cela ? dit Marc.

— Chez cette race de Peaux-Rouges, dit Jim, la bravoure chez les hommes est très en honneur ; mais pour qu’un guerrier compte parmi les braves, il a une terrible épreuve à subir… Devant la tribu assemblée le jeune guerrier apparaît nu jusqu’à la ceinture. Il est amené devant le Grand Chef qui lui demande s’il sait endurer la douleur. Sur sa réponse affirmative, deux guerriers s’approchent de lui ; l’un lui fait deux entailles à la poitrine avec son tomahawk, l’autre y enfonce un morceau de bois d’environ deux pieds de longueur ; traversant les chairs, ce bois ressort des deux côtés de la poitrine, puis on le suspend par les deux bouts de ce bois aux branches d’un arbre juste à la hauteur où le bout de ses pieds seulement touchera la terre… et sans se plaindre, il doit endurer tout ça en chantant et en riant et danser sur le bout des pieds jusqu’à ce que le bois casse ou que les chairs se déchirent ! Alors il est acclamé ! C’est un brave ! On panse ses blessures, il a conquis son rang parmi les guerriers !

— Avez-vous vu cela, vous Sergent ? dit Marc.

— Oui, une fois. Je t’avoue, quoique soldat, je n’ai jamais vu tant d’endurance !

— Je ne pourrais pas voir une chose semblable, dit la fermière, j’en serais malade !

— Je crois bien ! Les femmes indiennes assistent à ces fêtes cruelles, mais ces barbares ne sont pas comme nous !

— Pour gagner le Canada, Sergent, dit Marc, il faut passer par leur pays ?

— Oui, quoique nous soyions peu éloignés de la frontière. On ne passe pas dans leurs villages, cependant.

— En connaissez-vous pour leur parler ?

— Certainement, plusieurs ; ainsi il y a Adistogué, vendeur de fourrures, dont l’ancêtre a donné son nom à la tribu des Adistoguez ; c’est lui, qui, en parlant du gouverneur de Philadelphie l’appelle toujours Assarégoha (le Grand Sabre) ; il y a encore Tarouteskaby, descendant du chef des cinq nations et comme son ancêtre, un grand parleur !

— Vous les comprenez donc ?

— Oui, quelques-uns… mais il y a plusieurs langues indiennes… cependant plusieurs Indiens parlent et comprennent l’anglais.

La conversation du sergent intéressait beaucoup Marc et ils devinrent vite bons amis.

Martin restait souvent seul. Il ne comprenait pas plus l’anglais qu’au premier jour… Une nostalgie persistante le tourmentait depuis quelque temps, et il avait une idée fixe… fuir… passer la frontière et se retrouver parmi des Français… mais il y avait Marc ! Impossible de l’exposer aux dangers de cette fuite… Que faire ?… Marc s’apercevait bien que Martin était triste, mais il ne se rendait pas compte qu’il était dévoré par le mal du pays…

Cependant la Providence avait d’autres vues pour le vieux marin de l’Alcide et c’est vers une autre patrie qu’il allait se diriger. Un soir, entrant à la maison comme d’habitude, Martin fut pris d’un vertige subit, chancela et tomba, se frappant la tête sur une bûche de bois qui était auprès de la cheminée. Le sergent et Marc coururent le relever… il était sans connaissance…

Dans ces régions nouvelles, il fallait voyager des milles et des milles pour avoir un médecin. Marc le savait, mais en bon petit catholique, ce fut à un prêtre qu’il pensa.

— Ne vient-il pas de missionnaire ici ? demanda-t-il.

— Il en passait parfois, dit Mistress Gray, mais depuis la guerre, on n’en voit plus.

— Va-t-il mourir ? demanda l’enfant, les larmes aux yeux.

— Je ne sais pas, il m’a l’air bien mal ! dit le sergent.

On avait couché le pauvre Martin sur son lit. Le vieux John Long, père de la fermière, examina la blessure à la tête.

— Il a une grosse cicatrice presque à la même place.

— Oui, dit Marc. Il était tombé sur le pont de l’Alcide.

— Cette seconde chute pourrait bien lui être fatale, pauvre vieux, dit le sergent.

À ce moment, Martin ouvrit les yeux.

— Mon vieux Martin, ça va mieux, hein ? dit Marc.

— Non, mon fieu, c’est le port… plus de voyages en mer pour Le Bourru… Écoute… approche… Prends bien soin de ton précieux coffret… tu reverras la France, toi !… Marc, tu ne pourrais pas me dire un bout de prière ?… vois-tu… moi, je n’en sais plus et… c’est dur, parfois, d’arriver… là-bas…

Marc, étouffant ses larmes, prit la médaille qu’il portait et la plaça dans la main du vieux marin et à genoux près de lui, il récita à haute voix un pater et un ave…

Mistress Gray s’approcha et pressa la main du moribond qui la regarda avec un faible sourire :

— Dis-lui, Marc, qu’elle a été rudement bonne et que je la remercie ! dit encore Martin.

Marc traduisit les paroles de son vieux copain. Alors les deux hommes vinrent à leur tour lui faire ainsi leurs adieux et Mistress Gray, prenant sa bible, la lui plaça entre les mains…

— C’est la parole de Dieu, Martin, c’est l’Évangile… Que ce soit en anglais ou en français, qu’importe… Ce livre ne peut que vous aider, dit-elle. Et lorsque Marc eut traduit ces paroles, le mourant lui dit faiblement :

— Merci… merci. Regardant ardemment la jeune femme il lui indiqua Marc d’un air anxieux… Elle comprit, et avec un geste de protection, elle plaça sa main sur la tête de l’enfant qui pleurait tout bas.

Le visage du vieux matelot exprima alors la paix, ses yeux se fixèrent longtemps sur le petit mousse agenouillé, puis un long soupir s’exhala de sa poitrine… Martin Le Bourru était mort.




VIII

VERS L’INCONNU



LES semaines qui suivirent la mort de Martin furent tristes pour Marc et la disparition de son vieux compatriote lui donna une sensation d’isolement.

Il avait dit aux Gray son véritable nom et raconté l’histoire de son père. Ces braves amis comprirent toute la valeur du document renfermé dans le coffret.

— C’est grâce à Martin que j’ai enfin cette preuve qui va réhabiliter le nom de mon père ! dit Marc.

— Oui, dit le sergent, et je te conseille de mettre aussi dans le coffret le médaillon que tu portes. Dans les travaux du dehors tu pourrais le perdre, et c’est la preuve de ton identité.

— C’est vrai, dit Marc, je suivrai votre conseil.

En janvier, le sergent fut stationné au Fort Bull, situé sur la frontière entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre.

Marc le vit partir à regret.

— Est-ce un grand fort que vous allez garder ? demanda-t-il.

— Non, c’est un tout petit fort, mais précieux à l’armée… allons… je ne dois pas en dire plus long… mais je ne serai pas très très loin, et si ça ne chauffe pas trop, je viendrai passer une journée à la ferme en mars.

Il serra sa femme dans ses bras, embrassa plusieurs fois sa belle petite Rosie et serra la main de son beau-père.

Marc l’accompagna jusqu’aux confins de la route.

— Adieu, sergent, revenez bientôt !

— Adieu, mon boy ! Sois bon pour ceux que je laisse !

— Oui, sergent, c’est promis.

Et Jim, saluant de la main s’éloigna rapidement, tandis que Marc reprenait le chemin de la ferme.

Le capitaine Milnes fut averti de la mort de Martin et il envoya un message à Mistress Gray, lui disant que si Marc désirait beaucoup rejoindre ses compatriotes, vu son jeune âge (quatorze ans) il serait libre de passer en Canada et que le sergent Gray était autorisé à lui faire passer la frontière si la chose pouvait se faire sans danger.

La jeune femme ne parla pas de ce message au petit Français et celui-ci, fidèle à la parole donnée à Jim, devenait de plus en plus utile dans la maison et au dehors. Il soignait les bêtes, entrait le bois, apportait l’eau, pelletait la neige, avait soin de Rosie, enfin se rendait utile en toutes circonstances et mettait de la gaieté dans cette ferme isolée dont le chef était à la guerre.

Aux premiers jours de mars, le sergent arriva en permission pour deux courtes journées.

Le soir de son arrivée, sa femme lui montra le message du capitaine.

— Que faut-il faire, Jim ?

— Lui en parler, d’abord. C’est un garçon intelligent, un brave gars que je garderais volontiers…

— Oui, moi aussi ! dit sa femme, et peut-être voudra-t-il rester… il ne connaît personne là-bas !

— C’est vrai, mais c’est un petit Français, après tout… enfin, nous lui en parlerons demain et s’il veut partir, je l’amènerai avec moi à mon départ après-demain.

Le lendemain, le sergent et sa femme firent part à Marc du message de liberté. Ses yeux brillèrent de joie…

— Je ne suis donc plus prisonnier ? dit-il.

— Non, mon ami, dit doucement la fermière.

— Et je pourrai passer en Canada et de là retourner en France ?

— Oui, si tu le veux… mais tu n’as pas d’argent, et tu ne connais personne ! Que vas-tu faire ?

Marc resta songeur. Il n’avait pas pensé au manque d’argent… mais il pourrait bien travailler au Canada comme à la ferme ; d’ailleurs, il était mousse… il pouvait s’engager en cette qualité sur un navire qui partait vers la France… Il regarda la bonne fermière et dit :

— Je trouverai bien moyen de gagner quelque part ma nourriture et mon gîte, et puisque le capitaine veut bien me donner ma liberté, j’en profiterai. Je veux retourner en France et accomplir la volonté de mon père… mais je regretterai la ferme… et vous chère Mistress Gray, si bonne et si douce, et ma petite Rosie… Marc se tut, le cœur gros…

— Écoute, mon boy, dit le sergent, tu vas partir avec moi demain, j’ai un plan pour toi… je te dirai ça chemin faisant.

Mistress Gray passa plusieurs heures à essayer de rendre présentables les hardes de Marc. Le petit paquet lui appartenant sur l’Alcide, avait été remis à Martin pour lui, mais il y avait presque un an qu’il avait quitté Brest et il avait beaucoup grandi ! Cependant les doigts ingénieux de la fermière réussirent à les mettre en état d’être portés, mais ce fut avec tristesse qu’elle les lui prépara.

Quand vint le départ, à une heure matinale le lendemain, Marc eut un moment de vrai chagrin et se jeta dans les bras de la bonne anglaise. Tous deux avaient des larmes dans les yeux.

— Merci, merci de tout ce que vous avez fait ! dit Marc… Plus tard, je veux revenir vous voir… Puis il embrassa la petite Rosie et donna la main au vieux John.

Le sergent recommanda à sa femme d’être très prudente et de ne pas avoir d’inquiétude pour lui, ni pour Marc.

— Je vais le placer pour quelques jours chez Le Chamois, dit-il. Sa petite-fille Ginofenn est catholique. Elle sait toujours quand vient le missionnaire… Alors quand il viendra, je lui confierai le petit.

— C’est une bonne idée… et puis écoute… il n’a pas d’argent… Il reste encore dix shellings sur sa pension que nous faisait payer le capitaine, les voici, tu les lui donneras !

— C’est ça… Adieu, chère femme, bon courage… Je penserai à toi et à Rosie !…

Marc l’embrassa de nouveau, prit son paquet dans lequel était le précieux coffret, et jetant un regard attendri autour de cette ferme où il avait connu d’heureux jours, il partit avec le sergent, en route vers l’inconnu.




