La cuisine des pauvres/Manière d'aprêter le Riz économique

Claude-Marc-Antoine Varenne de Beost
La cuisine des pauvres,

ou Collection des meilleurs mémoires qui ont paru depuis peu , soit pour remédier aux accidens imprévus de la disette des grains, soit pour indiquer des moyens aux personnes peu aisées de vivre à bon marché dans tous les tems.

Manière d'aprêter le Riz économique


MANIERE


D'APRÊTER


LE RIZ ÉCONOMIQUE.


Verſez ſept ſeaux d'eau dans la marmite, couvrez-la ; allumez le feu le ſoir ; faites bouillir à gros bouillons » Prenez à deux repriſes différentes, un ſeau de cette eau bouillante, lavez-en le Riz, rincez-le à l'eau fraîche ; mettez-le dans la marmite ; modérez le feu en le couvrant ; laissez-le mitonner toute la nuit ; le lendemain, ajoutez les Matières ſuivantes, préparées la veille, ainſi qu'il ſuit.

Faites tremper pendant une demi-heure, les Pommes de terre dans de l’eau chaude ; agitez-les enſuite avec un balai ras ou uſé, afin d'en ôter exactement toute la terre ; rincez-les à l’eau fraîche ; faites les cuire, & les couvrez, afin que l’eau les surnageant, elles cuiſent également. Lorsqu'elles ſeront cuites, ôtez la chaudière de deſſus le feu ; inclinez-la, en contenant les Pommes de terre avec le couvercle, pour verſer ainsi toute l’eau ; jettez-les enſuite toutes chaudes dans un mortier, auge, ou autre uſtensile ſuffiſant pour contenir la quantité de ces Pommes de terre, pilez-les ſur le champ, autrement il y aurait de la perte ; réduiſez-les en bouillie, le plus exactement qu'il ſera poſſible ; verſez-y un ſeau & demi d’eau ; délayez, broyez & paſſez-les enſuite à la paſſoire, ainſi que pour faire de la purée de Pois, en ajoutant à fur & meſure, un demi ſeau d'eau tiède.

Faites cuire les Navets ratiſſés & coupés à l’ordinaire, pendant une heure & demie au plus, parce qu'ils rougiraient ; retirez-les avec une écumoire ; pilez & les réduiſez en bouillie, sans paſſer.

Faites cuire dans un ſeau d'eau, les Carottes ratiſſées & coupées par rouelles, & le Potiron mondé & coupé par tranches ; pilez-les enſuite ; délayez & paſſez avec leur eau, qui eſt fort douce & agréable  : celle des Navets n'eſt pas bonne, ainſi qu'on l’a éprouvé.

Les Carottes ſuppléent, livre pour livre, au défaut de Potiron, même de Navets.

Rallumez le feu à ſix heures du matin ; mettez dans le Riz, toutes les matières préparées, quatre livres de bon Beurre fondu, & quatre livres de Sel diſſous dans de l’eau chaude ; remuez, avec une ſpatule de bois, afin de bien mêler le tout enſemble ; faites mitonner, A huit heures & demie, mettez dans la marmite vingt livres de Pain de froment, raſſis, & coupé tel que pour la ſoupe ; remuez, & à neuf heures ſervez.




REMARQUES.
RIZ.


A Quatre heures après midi, on allume le feu ; à ſix heures on met le Riz dans la marmite ; on le fait cuire à petits bouillons, parce qu'autrement il brûlerait. Entre huit & neuf, avant que de s'aller coucher, on a ſoin d'examiner ſi le feu est ſuffiſant pour faire mitonner le Riz toute la nuit. Cette longue & légère ébullition rend d'autant plus ſain cet aliment, que la partie glutineuſe en est totalement détruite, tel que dans les Crèmes de Riz, d'Orge, &C. nourriture préparée pour les Malades. Cette manière est moins gênante que celle où l’on fait crever le Riz en remuant continuellement, & en ajoutant peu à peu, l’eau ſuffiſante pour cet effet.


POMMES DE TERRE.


