J.-A. Lelong (p. 94-125).
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ACTE IV.

CHEZ Mme DE ROUVRE.
Un salon riche éclairé par un lustre et quelques candélabres. — Porte au fond donnant sur un autre salon éclairé par des girandoles. — Deux portes à droite. — À gauche, une porte au premier plan, une fenêtre au second. — Deux canapés à droite et à gauche. — À côté de celui de gauche, un guéridon sur lequel il y a une sonnette. — Fauteuils. — Deux consoles chargées de vases, etc. — Sur celle de droite est un riche album. — Au lever du rideau, on entend la musique du bal.

Scène première.

COLLINE, SCHAUNARD.
Ils entrent chacun d’un côté
Schaunard, entrant par le fond.

Tiens ! Colline dans le monde !

Colline, entrant par le deuxième plan à droite.

Tiens ! Schaunard déguisé en homme bien mis !

Schaunard.

Mme de Rouvre m’a prié de tenir le piano, et par amitié pour Rodolphe… Mais, du reste, c’est la dernière fois ; ça m’ennuie d’aller dans le monde… ça entraîne dans des dépenses !… Je suis venu en omnibus.

Colline.

Tu as fait un tour dans les salons… que dis-tu de cette fête ?…

Schaunard.

Ça manque de punch… Comment es-tu venu ici ?

Colline.

Je suis venu par les quais…

Il tire un livre de sa poche.
Schaunard.

As-tu vu Rodolphe ?

Colline.

Où cela ?

Schaunard.

Ici… il doit y venir… Il est en retard… mais je comprends… ils se sont oubliés… Rodolphe est allé dîner avec Marcel au café Anglais.

Colline.

Allons donc !

Schaunard.

C’est l’oncle qui est l’amphitryon.

Colline.

M. Durandin !… je marche sur la corde raide de la surprise.

Schaunard.

Mais tu ne sais donc rien ?… Rodolphe est maintenant au mieux avec son oncle, et une feuille ordinairement bien informée annonce son mariage avec Mme de Rouvre comme très-prochain.

Colline.

Te railles-tu de la philosophie ?

Schaunard, le prenant sous le bras et se promenant avec lui.

Pas le moindrement… Voici l’anecdote… elle est triste comme tout… Le divorce a été mis à exécution ; Musette s’est sauvée par le trou de la serrure, et Rodolphe a quitté Mimi… J’ai été chargé d’apprendre la nouvelle à la petite… et comme elle est toujours souffrante, elle s’est trouvée mal… ça m’a attendri… je l’ai plantée là.

Colline.

Mais c’est donc une débâcle d’amour ?

Schaunard.

Musette est fiancée à un lord de première classe… je l’ai rencontrée l’autre jour aux Champs-Élysées, dans un équipage superbe, à côté de son Anglais. C’est un homme bien élevé… il m’a invité à dîner… ils sont proprement logés.

Colline.

Et Rodolphe ?

Schaunard.

Son oncle jette l’argent à plusieurs mains pour le distraire… Rodolphe partage tout avec Marcel, et depuis deux jours ce sont des lions superbes ; ils ressemblent à des gravures de modes, ils font comme moi, ils cherchent à griser leur amour… Oh ! Phémie !…

Baptiste en grande livrée et portant un plateau, entre par le fond.


Scène II.

les mêmes, BAPTISTE.
Schaunard, à Baptiste.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Baptiste.

Des glaces, monsieur.

Schaunard.

Et le punch ?

Baptiste.

Je n’en ai plus, monsieur… ces dames ont tout pris.

Schaunard.

Tiens, c’est Baptiste.

Baptiste.

Hélas ! oui, monsieur…

Colline lui donne une poignée de main.
Schaunard.

Baptiste avec une livrée ! ah ! fi !

Baptiste.

Monsieur, j’ai eu de l’ambition, j’en suis bien puni… La vie est insupportable ici… Tout est convenu et arrangé d’avance : on déjeune tous les matins et on dîne tous les soirs… je ne pourrai jamais m’habituer à ce régime-là.

Schaunard.

Reviens avec nous alors… ça te changera.

Baptiste.

J’y rêve, monsieur ; mais je voudrais y rentrer avec des titres à votre estime ! car j’ai eu des torts, monsieur… vous les connaîtrez tôt ou tard.

Schaunard.

Je te les pardonne à une simple condition… va me chercher du punch.

Baptiste.

On va en composer, monsieur ; mais, en attendant, si vous vouliez une glace ? C’est aussi échauffant, je l’ai lu dans l’école de Salerne… (Il remonte.)