IX

AU WIGWAM DU CHAMOIS



LE sergent expliqua à Marc le projet dont il lui avait parlé et que Mistress Gray avait trouvé très sage.

— Ce vieil Indien chez qui je veux t’amener, dit-il, est un Oneyout ; il s’appelle Le Chamois et demeure à un demi-mille environ du Fort Bull. Il est seul avec sa petite-fille dont le père et la mère sont morts. Le père était un Huron et demeurait aux environs de Québec, mais quand la petite devint orpheline, son grand-père, Le Chamois, alla la chercher et l’amena à son wigwam.

— Les Hurons, dit Marc, n’est-ce pas une tribu alliée des Français ?

— Oui… mais la petite Huronne ne s’occupe pas de la guerre, elle ne pense qu’à sa religion ! C’est une catholique.

— Oui ? Elle a donc été baptisée ?

— Sans doute, et elle sait toujours quand le missionnaire passe dans cette région. C’est pourquoi j’ai pensé te placer là, chez eux, et lorsque le prêtre français viendra, te confier à lui.

— Vous avez bien pensé, sergent… mais, pourront-ils me comprendre chez Le Chamois ?

— Parfaitement. Le Chamois comprend bien l’anglais et Ginofenn, sa petite-fille, élevée dans le voisinage d’un établissement français, comprend et parle cette langue.

— Oh ! que je suis content, sergent ! Ça ne vous fait rien, dites, que je sois un Français ? Vous êtes Anglais, et cependant je vous aime bien !

— Moi aussi, mon gars ! Ce n’est pas ta faute ni la mienne si nos deux patries sont en guerre !

— Non, dit Marc, et je voudrais bien que ce soit fini ! Pensez-vous que ça va durer encore longtemps ?

— Je ne l’ai pas dit à ma femme, mais j’en ai bien peur !

— Sergent, est-ce que je devrais remettre le médaillon avec sa chaînette autour de mon cou ou dois-je le laisser dans le coffret ?

— Je crois que tu feras mieux de le laisser dans le coffret. En arrivant, nous le confierons à Ginofenn qui le mettra en lieu sûr jusqu’à l’arrivée du missionnaire.

— À Ginofenn ? Je puis donc m’y fier tout à fait ?

— Sans aucun doute ! Je te dis que c’est une petite sainte.

— Puisque je serai près du Fort Bull, je pourrai vous voir, sergent ?

— Peut-être, mon boy, mais, tu sais, personne ne doit approcher du fort ! Cependant j’irai te retrouver chez le Chamois.

C’était le commencement de mars ; le temps était encore froid et sec, mais le soleil prenait de la force et faisait présager un dégel prochain.

Marc était bien anxieux de voir la hutte indienne où il aurait l’hospitalité. Il avait vu beaucoup de wigwams, mais de loin seulement. Depuis la mort de Martin il n’avait plus parlé français, et la perspective de converser dans sa langue le rendait bien joyeux.

Tout à coup, il dit :

— Mais sergent, qui donc paiera ces gens pour ma nourriture ? Je n’ai pas d’argent !

— Je leur donnerai quelque chose pour les récompenser, ne te tracasse pas pour ça ! dit le bon Jim.

— Quand je serai un homme sergent, je saurai me rappeler ce que vous et Mistress Gray avez fait pour moi !

— C’est ça !… Tu reviendras nous voir alors, et tu nous conteras tes aventures !

— Oui ! Et je ferai rire Rosie avec les histoires que je lui contais lorsque j’étais à la ferme ! Vous lui parlerez de moi, n’est-ce pas ?… mais elle est trop petite, elle m’oubliera !

Après deux jours de voyage, ils aperçurent un grand wigwam et, au loin, mais bien en vue, une bâtisse peu élevée que le sergent désigna à Marc.

— Voilà le Fort Bull

— C’est ça, le Fort Bull ? s’exclama Marc.

— Oui…

— Je croyais que c’était une forteresse…

— Ce n’est pas la Tour de Londres ! dit-il, mais, nous voici chez Le Chamois.

À leur arrivée un vieil Indien à cheveux blancs sortit de la cabane. Il reconnut Jim et le salua amicalement.

— Qui m’amènes-tu là ? dit-il en anglais, montrant Marc.

— Un protégé que je vais vous demander de garder pour quelques jours…

— Tu as toujours été honnête pour Le Chamois. Ton ami sera mon ami, dit-il avec cette formule solennelle dont se servent les Indiens.

Jim le remercia et présenta le petit Français.

— Je vous présente Marc Henri, dit-il. Marc, voici Le Chamois, chef oneyout.

— Bonjour, chef, dit Marc en lui tendant la main. Je suis content de connaître un chef indien.

— Tu n’en as donc jamais vu ?

— Jamais, avant aujourd’hui… je pensais qu’ils ne parlaient que la langue indienne !

— C’est souvent le cas, mais Le Chamois a toujours été en relations avec les Anglais et il a appris leur langue.

À ce moment, une jeune indienne arriva auprès d’eux et reconnaissant le sergent, elle sourit. Marc la regarda : c’était une jeune fille qui paraissait avoir seize à dix-sept ans. Ses cheveux noirs tressés en deux nattes encadraient son visage cuivré, aux traits virils, ses yeux foncés étaient doux et lumineux, sa bouche aux lèvres vermeilles, était souriante, ses dents, petites et d’une blancheur éclatante. Le Chamois lui dit quelques mots en indien ; elle acquiesça d’un signe de tête et d’un geste indiqua à Marc l’entrée du wigwam. Il y entra à sa suite tandis que Jim restait à causer avec Le Chamois.

— Que veux-tu faire de ce jeune garçon ? fit l’Indien.

Le sergent, en quelques mots, le mit au courant de la situation et il conclut :

— Ce petit Français est un brave enfant que j’aurais bien voulu garder, mais il veut retourner dans son pays, et comme il n’a pas de protecteurs, j’ai pensé le confier au missionnaire lorsqu’il passera par ici.

— Robe-Noire ne vient pas aussi souvent depuis la guerre, mais enfin, il vient parfois, et si tu n’es pas ici, je lui remettrai l’enfant avec les renseignements que tu me donnes.

— Merci. Maintenant, si le gars peut vous rendre service, il en sera heureux, de mon côté, je ne laisserai pas la chose sans récompense.

— C’est entendu… Le Chamois prend le petit sous sa protection… Je puis dire les faits à Ginofenn ?

— Certainement, d’ailleurs Marc est très franc, très ouvert… Il vous contera probablement lui-même son histoire.

— Tant mieux, alors, et nous l’aiderons volontiers.

Pendant que les aînés causaient au dehors, Marc et la jeune Huronne avaient fait connaissance.

Marc lui avait dit tout de suite :

— Je suis Français !

— Et moi Huronne ! répondit-elle.

— Alors, fit le mousse en souriant, nous sommes amis !

— Oh ! oui, dit-elle, j’aime bien les Français ! Robe-Noire qui m’a baptisée, c’est un Français !

— Pourquoi restez-vous en Nouvelle-Angleterre plutôt qu’en Nouvelle-France ?

— C’est grand-père qui le veut. Il ne se mêle pas de la guerre et il aime à rester ici. Il est âgé… je n’ai plus mes parents, alors je fais comme il veut !

— Moi non plus, je n’ai plus mes parents ! dit Marc.

— Pauvre petit Français ! dit Ginofenn… Et tu vas rester quelques jours avec nous ?

— Si vous le voulez bien ! dit Marc.

— Grand-père l’a dit… alors c’est décidé… Veux-tu venir voir les alentours ? Et elle l’entraîna au dehors pour lui faire voir, aux abords de la forêt, un enclos avec deux petits ours gris qu’elle tentait d’apprivoiser, un autre où il y avait un petit castor et un troisième, haut et recouvert où il put admirer deux jeunes chevreuils. Elle lui montra ensuite un petit abri où il y avait une croix de bois et une petite image de la sainte Vierge, avec un entourage de sapin, dont la verdure d’hiver formait un décor frais et rustique. Puis, elle indiqua le Fort Bull qui se dressait à peu de distance du wigwam.

Marc était très intéressé par tout ce qu’il voyait et semblait enchanté d’avoir fait une nouvelle connaissance.




X

LA CACHE



DÈS le lendemain, Marc se sentit tout à fait acclimaté dans le wigwam du chef oneyout. Il s’était pris d’amitié pour le Chamois et pour la jeune Huronne et comme l’Indien le questionnait un peu sur son passé, le petit Brestois, comme l’avait présumé le sergent, leur raconta à tous deux son histoire.

Le Chamois ne parlait pas français, mais il le comprenait bien, et comme Ginofenn ne comprenait pas l’anglais, Marc raconta ses aventures dans sa propre langue.

C’était le soir. Il faisait une douce chaleur à l’intérieur de la hutte, l’Indien, assis sur des branches de sapin, tirait de longues bouffées de sa pipe, tandis que Ginofenn, inoccupée, assise par terre auprès de lui, en face du conteur, écoutait avec intérêt son histoire. Lorsque Marc dit qu’il s’était engagé comme mousse, elle demanda ?

— Qu’est-ce que c’est, un mousse ?

— C’est un petit matelot qui grimpe dans les cordages et dans les mâts, et rend des services à bord d’un vaisseau.

— Aimais-tu cette vie ?

— Oui… sauf les nuits de tempête… et il y avait Martin qui était bon pour moi !

— Qui ça, Martin ?

— Un matelot… et Marc continua son histoire en disant le rôle que Martin y avait joué. Lorsqu’il raconta la prise de l’Alcide, la bataille en mer, sa crainte pour Martin à peine convalescent et ensuite sa blessure à l’épaule, le Chamois dit en indien à Ginofenn :

— C’est un brave, cet enfant !

— Oui… mais écoutons son récit ! Continue, petit mousse, dit-elle à Marc.

— Eh bien ! À partir de ce moment, je ne me rappelle rien du tout ! Je revins à moi dans la maison de Jim Gray… je me croyais encore à bord de l’Alcide.

— Tu avais été bien malade ?

— Oui, et Martin m’a raconté tout ce qui s’était passé.

Marc leur refit le récit de Martin et leur dit la bonté de Mistress Gray et de tous à la ferme, puis il ajouta :

— J’oubliais que j’étais prisonnier !

Ensuite, avec force détails, il leur raconta comment Martin avait découvert son identité au moyen du médaillon, la confidence du vieux marin au capitaine et enfin le récit que lui en avait fait le Bourru… Alors, prenant dans son paquet le précieux petit coffret noir, il l’ouvrit et fit voir à ses nouveaux amis le médaillon de ses parents et la lettre qui justifiait son père…

Le Chamois lui mit la main sur l’épaule et lui dit, en anglais :

— Ma tribu honore ton père et ton ami le matelot !

— Merci ! dit Marc, et maintenant écoutez comment est mort mon vieil ami Martin Le Bourru, et il narra les choses telles qu’elles s’étaient passées.

— C’est le mal du pays qui l’a fait mourir ! dit l’Indien.

— Je ne sais pas, dit Marc. En tous les cas, Mistress Gray avertit le capitaine anglais et c’est alors que ce dernier me donna ma liberté, pour en profiter si je le désirais.

— Tu n’as pas regretté la ferme ? demanda Ginofeen.

