La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/02

Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. 25-45).

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CHANT SECOND.


Organisation du Paradis. Conversation naïve et instructive de la Trinité. Dîné rendu aux païens, et terminé par la représentation de quelques mystères.


Belle Marie, ô toi dont la candeur,
Les yeux baissés et le simple langage,
Souvent d’un fils désarment la rigueur,
Entends ma voix, et reçois mon hommage.
Ton cœur sensible, et doux comme tes traits,
À la pitié ne se ferme jamais ;
Tu compatis aux faiblesses humaines ;
De courts plaisirs parmi de longues peines
Ne semblent pas à tes yeux des forfaits.
De ces plaisirs écarte le tonnerre ;
Demande au ciel grace pour les amours,
Pour les baisers qui consolent la terre ;

Par l’inconstance ils sont punis toujours.
Vénus, jadis par des soins efficaces,
Les protégeait ; mais trop vieille est Vénus,
Trop libertine, et l’homme n’en veut plus.
Dans cet emploi c’est toi qui la remplaces.
Ah ! puisses-tu long-tems le conserver !
Puisse ton fils ne jamais éprouver
Le sort fâcheux et la chute bizarre
Qu’à Jupiter doucement il prépare !
De Jupiter le vaste et beau palais
Avait pour base une haute colline.
Sur tout l’Olympe il s’élève et domine.
Un mur de bronze en interdit l’accès,
Et sur ce mur, qui menace la plaine,
En sentinelle on place tour-à-tour
Bacchus, Diane, et ces fils de l’amour,
Ces deux jumeaux que pondit une reine.
Bellone et Mars au combat préparés,
De sang chrétien dès long-tems altérés,
Gardent la porte et sauront la défendre.
Leur fier courage aimerait mieux l’ouvrir ;
Et quelquefois il s’indigne d’attendre

Un ennemi qu’il voudrait prévenir.
Jupiter place au pied de la montagne
D’autres guerriers ; plus loin dans la campagne
Il établit ses postes avancés ;
Mais d’attaquer il fait défense expresse ;
Et prudemment sur la frontière il laisse
Quelques Sylvains en vedette placés.
Le paradis autrement s’organise.
Au beau milieu des nuages ouverts,
Sur un autel environné d’éclairs,
Du triple dieu la grandeur est assise.
À ses genoux, ou bien à leurs genoux,
La Vierge occupe un tabouret modeste.
Le doux Jésus, du bon ordre jaloux,
Devant l’autel range la cour céleste.
Au premier banc brillent les Séraphins,
Du beau Trio contemplateurs fidelles :
Ces clairs flambeaux, ces lampes éternelles,
Brûlent toujours devant le saint des saints ;
Le pur amour sans cesse les consume,
Le pur amour sans cesse les rallume.
Plus bas on voit des visages très-ronds

Et très-vermeils, des cheveux courts et blonds,
De beaux yeux bleus, des bouches aussi belles,
De frais mentons d’où s’échappent deux ailes,
Mais point de corps : ces minois enfantins,
Ces têtes-là se nomment Chérubins :
Nous les aimons ; nos peintres de village
Dans leurs tableaux en font souvent usage.
Viennent après les Dominations,
Trônes, Vertus, Principautés, Puissances,
Esprits pesans, grosses intelligences,
Qu’on charge peu de saintes missions.
Regardant tout, mais à tout inhabiles,
Les bras croisés, ils sont là sur deux files,
Propres sans plus à garnir les gradins ;
À cet emploi se borne leur génie :
C’est ce qu’au bal nous autres sots humains
Nous appelons faire tapisserie.
Du ciel ensuite arrivent les guerriers.
Les généraux, colonels, officiers,
Connus là-haut sous le titre d’Archanges,
Le sabre en main, conduisent leurs phalanges.
Sous les drapeaux les Anges réunis

