La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 4

L’Édition d’art (p. 18-20).



IV


Or, par la vertu de son austérité, Asita, le grand ascète, connut la naissance de celui qui plus tard sauverait les créatures de la douleur de renaître. Et, comme il avait soif de la bonne loi, il arriva dans la demeure du roi Çouddhodana. Il alla, d’un pas ferme, tout près de l’appartement des femmes. Il avait l’autorité grave de la science et celle de la vieillesse.

Le roi l’honora selon les règles, et il lui parla comme il convenait :

« Heureux que je suis ! Vraiment, cet enfant, ma race, jouira de grandes faveurs, puisque le vénérable Asita est venu ici, dans le désir de me voir. Ordonne. Que dois-je faire ? Je suis ton disciple et ton serviteur. »

Et l’ascète, les yeux pleins de joyeuse lumière, parla d’une voix profonde :

« Cela est arrivé chez toi, roi magnanime, roi libéral, roi hospitalier, parce que tu aimes le devoir et que ta pensée est affectueuse pour ceux qui sont sages et qui sont vieux. Cela est arrivé chez toi parce que, plus qu’en terre, plus qu’en or, tes ancêtres ont été riches en vertu. Que ma venue te réjouisse, ô roi, et saches-en la raison. Dans l’air, j’ai entendu une voix divine qui disait : « Un fils est né au roi des Çâkyas, un fils qui aura la vraie science. » J’ai entendu la parole, et je suis venu, et je verrai maintenant la lumière des Çâkyas. »

Le roi, chancelant de joie, alla chercher l’enfant. Il le prit au sein de la nourrice, et il le fit voir au vieillard Asita.

L’ascète s’aperçu que le fils du roi avait les marques de la toute-puissance. Il le considéra longuement, et il eut des larmes dans les cils. Il soupir, et il leva les yeux vers le ciel.

Le roi vit qu’Asita pleurait, et il se mit à trembler pour son fils ; Il interrogea le vieillard.

« Tu dis, ô vieillard, que, par le corps de mon fils diffère à peine d’un Dieu. Tu dis que sa naissance est merveilleuse, tu proclames qu’il aura, dans l’avenir, une gloire suprême : et pourtant tu le regardes avec des yeux pleins de larmes. Sa vie serait-elle fragile ? Serait-il né pour mon chagrin ? Ce rameau de ma race doit-il se dessécher avant que les fleurs s’y soient épanouis ? Parle, ô saint vieillard, parle vite : tu sais quelle affection les pères ont pour leurs fils.

— Ne t’afflige pas, ô roi, répondit le vieillard. Ce que j’ai dit n’est point douteux : cet enfant aura la vraie gloire. Si je pleure, c’est sur moi. Voici venir pour moi le temps de m’en aller, et celui-ci est né, qui saura détruire le mal de renaître. Il abandonnera la puissance royale, il vaincra les sens, il comprendra le vrai, et, soleil de science, il brillera dans le monde et anéantira les ténèbres de l’égarement. De la mer du mal, de l’écume des maladies, de la houle de la vieillesse, des flots farouches de la mort, il sauvera le monde qui souffre, et il l’emportera dans la grande barque de la science. Le fleuve rapide, admirable, bienfaisant, le fleuve du devoir, il en connaîtra la source, il en dévoilera le cours, et les vivants, que torture la soif, en viendront boire les eaux. À ceux que la douleur tourmente, à ceux que les sens ont domptés, à ceux qui errent dans la forêt des existences, comme à des voyageurs qui ont perdu la route, il enseignera le chemin du salut. Pour ceux que brûle le feu des passions il sera le nuage qui donne la pluie fraîche ; il marchera vers la prison des désirs, où gémissent les créatures, et il en brisera la porte ténébreuse avec le bélier de la bonne loi. Lui, qui aura toute l’intelligence, saura délivrer le monde. Donc, n’aie aucun chagrin, ô roi. Celui-là seul est à plaindre qui n’entendra pas la voix de ton fils ; et voilà pourquoi je pleure, moi qui, malgré mes austérités, malgré mes méditations, ne connaîtrai pas sa parole et sa loi. Ah, qu’il est misérable, celui-là même qui s’en va dans les plus hauts jardins du ciel ! »