— Oh ! oui. J’ai eu du chagrin de partir !… mais je désire tant retourner en France,… à cause du nom de mon père… et à ce sujet, le sergent Jim m’a dit de vous demander où je pourrais mettre mon coffret pour qu’il soit en sûreté d’ici à mon départ ?

— Qu’en dis-tu, petite ? demanda l’Indien à la jeune fille.

Elle réfléchit un instant, puis dit quelques mots en indien, et continua en français, s’adressant à Marc :

— Nous irons ensemble demain le cacher en lieu sûr !

— C’est tout ce que j’ai au monde, le contenu de cette boîte ! Vous comprenez maintenant pourquoi elle m’est si précieuse !

— Oui, mon brave, dit paternellement le vieux sauvage, et nous t’aiderons à conserver ton trésor… mais il ne faut pas le garder ici, trop de passants viennent au wigwam… il vaut mieux le cacher ailleurs…

Le lendemain, Ginofenn et Marc, portant le précieux coffret, partirent ensemble.

— Où allons-nous le cacher ? demanda-t-il.

— Tu vas voir ! Près du fort, il y a un tout petit abri, une grotte, dont j’ai fait un sanctuaire comme celui que tu as vu près du wigwam. Je viens ici tous les jours prier le Dieu des Français, qui est aussi mon Dieu, de veiller sur Robe-Noire qui m’a donné le baptême… J’y prie aussi la sainte Vierge… Tu vas voir où je vais mettre ton trésor !


Comme dans le sanctuaire près du wigwam, il y avait là une croix de bois et de plus une petite statuette de la Vierge, encadrées aussi de belles branches vertes…

Ils marchèrent pendant quelques minutes, puis, un peu à l’écart, Marc vit l’ouverture d’une grotte à demi cachée par les branches basses et touffues d’un énorme sapin… Ginofenn se courba et se faufila sous les branches suivie de Marc… Ils se trouvèrent alors à l’intérieur d’une grotte de pierre… comme dans le sanctuaire près du wigwam, il y avait là une croix de bois et de plus une petite statuette de la Vierge, encadrée aussi de belles branches vertes.

— Tu vois cette statue ? dit Ginofenn. C’est Robe-Noire qui me l’a donnée. Je vais placer ton coffret dans la crevasse en arrière… Regarde, dit-elle, en le plaçant derrière la statue, il est complètement dissimulé !… Et il sera en sûreté ici ! Personne n’y vient ! Les Indiens ne viennent pas au fort et les soldats en sortent à peine… en tous les cas, quand ils sortent ils ne viennent pas ici ! D’ailleurs, on ne le voit pas du tout !

— Il est sous la garde de la sainte Vierge ! dit Marc.

— Oui, dit la Huronne et elle ne permettra pas qu’il te soit volé !

Les deux nouveaux amis sortirent de leur cachette et Marc voulut marcher vers le fort, mais Ginofenn lui dit :

— On n’approche pas du fort ! Il y a là une sentinelle, un soldat avec un fusil sur l’épaule et il ne laisse approcher personne !

— Je pensais le fort beaucoup plus gros que ça ! dit Marc.

— Oui ? Pourquoi ?

— Mais, parce que je pensais que pour défendre la frontière, il faudrait une forteresse ! Puis, soudain, il demanda à sa compagne :

— Qu’est-ce que ça veut dire votre nom Ginofenn ? Est-ce un nom huron ?

La jeune fille se mit à rire…

— Je ne sais pas si mon nom est un mot huron, dit-elle, et je crois bien que ça ne veut pas dire grand’chose… mais, je suis née dans les plus beaux jours de l’été, et mère m’appelait Ginofenn du nom qu’elle donnait aux petites fleurs des bois qui étaient alors écloses…

— Alors, Ginofenn, dit Marc, cela veut dire : Petite Fleur des Bois !

— Je ne sais pas, Marc… Mère aimait à donner comme ça des noms étranges…

— Le vôtre n’est pas étrange, il est joli ! Moi, je vous appellerai toujours Fleur des Bois !

— Comme tu voudras, petit Français !

— Parle-moi du Canada, Fleur des Bois, tu sais, c’est là que nous devions atterrir si l’Alcide n’avait pas été pris.

— C’est un beau pays ! dit la Huronne.

— Toujours l’hiver, par là hein ?

— Toujours l’hiver ? Mais non, c’est comme ici, il y a le printemps, l’été…

— L’été véritable ? La chaleur ?

— Mais oui !… je viens de te dire que je suis née durant l’été… et je suis du Canada… Qui donc t’a dit qu’il n’y avait pas d’été en Nouvelle-France ?

— C’est Martin… mais il n’y était jamais allé… et il n’était pas très sur ! et dites-moi, est-ce qu’il y a beaucoup d’Indiens ?

— À certains endroits, oui ; à Québec, c’est plutôt des visages pâles qu’on rencontre… à Montréal aussi !

— Québec… Montréal… ce sont des villes françaises, ça ?

— Oui… sur les bords du Grand Fleuve… les vaisseaux pour ton pays partent de là !

— Oui ? Alors je devrai me rendre vers une de ces villes ?

— J’espère que ce ne sera pas trop tôt… En tous les cas dit la Huronne, les vaisseaux ne voyagent que l’été, l’hiver le fleuve est couvert de glace…

— Près de quelle ville demeuriez-vous, Fleur des Bois ?

— Près de Québec, à Lorette.

— Alors, c’est à Québec que je veux aller… mais je n’aurai sans doute pas le choix… je n’ai pas d’argent… je ne sais pas trop ce que je vais faire…

— Robe-Noire t’aidera, dit Ginofenn, c’est un sage aussi bien qu’un saint !




XI

L’ATTAQUE



LES jours se succédaient, le milieu de mars était déjà passé et cependant Robe-Noire ne venait pas…

Le sergent était venu une fois seulement, avait trouvé son protégé en bonne santé et lui avait remis les dix shellings comme le lui avait enjoint la bonne Mistress Gray. Puis il lui avait dit, ainsi qu’à l’Indien :

— Je ne pourrai peut-être pas revenir ici avant quelque temps… si le missionnaire vient à passer, envoyez-moi un message par Ginofenn… j’avertirai la sentinelle de lui parler si elle approche du fort.

Puis il prit congé d’eux tous et partit.

Marc s’élança à sa suite et le rejoignit :

— Sergent, je veux faire un bout de chemin avec vous !

— Pas trop loin, mon boy, les ordres sont sévères ! Et dis-moi, puisque nous sommes seuls, tu n’es pas trop malheureux, au wigwam ?

— Non, sergent… Mais je n’oublie pas la ferme, ni Mistress Gray… ni Rose… Vous le leur direz ?

— Oui, mon boy, si je les revois, je leur dirai… mais tu sais, en temps de guerre, la vie d’un soldat. Il n’acheva pas sa phrase mais eut un haussement d’épaules significatif… Enfin, espérons pour le mieux, continua-t-il, et si je devais partir sans te revoir, mon petit Marc, je te souhaite bonne chance !

— Mais, je vous reverrai, dites, sergent ! fit Marc étreignant la main du bon Jim.

— On ne sait jamais, mon brave, mais je l’espère bien… adieu ! Tu ne dois pas venir plus loin !

— Au revoir, sergent ! fit Marc, et il agita son chapeau en signe d’adieu, mais le sergent marchait vite et ne se retourna pas.

Marc le suivit des yeux jusqu’au détour du chemin, puis il soupira un peu et à pas lents, regagna le wigwam.

Ginofenn et lui étaient devenus des camarades. La jeune fille s’occupait de préparer la nourriture et veillait aux soins de l’intérieur de la hutte, mais ces légers travaux ne prenaient que peu de temps et elle était ensuite toute à ses devoirs d’hospitalité, qualité très en honneur chez les Indiens.

Le Chamois aussi s’intéressait beaucoup à ce vaillant petit Français, qui, à quatorze ans, était déjà passé par tant d’événements et dont il admirait le courage et la franchise, et surtout cette fidélité à la mission confiée par un père mourant, qui était remarquable chez un enfant aussi jeune.

Sa bonne humeur lui plaisait aussi, sa gaieté exubérante, ses reparties drôles et ses nombreuses questions…

Un printemps hâtif faisait rapidement fondre la neige et les rayons déjà ardents du soleil de mars rendaient l’atmosphère presque tiède à la tombée du jour.

Environ une semaine après la visite du sergent, en attendant le repas du midi, le Chamois était installé dehors près d’un amas de bois de chauffage, et là, tout en fumant sa longue pipe, il causait avec le petit mousse.

— Vois, petit, lui dit-il, la marmotte est sortie de son trou dans la terre, où elle dormait depuis la première neige… elle regarde son ombre au soleil… La vois-tu ? Que fait-elle maintenant ?

— Oui, je la vois, dit Marc, regardant dans la direction que lui montrait l’Indien… elle entre et sort de son trou… elle s’arrête… ah ! la voilà qui file sur la neige !…

— Alors, fit le Chamois, c’est que le printemps est vraiment arrivé !

— Pourquoi dites-vous cela ?

— C’est que si le dégel actuel était un printemps factice, la marmotte après avoir regardé son ombre, serait rentrée dans son trou pour y dormir encore une semaine ou deux…

— En France, ce sont les hirondelles qui nous reviennent au printemps, dit Marc. Je me souviens… à Brest, nous les voyions…

— Le Visage-Pâle a ses signes et l’Indien a aussi les siens, dit sentencieusement Le Chamois, mais écoute… ne dirait-on pas qu’on entend des pas ?

Marc écouta :

— Je n’entends rien ! dit-il.

L’Indien s’agenouilla et coucha son oreille sur une partie de terre où la neige avait disparu…

— Ce sont des pas lointains, dit-il qui viennent du côté de la frontière !

— De notre côté ? dit Ginofenn, qui depuis quelques minutes les avait rejoints.

— Non, du côté canadien… mais je ne suis pas sûr… La neige empêche les sons de me parvenir complètement.

— Est-ce que ce serait Robe-Noire ? dit Marc.

— Robe-Noire vient ordinairement seul, dit Ginofenn, on ne l’entendrait pas de si loin !

— Alors, dit Marc, qui pensez-vous que ce pourrait être ?

— Je ne sais pas, fit l’Indien… des soldats peut-être, les Visages-Pales sont en guerre !

— Des soldats anglais ? fit Marc.

— Je ne sais pas… mais ça vient du côté de la Nouvelle-France, comme les Blancs appellent le Canada.

— Peut-être des soldats français, alors ! dit Marc frémissant d’excitation et les yeux brillants de joie.

À ce moment, Ginofenn qui s’était juchée sur une petite butte et scrutait l’horizon, s’écria :

— Grand-Père, vois !… Plus loin que le fort !…

Le Chamois se leva très vite et la rejoignit suivi de Marc. Dans le lointain, on pouvait parfaitement distinguer une troupe mouvante qui paraissait se diriger vers le fort…

— Des soldats ! fit le Chamois… et aussi des Indiens !

— Vont-ils passer ici ? demanda Marc.

— Oui, s’ils ne s’arrêtent pas au fort… attendons !

— Mais, dit Marc, si ce sont des soldats français, il va y avoir une bataille !

— Oui, et s’ils gagnent, ils vont probablement détruire le fort !

— Le détruire ? dit Ginofenn, le brûler ?

— Sans doute !

— Mais alors, le coffret de Marc, caché tout auprès, il n’est plus en sûreté, il faut aller le chercher.