Colline, au fond.

Qu’est-ce qui arrive là ? Eh ! c’est Rodolphe et Marcel.

Schaunard, à part.

Je ne veux pas qu’ils me reconnaissent… je vais mettre des gants… (Il en met un.)


Scène III.

les mêmes, MARCEL, RODOLPHE, très-élégans, le lorgnon à l’œil, ils entrent par le fond. Après leur entrée, Baptiste sort.
Marcel.

Entrons-nous ?

Rodolphe.

Tout-à-l’heure ; je craindrais de n’être point assez gentilhomme vieux Sèvres.

Marcel.

Colline !

Rodolphe.

Schaunard !…

Il leur donne une poignée de main.
Schaunard, à part.

Je suis reconnu… je puis ôter mon masque…

Il ôte son gant.
Colline, les contemplant.

Le portrait n’était pas flatté… cette toilette est très-habitable.

Marcel.

Oui ; nous avons fait quelques réparations locatives.

Rodolphe, remettant son lorgnon dans l’œil.

Nous nous sommes fait poser des carreaux.

Colline.

Le bruit court à la Bourse que vous avez dîné au café Anglais ; on croit à un cataclysme, et l’on se dépêche de vendre.

Marcel.

Allons, M. Durandin fait convenablement les choses.

Rodolphe.

Ma foi, oui ; on est très-bien dans cette taverne ; on peut dîner pour quinze francs.

Schaunard.

Combien de fois ?

Marcel.

Une seule… sans le vin.

Schaunard.

Sans le vin ?

Rodolphe.

Nous y retournerons, n’est-ce pas, Marcel ?

Marcel.

Nos moyens nous le permettent…

Il frappe sur son gousset.
Schaunard.

Si nous y retournions tout de suite ?

Rodolphe.

Nous y souperons, si vous voulez, en sortant d’ici.

Colline.

Nous souperons donc deux fois ?

Schaunard.

Je n’y vois pas d’inconvénient… D’ailleurs, ce sera un déjeuner, car il va être tout-à-l’heure demain matin.

Rodolphe.

Eh bien ! c’est convenu.

Schaunard.

Ce n’est pas une plaisanterie ?… tu as des valeurs officielles et ayant cours ?…

Marcel.

Il est cousu d’or.

Schaunard.

Il faudra le découdre… Je demande à voir comment c’est fait… (Il prend quelques pièces d’or dans le gilet de Rodolphe.) Que c’est donc joli, ces médailles !… Dire qu’il y a un pays où c’est des cailloux !… J’ai eu un parent qui en avait beaucoup ramassé ; mais il a été enterré dans le ventre des sauvages… Ça a fait bien du tort à la famille… (À Rodolphe, en remontant.) Je te devrai ça… J’ai rencontré un Russe dans un des salons de jeu… Je vais venger la Pologne !…

Il salue M. Durandin, qu’il rencontre en sortant par le fond.

Scène IV.

RODOLPHE, COLLINE, DURANDIN, un Domestique.
Durandin, entrant par le fond avec un domestique.

Vous disposerez tout ici…

Le domestique sort par la gauche.
Marcel.

Eh ! c’est ce bon M. Durandin !

Durandin, descendant.

Messieurs…

Marcel.

M. Durandin, permettez-moi de vous présenter M. Colline, un de nos amis…

Colline passe près de Durandin.
Durandin, à Colline.

Touchez là, monsieur, je vous prie… (Colline, interdit, cherche quelques paroles, et n’en trouvant pas, se contente de saluer gauchement. À Rodolphe.) Mme de Rouvre va se rendre dans ce salon avec quelques intimes… Nous allons prendre le thé ici, en petit comité… Si tu le veux, tu vas faire mourir de jalousie tous ses adorateurs… Mme de Rouvre ne demande pas mieux.

Rodolphe.

Moi, je ne désire la mort de personne, mon oncle.

Durandin.

Ah ! dis-moi : connais-tu la valse ?…

Rodolphe.

Oui… de réputation.

Marcel, passant à Durandin.

La valse est le pas de charge de l’amour…

Il remonte.
Colline.

Quelle heureuse définition !

Durandin, à Rodolphe.

Tu inviteras Mme de Rouvre… elle l’adore.

Rodolphe.

C’est convenu.

Marcel, bas à Rodolphe.

Mais tu n’as jamais valsé !

Rodolphe.

Ça ne fait rien… j’inventerai un pas, et je l’appellerai le pas des regrets.

Durandin.