Sont par Jésus inspectés et bénis.
De gaze fine une robe légère,
Un casque d’or à panache flottant,
Un bouclier, un tranchant cimeterre,
De ces guerriers forment l’accoutrement.
Du paradis la milice innombrable
Obéissait au valeureux Michel,
Qui sous ses pieds a terrassé le diable.
Pour suppléans il a ce Gabriel,
Beau messager, que la vierge Marie
Toujours protège, et l’adroit Raphaël,
Qui sut jadis avec un peu de fiel
Désaveugler le bon homme Tobie.
Plus bas enfin on voit tous les Élus
Dans le parterre ensemble confondus.
Plusieurs, dit-on, vantés par la légende,
N’en sont pas moins des Saints de contrebande ;
De francs vauriens, pour tels bien reconnus,
Par la cabale au ciel sont parvenus.
Mais quel remède ? Un caprice du pape
D’un réprouvé peut faire un bienheureux,
En vain Satan lui réservait ses feux ;

Sa bulle en main, à l’enfer il échappe,
Sans peine donc on entre en paradis,
Lorsque dans Rome on a quelques amis.
Du saint Trio l’œil avec complaisance
Erra long-tems sur sa nombreuse cour ;
C’était pour lui nouvelle jouissance,
Puis il se lève, et dit : « Jusqu’à ce jour
Errant, banni, vexé par l’injustice,
Je ne pouvais régler votre service ;
Mais à présent je triomphe à mon tour ;
Me voilà dieu : du céleste séjour
Il faut fixer l’éternelle police.
Je veux d’abord une garde d’honneur
Autour de moi ; car je suis le Seigneur,
Entendez-vous ? et j’aime qu’on me garde.
Trois fois par jour l’Angelus sonnera :
Devant mon trône on se rassemblera,
Et d’y manquer qu’aucun ne se hasarde.
Pendant une heure en contemplation,
Vous jouirez de cette vision
Que les savans nomment intuitive.
Exprès pour vous, de ma gloire trop vive

J’adoucirai l’éclat et le fracas ;
Vos faibles yeux n’y résisteraient pas.
Vous chanterez, car le plain-chant m’amuse,
Et sur ce point je n’admets pas d’excuse ;
Vous chanterez l’Excelcis gloria
Et des noëls, et des Alleluia.
Vous me louerez, car j’aime la louange ;
Vous me louerez, car je suis le Seigneur,
Le Seigneur Dieu, le dieu fort et vengeur,
Entendez-vous ? et je veux qu’on s’arrange
Pour me louer et ne louer que moi.
Je suis jaloux, je ne sais pas pourquoi.
Sur ce, partez ; veillez sur vos églises,
Et des païens redoutez les surprises. »
Chacun s’éloigne avec docilité.
Le Saint-Esprit, et le Fils, et le Père,
Près de la Vierge au fond du sanctuaire,
Sont réunis en petit comité.
Leur entretien a de quoi nous instruire,
Et mot à mot je dois vous le redire.

LE PÈRE.

Convenez-en, chez le sot genre humain

Nous avons fait un rapide chemin.

JÉSUS-CHRIST.

En vérité lorsque dans une étable
Ma pauvre mère accoucha sans secours ;
Lorsqu’à vingt ans, oisif et misérable,
Au pain d’autrui j’avais souvent recours ;
Lorsqu’avec peine un docteur charitable
M’apprit à lire, et que dans mes leçons
Du roi David j’expliquais les chansons ;
Interrogé par Anne le pontife,
Remis ensuite à son gendre Caïphe,
Quand je me vis, de fouetteurs entouré,
Par ce Caïphe à Pilate livré,
Par ce Pilate envoyé chez Hérode
Qui voulait voir le prophète à la mode,
Et par Hérode à Pilate rendu,
Puis sur ma croix tristement étendu ;
Certes alors je ne prévoyais guères
Ce qui m’arrive. On parle des mystères,
Notre succès est le premier de tous.

LE SAINT-ESPRIT.

D’autres l’auraient obtenu comme nous.