— J’y cours ! dit Marc.

— Je vais avec toi ! dit la jeune Indienne vivement.

— Non, dit Le Chamois. À l’approche des soldats il vaut mieux te cacher… J’irai avec le petit Français et nous rapporterons son trésor !… Allons, petit, ne perdons pas une minute !

Marc et l’Indien partirent à la hâte et comme ils approchaient du petit abri où était caché le coffret, ils virent arriver une armée de soldats suivie de quelques sauvages…

— Il faut ramper dans les branches, dit tout bas l’Indien à Marc, suis-moi !

Et se couchant à plat ventre, il se traîna parmi les branches, suivi de près par Marc. Ils atteignirent bientôt l’entrée de la petite grotte. À cet instant des cris de « Vive le Roi » ! et des coups de feu annonçaient l’attaque du fort.

— Cachons-nous ici ! dit l’Indien ; écartant les branches ; il se traîna à l’intérieur de la grotte entraînant Marc à sa suite.

— Ils restèrent longtemps blottis là, puis le vacarme diminua d’intensité et Marc regarda furtivement au dehors : ;

— Je pense que la bataille s’achève ! dit-il.

— Attends ! dit l’Indien écoutant attentivement et regardant à son tour… Va prendre ton coffret, dit-il, nous allons essayer de retourner au wigwam !

Marc se retourna vers la statuette de la Vierge…

— Sainte Vierge, murmura-t-il tout bas, faites que les Français aient la victoire mais protégez le bon Jim !


Il porta la main vers la crevasse où le coffret était disimulé…

Il porta la main vers la crevasse où le coffret était dissimulé… mais tout à coup, une terrible détonation ébranla la grotte… l’homme et l’enfant furent terrassés, des pierres volèrent en éclats… et soudain, du fort, on vit jaillir des jets de flamme et une épaisse fumée noire… Le Fort Bull était en feu… des explosions ébranlaient tout le voisinage… les soldats fuyaient en hâte, entraînant leurs prisonniers… À ce moment, près de la poudrière embrasée, un petit Français gisait sur le sol auprès d’un vieil Indien qui semblait sans vie et, là-bas, à peu de distance, une jeune Indienne, les yeux dilatés par l’angoisse et la frayeur se tenait tremblante à l’entrée d’un wigwam et priait Dieu avec toute l’ardeur de sa foi de néophyte…




XII

APRÈS L’EXPLOSION



LES détonations cessèrent peu à peu. Il était environ six heures du soir… Le fort n’était plus qu’un informe amas fumant… À moins d’une lieue de distance les militaires étaient campés…

— A-t-on retrouvé le corps du Capitaine Shirley ? demanda monsieur de Léry, le jeune commandant du détachement français qui venait de s’emparer du fort Bull et de le détruire.

— Non, mon Commandant, l’explosion du magasin a tout détruit.

— Nous avons pourtant jeté dans la rivière plus de deux cents barils de poudre ! dit monsieur de Léry.

— Oui, mon Commandant, fit le soldat, mais il a dû en rester une assez grande quantité si on en juge par la force des détonations… Il y a aussi les grenades éparpillées un peu partout par l’explosion et qui éclatent quand on s’y attend le moins !

— Les autres sont-ils de retour ?

— Il y a encore monsieur de Montigny et quatre soldats qui cherchent s’il reste quelque chose dans les ruines.

— Bien, dit le commandant, qu’on m’avertisse dès qu’ils reviendront !

Autour des ruines fumantes, des soldats circulaient avec précaution… De temps à autre, une légère explosion les faisait subitement reculer, mais ils reprenaient les recherches, guidés par l’officier qui les commandait. Un des soldats s’était aventuré un peu en arrière de ce qui avait été le fort, et il se jeta par terre au moment d’une légère explosion… Avant de se relever, il regarda autour de lui et fut surpris de voir une grotte à demi écroulée… s’avançant, se traînant un peu dans la brousse, il aperçut à travers les branches roussies d’un sapin, un bras cuivré étendu sur le sol noirci…

— Ohé… Ohé ! cria-t-il. Il y a quelque chose ici !

Monsieur de Montigny accourut avec trois soldats et se courbant, ils virent l’entrée d’une grotte et le bras d’un Indien…

— Il faut entrer là-dedans ! dit monsieur de Montigny. Hâtons-nous !

Tous se baissèrent et pénétrèrent dans la grotte à la suite de l’officier.

La toiture rocheuse du petit sanctuaire n’existait plus, mais les murs étaient intacts. Les militaires virent le corps d’un Indien couché près de l’entrée et plus loin celui d’un petit garçon renversé sur le dos… Personne ne remarqua, dans une crevasse de la muraille, une petite statuette de la Vierge au pied de laquelle gisait l’enfant…

— Sortez ces deux corps au plus vite et couchez-les par terre un peu plus loin ! dit l’officier à ses soldats.

À quelques arpents de l’endroit, on les coucha sur le sol… monsieur de Montigny les examina…

— Ils vivent ! s’écria-t-il. Ils ne sont qu’évanouis !

— Qui sont-ils ? demanda un des soldats.

— Je ne sais pas, dit un autre. Le gamin est un blanc… un petit Anglais, sans doute !

Pendant ce temps, monsieur de Montigny essayait de ranimer les blessés. L’Indien ouvrit les yeux. « Ginofenn » ! murmura-t-il… et il s’évanouit de nouveau. Le petit garçon avait une blessure à l’épaule et ne paraissait pas blessé ailleurs, mais il demeurait évanoui…

— Allez chercher un des Indiens au camp. Ils savent peut-être qui sont ceux-ci… Hâtez-vous, car il va falloir songer au retour ! Qu’on avertisse le Commandant de ce qui se passe !

Un soldat partit en courant et revint, moins d’une heure plus tard avec un jeune Huron à l’air intelligent et éveillé.

— Connais-tu cet homme ? dit l’officier en désignant l’Indien couché sur le sol.

Le Huron le regarda attentivement.

— Je crois le reconnaître, dit-il. Je pense que c’est lui qui est venu à Lorette chercher sa petite-fille qui venait de perdre ses parents.

— C’est un Huron ?

— Non… Oneyout…

— Sais-tu où il demeure ?

— Non.

— Connais-tu ce garçon ?

— Non.

À ce moment, l’Indien ouvrit de nouveau les yeux et il murmura : Ginofenn…

— C’est lui ! s’écria Karagomak, le jeune Huron, Ginofenn, c’est sa petite-fille, dont les parents sont morts à quelques semaines d’intervalle et il est venu chercher Fleur des Bois !… et se penchant sur le blessé il dit en langue huronne :

— Tu es Le Chamois ?

— Oui, murmura l’Indien.

— Où est ton wigwam ?

— À un demi-mille du fort.

— Tu as Ginofenn chez toi ?

— L’Indien fit un signe affirmatif et ferma de nouveau les yeux.

Karagomak traduisit et monsieur de Montigny reprit après un moment de réflexion :

— Reste ici auprès de lui. Nous allons nous rendre au camp et prendre les ordres du Commandant. Ce jeune garçon est probablement un petit Anglais, nous allons le faire soigner en attendant de connaître son identité… Allons, mes gars, emportez ce pauvre gosse, je vous suis !

Les soldats portèrent facilement le petit blessé jusqu’au camp où on le coucha sur un lit de branches.

Monsieur de Léry, le jeune Commandant, fit aussitôt mander le chirurgien qui examina l’enfant et déclara qu’il ne voyait pas autre chose qu’une légère blessure à l’épaule… mais continuant son examen, il dit :

— Diable ! Il y a ici une grosse cicatrice… cet enfant a été blessé déjà… et presque au même endroit !…

— Quelle espèce de blessure ? demanda le Commandant.

— La blessure actuelle est une déchirure causée, je crois, par un fragment de pierre… elle serait très peu grave à elle seule… mais l’autre… si près de celle-ci… on dirait le trou d’une balle… mais il paraît si jeune, ce doit être autre chose !

— Pauvre petit ! dit monsieur de Léry, va-t-il pouvoir supporter le voyage du retour ?

— Je le crois, fit le chirurgien, je vais lui faire préparer un brancard et nous le ferons porter.

— Et l’Indien ? dit monsieur de Montigny. Qu’allons-nous faire de ce pauvre diable ?

— Je dois laisser deux gardiens ici pour vingt-quatre heures afin de prévenir les gens de ne pas approcher des ruines du fort à cause du danger des explosions. J’ai l’idée de laisser deux Indiens qui nous ont été très fidèles ; ils trouveront la demeure de ce pauvre vieux et l’y ramèneront… Karagomak, le jeune Huron, auprès de lui maintenant, nous est plus nécessaire et reviendra avec nous… Qu’en dites-vous ?

— Je ne vois rien de mieux, mon Commandant… Quand repartons-nous ?

— Demain matin, dès six heures. Veuillez envoyer les deux Iroquois de Saint-Régis avec les ordres nécessaires pour la garde des ruines, le retour ici du jeune Huron et le transport du blessé à sa hutte.

— Tout de suite, mon Commandant… et permettez-moi, comme votre aîné, de vous offrir mes félicitations… Votre jeunesse a fait preuve de beaucoup de bravoure et de sagacité !

— Merci, mon ami, répondit en souriant le jeune Chaussegros de Léry, mais quand on commande des braves, c’est à eux qu’appartient l’honneur ! Bonsoir !


XIII

EN NOUVELLE-FRANCE



AINSI, le pauvre petit mousse, comme son ami Martin Le Bourru, allait payer deux fois la dette de sa blessure de l’Alcide… mais pour lui, le ciel fut clément… Marc ne devait pas mourir des suites de l’explosion.

Lorsque sa blessure fut pansée, il ouvrit les yeux pour un instant, avala un calmant que lui donna le chirurgien et parut se rendormir… Vers le matin, il délirait un peu… parlait anglais, s’adressait au sergent, à Rosie, se croyait évidemment à la ferme. Lorsqu’on le plaça sur un brancard pour l’emporter, au départ du détachement, il n’en eut pas connaissance et paraissait dormir, tout en divaguant un peu… il se croyait toujours auprès de Mistress Gray… Jim allait revenir… Les soldats qui le portaient dirent.

— C’est un petit Anglais, bien sûr !

Ce voyage à difficultés incroyables, par des chemins à demi dégelés, le passage de cours d’eau dont les glaces n’étaient pas sûres et sur lesquelles il fallait traîner des bateaux et des bagages, dura toute une semaine. Pendant ce temps, Marc devint plus malade… la fièvre augmenta… On savait maintenant dans la petite armée que l’enfant n’était pas anglais, car dans son délire il avait souvent parlé français, et on ne pouvait se méprendre à son accent…

Lorsque le détachement fut rendu au fort de la Présentation, il avait repris connaissance, mais il était trop faible et trop fiévreux pour se rendre parfaitement compte de ce qui se passait.

Un soir que l’armée était campée, le chirurgien vint trouver monsieur de Léry et lui dit :

— Notre petit gars paraît un peu mieux, mon Commandant.

— Oui ? Tant mieux ! Peut-il parler ?

— Oui… un peu…

— Allons le voir ! dit le Commandant.

Dans une tente voisine, couché sur un pliant qui formait un lit portatif, Marc promenait autour de lui ses grands yeux cernés par la fièvre.

Le Commandant s’approcha et le regarda :

— Bonjour, petit, ça va-t-il mieux ? dit-il.

