La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/08

Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. 158-180).

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CHANT HUITIÈME.


Lanterne magique. Progrès du christianisme ; son esprit, et ses heureux effets.


« Anges et Saints, vous tous dont le courage,
Exécutant le décret des mortels,
M’a des païens assuré l’héritage,
Dans cet Olympe élevez mes autels.
De Jupiter l’antique cathédrale
Du paradis sera la succursale.
Nous passerons, pour éviter l’ennui,
De l’un à l’autre : et gardez-vous de croire
Que nos rivaux, quêtant un vain appui,
Pourront sur nous ressaisir la victoire.
De vos succès sans crainte jouissez.
L’homme nous veut, nos destins sont fixés.
De l’avenir pour moi la nuit est claire,
Noire pour vous ; par grace singulière,

En ce moment je vous égale aux dieux.
Approchez donc, regardez sur la terre,
Et l’avenir va passer sous vos yeux. »
Du beau nuage où sa grandeur repose,
Ainsi parlait le Dieu fort et vengeur,
Et sur l’Olympe il planait en vainqueur.
Sa voix alors de trois tons se compose,
L’un grave et sourd, l’autre doux, l’autre aigu ;
L’accord parfait fut au loin entendu.
Voir l’avenir ne se refuse guère.
Les curieux viennent de toutes parts ;
Sur notre monde ils fixent leurs regards.
Jésus reprend : « Toi dont la voix est claire,
Pure et sonore, approche, Gabriel,
Choisis les faits ; en quelques mots explique
Ce qui là-bas intéresse le ciel ;
Et montre-leur la lanterne magique. »

GABRIEL.

De Constantin voyez les successeurs ;
Voyez leur cour. Déjà d’habiles prêtres
Souples, rétifs, menaçans, ou flatteurs,
Troublent l’empire, et de leurs lâches maîtres

Au nom du ciel dirigent les fureurs.
Grace à leurs soins, de la théologie
Par-tout s’étend l’inquiète manie.
Ce goût bientôt se change en passion.
Chacun épluche, altère, embrouille, explique
Des livres saints le texte inauthentique.
D’in-folios quelle profusion !
Au sens commun quel déluge d’outrages !
On argumente ; et les autres du nord
Par millions vomissent des sauvages,
Dont la valeur et le subit effort
Sur tout l’empire étendent les ravages.
Mais pour qui donc, insoucians chrétiens,
Aiguisez-vous ces sabres et ces lances ?
Pour qui ces fers, ces bûchers, ces potences ?
Pour les Goths ? Non, pour les seuls Ariens.
Il faut du sang à leur pieuse rage.
Voyez ces murs sous l’herbe ensevelis ;
Voyez ces champs, ces fertiles pays
Livrés au meurtre, aux flammes, au pillage ;
De ces enfans contemplez le carnage :
C’est pour un mot que l’on massacre ainsi.


JÉSUS-CHRIST.

Pour moi ce mot a beaucoup d’importance ;
Il compromet ma divine substance.

SAINT GUIGNOLET.

Tuons, tuons !

JÉSUS-CHRIST.

Tuons, tuons !Nestorius-aussi
Invente un mot et double ma personne.
Par Eutychès il se voit réfuté ;
Mais Eutychès, par son zèle emporté,
Sur ma nature aussitôt déraisonne,
Car j’en ai deux.

LE PÈRE.

Car j’en ai deux.Quel galimatias !

JÉSUS-CHRIST.

Une est déjà bien difficile à croire ;
Mais j’en ai deux : on ne se refait pas.

UN ÉVÊQUE.

Tuons, tuons ! l’hérésie est notoire.

GABRIEL.

Ces disputeurs par d’autres sont suivis.


LE PÈRE.

De leurs débats quel est le nouveau texte ?

GABRIEL.

Toujours Jésus.

LE PÈRE.

Toujours Jésus.Conviens-en, mon cher fils,
Dans ta nature ils trouvent un prétexte :
Tu n’es pas clair.

JÉSUS-CHRIST.

Tu n’es pas clair.L’êtes-vous plus que moi ?

LE PÈRE.

Non, mais enfin ils s’acharnent sur toi.

JÉSUS-CHRIST.

Ils savent bien qu’en nous tout est mystère ;
Que prétend donc leur regard téméraire ?

GABRIEL.