Le changement à l’homme est nécessaire :
En fait d’erreur il choisit la dernière.
Dieu, le vrai Dieu, l’unique, et l’éternel,
En le créant, lui dit : « Sois immortel.
Je t’ai donné pour loi ta conscience ;
Au bien toujours elle conduit tes pas ;
Elle est ton juge au-delà du trépas ;
Elle punit, pardonne, ou récompense. »
Rien de plus simple ; aussi l’homme trouva
Ce fond trop pâle, et soudain le broda.
Il se fit donc des dieux moins invisibles ;
Moins grands, moins bons, et surtout plus terribles.
Aux sages lois écrites dans son cœur
Il ajouta des notes, des oracles :
Un évangile, et toujours des miracles.
Le seul remords ne fait pas assez peur ;
Il lui fallut des serpens, des furies,
De gros vautours, de hideuses harpies,
Des coups de fouets, de fourches, de hoyaux,
À tour de bras appliqués sur le dos ;
Des lacs brûlans, et sans fonds et sans bornes,
Des cris, des pleurs, des diables, et des cornes,

Et tout cela pendant l’éternité.
Mais des vertus quelle est la récompense ?
Nouveau travail, nouvelle extravagance.
D’après ses goûts chacun à volonté
Se fait au ciel un séjour enchanté.
La vieille y prend un visage de rose ;
Le libertin y baise avec transport
Ce qui lui plaît ; le faible y devient fort ;
Des élémens l’ambitieux dispose ;
Celui-ci boit, celui-là fume et dort ;
L’un n’y fait rien ; nous autres, pas grand’chose ;
Car l’homme, hélas ! mesquin dans ses desirs,
Se connaît mieux en tourmens qu’en plaisirs.
Quoi qu’il en soit, crédule il nous adore ;
Profitons-en. Jupiter passera,
Nous passerons, et bien d’autres encore :
Un seul demeure, un seul fut, et sera.

LE PÈRE.

Amen, amen. Ce sermon d’évangile
M’a paru long, et j’allais m’endormir.
Votre conseil n’en est pas moins utile :
Sur notre autel il faut nous affermir,

Et profitons du pouvoir qu’on nous prête.
Profitons-en sur l’heure. À moi les vents
Soufflez, sifflez, je veux une tempête.

JÉSUS-CHRIST.

Voyez combien ils sont obéissans !
Déjà du jour les rayons s’obscurcissent,
Sur l’horizon les vapeurs s’épaississent ;
Jusqu’au zénith les nuages poussés,
Noirs, menaçans, l’un sur l’autre entassés,
Surchargent l’air de leur masse immobile :
En vérité, l’on n’est pas plus docile.

LE PÈRE.

Savez-vous bien qu’un bel orage est beau ?

LE SAINT-ESPRIT.

Très-beau, sur-tout quand on le fait soi-même.

LE PÈRE.

Il pleut, il grêle, et voilà ce que j’aime :
C’est pour la terre un déluge nouveau.

LA VIERGE.

De ce déluge arrêtez les ravages,
Seigneur, mon Dieu ! de cinquante villages

En un moment vous noyez les moissons.
Adieu les fleurs, les savoureux melons,
Et tous les fruits que la terre obstinée
Accorde à peine au travail d’une année.
Pourquoi troubler la marche des saisons ?
Au mois de juin, de la vigne étonnée
Ne gelez pas les innocens bourgeons ;
Ou l’homme alors, qui sur nous aime à mordre,
En conclura que vous n’avez point d’ordre.

JÉSUS-CHRIST.

Le vin, ma mère, est toujours dangereux ;
Il suffira qu’on en ait pour la messe.

LE PÈRE.

L’enfant dit vrai ; d’ailleurs à ma sagesse
Tout est permis ; je fais ce que je veux.
Je fais n’est pas le mot propre et technique ;
Triple je suis, sans cesser d’être unique ;
Et je faisons vaudrait peut-être mieux :
Mais vous cédez quelque chose au plus vieux.
Plus vieux ? non pas ; nous sommes du même âge.
De moi pourtant tous deux vous procédez :
Je vous ai donc d’un moment précédés ?

On le croirait, c’est assez l’usage ;
Point, mes enfans se trouvent mes jumeaux.
Notre amalgame est un plaisant chaos,
Et je m’y perds. Revenons à l’orage.