Marc le regarda surpris… il ne se souvenait pas de l’avoir vu…

— Est-ce que tu peux parler maintenant ? continua M. de Léry.

— Oui… dit Marc faiblement mais avec un sourire.

— Quel est ton nom ?

— Marc-Henri Granville.

— Es-tu Français ?

— Oui !

— Et d’où viens-tu, comme ça ?

Marc, accablé par sa grande faiblesse, ferma les yeux et ne répondit pas.

— Qu’a-t-il ? demanda le Commandant.

— Il est extrêmement faible et quand il a dit quelques paroles, il est épuisé !

— Allez-vous pouvoir le ramener à la santé ?

— J’en répondrais si je pouvais le garder immobile pour quelque temps… mais il faut voyager !

— Nous serons bientôt à Montréal, là nous pourrons le mettre entre bonnes mains… Il me paraît intéressant ce gamin !

— Mon Commandant, d’après ses divagations de fiévreux, je crois qu’il était à bord de l’Alcide.

— L’Alcide ? Que les Anglais ont pris l’an dernier ?

— Oui, mon Commandant. Il a mentionné M. de Hocquart, il a parlé d’un nommé Martin… il a mentionné un document important, un médaillon précieux… afin de ne pas trop le fatiguer, je ne le questionne pas, mais… il est mystérieux et intéressant ce petit malade !

Le jeune Commandant regarda de nouveau le dormeur et fut touché de l’abandon de l’enfant…

— Connaissez-vous l’abbé Piquet ? demanda-t-il au chirurgien.

— Le missionnaire ?

— Oui. Il revient assez souvent à Montréal où il a un pied-à-terre, je crois même qu’il s’y trouve actuellement… Je le connais bien… J’ai envie de lui confier ce gosse…

— C’est d’un bon cœur ce que vous dites là, mon Commandant !

— Bah ! fit le jeune capitaine, qui n’en ferait autant ? Pauvre gamin ! Si jeune… et si tristement seul !… Amenez-le moi à notre dernière étape et j’espère lui trouver gîte et protection…

Le capitaine de Léry put en effet placer Marc, encore très malade, sous les soins de l’abbé Piquet à Montréal.

— Je ne sais rien de lui, monsieur l’abbé, lui avait-il dit, mais sa figure intéressante parle en sa faveur et c’est un petit compatriote… dans votre cœur de missionnaire, il y a place pour d’autres que les Iroquois !

— Sans doute ! Vous avez bien fait de penser à moi… Je puis le garder en tous les cas jusqu’à son complet rétablissement… et je ne le laisserai pas sans protection !

Après avoir causé de l’enfant avec le chirurgien, l’abbé comprit parfaitement ce qu’il fallait pour ramener Marc à la santé. Il occupait un petit logis clair et tranquille non loin de l’église Notre-Dame du Bon-Secours. Il installa le malade dans une chambre voisine de la sienne et le soigna avec un grand dévouement…

Trois jours d’immobilité complète, de tranquillité absolue et Marc était déjà presque convalescent.

Avec les forces la mémoire lui revint… il se fit expliquer par le bon abbé tout ce qui s’était passé depuis la venue au Fort Bull des soldats français… puis il se rappela le précieux coffret qu’il était allé chercher lors de l’assaut du fort.

Il refit au missionnaire le récit de sa vie à Brest, la mort du lieutenant son père, celle de sa mère, son départ comme mousse sur l’Alcide… jusqu’à son séjour récent dans le wigwam du chef oneyout…

— Croyez-vous, monsieur l’abbé, que je puisse le retrouver ?

— Je ne sais pas, mon ami, mais quand tu seras plus fort, nous verrons… En attendant, je vais essayer de faire prendre des informations au sujet de tes amis indiens…




XIV

LA MORT DU CHAMOIS



LORSQUE Ginofenn, après une nuit d’insomnie et des heures d’une torturante inquiétude, avait vu revenir son grand-père sur un brancard, porté par deux indiens, elle avait eu la conviction que c’était fini… En effet. Le Chamois revint à lui pour quelques instants, reconnut sa petite-fille et voulut lui parler… mais il ne put articuler une seule parole… alors, levant la main dans un geste de bénédiction, il la posa sur la tête de la jeune fille à genoux près de lui et la regarda avec une tendresse indicible… puis sa main retomba inerte… ses yeux devinrent fixes… L’âme du vieux Chamois avait rejoint celle des ancêtres dont il était si fier…

Refoulant ses larmes, Ginofenn questionna les deux Iroquois. Ils lui dirent que le Chamois avait été blessé lors de la plus forte explosion, qu’on l’avait trouvé dans une grotte à demi écroulée non loin du fort et qu’un jeune garçon avait été trouvé auprès de lui, blessé et sans connaissance… Le Commandant du détachement français l’avait fait transporter au camp… ils n’en savaient pas plus !

— Ne sait-on pas qui il est ? demanda la jeune fille.

— Non. On dit que c’est un petit Anglais…

Ginofenn réfléchit pour un instant… Marc n’avait donc pas eu le temps de recouvrer son coffret, puisqu’on ne le savait même pas Français… le contenu de la boîte aurait révélé son identité…

— Allez-vous rejoindre les soldats ? demanda-t-elle aux Indiens.

— Non. Ils sont déjà partis… Nous restons pour empêcher qu’on approche des ruines du fort.

— Pourquoi ? dit-elle.

— Parce qu’il y a encore des grenades qui font explosion et c’est trop dangereux ?

— Tout près, mais pas aux alentours, n’est-ce pas ? dit-elle.

— C’est bien dangereux aux alentours aussi, parce que des grenades et de la poudre, il semble y en avoir encore beaucoup !

Ginofenn regarda le Chamois étendu sans vie, et ne répondit pas. Elle songeait : Qui donc va enterrer pauvre grand-père ?…

— Dites, mes amis, comment vais-je faire, toute seule, et loin de la tribu, pour enterrer mon grand-père ?

— Pauvre petite, répondit l’un d’eux, nous pourrions bien, nous-mêmes, rendre au Chamois les derniers devoirs… C’était un brave Oneyout et un vaillant chef de tribu… mais nous ne pouvons rester… ou bien, il faudrait l’enterrer tout de suite.

Des larmes coulèrent des yeux noirs de Ginofenn… Tout de suite ! Le donner tout de suite à la terre ! Mais puisqu’il était mort et qu’elle ne pouvait être seule pour l’enterrer…

— Vous êtes absolument sûrs de sa mort, tous les deux ? leur dit-elle.

— Absolument sûrs.

— Alors, faites, je vous prie, ce qui est nécessaire je vous indiquerai un endroit…

On revêtit le Chamois de sa tunique de guerre. Le panache de plumes auquel il avait droit comme chef de tribu fut placé sur sa tête et les plumes noires et rouges posées sur son épaisse chevelure blanche lui donnaient un air étrangement vivant… On lui mit dans la main son tomahawk ancestral et sur sa poitrine, une amulette pour conjurer le mauvais sort. On l’enroula ensuite dans une grande peau de daim. Dans un coin reculé de la petite cour, on creusa une fosse profonde et doucement… on y descendit le vieux chef, tandis que Ginofenn, en pleurs, priait pour lui ce Dieu des Visages-Pâles en qui le vieil Indien n’avait jamais eu foi…

Lorsque tout fut terminé, la jeune Huronne remercia les Iroquois, et ils la laissèrent pour aller se mettre en faction auprès des ruines du Fort Bull.

De retour dans le wigwam, Ginofenn songea au pauvre petit Français, blessé, malade et n’ayant plus son précieux coffret… Les Iroquois avaient bien dit que les soldats étaient déjà partis… mais qu’importe… Marc reviendrait bien chercher ce coffret auquel il tenait tant… mais, si l’explosion l’avait détruit… impossible, la sainte Vierge était là pour le protéger.

Elle résolut d’essayer de le retrouver… Qu’importait le danger ? Elle était seule maintenant… tandis que Marc avait une mission à remplir…

Alors, bravement, elle se mit en route, se cachant autant que possible pour n’être pas vue des gardiens.

Le cœur triste de son isolement, elle allait parmi les branches et les broussailles desséchées, avançant lentement mais sûrement vers le lieu du péril… Soudain, une détonation retentit… la jeune fille s’arrêta subitement, regardant voler en éclats quelques pierres tout près des ruines du fort… puis elle continua sa route. Trois fois de légères explosions la retinrent… mais elle n’abandonna pas son projet ! Sans se rendre compte que son acte était héroïque, elle allait bravement vers le danger, car sous la tunique de cuir de la petite Huronne battait un cœur d’élite, dans ses veines coulait le sang des guerriers qui n’avaient jamais connu la peur et dans son âme de nouvelle croyante, la foi était inébranlable…

Elle atteignit enfin la grotte, son pauvre petit sanctuaire en ruines, pénétra à l’intérieur et vit la statuette de la Vierge restée intacte dans la crevasse du rocher… Elle l’enleva rapidement, aperçut le coffret de Marc, le saisit et avec une joie reconnaissante au cœur, elle se retourna vers la petite sortie… mais, tout à coup, une détonation effroyable retentit… Ginofenn poussa un cri et tomba la face contre terre…




XV

CHEZ PIERRE PHANEUF



LORSQUE Marc fut complètement rétabli, le bon abbé lui rendit compte des renseignements qu’il avait reçus au sujet des Indiens. On lui avait dit qu’il y avait, en effet un vieux chef Oneyout appelé Le Chamois qui avait vécu non loin du Fort Bull, mais qu’il était mort des suites de l’explosion de la poudrière du fort et que sa petite-fille, une Huronne de Lorette, qui demeurait avec lui, avait disparu depuis la mort de son grand-père…

Marc fut atterré d’apprendre ces nouvelles… Il n’y avait donc plus qu’à essayer de retrouver lui-même la grotte et de recouvrer enfin le précieux coffret… s’il existait encore…

Avec l’approche de l’été, l’abbé se prépara à visiter certaines missions, et il amena Marc avec lui, désirant lui donner une chance de retrouver ces souvenirs auxquels, à juste titre, il attachait un si grand prix… mais lorsque, après quelques jours de voyage, ils passèrent auprès de l’endroit où se dressait jadis le Fort Bull, Marc eut beau chercher, il ne put retrouver l’endroit où se trouvait la grotte, le sol et les pierres ayant été tellement bouleversés par les nombreuses explosions… il se rendit avec l’abbé jusqu’au wigwam du Chamois… il était vide… nulle trace de Ginofenn, et rien pour lui faire espérer son retour…

Découragé, il s’assit sur le seuil, la tête dans ses deux mains… puis il regarda l’abbé, qui s’était assis auprès de lui et s’écria :

— Plus rien ! Je n’ai plus rien pour montrer qui je suis… plus rien pour venger l’injuste offense faite à mon père… plus personne qui ait vu ce que contenait mon coffret… plus rien, hélas ! Plus rien ! acheva-t-il dans un sanglot.

— Pauvre enfant ! dit l’abbé, il ne faut pas te désespérer ! Il faut réagir… Montrer que tu es un brave et travailler à devenir un citoyen honorable et utile… prouver que le fils de ton père est un vaillant et que son nom est digne de respect.

— Mais que puis-je faire ? dit Marc, m’engager encore comme mousse ?

— Non, Marc, je ne te le conseille pas.

— Alors, que faire ?… Je n’ai pas d’argent !