La méthode de piler les Pommes de terre, est infiniment plus prompte & moins embarraſſante que celle de les peler ; mais il faut avoir l’attention de les piler sortant du feu, autrement il faudrait les peler, parce que la peau s'amalgamant alors avec la pulpe, empêcherait qu'elles ne paſſent à la paſſoire, & il y auroit beaucoup de perte, comme on l'a éprouvé. On ſe ſert depuis peu, à St. Roch, d'une manière de les cuire, fort commode, plus prompte & plus économique,

On a fait construire au commencement de l’Hiver, un Fourneau qui économiſe beaucoup de bois. Il est compoſé de trois foyers qui correspondent par des ouvertures latérales, leſquelles ſe ferment & s'ouvrent à volonté, par le moyen de deux plaques de fonte montées dans des couliſſes. Aux deux foyers clés extrémités, ſont ſcellées deux grandes marmites ; l'une, destinée au Riz ; & l'autre, au bouillon des Pauvres : dans le milieu, est la petite marmite de dix-neuf pouces de diamétre, ſur vingt pouces de profondeur.

C'eſt dans cette petite marmite que l’on fait cuire, depuis quelques jours, les Pommes de terre. Pour cet effet, on les met dans un panier d'ozier, fait exprès, & qui entre aiſément dans cette marmite : (il y a un demi pouce de diſtance entre la circonférence du panier & les parois de la marmite.) Lorſqu'elles sont cuites, on les retire facilement, par le moyen de deux anſes, auſſi d'ozier, attachées au rebord du panier, & l’eau s'en égoutte en même temps. Ces deux anſes sont mobiles, se plient ſur les Pommes de terre, & n'empêchent point de couvrir la marmite.

Les Pommes de terre cuites & préparées immédiatement avant que de s'en ſervir, sont meilleures que préparées la veille.

Les avantages qu'on retire de la culture des Pommes de terre, ſont connus dans tous les Pays où on les cultive. Elles ſervent de nourriture aux hommes, & offrent une reſſource aſſurée dans des temps de disette.

Leur ſalubrité est prouvée par le grand uſage qu'on en fait dans beaucoup de Provinces du Royaume : auſſi des Citoyens zélés pour le bien de l’humanité, s'occupent à encourager cette culture ſi utile au pauvre Peuple.

Cette culture est des plus économiques, puiſqu'elle peut être faite dans les terres en jachères ou en repos, & que loin de dégraiſſer la terre, elle paraît la rendre plus propre à l’enſemencer de Bled.

On peut conſulter un excellent Mémoire ſur cet objet, fait par M. Muſtel, à Rouen, chez la veuve Besogne, 1767.

Ce Riz bien préparé, produit quatre cent dix-huit à quatre cent vingt-cinq livres peſant ; au deſſus ou au deſſous de ces deux termes, il est ou trop clair ou trop épais. La ſpatule qui sert à mélanger les matières, ſert auſſi de régle, par le moyen d'une échelle qu'on y a pratiquée, & qui indique la quantité de Riz qu'on a à distribuer.

La marmite de trente pouces de diamètre, ſur vingt de profondeur, eſt de cuivre bien étamé, munie d'un couvercle de fer blanc qui s'y emboëte. Quoique 1e Riz y ſoit près de quinze heures, il n'y a rien à craindre de la part de ce métal, parce que la matière eſt dans une légère, mais continuelle ébullition. D'ailleurs, le Riz donne un enduit qui recouvre les parois de la marmite, & en conſerve l’étamage, & c'eſt pour ce même effet, qu'on ſe ſert d'une cuillier de bois pour le Riz, qu'on ne lave la marmite, & qu'on n'en étanche l’eau qu'avec une éponge, ce qui accélère encore cette manipulation.




RÉFLEXION


Sur l’économie de ce Riz.


On distribue ce Riz avec une cuillier qui contient une chopine, meſure de Paris, peſant une livre trois à quatre gros. Ce Riz économique évalué, en achetant tout ſuivant le Marché de Paris, à la ſomme de 10 livres préparé, donne quatre cent huit à quatre cent rations ou portions : ainsi chaque portion ne revient pas à un ſol.