De vous comprendre ils se flattent en vain.
L’un d’eux s’écrie : Il est autour du pain.
On lui répond : c’est à côté du pain.
Non, dit un autre, il se tient sous le pain.
Vous vous trompez tous trois, c’est sur le pain
Qu’il est assis, ajoute un quatrième.


UN ARCHEVÊQUE.

Tuez, tuez ! cela répond à tout.

LE SAINT-ESPRIT.

Voulez-vous donc, ennemi de vous-même,
De la dispute anéantir le goût ?
L’opinion qui n’est pas contredite
A moins de force. Il nous faut des martyrs ;
Il faut de l’homme occuper les loisirs.
Que sur ma Bible il travaille et s’agite.
De mes écrits le sens mystérieux
Exercera son esprit curieux.
Disparaissez, petits auteurs de Grèce,
Disparaissez, petits auteurs romains,
Qu’étudiait la crédule jeunesse,
Et que l’erreur osa nommer divins ;
Seul je le suis, et l’humaine sagesse
Est sous mes pieds. Quoi ! le cèdre orgueilleux
Sur le Liban domine et touche aux cieux,
Et du chiendent l’on parlerait encore ?
Ils sont jolis ces tortueux ruisseaux
Qui sous les fleurs glissent leurs faibles eaux ;
Mais un torrent en passant les dévore.

J’ai mis un terme à la nuit de l’erreur :
Cachez-vous donc, allumettes, chandelles ;
L’astre du jour dans toute sa splendeur
Vient effacer vos pâles étincelles.

JÉSUS-CHRIST.

Cher Saint-Esprit, vous avez de l’esprit ;
Mais cet esprit souvent touche à l’emphase ;
C’est un esprit qui court après la phrase,
Qui veut trop dire et presque rien ne dit ;
Vous n’avez pas un psaume raisonnable.
L’esprit qui pense et juge sainement,
Qui parle peu, mais toujours clairement
Et sans enflure, est l’esprit véritable.

GABRIEL.

Voyons comment avec rapidité
Des porte-frocs l’espèce multiplie.
Leur turbulence et leur oisiveté
Troublent l’Égypte et la mineure Asie.
Le capuchon se ligue avec les rois.
Puissant en Grèce, il convoite à-la-fois,
Et l’Italie, et la Gaule, et l’Espagne.
Tantôt hardi, fier, et dictant des lois,

Tantôt timide, hypocrite et sournois,
Il suit son plan, et du terrain il gagne.

LE PÈRE.

Tu ris, mon fils ?

JÉSUS-CHRIST.

Tu ris, mon fils ?Oui, chaque nation
De notre foi prend le signe céleste :
Je l’avoûrai, quoique simple et modeste,
J’ai quelques grains de noble ambition,
Et dominer sera ma passion.

LA VIERGE.

À vos succès mon sexe contribue ;
Mais du triomphe il n’a point à rougir.
Il convertit en donnant du plaisir ;
Il persuade, et jamais il ne tue.
Voyez Clotilde : en sortant de ses bras,
L’heureux Clovis accepte le baptême.
Chez les Anglais nous triomphons de même.
Berte la brune et ses jeunes appas
Ont d’Éthelbert dissipé les scrupules.
Partout, en tout, les amans sont crédules.


GABRIEL.

Leur jeune fils, au trône parvenu,
Porte la main sur le fruit défendu,
Et de sa sœur il fait une maîtresse.

LE PÈRE.

Ah, libertin !

GABRIEL.

Ah, libertin !Un prêtre vertueux
Avec aigreur gourmande sa hautesse,
Et de l’enfer lui promet tous les feux.
« Quoi ! pour si peu ? dit-il… plus d’eau bénite :
Les dieux du nord ne sont pas si méchans. »
Il revient donc à ces dieux indulgens.
Son peuple entier et l’approuve et l’imite.
Le tems enfin refroidit son amour.
Un moine alors au milieu de sa cour,
L’aborde, et dit : « De votre apostasie
Le ciel s’irrite, et c’est moi qu’il châtie.
— Comment cela ? — Saint Pierre, cette nuit,
Dans ma cellule est descendu sans bruit ;
Un lourd bâton jouait dans ses mains sèches.
Des coups nombreux dont il m’a surchargé

Voyez, Seigneur, les marques encor fraîches.
Je n’en puis plus, et le ciel est vengé.
— Tu ne mens point ? — Comptez les meurtrissures.
— Oui, je les vois. Rentre dans ton couvent,
Et de saint Pierre appaisons les murmures.
Aux dieux du nord je tiens peu maintenant ;
Je les renie, et je cours à ta messe. »
Son peuple entier l’approuve et se confesse.

