Éditions de l'Action canadienne-française (p. 77-83).


XI

LE TUNNEL



LA DÉCOUVERTE de ce prolongement de la caverne de l’Indien devint une source de grand intérêt. En dehors de cette courbe, qui dessinait comme un arc rampant, la muraille demeurait en roc solide, formant partie d’un cap dont l’extérieur ne présentait qu’un épais fouillis de broussailles et des touffes de jeunes sapins. L’ouverture était basse, environ trente à trente-six pouces dans son plus haut, et s’étendait sur une largeur de près de six pieds ; en se baissant, on y entrait presque de plain-pied avec la grotte.

À la lueur des chandelles, Brisot et l’Indien avaient pu constater que ce couloir de pierre était une véritable galerie souterraine, se prolongeant en pente… jusqu’où ? On n’en savait rien !

Il fallut encore la matinée du lendemain pour se rendre jusqu’à l’issue de ce conduit de pierre ; on avançait lentement à cause de l’obscurité, et en cas de danger possible… et les chandelles de la maisonnette se consumaient bien vite ! Ce passage était assez haut pour que les hommes y puissent marcher en se courbant un peu surtout Grand-Castor ! Enfin, le couloir décrivit un détour et on aperçut une ouverture comme un grand œil-de-bœuf par où s’infiltraient des rayons de lumière ; Amiscou, se penchant vers le sol, prêta l’oreille : — De l’eau, mon ami, j’entends le bruit de l’eau ! Nous devons être tout près du lac !

Quelques minutes plus tard, ils avaient atteint l’ouverture… le chasseur sentit avec délices une bouffée d’air pur lui rafraîchir le visage…

— La sortie était basse ; l’Indien se traînant à plat ventre fut bientôt dehors.

— Suis moi, mon ami, dit-il au chasseur, tu seras content !

Brisot se traîna, à son tour, à travers l’ouverture et, l’instant d’après, les deux hommes étaient debout sur le rivage à une dizaine de pieds des eaux miroitantes du lac Gannentaha !

— Quelle découverte, hein ! fit le chasseur, une véritable oubliette !

— Hé ! Hé ! c’est Jeannot qui nous a fait découvrir ça ! Où est-il, ce matin.

— Il s’amuse auprès de la maisonnette sous la garde d’Onata ; je n’ai pas voulu le laisser venir, en cas d’un danger possible.

— C’est vrai, ce couloir aurait pu servir d’antre à quelque bête féroce… Mais, sais-tu ce que je vais faire ? Descendre par ce passage nos deux canots !

— Je t’aiderai, dit le chasseur.

— Hé, fit l’Indien, joyeux ; nous les remonterons alors par le lac jusqu’à la côte qui mène à ta maison ; nous pourrons les cacher dans les branches et nous les retrouverons au besoin !

— Tu as raison, Amiscou, ce sera le meilleur et le plus rapide moyen… retournons maintenant par le bois, comme nous avons fait, hier ; demain, nous descendrons les embarcations par le tunnel de Jeannot et nous pourrons en faire l’essai !

Le lendemain, en effet, par une belle matinée chaude et sous un ciel sans nuages, un gracieux canot d’écorce, dans lequel on voyait deux hommes et un enfant, remontait à grands coups d’aviron les eaux claires du lac Gannentaha ; il remorquait un canot vide, de forme et de dimensions semblables.

Jeannot, cette fois, était descendu, lui aussi, par le couloir de pierre, et, à sa grande joie, il prit place dans le premier canot, un aviron à la main.

— Une autre fois, nous pourrons avironner les deux canots et prendre des courses, papa dans l’un, Grand-Castor et moi dans l’autre, n’est-ce pas ? dit l’enfant.

— Oui, bien sûr ! mon fiston, répondit le père, plus tard, quand tu seras devenu habitué à l’aviron. Tu as réussi à la perfection, continua le chasseur, s’adressant au manchot ; ta barque est solide, étanche et file admirablement sur l’eau !

— Hé, fit l’Indien, content d’entendre louer son travail, Cerf-Agile m’avait donné de bonnes leçons !

Le court trajet jusqu’au pied de côte de la clairière s’effectua en peu de temps. Tel que prévu, les deux canots furent facilement cachés parmi les branches et les aulnes du rivage.

À partir de ce moment, chaque matin, on voyait glisser sur le lac une légère barque d’écorce ; le chasseur s’y trouvait le plus souvent seul avec son fils, mais, parfois, le manchot était de la partie. Jeannot aimait infiniment ces promenades sur l’eau et il devenait habile à manier l’aviron.