LE SAINT-ESPRIT.

Il va très-bien. Voyez-vous ces vaisseaux
Battus, brisés, engloutis par les flots ?
Voici l’instant d’essayer le tonnerre,
Ce vrai cachet de la divinité.
Cherchez un but ; foudroyez sur la terre
Quelque vaurien qui l’aura mérité.

LA VIERGE.

Pourquoi sur lui presser votre vengeance ?
Demain peut-être il ferait pénitence.

LE PÈRE.

Dans la forêt, remarquez-vous là-bas
Un bon curé qui, malgré la tempête,
Va d’un mourant adoucir le trépas,
Et ce voleur qui brusquement l’arrête ?
Sur le ciboire il veut porter la main,
Car il est d’or : le prêtre fuit en vain ;

Déjà le fer est levé sur sa tête.
Fort à propos j’arrive à son secours.
Feu !

LE SAINT-ESPRIT.

Feu !Vous tremblez.

LE PÈRE.

Feu ! VousCes foudres sont bien lourds.

LE SAINT-ESPRIT.

Lancez donc.

LE PÈRE.

LancezOuf ! le drôle est-il en cendre ?

LA VIERGE.

Eh ! non vraiment ; votre carreau vengeur
S’est détourné sur l’innocent pasteur,
Et roide mort vous venez de l’étendre.

LE PÈRE.

Au paradis qu’on le place à l’instant.

LE SAINT-ESPRIT.

Ces foudres-là seront nos amusettes ;
Mais bien viser est un point important,
Et désormais vous prendrez des lunettes »


LE PÈRE.

Soit. Au surplus, nous pouvons, je le vois,
Nous divertir ici comme des rois.

LE SAINT-ESPRIT.

Ces païens seuls me donnent de l’ombrage.

JÉSUS-CHRIST.

C’est, je l’avoue, un fâcheux voisinage.

LE PÈRE.

Notre ennemi plus que nous est gêné :
Cela console, et nous pouvons attendre.

JÉSUS-CHRIST.

À ces messieurs nous devons un dîné ;
Bon ou mauvais, il convient de le rendre.

LE PÈRE.

Ainsi soit-il. D’archanges radieux
Qu’une douzaine aille inviter ces dieux.
Le groupe ailé s’acquitte de son message.
On accepta, mais pour le jour d’après :
Gens du bon ton ne se hâtent jamais ;
Se faire attendre est assez leur usage.
Le lendemain ils viennent un peu tard.

Chacun se lève, on leur fait politesse ;
À table ensuite on se place au hasard ;
Elle est étroite ; on s’y pousse on s’y presse,
Et l’on sourit déjà d’un air malin.
Pour tout dîné l’on voit quelques hosties
Sur la patène avec grace servies,
Qu’accompagnaient six burettes de vin,
Non de Bordeaux, de Champagne, ou du Rhin,
Mais de Surêne ; et l’on assure même
Qu’à sa naissance il reçut le baptême.
Les conviés, peu faits à ces façons,
Disaient tout bas entre eux : Nous souperons.
Pour amuser ses dédaigneux confrères,
Le doux Jésus, qui s’y connaît vraiment,
Après dîné fit jouer des mystères.
On commença par le commencement,
Et sur la scène on mit le premier homme,
La première Ève, et la première pomme.
Du frais Éden ces heureux possesseurs,
L’un jeune et beau, l’autre jeune et jolie,
Les bras pendans allaient de compagnie.
D’un pas distrait ils marchaient sur les fleurs,

Cueillaient des fruits, avalaient l’onde claire,
Pour tout plaisir dénichaient les oiseaux,
Jetaient du sable ou crachaient sur les eaux,
Bâillaient ensuite, et ne savaient que faire.
Ils se couchaient ensemble, et dormaient bien ;
Ils étaient nus, et ne pensaient à rien.
Le diable arrive : il parlait comme un ange ;
Ève l’écoute, et la pomme elle mange.
Sans ce malheur, qui fut heureux pourtant,
Le genre humain restait dans le néant.
Que dis-je ? heureux ! Le fruit croqué par elle,
Et qui servit à son instruction,
Nous vaut à tous une indigestion
Forte, terrible, et de plus éternelle.


