Librairie Granger et frères limitée (p. 102-106).


XIII

EN NOUVELLE-FRANCE



AINSI, le pauvre petit mousse, comme son ami Martin Le Bourru, allait payer deux fois la dette de sa blessure de l’Alcide… mais pour lui, le ciel fut clément… Marc ne devait pas mourir des suites de l’explosion.

Lorsque sa blessure fut pansée, il ouvrit les yeux pour un instant, avala un calmant que lui donna le chirurgien et parut se rendormir… Vers le matin, il délirait un peu… parlait anglais, s’adressait au sergent, à Rosie, se croyait évidemment à la ferme. Lorsqu’on le plaça sur un brancard pour l’emporter, au départ du détachement, il n’en eut pas connaissance et paraissait dormir, tout en divaguant un peu… il se croyait toujours auprès de Mistress Gray… Jim allait revenir… Les soldats qui le portaient dirent.

— C’est un petit Anglais, bien sûr !

Ce voyage à difficultés incroyables, par des chemins à demi dégelés, le passage de cours d’eau dont les glaces n’étaient pas sûres et sur lesquelles il fallait traîner des bateaux et des bagages, dura toute une semaine. Pendant ce temps, Marc devint plus malade… la fièvre augmenta… On savait maintenant dans la petite armée que l’enfant n’était pas anglais, car dans son délire il avait souvent parlé français, et on ne pouvait se méprendre à son accent…

Lorsque le détachement fut rendu au fort de la Présentation, il avait repris connaissance, mais il était trop faible et trop fiévreux pour se rendre parfaitement compte de ce qui se passait.

Un soir que l’armée était campée, le chirurgien vint trouver monsieur de Léry et lui dit :

— Notre petit gars paraît un peu mieux, mon Commandant.

— Oui ? Tant mieux ! Peut-il parler ?

— Oui… un peu…

— Allons le voir ! dit le Commandant.

Dans une tente voisine, couché sur un pliant qui formait un lit portatif, Marc promenait autour de lui ses grands yeux cernés par la fièvre.

Le Commandant s’approcha et le regarda :

— Bonjour, petit, ça va-t-il mieux ? dit-il.

Marc le regarda surpris… il ne se souvenait pas de l’avoir vu…

— Est-ce que tu peux parler maintenant ? continua M. de Léry.

— Oui… dit Marc faiblement mais avec un sourire.

— Quel est ton nom ?

— Marc-Henri Granville.

— Es-tu Français ?

— Oui !

— Et d’où viens-tu, comme ça ?

Marc, accablé par sa grande faiblesse, ferma les yeux et ne répondit pas.

— Qu’a-t-il ? demanda le Commandant.

— Il est extrêmement faible et quand il a dit quelques paroles, il est épuisé !

— Allez-vous pouvoir le ramener à la santé ?

— J’en répondrais si je pouvais le garder immobile pour quelque temps… mais il faut voyager !

— Nous serons bientôt à Montréal, là nous pourrons le mettre entre bonnes mains… Il me paraît intéressant ce gamin !

— Mon Commandant, d’après ses divagations de fiévreux, je crois qu’il était à bord de l’Alcide.

— L’Alcide ? Que les Anglais ont pris l’an dernier ?

— Oui, mon Commandant. Il a mentionné M. de Hocquart, il a parlé d’un nommé Martin… il a mentionné un document important, un médaillon précieux… afin de ne pas trop le fatiguer, je ne le questionne pas, mais… il est mystérieux et intéressant ce petit malade !

Le jeune Commandant regarda de nouveau le dormeur et fut touché de l’abandon de l’enfant…

— Connaissez-vous l’abbé Piquet ? demanda-t-il au chirurgien.

— Le missionnaire ?

— Oui. Il revient assez souvent à Montréal où il a un pied-à-terre, je crois même qu’il s’y trouve actuellement… Je le connais bien… J’ai envie de lui confier ce gosse…

— C’est d’un bon cœur ce que vous dites là, mon Commandant !

— Bah ! fit le jeune capitaine, qui n’en ferait autant ? Pauvre gamin ! Si jeune… et si tristement seul !… Amenez-le moi à notre dernière étape et j’espère lui trouver gîte et protection…

Le capitaine de Léry put en effet placer Marc, encore très malade, sous les soins de l’abbé Piquet à Montréal.

— Je ne sais rien de lui, monsieur l’abbé, lui avait-il dit, mais sa figure intéressante parle en sa faveur et c’est un petit compatriote… dans votre cœur de missionnaire, il y a place pour d’autres que les Iroquois !

— Sans doute ! Vous avez bien fait de penser à moi… Je puis le garder en tous les cas jusqu’à son complet rétablissement… et je ne le laisserai pas sans protection !

Après avoir causé de l’enfant avec le chirurgien, l’abbé comprit parfaitement ce qu’il fallait pour ramener Marc à la santé. Il occupait un petit logis clair et tranquille non loin de l’église Notre-Dame du Bon-Secours. Il installa le malade dans une chambre voisine de la sienne et le soigna avec un grand dévouement…

Trois jours d’immobilité complète, de tranquillité absolue et Marc était déjà presque convalescent.

Avec les forces la mémoire lui revint… il se fit expliquer par le bon abbé tout ce qui s’était passé depuis la venue au Fort Bull des soldats français… puis il se rappela le précieux coffret qu’il était allé chercher lors de l’assaut du fort.

Il refit au missionnaire le récit de sa vie à Brest, la mort du lieutenant son père, celle de sa mère, son départ comme mousse sur l’Alcide… jusqu’à son séjour récent dans le wigwam du chef oneyout…

— Croyez-vous, monsieur l’abbé, que je puisse le retrouver ?

— Je ne sais pas, mon ami, mais quand tu seras plus fort, nous verrons… En attendant, je vais essayer de faire prendre des informations au sujet de tes amis indiens…