Un jour, le Castor, ayant besoin de se procurer diverses provisions, se dirigea vers le village des Onontagués. Il avait averti ses amis qu’il serait absent toute la journée, peut-être même jusqu’au lendemain. Huit lieues de marche n’étaient pas de nature à effrayer les longues jambes d’Amiscou !

En son absence, le petit Français et son papa firent une assez longue promenade en canot. Passant devant le lieu où aboutissait le passage de pierre, Brisot en chercha des yeux l’ouverture ; il ne put la retrouver ; il crut alors qu’il avait fait erreur quant à l’endroit, mais, il eut beau longer la rive, il ne put rien découvrir.

Ce ne fut que tard le lendemain, qu’il vit arriver le manchot.

— Les Visages-Pâles s’en viennent, lui dit celui-ci, j’en ai eu des nouvelles à mon voyage !

— Oui ? Quelle veine ! s’écria Brisot. Où sont-ils rendus ?

— Lorsque je suis parti du village, ils étaient sur le point d’y arriver.

— As-tu appris dans quelle région ils vont établir leur camp ?

— Hé ! Les démons ne se méfient pas de moi ; ils me croient innocent… je leur laisse cette impression… ça m’a permis de connaître bien des choses ! D’abord, un bourg sera placé à moins d’une lieue plus haut que notre clairière ; les Onontagués ont dit, se parlant entre eux : « Ils seront à une place où il ne sera pas difficile de les encercler de tous côtés ! »

— Ils sont donc mal disposés ? demanda le chasseur avec inquiétude.

— Ils ne dévoilent pas encore leurs intentions ; ils rient ; ils disent qu’ils vont bien recevoir les hommes d’Ononthio, surtout si ceux-ci leur donnent des présents et de l’eau-de-feu !

— Il ne faut pas leur donner d’eau-de-vie, déclara Brisot, ça les rend fous !

— Ils sont fiers et joyeux de leur récente victoire sur les Ériés, continua Amiscou ; ils ont aussi parlé des Hurons, ma nation avant celle des Neutres ; ils ont saccagé nos bourgs, nos tribus sont dispersées de côté et d’autre… il n’y a plus de villages hurons autour de la belle mer douce !

— En effet, mon ami, j’ai appris cela à mon voyage et j’en ai été chagrin ; il y a beaucoup de Hurons réfugiés à Québec et à L’Île d’Orléans.

— Hé ! Les Visages-Pâles sont maintenant nos frères ; mais les Iroquois des cinq nations sont traîtres et perfides, ceux de la tribu des Onontagués plus encore que les autres !

— Je voudrais, dès demain, aller à la rencontre des Français, dit Brisot ; nous pourrions nous y rendre en canot… qu’en dis-tu ?

— Amiscou sera content d’y aller avec toi et Jeannot !

— Entendu, alors ! Sois ici de bonne heure si le temps est beau. Mais, j’ai quelque chose à te dire : en ton absence, je canotais avec Jeannot, le long de la rive, et j’ai voulu revoir l’ouverture ou plutôt la sortie du couloir de pierre, mais nous n’avons pu la retrouver !

— Hé ! Hé ! ricana l’Indien, les autres ne la trouveront pas, non plus ! N’en parle pas aux arrivants, mon ami, de crainte qu’ils ne le disent aux démons que tu sais !

— Tu as sans doute raison, dit le chasseur, je n’en soufflerai pas un mot !

— Jeannot est-il couché ? demanda le manchot.

— Oui, il dort. Je l’amènerai avec nous demain et nous lui dirons d’être discret.

— Alors, Jeannot ne parlera pas, je suis sûr de lui, dit l’Indien ; il est loyal et franc, ce petit, et il comprend tout comme s’il était plus âgé !

— C’est vrai, reprit Brisot, c’est un brave enfant, et il t’aime bien, Grand-Castor !

— Amiscou est son ami pour toujours, dit sentencieusement l’Indien.

— As-tu refermé, dans ta cache, l’ouverture de la muraille ? demanda le chasseur.

— Complètement ! Tu pourrais chercher, frapper, sonder… tu ne te douterais pas qu’elle existe !

— Vraiment ?

— Hé, mais Amiscou pourrait au besoin s’y cacher et personne ne saurait où le chercher, continua le manchot…

— Ah bon ! Je comprends ! Tu es bien prudent et bien adroit, mon Grand-Castor !