La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 15

L’Édition d’art (p. 68-71).



XV


Siddhârtha était entré dans l’ermitage où le pieux Arâta-Kâlâma enseignait le renoncement à des disciples nombreux. Tous, en le voyant, l’avaient admiré ; partout où il passait, brillait une lumière merveilleuse ; dès qu’il parlait, on l’écoutait avec joie ; sa voix était douce et forte, et il savait convaincre. Un jour Arâta-Kaléma lui dit :

« Tu connais la loi aussi bien que je la connais ; tout ce que je sais, tu le sais ; désormais, si tu veux, nous aurons tous les deux la même tâche ; nous nous partagerons l’enseignement des disciples. »

Le héros se demanda : « La loi qu’enseigne Arâta est-elle la bonne loi ? En la suivant, parvient-on à la délivrance ? »

Il réfléchit : « Arâta et ses disciples vivent dans les plus grandes austérités. Ils refusent la nourriture qu’on prépare dans les maisons ; ils ne mangent que des feuilles, des fruits et des racines ; ils ne boivent que de l’eau ; ils sont plus sobres que les oiseaux, qui picorent des grains, que les gazelles, qui broutent de l’herbe, que les serpents, qui aspirent les brises de l’air. Ils dorment sous les branches ; ils se brûlent aux rayons du soleil ; ils s’exposent aux vents âpres ; ils déchirent aux pierres des chemins leurs pieds et leurs genoux. Pour eux, c’est par la douleur qu’on acquiert la vertu. Et ils se croient heureux, car ils songent que des austérités parfaites leur vaudront de monter au ciel ! Ils monteront au ciel ! Cependant la race humaine continuera à souffrir la vieillesse et la mort ! Qui se voue aux austérités et ne se soucie point du mal constant de la naissance et de la mort ne fait qu’à la douleur ajouter la douleur. Les hommes tremblent devant la mort, et pourtant ils s’emploient de tout leur courage à renaître ; ils s’enfoncent, toujours plus profondément, dans le gouffre où ils ont peur. Si pieuse est la mortification, la jouissance sera impie ; mais à la mortification dans ce monde succède la jouissance dans l’autre : ainsi, la piété a pour récompense l’impiété. Si, pour se sanctifier, il suffit d’être sobre, les gazelles seront saintes ; saints aussi seront les hommes déchus de leur caste, car leur mauvais destin les entraîne loin des plaisirs. Mais, dira-t-on, c’est l’intention de souffrir qui crée la vertu religieuse. L’intention ! On peut mettre son intention à jouir aussi bien qu’à souffrir, et, si l’intention de jouir ne vaut pas, pourquoi l’intention de souffrir vaudrait-elle ? »

Il réfléchissait ainsi dans l’ermitage d’Arata-Kélama. Il comprit la vanité de la doctrine qu’enseignait le maître, et il lui dit :

« Je n’enseignerai pas ta doctrine, Arâta. Celui qui la connaît n’arrive pas à la délivrance. Je sortirai de ton ermitage, et je chercherai à quelle règle il faut se soumettre pour que soit détruite la douleur. »

Et le héros s’en alla vers le pays de Magadha, et là, seul, dans la méditation, il demeura sur le penchant d’une montagne, près de la ville de Râjagriha.