L'expérience de trois mois, a conſtaté que chaque portion ſuffit, à peu de choſe près, à la nourriture d'un adulte ; ainſi ces quatre cent huit à quatre cent douze portions équivalent au moins, à quatre cent livres de Pain, leſquelles à 3 ſols 6 den. la livre, font la ſomme de 
 ___70 livres.
__________
De laquelle ſomme déduiſant le prix du Riz économique, ci 
 ___20 livres.
__________
Il en réſulte une économie journalière, de 
 ___50 livres.

Personne n'ignore que la soupe est la nourriture la plus ſalutaire & la plus convenable pour le pauvre Peuple. Par ce Riz économique, on a le double avantage de ne débourſer que 20 livres, & de donner une nourriture plus ſaine & plus convenable, à une quantité pour laquelle il faudroit débourſer 70 livres, pour l’alimenter ſeulement de Pain & d'Eau.

Ces motifs, de ſanté & d’économie, déterminèrent feu M. Boyer, Médecin de la Généralité de Paris, &c. à donner une manière pour préparer une ſoupe au Riz, pour cette Généralité. Sa recette est pour vingt-cinq perſonnes, ou de vingt-cinq portions, d'une chopine chaque, meſure de Paris, peſant, ainsi que celle de Saint Roch, une livre & quelques gros, de même conſiſtence & également nourriſſante, comme on l'a éprouvé ; mais le Riz de St. Roch est plus agréable. Chaque portion, à la manière de M. Boyer, coûte 2 ſols, ou 10 livres le cent, ſans y comprendre le bois. La portion du Riz économique de Saint Roch, ne revient pas tout-à-fait à 1 ſol ou 5 livres le cent, en y comprenant le bois.

Chaque portion, jusqu'à préſent, n'a pas coûté 8 deniers, parce que le Riz qu'on a employé, a été donné par le Roi.

On peut aprêter une moindre quantité de cet aliment, en obſervant les proportions & le même ſoin. Cette nourriture se conſerve, & on en a mangé du quatrième & cinquième jour, ſans qu'elle eût la moindre altération ; mais en voulant la conſſerver, on aura l’attention de la mettre dans des vaiſſeaux de terre, & de la faire réchauſſer à petit feu, en y mêlant un peu d'eau avant que d'en faire uſage.




CERTIFICAT.


Nous souſſignés, Médecins & Chirurgiens des Pauvres de la Paroiſſe de Saint Roch, quoique nous ayons atteſté qu'il ne pouvoit réſulter de ce qui devoit entrer dans le Riz économique, qu'un aliment très-bon, & particulièrement pour les Enfants ; nous avons cru encore devoir nous aſſurer par l’expérience, des ſuites de cette nourriture. Nous voyons avec une vraie ſatiſfaction à plus de huit cents perſonnes de tout âge, qui en font uſage depuis trois mois, de deux jours l’un, (parce qu'on n'en peut pas faire deux cuiſſons par jour.) confirmer que cet aliment est non-ſeulement plus propre à la ſanté, que tous ceux que peuvent ſe procurer les Pauvres, mais encore qu'il prévient beaucoup d’infirmités auxquelles ſont ſujets les Enfants, & qui en font périr un grand nombre, telles que le carreau ou gros ventre, les ulcères, maux d'yeux, l'atrophie & autres maladies qui ne proviennent que de mauvaiſes nourritures. Nous ne pouvons donc trop recommander l'uſage d’un aliment ſi avantageux & qui eſt agréable, & ſur lequel l'expérience a prononcé par le ſuccès le plus conſtant. En foi de ce. A Paris ce 2 Février 1765.


DE GEVICLAND.
SALLIN.
Docteurs-Régens de la Faculté de Médecine en l’Univerſité de Paris.

DE LAFAYE, Profeſſeur & Démonſtrateur Royal.

SARRAU, Chirurgien ordinaire des Bâtimens du Roi,


Permis d'imprimer, A Paris ce 4 Février 1769.

DE SARTINE.