LE PÈRE.

Pendant la nuit aller briser un dos !
Rien de plus gai. Mais, dis-nous donc, saint Pierre,
Est-ce bien toi dont la main familière
De ce vieux moine a fracassé les os ?

SAINT PIERRE.

Oui, Seigneur Dieu.

LE PÈRE.

Oui, Seigneur Dieu.Tu n’es pas raisonnable.
Le dos du roi me paraît seul coupable ;
C’était au roi qu’il fallait du bâton.

SAINT PIERRE.

Un tel moyen semblera fort étrange ;
Mais le succès prouve qu’il était bon.


LE PÈRE.

N’en parlons plus, que le moine s’arrange.

GABRIEL.

De Charlemagne admirez la valeur ;
Mieux que saint Pierre elle fait des miracles,
Des fiers Saxons l’opiniâtre erreur
À l’évangile opposait mille obstacles ;
Impatient, il les applanit tous.
Une moitié de ce peuple indocile,
En blasphémant expire sous ses coups.
À convertir, le reste plus facile
Tombe à ses pieds, et les mord quelquefois.
Le sabre en main il fait baiser la croix,
Lève un tribut, de pillage s’engraisse,
Prend ce qu’il peut, et brûle ce qu’il laisse.
Mais vous voilà, malheureux Albigeois !

UN PAPE.

Tuez ! tuez ! ils sentent l’hérésie.

GABRIEL.

Dans les tourmens ils perdront tous la vie.
Le bon Raymond pour eux s’arme et combat.
Vaincu par Rome, il vient en vrai coupable

Couvert de cendre, aux genoux d’un légat,
De son péché faire amende honorable.
Prêché long-tems, et long-tems prosterné,
Il est absous enfin et ruiné.
Ô de l’Espagne honneur ineffaçable !
C’est là sur-tout que la religion,
Dans ses fureurs, tranquille, inexorable,
Des curieux fixe l’attention.
Des zélateurs ce n’est plus le courage
Armé du glaive et bravant le trépas ;
Ce ne sont plus des guerres, des combats,
Où le danger commande le carnage.
Ici l’on tue avec sérénité ;
Le meurtre y prend un air de majesté.
Du doux Jésus les ministres tranquilles
En longs surplis se rangent sur deux files.
Jugés par eux, de riches Musulmans,
De riches Juifs, leurs femmes, leurs enfans,
Et des chrétiens soupçonnés d’hérésie,
Chargés de fers se traînent à pas lents.
On les enchaîne avec cérémonie,
Sur des bûchers par l’évêque allumés.

Du Te Deum l’hymne joyeux commence.
Le roi, la cour et les dévots charmés,
De leurs pareils rôtis et consumés,
Offrent l’odeur au dieu de la clémence.

LE PÈRE.

Permettons-nous qu’ainsi l’on nous encense ?

JÉSUS-CHRIST.

Avec l’ami qui prend nos intérêts
Il ne faut pas regarder de si près.

GABRIEL.

Ceux que l’on brûle enrichissent l’église ;
Rien d’aussi juste ; et Rome favorise
D’autres moyens plus vastes et plus prompts,
Qui, de l’Europe assurant l’esclavage,
Doivent donner aux simples moinillons
Fermes, châteaux, fiefs, et droit de cuissage.
Un pauvre ermite arrive de Sion ;
Du saint sépulcre il vante la puissance ;
Du saint sépulcre il prouve l’importance ;
Du saint sépulcre il peint l’oppression ;
Du saint sépulcre il fait naître l’envie,
Et pousse enfin l’Europe sur l’Asie.