Ah ! ça, est-ce que tu penserais encore à…

Rodolphe.

À Mimi ?… ah ! par exemple ! je ne me souviens même pas de son nom.

Durandin.

À la bonne heure !… On se dirige de ce côté… sois aimable.

Rodolphe.

Je tâcherai, mon oncle… (Durandin remonte avec Colline. Rodolphe et Marcel regardent en dehors, à droite, deuxième plan. — À Marcel.) Ah ! vois donc cette jeune femme qui a des roses dans les cheveux…

Marcel.

Justement c’est celle que je regardais.

Rodolphe.

Ne trouves-tu pas qu’elle ressemble à Mimi ?

Marcel.

Non… je trouve qu’elle ressemble à Musette.


Scène V.

les mêmes, Mme DE ROUVRE, donnant le bras à UN MONSIEUR ; quelques Invités, Domestique servant le thé, puis SCHAUNARD.
Musique à l’orchestre ; entrée par le fond, les domestiques par la gauche.
Le monsieur, en entrant, à Mme de Rouvre.

Madame, la musique m’a toujours paru quelque chose de fabuleux… j’aurais beaucoup aimé être musicien…

Rodolphe s’est approché de Mme de Rouvre ; il la salue.

Mme de Rouvre, à Rodolphe.

Vous venez bien tard, monsieur.

Rodolphe.

Madame !…

Mme de Rouvre s’est assise sur le canapé de gauche avec une dame près du guéridon. Rodolphe est près d’elle et lui parle bas. — Durandin, Colline et Marcel se sont mêlés au groupe des Invités. — On sert le thé.
Mme de Rouvre, à Rodolphe.

Si j’ai réuni quelques privilégiés ici, c’est pour vous entendre.

Rodolphe.

Comment, madame ?

Mme de Rouvre.

C’est un piège, monsieur… Le poète m’a fait hier une promesse, et je me propose de la lui rappeler.

Rodolphe.

Je ne comprends pas, madame.

Mme de Rouvre.

Vous êtes bien oublieux, monsieur…

Ils continuent bas.
Le monsieur, qui causait avec Colline.

Comment, monsieur, vous savez le chinois !… c’est fabuleux… J’aurais beaucoup aimé savoir le chinois…

Colline.

Je vous l’apprendrai.

Durandin, apportant du thé à Mme de Rouvre.

Madame, voulez-vous me permettre ?…

Mme de Rouvre, prenant la tasse.

M. Durandin, n’est-ce pas que votre neveu me doit quelque chose ?

Durandin.

Comment donc, madame… mais il vous doit beaucoup… et si vous le voulez, il vous devra bien davantage.

Mme de Rouvre, à Durandin.

J’accepte le madrigal… (À Rodolphe.) Mais je ne vous tiens pas quitte du sonnet.

Durandin.

Ah ! oui… un sonnet… je me souviens…

Mme de Rouvre fait un signe à Baptiste, qui lui apporte un album.
Mme de Rouvre.

Voyons, monsieur… cela nous fait tant de plaisir, et vous coûte si peu !

Rodolphe, se défendant.

Madame… de grâce…

Durandin.

Nous ne t’écoutons pas.

Une dame.

Nous écoutons, au contraire.

Mme de Rouvre.

Vous ne pouvez plus reculer…

Les domestiques ont préparé le guéridon avec deux fauteuils.
Marcel, à Rodolphe, en riant.

Allons, M. le poète !

Rodolphe, bas.

Comment ! tu te mêles aussi à mes ennemis ?

Marcel.

Certainement… il ne faut pas laisser refroidir l’enthousiasme.

Rodolphe, bas.

Ah ! c’est comme ça !… eh bien ! attends… (À Mme de Rouvre.) Madame, vos désirs sont des ordres pour nous… et voilà M. Marcel, un de nos premiers crayons, qui réclame avec empressement une feuille de votre album.

Marcel, le poussant, bas.

Qu’est-ce que tu dis donc ?

Mme de Rouvre.

Ah ! monsieur… je n’osais pas vous le demander…

Schaunard est entré tout doucement et vient s’asseoir sur le canapé de droite, où il prend du thé.
Marcel.

Madame…

Durandin.

Bravo ! bravo !…

Marcel, bas à Rodolphe.

Que le diable t’emporte !

Le Monsieur

Vous me ferez mon profil…

Marcel.

Vous ne savez pas dessiner ?

Le Monsieur.

Non… mais je l’aurais bien aimé.

Marcel.

J’en étais sûr… (Il lui tourne le dos.)

