La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 6

L’Édition d’art (p. 214-217).

VI


Le Maître quitta le parc de Jéta. Il s’arrêtait dans les villes et les villages, et il y enseignait la loi. Et nombreux étaient ceux qui venaient à la vraie foi.

Un jour, le Maître fut invité par un vieillard et sa femme à prendre un repas chez eux.

« Seigneur, dit le vieillard, voilà longtemps que nous désirions entendre ta parole. Nous sommes heureux, maintenant que nous connaissons les vérités saintes, et tu n’auras pas d’amis plus pieux que nous.

— Je ne m’en étonne point, répondit le Bouddha. Vous et moi, dans nos anciennes existences, fûmes de proches parents.

— Maître, dit la femme, nous sommes unis tous deux depuis la première jeunesse ; tu nous vois parvenus à la vieillesse extrême. La vie ne nous fut point mauvaise. Jamais la moindre querelle ne nous a divisés, nous nous aimons comme aux jours d’autrefois, le soir nous est aussi doux que le matin. Accorde-nous, Seigneur, de nous aimer dans notre prochaine existence comme nous nous sommes aimés dans celle-ci.

— Votre prière sera exaucée, dit le Maître ; les Dieux vous ont protégés ! »

Il continua sa route. Une vieille, au bord du chemin, tirait de l’eau d’un puits. Il s’approcha d’elle :

« J’ai soif, dit-il. Veux-tu me donner à boire ? »

La vieille le regarda longuement. Elle était tout émue. Elle se mit à pleurer, et elle voulait embrasser le Maître. Mais elle n’osait pas, et ses larmes coulaient, plus abondantes.

« Embrasse-moi, » dit-il.

La vieille se jeta dans ses bras, et elle murmurait :

« Je mourrai dans la joie ; j’ai vu le Bienheureux, et il m’a été donné de l’embrasser. »

Il passa. Il arriva dans une forêt profonde. Là, vivait, avec des gardiens, un troupeau de buffles. Un de ces buffles était très fort. Il était méchant. Il pouvait à peine supporter ses gardiens, et dès qu’il sentait l’approche d’un homme autre qu’eux, il se préparait à combattre. Quand il le voyait il l’attaquait, et il était rare que, de ses cornes, il ne le blessât pas cruellement ; souvent, il le tuait.

Les gardiens aperçurent le Bienheureux qui s’avançait tranquillement et ils lui crièrent :

« Prends garde, passant. Évite-nous. Il y a ici un buffle féroce. »

Mais il ne tint aucun compte de leur avertissement. Il allait droit où paissait le buffle.

Tout à coup le buffle dressa la tête ; il renifla bruyamment, puis, les cornes en bataille, il courut sur le Maître. Les gardiens tremblaient : « Nos voix étaient trop faibles, se disaient-ils ; on ne nous a pas entendus. » Et, soudain, ils virent la bête s’arrêter ; elle s’agenouillait devant le Maître et lui léchait les pieds. Elle avait des regards contrits.

Le Maître caressa le buffle ; il lui parla d’une voix douce :

« Dis-toi que rien n’est stable dans le monde ; il n’y a de calme qu’au nirvana. Ne pleure pas. Aie foi en moi, en ma bonté, en ma compassion, et ta condition changera. Tu ne renaîtras pas parmi les animaux, et, avec le temps, tu parviendras au ciel où habitent les Dieux. »

De ce jour-là, le buffle fut d’une extrême docilité. Et les gardiens, qui avaient dit au Maître leur admiration et qui lui avaient fait les aumônes qu’ils avaient pu, furent instruits dans la loi et devinrent pieux entre les pieux.