Braves, poltrons, citadins, villageois,
Femmes, enfans, maîtresses, tous arborent
Sur leurs habits la guerroyante croix,
Du signe heureux les fripons se décorent.
Il rompt les fers, absout le malfaiteur,
De ses sermens dégage un débiteur,
Dans l’avenir les péchés il efface,
Au ciel enfin il assure une place
Bonne et brillante, une place d’honneur.
Mais aux Croisés l’argent est nécessaire :
Le riche donc au moine offre sa terre
Pour quelque sous ; et le moine rusé,
Cédant enfin à sa vive prière,
En le volant se dit encor lésé.
Adieu maisons, châteaux, tours et tourelles,
Étangs, forêts, villes et citadelles ;
L’église avide engloutit tout cela,
Mais tout cela devenait inutile.
L’Asie entière, à vaincre si facile,
Leur appartient de droit ; ils auront là,
Non pas des fiefs, mais de vastes provinces
Où de l’Europe ils porteront les lois ;

Les officiers y seront tous des rois,
Et les soldats y deviendront des princes.
Les jeux bruyans, les danses, les festins,
Des troubadours les couplets libertins,
Suivaient partout cette pieuse armée,
Que devançait au loin la Renommée,
On s’enivrait après avoir jeûné,
On priait Dieu, qu’on blasphémait ensuite ;
On éventrait le peuple Israélite ;
On rançonnait le chrétien consterné,
Chaud de luxure, on entendait la messe,
Puis de la messe au pillage on courait ;
Et sans égard pour l’âge ou pour l’espèce,
On violait tout ce qu’on rencontrait.
Jérusalem est prise ; autre pillage.

LE PÈRE.

Voilà, je pense, un assez beau carnage.
Ces femmes-là, malgré leurs caleçons
Doivent trembler. On force les maisons ;
Par la fenêtre on jette ce qu’on tue
Sur les coquins expirans dans la rue.


SAINT CARPION.

Se pourrait-il qu’on épargnât les Juifs ?

SAINT GUIGNOLET.

Non, dans leur temple on les brûle tout vifs.

GABRIEL.

De nos chrétiens voyez le cimeterre
Chercher l’enfant dans le sein de sa mère.

LA VIERGE.

Quelles horreurs !

LE PÈRE.

Quelles horreurs !Je les blâme, entre nous ;
Mais des dévots c’est assez là l’usage.

GABRIEL.

Sur la beauté tremblante à leurs genoux
De leurs desirs ils contentent la rage ;
Puis dans son cœur enfoncent le couteau,
Offrent à Dieu cette victime impure,
Et, tout souillés de sang et de luxure,
Ils vont pleurer sur le divin tombeau.


Les Croisés à Jérusalem.


JÉSUS-CHRIST.

Ah ! je triomphe enfin. L’Europe entière

De bras et d’or pour long-tems s’appauvrit ;
Mais mon sépulcre est libre, il me suffit.

LE PÈRE.

Déjà nos gens veulent à leur manière
Organiser ce royaume nouveau.
Partout des fiefs ; de Cana le hameau,
S’ennoblissant, devient châtellenie ;
Capharnaüm est titré baronie :
Bonjour, bonjour, vicomte de Bethsem,
Comte d’Hébron, marquis de Bethléem.

LE SAINT-ESPRIT.

Ô Mahomet ! quel soufflet sur ta joue !
Du fier turban la tiare se joue.

GABRIEL.

Elle fait mieux ; de la religion
Sa politique agrandit le domaine.
Troublant l’Europe en prêchant l’union,
Semant la guerre et la confusion,
Des souverains elle est la souveraine.
Le serviteur des serviteurs de Dieu
Commande en maître, et ce maître a des nièces,
De grands bâtards, des mignons, des drôlesses,

Dont l’entretien au peuple coûte un peu.

JÉSUS-CHRIST.

Plaisant contraste ! autrefois sur la terre
J’étais sans pain, et riche est mon vicaire.

SAINT PIERRE.

Je me croyais habile ; mais, ma foi,
Mes successeurs en savent plus que moi,

GABRIEL.

Remarquez-vous ce fameux Alexandre
Qui, de sa fille immolant tour-à-tour
Les trois époux, dit : Je serai mon gendre.

LE PÈRE.

L’amour d’un pape est un terrible amour.

GABRIEL.

À ces façons Rome est accoutumée.
Mais ses deux fils deviennent ses rivaux.

LE PÈRE.

Voilà du neuf.

LA VIERGE.

Voilà du neuf.De crimes quel cahos !

GABRIEL.

Entre eux déjà la guerre est allumée.