Durandin.

Baptiste ! des plumes, de l’encre…

Rodolphe, riant.

Et des crayons !…

Baptiste remonte et va prendre ce qu’on demande sur la console de droite.
Mme de Rouvre, à Marcel et à Rodolphe.

Pardonnez-nous, messieurs… mais, vous le savez, c’est la mode à Paris.

Rodolphe.

Oui, c’est vrai… Au Bengale, on trouve des tigres… dans l’Atlas, des lions… dans les marais du Nil, des caïmans… et au milieu de Paris, couché sur la molle ottomane des boudoirs tendus de rose, il existe quelque chose de plus redoutable que les monstres du désert et de l’onde…

Mme de Rouvre, riant et lui donnant l’album.

C’est l’album.

Baptiste, apportant les plumes, qu’il pose sur le guéridon.
— Bas à Rodolphe.

Voilà les instrumens de torture.

Tous.

Écoutons…

On se presse pour entendre Rodolphe, qui s’assied d’un côté du guéridon.
Marcel, s’asseyant de l’autre côté, à part.

Je suis fâché d’être venu… (Durandin a donné une plume à Rodolphe ; il offre un crayon à Marcel.) Bien obligé…

Schaunard, à part, se levant.

Oh ! le supplice de l’album va commencer… je vais fumer une pipe dans la cour…

Il remonte et s’esquive par la porte de gauche.
Marcel, à part.

Ah !… elle veut un dessin… je tiens mon sujet…

Il dessine sur une feuille tandis que Rodolphe écrit sur l’autre. Musique à l’orchestre.
Rodolphe, écrivant.

Voulant mettre une étoile à son bandeau, la reine

Fait venir un plongeur et lui dit : Vous irez
Dans le palais humide où chante la sirène,
Cueillir la perle blonde et me l’apporterez.

Le plongeur, descendu sous le flot qui l’entraîne
Parmi le sable d’or et les coraux pourprés,
Cueille la perle blonde, et pour sa souveraine,
La rapporte captive en des étuis nacrés.

Durandin, bas à Marcel dont il regardait le dessin.

Que faites-vous donc, monsieur ?

Marcel.

Ah ! vous m’avez poussé !…

Il continue à dessiner.
Rodolphe, continuant à écrire.

Le poète ressemble à ce plongeur, madame,
Et si votre caprice en souriant réclame
Un vers qui doit partout dire votre beauté…
Esclave obéissant, au fond de sa pensée,
Écrin où dans l’amour la rime est enchâssée,
Il plonge et va chercher le joyau souhaité.

Tous.

Bravo !… bravo !

Le Monsieur.

Ça rime très-bien d’un bout à l’autre… c’est fabuleux !…

Mme de Rouvre, se levant et serrant la main de Rodolphe. Bas.

Merci, mon poète !… (Rodolphe se lève.)

Marcel, se levant.

Voilà qui est fini !… (Tout le monde s’est levé.)

Mme de Rouvre.

Voyons votre dessin, M. Marcel ?…

Marcel donne l’album à Mme de Rouvre, et se lève.
Durandin, bas à Marcel.

Êtes-vous fou, monsieur ?

Marcel.

Pourquoi ça ?

Mme de Rouvre.

C’est fort joli !… Quel est ce portrait ?

Marcel.

Un souvenir.

La Dame.

Ah !… voyons !…

Elle vient près de Mme de Rouvre, et regarde. Rodolphe s’est approché aussi, et il fait un mouvement de surprise.
Mme de Rouvre, à Rodolphe.

Qu’avez-vous donc ?

Rodolphe.

Rien, madame… (Il s’éloigne d’un pas. Bas à Marcel.) Le portrait de Mimi.

Marcel, bas.

Sur l’album de Mme de Rouvre… c’est drôle, n’est-ce pas ?

Mme de Rouvre, qui a regardé Rodolphe avec défiance, à part.

Il s’est troublé !… (bas à Durandin.) C’est le portrait de cette fille, n’est-ce pas ?…

Durandin, embarrassé.

Mais… pardonnez-moi…

Mme de Rouvre, bas.

J’en suis sûre…

Elle regarde le dessin en rêvant. — Valse à l’orchestre. Durandin remonte près des autres.
Le Monsieur, à Marcel, qui s’est assis sur le canapé de droite.

Comment appelez-vous cette chose que ce monsieur vient de réciter ?

Marcel.

C’est un sonnet.

Le Monsieur.

Ah !… c’est un sonnet… il est fort joli ! mais il n’est pas assez long.