— Si ce n’était la guerre, je saurais bien où te placer… mais les temps sont si durs…

— Dois-je essayer de retourner en France ? Je désirais tant y retourner… mais maintenant que je n’ai plus le précieux papier… Marc ne put achever… du revers de sa manche, il essuya les larmes qui tombaient malgré lui…

Le bon abbé l’entoura paternellement de son bras :

— Marc, mon petit, écoute-moi… Je voudrais bien pouvoir te garder auprès de moi, mais ma vie de missionnaire ne me le permet pas. Le pays est en guerre, alors il est difficile de trouver assez de bras pour travailler la terre… Pourquoi ne resterais-tu pas au Canada pour un an ou deux et pendant ce temps, t’engager dans une ferme ?

— Puisque le pays est en guerre, ne pourrais-je pas être soldat ? dit l’enfant.

— On n’est pas soldat à quatorze ans, Marc !

— Alors, est-ce que je pourrais retourner chez Mistress Gray ?

— Impossible ! La guerre sévit trop de ce côté… d’ailleurs tu es Français !

— Oui, c’est vrai, dit Marc, mais alors, où aller ?

— Je connais une petite ferme près du lac Champlain, peu éloignée de l’endroit où on vient de bâtir un fort en bois qui s’appelle Carillon. Le colon qui demeure dans cette ferme n’a que de tout petits enfants… si on le réclame pour l’armée, il n’y aura personne pour les travaux des champs…

— Et vous pensez qu’il me prendrait ?

— Je le crois… et si tu es bien décidé d’accepter, je t’amène avec moi dès maintenant, car, par étapes, je me rends dans cette région !

— Merci, murmura le pauvre Marc, j’accepterai bien sûr !

— Ce sera dur parfois ! dit l’abbé. Défricher le sol, abattre les arbres, labourer la terre, endurer les rigueurs de l’hiver et l’ardeur du soleil d’été… pourras-tu t’y faire ?

— Je connais un peu cette vie-là, dit Marc, chez le sergent Jim, c’était cela !

— Ce sera infiniment plus dur où tu vas… Ces colons sont pauvres… Là où tu étais, l’État payait pour ses prisonniers…

— Je m’y ferai ! dit Marc bravement.

— Alors c’est entendu. Nous allons continuer ensemble et rendus à destination, je parlerai pour toi.

Quelques jours plus tard, les deux voyageurs, poudreux et fatigués, arrivaient à une petite cabane de colon et par la porte ouverte Marc aperçut une jeune femme avec un bébé dans les bras et deux autres petits enfants auprès d’elle.

Elle reconnut le missionnaire, se leva et l’invita à entrer… Marc entra à sa suite.

— Comment allez-vous, Madame Phaneuf ? Et les enfants ? Et le bon mari ? dit l’abbé.

— Ça va assez bien, monsieur l’abbé, les enfants ne sont pas malades et mon homme est toujours vaillant… mais il est fatigué, le pauvre ! Il en fait trop !

— Justement ! Je pensais que s’il avait un grand garçon pour lui aider, ça irait mieux… Je vous ai amené un de mes jeunes amis : Marc Granville… Marc, voici madame Phaneuf, la femme de Pierre, dont je t’ai parlé.

La jeune femme sourit et Marc lui donna la main.

— Nous n’avons pas les moyens de nous payer de l’aide, Monsieur l’abbé, dit-elle ensuite, d’un air inquiet…

— Celui-ci ne vous coûterait pas cher, madame Phaneuf, répondit le missionnaire, et il vous rendrait bien des services.

— Vous pouvez en parler à Pierre, monsieur l’abbé, mais je crois bien qu’il dira comme moi !

— Va-t-il rentrer bientôt ?

— Oui, monsieur l’abbé, voici l’heure du souper, je l’attends dans quelques instants.

— Je vais au-devant de lui, fit l’abbé ; Marc, attends-moi ici. Toi, mon gros Pierrot, continua-t-il, s’adressant au plus grand des enfants, viens-tu avec moi au-devant de ton papa ?

L’enfant intimidé, ne répondit pas, mais sa mère lui dit :

— Pierrot, va tout de suite avec monsieur l’abbé ! Et l’enfant sortit docilement à la suite du prêtre.

La fermière mit son bébé dans le berceau et commença à s’occuper du repas. Marc regardait autour de lui… Rien ici ne lui rappelait la riante ferme de Schenectady, avec sa grande cuisine claire et propre, aux murs blanchis et aux larges fenêtres à volets verts… le poupon un peu barbouillé qui s’agitait dans le berceau autour duquel bourdonnaient les mouches, ne lui rappelait pas non plus la mignonne Rosie, toujours si bien soignée et si attirante dans son berceau à rideaux bleus… cette femme jolie mais mal coiffée, aux vêtements pauvres et négligés, à l’expression un peu méfiante… ce n’était pas la fermière telle qu’il se la figurait d’après son souvenir de Mistress Gray… Ici, c’était la vraie pauvreté, presque la misère… comme ça devait être dur de vivre ainsi !… Marc se prit à espérer que le colon ne le prendrait pas !

Il essaya d’attirer le petit Paul dont les yeux ne le quittaient pas, mais dès qu’il voulut lui parler, Paul courut se cacher dans les jupes de sa mère…

Une demi-heure se passa… Marc commençait à trouver le temps long, lorsque des pas et des voix se firent entendre, l’abbé revenait avec le colon.

Celui-ci regarda avec intérêt le jeune étranger et lui tendit sa main rugueuse. Marc se leva.

— Voici mon ami Pierre Phaneuf, Marc, dit l’abbé ; il consent à te prendre pour l’aider à la ferme.

La jeune femme se retourna vivement :

— Pierre ! dit-elle, tu n’y penses pas ! Comment le paierons-nous ?

— J’ai arrangé ça avec monsieur l’abbé, dit l’homme d’une voix sonore… C’est fait… conclu… arrangé !

Marc eut un serrement de cœur, mais dit bravement :

— Merci, monsieur Phaneuf.

— Écoute, mon gars, dit le colon, je m’appelle Pierre et ma femme se nomme Marie. J’ai dit à monsieur l’abbé qui m’a parlé de toi : Si ce jeune gars veut rester ici comme un membre de la famille, je consens à le prendre sans gages, pour sa nourriture et son entretien… Il travaillera avec moi et comme nous, dans les bons jours il mangera mieux et dans les jours de disette, il mangera moins… s’il est serviable, je le traiterai comme un jeune frère… J’ai dit ça à l’abbé, mon gars… si tu es prêt à accepter mes conditions, tope-là !

Marc fut impressionné par la franche simplicité du colon :

— Je serai content d’accepter, si… il hésita un peu… si Marie veut bien me prendre aussi ! finit-il.

La femme le regarda, surprise, puis, voyant qu’il souriait, elle dit :

— Ce que mon homme a décidé, c’est toujours bien !

— Là ! Voilà une affaire bâclée ! dit le prêtre. L’arrangement est pour un an, Marc, ça te va-t-il ?

— Oui, monsieur l’abbé.

— Alors tout est décidé… fait, conclu, arrangé, comme dit Pierre ! Madame Phaneuf, je vous préviens que Pierre m’a invité à souper !

— Votre place est mise, à notre pauvre table, monsieur l’abbé !

Une heure plus tard, le missionnaire continuait seul sa route tandis que Marc, courageux, mais un peu désemparé, passait sa première nuit sous le toit du colon…




XVI

VERS LE FORT CARILLON



MARC passa deux ans chez le brave Pierre Phaneuf. Au début, il trouvait la vie très dure… Le lever si matinal, la nourriture solide mais grossière, le rude travail de la ferme, la chaleur torride de certains jours, les piqûres des moustiques, enfin toutes ces misères qui, avec l’habitude, deviennent très endurables, rendirent les trois premières semaines bien difficiles à supporter.

Pierre, le voyant soucieux et un peu triste, l’encourageait de ses paroles vaillantes et gaies.

— Courage, mon gars, lui disait-il, un jour. C’est rude pour commencer, mais vois, tu es déjà mieux que ces jours derniers… tu es plus vigoureux… tu sens moins les mouches…

— Pierre, je crois que c’est parce que ma peau commence à brunir ! Il y avait des mouches à Schenectady… quand je devenais hâlé par le soleil, je les sentais beaucoup moins !

— Tu nous es venu avec une peau blanche comme un fantôme ! dit Pierre en riant.

— Je relevais d’une grave maladie.

— Oui, je sais, l’abbé m’a raconté ton histoire… Pauvre gosse, tu as passé par bien des mauvais jours ! Quel curieux nom que celui du pays où tu étais prisonnier !

— Schenectady ?

— Oui. Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Le sergent m’a dit que c’était un nom Mohawk… ça veut dire « au delà des pins ».

— Y a-t-il de belles forêts là-bas ?

— Oh ! oui. D’immenses forêts !… Pierre, continua Marc en regardant son compagnon qui était en train d’abattre un gros merisier, vous avez des nerfs d’acier ! Je voudrais bien manier la hache comme vous !

— Patience ! dit Pierre en riant, dans un an d’ici, tu seras un bon bûcheron !

La fermière, voyant que Marc ne leur causait pas d’embarras et qu’il rendait bien des services à Pierre, le traitait bien, et bientôt elle eut pour ce jeune abandonné, un sentiment presque maternel.

L’été se passa. En septembre, le missionnaire revint voir son protégé…

— Tu as pris de la santé, Marc ! Tu as l’air fort et vigoureux et comme tu as grandi ! Tu n’es pas trop malheureux ici ?

— Non monsieur l’abbé, les Phaneuf sont bons pour moi… la vie est rude, c’est vrai, mais je commence à m’y faire.

— Aimerais-tu avoir quelques livres ? L’hiver, tu seras moins occupé… ;

— Oh ! oui. Je n’ai pas beaucoup appris depuis que j’ai quitté Brest… Je sais lire et écrire, c’est tout !

— C’est déjà beaucoup ! J’ai ici deux livres que je puis te laisser… avant l’hiver, si possible, je t’en enverrai d’autres.

Pierre Phaneuf n’avait que des éloges à faire de Marc lorsqu’il en parla au missionnaire.

— Nous sommes contents de l’avoir, dit-il, et je n’ai pas hâte de voir l’année finie !

— Tant mieux, tant mieux ! fit l’abbé. Pauvre gosse ! Pas parfait, mais courageux et si honnête !

— Pour ça oui ! Et pas plaignard ! Pourtant, nous sentons bien, et ça se voit, il n’a pas été élevé durement comme nous ! dit Pierre.

— C’est vrai, dit le missionnaire, mais il a cependant été à dure école… il a été mousse, il a été deux fois blessé, il a été prisonnier, il a perdu dans l’explosion du Fort Bull ses seuls souvenirs et un document précieux… avec cela deux fois, depuis deux ans, il a été aux portes de la mort… si l’on ajoute maintenant qu’il est loin de son pays et sans aucun parent pour le protéger… je crois que tout cela constitue une histoire presque trop remarquable pour un adolescent !

— Pauvre gars ! dit le colon, il en a eu des aventures ! C’est égal, sa gaieté commence à revenir et je l’entends souvent chanter et siffler pendant son travail !