L’un était duc, et l’autre cardinal ;
Le cardinal empoisonne son frère ;
Et sagement partage avec son père.

LE PÈRE.

Cette coquine est-elle bien ?

GABRIEL.

Cette coquine est-elle bien ?Pas mal.

Or de Jésus la milice fidelle
Prélats, abbés, chanoines, prestolets,
Moines cloîtrés, tous, jusqu’aux frères lais,
Imitent Rome, et s’amusent comme elle.

JÉSUS-CHRIST.

Et quels sont donc leurs plaisirs ?

GABRIEL.

Et quels sont donc leurs plaisirs ?Des palais :
Des vins exquis, des maîtresses fringantes,
Le jeu, la chasse et les courses fréquentes,
Et des enfans à faire où déjà faits.
Ces vins exquis, ces fringantes maîtresses,
Coûtent bien cher ; et, malgré leurs richesses,
Nos beaux messieurs sont gênés quelquefois.
Sur les péchés leur fertile génie

Lève un impôt et quelques menus droits.
Leur bourse donc est de nouveau garnie.
Mais par malheur des commerçans tondus
Courent à Rome avec quelques écus
Accaparer les papales sentences,
Tous les agnus, toutes les indulgences ;
Puis aux pécheurs qu’épouvante l’enfer,
Dans leur pays les revendent fort cher.
À cette fraude, à cet agiotage,
Martin Luther pousse des cris de rage.

TOUT LE CLERGÉ.

Tuons, morbleu ! voici les protestans ;
Point de quartier, tuons !

GABRIEL.

Point de quartier, tuons !Il n’est plus tems.

TOUT LE CLERGÉ.

Tuons toujours !

GABRIEL.

Tuons toujours !Deux cents ans de carnage
Doivent, je crois, suffire aux amateurs.

TOUT LE CLERGÉ.

Oui, c’est assez si nous sommes vainqueurs,


GABRIEL.

Pas tout-à-fait ; l’Europe se partage
Entre le pape, et Luther, et Calvin.

LA VIERGE.

Nous coûterons cher au pauvre genre humain.

UN CARDINAL.

De ces dégoûts un seul jour me console.

UN AUTRE CARDINAL.

Oui, je t’entends ! la Saint-Barthelemi ?

TOUT LE CLERGÉ.

Ô le beau jour !

GABRIEL.

Ô le beau jour !La ferveur espagnole
De ces revers vous dédommage aussi.
Pour mieux tuer on cherche un nouveau monde,
De vous jamais ce monde n’a parlé.
Il vous ignore ; ô malice profonde !

JÉSUS-CHRIST.

Convertissons.

GABRIEL.

Convertissons.Le voilà dépeuplé.
Par vous le sang coulera dans la Chine,

Plus loin encore, et jusques au Japon
Par vous l’on meurt, par vous l’on assassine,
En maudissant la croix et votre nom.

LA VIERGE.

Ô de la croix innombrables victimes !
Quel long amas de fraudes et de crimes !
Quels flots de sang ! Hélas ! il valait mieux,
Pour votre honneur ne jamais être dieux.

LE PÈRE.

Seriez-vous pas quelque peu philosophe ?

LE SAINT-ESPRIT.

Vous auriez tort. Les gens de cette étoffe
Seront un jour nos plus grands ennemis.
Sur notre autel alors moins affermis,
Nous tremblerons au seul nom de déiste.
Le traitre adore un dieu qui n’est pas nous…

JÉSUS-CHRIST.

Parlez plus bas.

LE SAINT-ESPRIT.

Parlez plus bas.Par lui-même il existe
Ce dieu réel, et rien n’est aussi doux.
Mais nous, hélas ! mensonge que nous sommes,

Notre existence est un bienfait des hommes.
Leur doute seul nous replonge au néant.

JÉSUS-CHRIST.

À bas le doute, à bas le mécréant,
Le raisonneur, enfin tout ce qui pense ;
Et pour régner enseignons l’ignorance.

LE SAINT-ESPRIT.

Ou bien la Bible.

LE PÈRE.

Ou bien la Bible.Et malgré ce moyen,
Si la raison sapait notre puissance,
Quel parti prendre ?

LE SAINT-ESPRIT.

Quel parti prendre ?Alors, il faudra bien
Redevenir ce que nous étions ; rien.


FIN DU HUITIÈME CHANT.