La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 12

L’Édition d’art (p. 237-242).



XII


Devadatta était impatient de succéder au Bouddha dans le gouvernement de la communauté, et, un jour, il dit au roi Ajâtaçatrou :

« Seigneur, le Bouddha te méprise et te hait ; fais-le périr, il y va de ta gloire. Envoie-lui des hommes qui le tuent ; je les guiderai. »

Ajâtaçatrou se laissa convaincre ; mais, au Bois des bambous, dès que les assassins virent le Maître, ils se jetèrent à ses genoux et l’adorèrent. La rage de Devadatta s’accrut. Il soudoya les gardes d’une écurie où l’on tenait enfermé un éléphant des plus féroces : on lâcherait la bête sur le passage du Maître, elle le percerait de ses défenses ou l’écraserait en le foulant aux pieds. Il fut ainsi fait, mais la seule vue du Maître apaisa l’éléphant, qui, de sa trompe, essuya la poussière des vêtements sacrés. Et le Maître dit en souriant :

« C’est la seconde fois que, grâce à Devadatta, un éléphant me rend hommage. »

Devadatta voulut alors agir par lui-même. Il vit le Maître qui méditait à l’ombre d’un arbre, et il eut l’audace méchante de lui jeter une pierre aiguë, qui le blessa au pied. Le sang coula. Et le Maître dit :

« Ta faute est grave, Devadatta, elle te vaudra un châtiment terrible. Tes efforts criminels sont vains, nul attentat n’ôtera la vie au Bienheureux. Le Bienheureux s’éteindra de lui-même, à l’heure qu’il choisira. »

Devadatta s’enfuit, résolu à ne plus suivre les règles de la communauté et à se chercher des partisans n’importe où.

Vimbasâra, cependant, souffrait de la faim, mais il ne mourait point. Une force mystérieuse le soutenait. Son fils prit le parti d’en finir avec lui par la violence, et il donna l’ordre de lui brûler la plante des pieds, de le taillader aux jambes et de verser sur les plaies de l’huile chaude et du sel. Le bourreau pleura, qui vint torturer le vieillard.

Le jour même où Ajâtaçatrou avait ordonné pour son père une mort si cruelle, un fils lui naquit.

À voir le nouveau-né, il sentit une grande joie ; sa pensée s’adoucit, et il voulut que des gardes courussent à la prison pour arrêter le supplice. Ils arrivèrent trop tard : le roi Vimbasâra était mort dans des douleurs affreuses.

Alors, le repentir entra dans l’esprit d’Ajâtaçatrou. Et un jour il entendit la reine Vaidehî qui disait au petit prince, en le berçant :

« Puisse ton père être aussi bon pour toi que pour lui fut le sien. Il lui arriva, dans sa première enfance, d’avoir un ulcère au doigt ; il souffrait, il gémissait ; il n’y avait point d’onguent qui le guérit ; Vimbasâra mit le doigt à ses lèvres, il suça le pus, et Ajâtaçatrou se reprit à rire et à jouer. Ah, petit enfant, aime bien ton père, et ne le punis pas par ta cruauté d’avoir été cruel envers Vimbasâra. »

Ajâtaçatrou pleura en entendant Vaidehî. Le remords l’accablait. La nuit, il croyait voir son père, les jambes sanglantes ; il l’entendait gémir, et il avait des larmes amères. Il eut une fièvre ardente, et l’on appela près de lui le médecin Jîvaka.

Je ne puis rien pour te guérir, dit Jîvaka. Ton corps n’est pas malade. Va trouver le Maître parfait, le Bienheureux, le Bouddha ; lui seul trouvera la parole consolatrice qui te rendra la santé. »

Ajâtaçatrou écouta le conseil de Jîvaka. Il alla trouver le Bienheureux, il lui avoua ses fautes et ses crimes, et il retrouva le calme.

« Ton père, lui dit le Bouddha, est allé renaître parmi les plus puissants des Dieux ; il voit ton repentir et tu es pardonné. Tu m’entendras, roi Ajâtaçatrou, tu connaîtras la loi, et tu ne souffriras plus. »

Ajâtaçatrou fit publier dans tout le royaume qu’il n’y supporterait point la présence de Devadatta : s’il demandait asile dans quelque maison, et qu’on le reconnût, on devrait le chasser sur-le-champ.

Il était alors près de Çrâvastî, où il espérait que le roi Prasénajit voudrait bien le recevoir ; mais il fut repoussé avec mépris, et reçut l’ordre de quitter le royaume. Il ne réussissait pas à trouver de partisans, et il prit enfin la route de Kapilavastou.

Il entra dans la ville comme le jour tombait. Les rues étaient obscures, presque désertes, et il ne rencontra personne qui le reconnût : comment, d’ailleurs, en le moine chétif et minable qui, d’un pas furtif, glissait le long des murs, eût-on deviné le superbe Devadatta ? Il alla droit au palais où, dans une pieuse solitude, vivait la princesse Gopâ.

Il put s’introduire auprès d’elle.

« Moine, dit Gopâ, que veux-tu de moi ? Serais-tu un messager de bonheur ? M’apporterais-tu les ordres d’un mari que je vénère ?

— Ton mari ! Il ne se soucie guère de toi ! Qu’il te souvienne de l’heure où, méchamment, il t’abandonna !

— Il m’a abandonnée pour le salut du monde.

— Lui garderais-tu ton amour ?

— Mon amour souillerait la sainteté de sa vie.

— N’aie donc pour lui que de la haine.

— Je n’ai pour lui que du respect.

— Femme, venge-toi de son dédain.

— Moine, tais-toi ! Tes paroles sont impures.

— Ne reconnais-tu pas Devadatta, qui t’aime ?

— Devadatta, Devadatta, je te savais faux et vil ; je pensais bien que tu ne ferais qu’un mauvais moine, mais je ne soupçonnais point toute ta bassesse.

— Gopâ, Gopâ, je t’aime ! Ton mari t’a méprisée. Il fut cruel. Venge-toi de sa cruauté. Aime-moi ! »

Gopâ rougit, et, de ses doux yeux, tombaient des larmes de honte.

« C’est toi qui me méprises ! Ton amour, fût-il sincère, me serait une insulte : mais tu mens, quand tu dis que tu m’aimes. Tu me regardais à peine, au temps où j’étais jeune, au temps où j’étais belle ! Et maintenant que tu me vois vieillie, brisée par les devoirs austères, tu me cries ton amour, ton amour coupable ! Tu es le plus lâche des hommes, Devadatta ! Va-t’en ! Va-t’en ! »

Furibond, il se ruait sur elle. Pour se protéger, elle étendit la main, et il roula à terre ; il vomissait des flots de sang.

Il s’échappa. Les Çâkyas apprirent qu’il était dans Kapilavastou ; ils l’obligèrent à quitter la ville et des gardes furent chargés de le conduire aux pieds du Bouddha qui ordonnerait de son sort. Il feignit le repentir, mais il s’oignit les ongles d’un poison subtil, et, tandis qu’il était prosterné devant le Maître, il essayait de le griffer à la cheville. Le Maître le repoussa de l’orteil ; la terre s’ouvrit, et des flammes violentes en sortirent, où fut englouti l’infâme Devadatta.