En effet, Marc était redevenu lui-même. Il était plein d’audace, plein de tours. Les enfants, qui maintenant l’aimaient bien, jouaient volontiers avec ce grand camarade qui savait si bien les amuser. Durant les longues soirées d’hiver, il leur racontait des histoires merveilleuses au sujet de sa vie en mer, et les bambins l’écoutaient avec délices…

L’unique pièce qui formait la maison rendait inévitable la vie en commun… Marc en avait souffert, au début, puis, il en avait pris son parti avec cette facilité de s’accommoder aux circonstances qui le caractérisait.

À la fin de la première année, le missionnaire revint de nouveau, et fut heureux de voir Marc tout à fait consentant à rester encore un an sur la ferme. Pierre et sa femme en furent aussi très satisfaits ; ils avaient fait une meilleure année, les grains avaient mûri, tout s’était bien vendu. On avait même pu acheter pour Marc des vêtements neufs, ses habits de garçonnet, devenus trop petits, avaient été refaits pour Pierrot et pour le petit Paul.

Au printemps suivant, Marc commença à désirer voir un peu de pays… C’était presque un homme maintenant… il allait avoir seize ans ! Toujours il avait eu le désir d’être soldat, et à présent, dans ce printemps agité de 1758, la nostalgie d’un autre genre de vie le possédait tout entier.

Il s’en ouvrit à Pierre et lui dit qu’il partirait aux derniers jours de juin, à l’expiration de sa seconde année d’engagement…

Le brave colon en eut un chagrin réel, mais il comprit que Marc n’était plus un enfant et s’il désirait la vie militaire, il n’y avait pas à discuter !

D’ailleurs, un ordre de la milice allait peut-être bientôt mobiliser tous les hommes… depuis seize ans, disait-on… alors… il fallait bien se résigner !

Mais lorsque vint l’heure de la séparation, quelques semaines plus tard, Pierre et sa femme eurent peine à cacher leur chagrin du départ de ce jeune frère d’adoption.

Marc leur serra affectueusement la main, embrassa les enfants et sans autres bagages qu’un petit sac de provisions préparé par la fermière, il partit vers les hauteurs de Carillon où le fort était gardé par les soldats du général Montcalm.




XVII

MONTCALM ET LA VICTOIRE



AUX approches du fort, il fut arrêté par une sentinelle qui lui demanda ce qu’il voulait.

— Voir le Commandant ! dit Marc.

— Quel nom et quelle affaire ? demanda le soldat.

— Marc Granville… pour m’enrôler dans l’armée !

— Je vais faire avertir, dit la sentinelle, attendez… Hé ! Le Bègue ! cria-t-il, viens ici !

Un autre soldat arriva aussitôt et Marc répéta son nom et le but de sa visite !

— G. G… Granv… Granville ! avez-vous dit ?

— Oui, Granville, répéta Marc en souriant.

Le soldat repartit et rentra dans le fort et se dirigeait vers les quartiers du Commandant, lorsque le général Montcalm parut, suivi de M. de Pontlevoy, ingénieur en chef.

Le soldat s’arrêta en les voyant, salua et dit :

— M… m… mmon gggénéral, i… iil yya…

— Qu’y a-t-il ? dit le général.

— Un gr. gr… grand g g gamin, mmon G… Général, q… qui d… demande aaà vvous vvoir ! dit Le Bègue.

— Son nom ? demanda le général.

— Ma… MMarc Gr… Granv… Granville ! finit par prononcer le soldat.

— Connaissez-vous ce nom ? demanda le Général en se tournant vers Monsieur de Pontlevoy.

— Non, mon Général, mais c’est un nom bien français !

— Amenez-le-moi ! dit M. de Montcalm.

Un instant plus tard, Marc était en présence du Général. Avec déférence et sans gaucherie, Marc salua le Commandant, comme il avait appris à le faire lorsqu’il était mousse sur l’Alcide.

— Que voulez-vous ? demanda Montcalm.

— Avoir l’honneur de faire partie de votre armée, mon Commandant, dit Marc en souriant.

— D’où venez-vous ?

— Je suis, depuis deux ans, chez le colon Pierre Phaneuf, à environ une lieue d’ici, dit Marc.

— Quel âge avez-vous ?

— Seize ans, mon Commandant.

— Vos parents ?

— Je n’ai plus mes parents… ils sont morts tous les deux à Brest.

— Quand êtes-vous arrivé au Canada ?

— Il y a deux ans. Je devais arriver plus tôt mais… il hésita…

— Continuez !

— J’étais sur l’Alcide… et j’ai été prisonnier !

— Vous étiez passager sur l’Alcide ?

— J’étais mousse…

— Et vous voulez devenir soldat ? C’est bien, ça !

J’aime les enrôlements volontaires ! Monsieur de Pontlevoy, voulez-vous amener ce jeune homme au capitaine et lui demander de l’enrôler de suite. Il fera partie du détachement de centre… allez, mon brave, continua le général, à Marc, en faisant un geste pour le congédier, nous sommes heureux d’avoir un soldat de plus !

— Merci, mon Commandant, fit Marc, les yeux brillants de joie, et saluant le général, il suivit l’ingénieur.

Quelques heures après, le petit bûcheron de Pierre Phaneuf, revêtu de l’uniforme de l’armée, prenait fièrement possession d’une carabine et d’une baïonnette.

— Savez-vous tirer ? demanda le sergent qui les lui avait remises.

— Oui, j’ai souvent tiré… mais seulement sur du gibier.

— L’ennemi sera le gibier que vous tuerez à l’avenir, mon gars ! dit le sergent.

Marc était ravi d’être militaire. Il s’était enrôlé dans l’armée à un moment critique et où l’inquiétude était palpitante dans les quartiers militaires. Tous les jours il y avait des alertes… des escarmouches… les événements semblaient présager une bataille prochaine. Il n’était à l’armée que depuis une huitaine de jours, lorsqu’un matin, il apprit qu’il devait y avoir bataille ce jour-là…

Les troupes furent placées suivant les ordres du général Montcalm et au signal donné (un coup de canon tiré du fort) chaque détachement fit placer ses soldats à la place assignée.

Trois colonnes de troupes avaient été formées : le général Montcalm commandait le centre, M. de Lévis la droite et M. de Bourlamaque, la gauche. Marc faisait partie du peloton à l’arrière de la colonne du centre et ce fut avec un frémissement d’excitation mais sans crainte qu’il attendit le feu de l’ennemi…

Oh ! Ces heures glorieuses ! Marc ne les oublia jamais ! La bataille fut terrible ! L’ennemi, supérieur en nombre, attaquait avec courage et persistance… À certains moments, le feu était d’une vivacité extrême… Marc, grisé par le combat, oublia toute prudence et fit des prodiges de valeur… deux fois des balles ennemies trouèrent ses vêtements… mais loin d’être effrayé il n’en devint que plus ardent, oubliant tout dans l’ivresse de la bataille…

Lorsque la victoire fut certaine, l’on éleva le glorieux drapeau tandis que des cris frénétiques de « Vive le Roi » remplissaient l’espace et Montcalm passant dans les rangs félicita ses hommes. Lorsqu’il reconnut Marc, il lui dit :

— Je vous ai remarqué, mon brave ! Vos seize ans n’ont pas eu peur du feu !

Marc salua, fier et joyeux, savourant la griserie de sa première victoire…

Le champ de bataille était jonché de morts et de blessés… Français et Anglais gisaient sur le sol, obscurs héros, victimes de leur devoir…

Marc fut l’un de ceux qui furent chargés de parcourir ce champ rougi et d’enlever les blessés pour les ramener au fort.

Comme il passait près d’une clairière, il vit un officier anglais, gisant inanimé sur la terre ensanglantée. Il s’approcha pour voir si cet homme respirait encore… Il le vit bouger et sa figure se détacha bien visible dans le crépuscule naissant… Marc le regarda, scrutant ses souvenirs… où donc avait-il vu ces traits ?… Soudain le blessé appela : « Harold ! Harold ! My boy !»

Marc s’agenouilla, le souleva, lui fit boire quelques gorgés d’eau de sa gourde et lui dit en anglais :

— Que puis-je faire pour vous ?

L’officier le regarda et de sa main blessée indiqua sa poitrine…

— Une lettre !… murmura-t-il.

— Une lettre ? Dans votre gilet ? Vous voulez que je la prenne ?

— Oui… pour mon fils… Harold Milnes… à Londres… Milnes ! Marc se souvint tout à coup !

— Capitaine, dit-il, d’une voix infiniment douce, soutenant de son bras la tête de l’officier, je suis Marc Granville pour qui vous avez été si bon ! Dites, que puis-je faire pour vous ?

— Prends cette lettre… envoie-la à mon fils…

Marc prit la lettre et la serra dans son gilet, puis il dit :

— Je lui écrirai, si vous ne guérissez pas.

— Je suis fini ! murmura le capitaine.

— Non, non ! dit Marc. Je vais vous faire porter au fort et faire panser vos blessures !

— Trop tard… J’ai mon compte !… Tu feras ce que je demande ?

— Oui, oui, capitaine, je vous le jure ! fit le jeune soldat, les yeux humides de larmes pour cet officier qui, jadis, avait été si bon pour lui.

— Merci… murmura faiblement le mourant… merci… brave petit mousse… Harold… un râle s’exhala de sa poitrine, sa tête devint plus lourde dans le bras vigoureux qui le soutenait… le brave officier venait de rendre le dernier soupir en prononçant le nom de son fils…


XVIII

LE DÉVOUEMENT DE FLEUR-DES-BOIS



MARC fut promu, l’année suivante au grade de lieutenant dans l’armée du général Montcalm.

Il prit part à cette année de campagne, la dernière des armes françaises dans la Nouvelle-France.

Il combattit sur les plaines d’Abraham, et se distingua par une bravoure et une audace qui étaient presque de la témérité… Il n’avait alors que dix-sept ans, mais il y avait déjà trois ans qu’il avait reçu son Baptême de Feu…

Après les tristes jours de 1759, il se demanda s’il devait retourner en France ou se fixer au Canada, qui, maintenant lui semblait sa patrie d’adoption.

Après avoir longtemps réfléchi, se trouvant à ce moment stationné à Québec, il résolut d’aller en parler à un père jésuite qu’il connaissait et il se rendit à la maison des Pères.

Au religieux qui vint lui ouvrir, il demanda :

— Puis-je voir le père Milor ?

— Il est absent dans le moment. Je lui dirai à son retour qu’on est venu le voir… Quel nom, s’il vous plaît ?

— Lieutenant Marc Granville.

— Granville ? Marc-Henri Granville ?

— Oui, répondit Marc surpris.

— Ciel ! Que je suis heureux de vous avoir trouvé ! Il y a chez les bonnes Sœurs Hospitalières, une pauvre aveugle qui vous réclame depuis trois ans !

— Une aveugle ?

— Oui, une jeune fille huronne, qui s’appelle Ginofenn !

— Ginofenn ! s’écria Marc, Ginofenn vivante !

— Oui, mais aveugle !

— Aveugle ! Pauvre Fleur des Bois ! Je vais aller la voir tout de suite !

— Je vous accompagne ! dit le jésuite, chemin faisant, je vous expliquerai ce qui s’est passé.

Dès qu’ils furent sortis, le religieux dit à Marc :

— J’ai longtemps été missionnaire dans la région qui se trouve sur la frontière entre la Nouvelle-Angleterre et le Canada.