Adam et Ève.


Ce dénouement déplut à Jupiter.
« Monsieur, dit-il, vous faites payer cher
Une reinette. Aux gourmands encor passe ;
Mais à leurs fils qui n’en ont pas goûté !
Dans le néant aller chercher leur race
Pour la damner ! Quelle sévérité ! »
Monsieur répond : « J’ai trop puni les hommes,
J’en conviendrai ; qu’y faire ? Je suis bon ;

Mais je suis vif ; j’aimais beaucoup ces pommes ;
J’y tenais, moi, pourquoi me les prend-on ? »
La scène change ; on découvre un village,
Dans ce village un petit atelier,
Où travaillait un pauvre charpentier.
Pauvre ? non pas ; femme gentille et sage
Est un trésor ; mais il n’y touche point :
Son avarice est grande sur ce point.
On voit encore une arrière-boutique,
Un lit modeste, une vierge dessus,
Dont les attraits ont dix-huit ans au plus,
Et qu’assoupit un sommeil angélique.
Il faisait chaud ; cette vierge en dormant
A dérangé l’utile vêtement
Qui la couvrait ; la robe se replie,
Et laisse voir ce qu’on ne vit jamais.
Sa jambe nue et sa cuisse arrondie,
En s’écartant semble chercher le frais.
Un beau pigeon au plumage d’albâtre,
Du ciel alors descend sur le théâtre.
Son rouge bec et ses pattes d’azur,
De son gozier le timbre clair et pur

Son auréole et sur-tout ses manières,
Le distinguaient des pigeons ordinaires.
Sur la dormeuse il plane galamment,
S’abat ensuite, et léger il se pose
Juste à l’endroit délicat et charmant
Où des amours s’ouvre à peine la rose.
De son plumage il le couvre un moment,
Ses petits pieds avec adresse agissent,
Son joli bec l’effleure doucement,
Et de plaisir ses deux ailes frémissent.
« Auriez-vous cru, messieurs, que d’un pigeon
Il pût jamais résulter un mouton ?
Dit le papa d’un air grave et capable.
En nous, chez nous, tout doit être incroyable.
On croit pourtant, et voilà ce qu’il faut.
J’aime à l’excès les énigmes sans mot. »
Du paradis la troupe infatigable,
Pour terminer, joua la passion,
Et joua bien. Les conviés, dit-on,
Goûtèrent peu ce drame lamentable.
Mais un malheur qu’on n’avait pas prévu
Du dénouement égaya la tristesse.

Bien flagellé le héros de la pièce
Était déjà sur la croix étendu.
On choisissait pour ce rôle pénible
Un jeune acteur intelligent, sensible,
Beau, vigoureux, et sachant bien mourir ;
Il était nu des pieds jusqu’à la tête :
Un blanc papier qu’une ficelle arrête
Couvrait pourtant ce que l’on doit couvrir.
Charmante encore après sa pénitence,
La Magdelène au pied de la potence
Versait des pleurs : ses longs cheveux épars,
Son joli sein qui jamais ne repose,
Du crucifix attiraient les regards ;
Il voyait tout, jusqu’au bouton de rose ;
Quelquefois même il voyait au-delà.
Prêt à mourir, cet aspect le troubla.
Il tenait bon ; mais quelle fut sa peine,
Quand le feuillet vint à se soulever !
« Ôtez, dit-il, ôtez la Magdelène,
Ôtez-la donc, le papier va crever.
Soudain il crève ; et la Vierge elle-même
Pour ne pas rire a fait un vain effort.

Le tour est bon, dit le Père suprême ;
On le voit bien, le drôle n’est pas mort. »
Cet incident finit la tragédie.
On se sépare avec cérémonie ;
Et les païens retournent dans leur fort,
En répétant : le drôle n’est pas mort.


FIN DU SECOND CHANT.