Il y avait là, à quelque distance d’un petit fort anglais, une fillette huronne dont les parents avaient demeuré à Lorette. Depuis leur mort, elle habitait avec son grand-père, un vieux chef Oneyout, du côté anglais de la frontière…

Cette enfant venait toujours me trouver à mon passage… Je l’instruisis et je la baptisai. Elle me parut d’un caractère remarquablement droit et sa pureté intacte se lisait sur sa figure ouverte. Elle avait pour la sainte Vierge une dévotion toute particulière et un jour, je lui donnai une petite statuette de la Mère de Dieu… La joie qu’elle en éprouva était belle à voir ! Quelle foi chez cette enfant !…

Trois ans se passèrent ; la jeune Indienne qui m’accueillait toujours au passage était bien l’âme d’élite que faisait présager son adolescence… Dans sa vie toute simple et sans le savoir, elle était déjà presque une petite sainte !

— Je l’ai connue, moi aussi ! s’écria Marc. Oui, elle était bonne et douce et jolie !… Mais comment donc a-t-elle perdu la vue ?

— J’arrive à la triste circonstance, dit le jésuite. Lors de la prise du Fort Bull par M. de Léry, il se produisit de terribles explosions à cause de la poudre et des grenades qui se trouvaient dans le magasin du fort. Le vieux chef, Le Chamois, fut tué par une explosion. Ginofenn, malgré la défense des gardiens, partit à son tour vers le lieu du sinistre… une nouvelle explosion se produisit, les pierres volèrent en éclats, frappant à la tête la pauvre jeune Huronne…

— Alors ? questionna Marc d’une voix brisée par l’émotion.

Le père s’arrêta un instant et parut chercher dans ses souvenirs, puis il reprit :

— Un soir… je m’en souviens, c’était le 28 mars, je parcourais cette route de la frontière, et je me trouvais à environ un arpent de l’endroit où se dressait auparavant le Fort Bull, lorsque je vis une forme humaine se mouvoir au loin, en dehors de la route… elle allait de côté et d’autre, un bras levé, l’autre resserré sur sa poitrine… Elle semblait errer au hasard, cherchant son chemin sans le voir… Je m’approchai rapidement et crus reconnaître les traits de ma petite Huronne et j’appelai : Ginofenn ! Ginofenn !

— Père, au secours ! cria-t-elle d’une voix affaiblie. Je me précipitai et j’arrivai juste à temps pour l’empêcher de se jeter en bas d’un ravin !


Attention, pauvre enfant, m’écriai-je, vous avez failli vous tuer ?

— Attention, pauvre enfant, m’écriai-je, vous avez failli vous tuer ! Ne voyiez-vous pas le ravin à vos pieds ?

— Père ! je ne vois plus rien ! s’écria-t-elle. Je vous ai reconnu à votre voix !

Alors seulement, je compris la terrible chose ! Je regardai ses yeux… ils étaient ouverts, mais sans regard. Je vis qu’elle tenait dans son bras quelque chose de noir et dans sa main je reconnus la minuscule statuette de la sainte Vierge que je lui avais donnée…

— Qu’est-il arrivé, pauvre enfant ? dis-je, votre grand-père…

— Grand-père est mort… je suis toute seule !… et la pauvre Indienne s’affaissa à mes pieds, épuisée sans doute par tout ce qu’elle avait souffert…

Je la ranimai de mon mieux, puis je lui dis de m’attendre et j’allai chercher du secours… lorsque je revins avec deux Indiens une heure plus tard, elle avait toute sa connaissance, mais hélas !… elle restait aveugle…

— Voulez-vous, pauvre enfant, lui-dis-je, que je vous amène à Québec, chez les bonnes Sœurs ?

— Oh ! oui, répondit-elle faiblement mais avec conviction.

Je ne vous parlerai pas, mon jeune ami, de ce long voyage, la pauvre aveugle parlant à peine et tenant toujours avec une crainte fébrile le petit coffret noir qu’elle portait lorsque je l’ai aperçue d’abord… Je la trouvais trop malade pour la questionner !

— Oh ! mon père, s’écria Marc, pauvre loyale Fleur des Bois ! Si vous saviez ce qu’elle portait ainsi.

— Je le sais maintenant, lieutenant. Ginofenn m’a dit ce que contenait ce coffret… Je suis retourné deux fois à l’endroit du sinistre sans jamais pouvoir apprendre ce que vous étiez devenu… la guerre… la guerre… on ne savait rien autre chose !

Marc lui serra la main, l’émotion l’empêchait de parler… Le père continua :

— Jamais Ginofenn ne pourra recouvrer l’usage de ses yeux… mais La Providence ne la laissera pas longtemps dans les ténèbres…

Ils étaient rendus au Couvent des Sœurs et Marc ne demanda pas l’explication de la dernière phrase du jésuite.

Le père sonna et demanda à voir la jeune Indienne, et s’informa comment elle se trouvait.

— Elle est très faible aujourd’hui, dit la religieuse.

— Elle est donc malade ? dit Marc.

— Oh ! oui. Poitrinaire, la pauvre enfant ! Sa mère est morte de la même maladie…

Marc était atterré… Le père lui dit :

— Je vais la préparer, une trop grande joie pourrait lui être funeste…

Le jeune officier resta seul, arpentant nerveusement le petit parloir et se désolant de tout ce qu’avait souffert la pauvre Huronne.

Enfin on vint le chercher et on l’introduisit dans une autre chambre au bout d’un corridor…

À demi couchée sur une chaise longue, enveloppée dans une chaude couverture, la jeune fille attendait. Son oreille perçut le bruit de pas et ses pauvres yeux sans lumière se tournèrent vers la porte…

Marc eut peine à reconnaître sa joyeuse camarade de deux ans passés ! Cette figure émaciée, ces prunelles fixes, cette maigreur, cet air de faiblesse… était-ce bien là Ginofenn ?

Il s’approcha et lui prit la main :

— Fleur des Bois, me voici ! C’est Marc qui vous est revenu ! dit-il doucement.

— Ah ! mon petit Marc ! s’exclama-t-elle, en serrant dans ses deux mains celle du jeune homme, je ne puis plus te voir, mais je suis bien heureuse que tu sois retrouvé !

— Moi aussi, Fleur-des-Bois ! Je ne savais pas ce que vous étiez devenue…

— Marc, j’ai sauvé ton coffret ! Il est intact ! La Sainte Vierge a permis que j’arrive à temps !

Marc se mit à genoux près de la pauvre aveugle :


Et il appuya ses lèvres sur la petite main amaigrie et qui lui tendait le coffret.

— Chère brave amie, loyale et dévouée. Je ne me pardonne pas… je me fais de cruels reproches, c’est votre dévouement pour moi qui a amené la perte de vos beaux yeux ! Et il appuya ses lèvres sur la petite main amaigrie qui lui tendait le coffret…

Ginofenn passa sa main sur la figure du jeune officier :

— Pardon, dit-elle, avec un sourire, mais je ne puis plus te voir qu’avec le bout de mes doigts… cependant, je n’ai pas oublié tes traits… tes cheveux qui frisent, tes yeux rieurs… comment ?… Il y a des larmes dans ces yeux-là ?… Il ne faut pas plaindre Ginofenn… La Vierge de la petite grotte lui a fait une grande grâce… et bientôt elle va prier Dieu de lui rendre la vue… pour voir le ciel…

Une quinte de toux l’arrêta. La Sœur lui fit boire un peu d’eau, et dit :

— Il faudrait la laisser reposer…

Marc se leva.

— Fleur des Bois, vous êtes fatiguée… Je reviendrai demain ! dit-il.

— Et tu me conteras tout ce qui est arrivé depuis…

— Tout, tout ! dit-il en lui pressant la main. Je n’essaierai pas de vous remercier… Je n’ai pas de paroles pour exprimer ce que je ressens !

— Tu es content ? Tant mieux ! J’ai tant désiré cette heure !… À demain, petit Français… Dieu est bon !

— À demain, fidèle amie ! dit Marc, avec émotion, et il sortit de la pièce en possession enfin du précieux coffret que lui avait conservé le dévouement de la brave Huronne.




XIX

« Brune et gentille, la Huronne,
« Quand, au village, on peut la voir… »


MARC Granville renonça à la carrière militaire. Il retourna en France, fit réhabiliter le nom de son père et retrouva quelques parents qui lui témoignèrent beaucoup d’amitié et auraient désiré le garder au milieu d’eux, mais le jeune homme ne pouvait oublier l’abandon d’autrefois… Sa mission remplie, il revint dans son pays d’adoption pour s’y fixer définitivement.

Un petit héritage l’ayant rendu indépendant de fortune, il acheta une propriété à la campagne et, en amateur, il se livra à la culture.

Il épousa la fille d’un officier de marine et eut un fils qui porta le nom de Marc, comme son père et son grand-père.

Dans ses loisirs, il s’occupait un peu de dessin, faisait des croquis et des aquarelles, et de mémoire, il fit le portrait de Ginofenn.

La pauvre aveugle n’avait vécu que quelques semaines après avoir retrouvé son « petit Français ». Marc lui avait raconté en détail toutes ses aventures, et la loyale jeune fille ne lui permit jamais de la plaindre pour la perte de ses yeux. Je ne suis pas malheureuse, lui disait-elle un jour ; Dieu a mis bien du bonheur dans la vie de Ginofenn !… Il lui a fait donner le Baptême… Il lui a permis de se dévouer… Il lui a rendu son camarade… Il lui a donné l’amitié de Robe-Noire et la protection et le soin des bonnes Sœurs… et bientôt… Il va lui ouvrir les yeux pour toujours et lui donner son ciel !… Ah ! non, Ginofenn n’est pas malheureuse !

Marc ne pouvait répondre qu’en pressant sa petite main brune et fiévreuse… Ces paroles… ces sentiments… c’était d’une héroïne… d’une sainte ! Fleur des Bois était admirable dans son héroïque simplicité…

Dans un petit coin du cimetière des Sœurs, à l’ombre d’un grand sapin comme celui qui ombrageait jadis la petite grotte de la frontière, une croix de marbre blanc marque la place de son repos et Marc y fit graver l’inscription suivante :

Ginofenn
Ange de dévouement.
Loyale Huronne.
 

Le Docteur Granville ferma le manuscrit… Il était extrêmement tard, mais ceux qui avaient écouté le récit n’avaient pas vu filer les heures !

Son petit-fils, encore sous l’impression profonde que lui avait faite l’histoire, questionna :

— Ce petit mousse, c’était mon ancêtre ?

— Oui, Marc. Et de père en fils dans la famille on a toujours tenu à garder intact l’honneur du nom !

— Eh bien ! grand-père, je ne serai pas le premier à y manquer… Tu vas voir. Gaby et moi, nous serons dignes de vous tous !

Lorsque les enfants se furent retirés, leur mère alla retrouver le vieux médecin.

— Je remercie Dieu de m’avoir donné un protecteur, un père comme vous… Puissent mes enfants, ressembler à leur père… et au mien !

Le vieillard ne répondit pas ; debout devant son pupitre, il regardait rêveusement la petite aquarelle aux teintes pâlies, dont les lignes s’estompaient sous le reflet de l’abat-jour vert, et ses lèvres fredonnèrent les premières strophes d’un chant immortel…

« Brune et gentille est la Huronne,
« Quand, au village, on peut la voir… »

 
FIN

« La Maisonnette »,
Lac des Pins. Beauce, Qué.

  1. Est-ce votre fils ?
  2. Ce n’est pas un mousse ordinaire.
  3. Eh bien, petit garçon, enfin mieux ?
  4. Oh, le vieux matelot !