Marcel, étonné.

C’est un sonnet…

Le Monsieur.

J’entends… mais je dis : Il n’est pas tout-à-fait assez long.

Mme de Rouvre, à part.

Oh ! je saurai s’il l’aime encore !

Rodolphe, qui s’est approché.

Madame, vous paraissez souffrir.

Mme de Rouvre, émue.

Oui… la chaleur…

Rodolphe lui offre son bras et la conduit à la fenêtre, qu’il ouvre.
Le Monsieur, à Marcel.

Ah ! monsieur, j’aurais beaucoup aimé faire de la poésie.

Il fait une pirouette et remonte.
Marcel.

Ouf !…

Mme de Rouvre, qui regarde au dehors.

Ah !… (À Rodolphe.) Veuillez me préparer encore un peu de thé… (Rodolphe s’éloigne un peu d’elle et va à la console de gauche. — À part.) Je ne me trompe pas… c’est elle avec M. Schaunard.

Rodolphe, à Mme de Rouvre, tout en préparant une tasse de thé.

Vous trouvez-vous mieux, madame ?

Mme de Rouvre, très troublée.

Oui… oui, monsieur… beaucoup mieux… (Se penchant davantage en dehors de la croisée. — À part.) Ils parlent à une femme de chambre… Celle-ci leur indique l’escalier de service… Ils viennent !… Cette fille chez moi… Ah ! c’est trop d’audace !… elle la payera cher !… (Rodolphe s’approche d’elle, elle s’éloigne vivement de la fenêtre.) Merci, monsieur, c’est inutile… Mais la valse commence… et vous m’avez engagée… je crois… (Elle passe à droite.)

Rodolphe.

Je suis à vos ordres, madame…

Il remet la tasse sur la console.
Mme de Rouvre, allant rapidement à Durandin, bas.

Emmenez tout le monde.

Durandin.

Oui, madame… (À part.) Je ne comprends pas…

Il remonte.
Marcel, se levant, à Rodolphe qui est venu près de lui.

Je vais à la bouillotte… Tu me relèveras dans un quart d’heure… (Il sort par le fond.)

Durandin, au fond.

Allons, messieurs, le salon vous réclame… l’orchestre commande, il faut obéir !…

Durandin offre son bras à une dame et sort le premier. Tout le monde le suit. Rodolphe et Mme de Rouvre sortent les derniers.
Mme de Rouvre, en sortant et en regardant la porte à gauche, par où doit entrer Mimi, à part.

Mlle Mimi… à tout-à-l’heure !


Scène VI.

BAPTISTE, rangeant la table au fond ; SCHAUNARD, puis MIMI.
Schaunard, entrant le premier par la gauche, et parlant à la cantonade.

Il n’y a personne… entrez !… (Mimi paraît.) Quel enfantillage ! Rester dans la cour de l’hôtel par un froid pareil !

Baptiste, avec surprise, à part.

Mlle Mimi ici !… ma victime !…

Schaunard, à Mimi.

Asseyez-vous… (Il va regarder au fond.)

Mimi, s’asseyant sur le canapé de droite.

Mais si on venait ?…

Baptiste.

Il n’y a pas de danger.

Mimi, vivement.

Où est Rodolphe ?

Baptiste.

Où ?… il valse avec Mme de… (Schaunard le pousse. Se reprenant.) Non… il ne valse pas avec Mme de Rouvre… Comme vous avez froid !… Voulez-vous que j’aille vous chercher un bouillon ?

Mimi.

Mon bon Baptiste !

Baptiste, à part, et gagnant la gauche.

Elle m’appelle son bon Baptiste… c’est affreux !… (Haut. — Ouvrant la porte de gauche.) Je reviens tout de suite… (Il sort vivement.)


Scène VII.

MIMI, SCHAUNARD.
Schaunard.

Vous sentez-vous mieux ?

Mimi.

Pas trop…

Schaunard.

Oh ! ça ne sera rien… ça ne sera… (À part.) Je ne sais pas consoler les femmes… (Haut.) Voyons, Mimi, ne pleurez pas comme ça.

Mimi.

Ça me fait du bien… Il ne m’aime plus, n’est-ce pas ? Vous m’avez dit de sa part qu’il avait la preuve que je le trompais… que j’avais assez de la vie avec lui ?… Qu’est-ce qui lui a fait croire ça, hein ?

Schaunard.

Dame ! vous ne vouliez pas porter de chapeau de paille en hiver.

Mimi, se levant et passant à gauche.

Oh ! oui, je sais… des bêtises… mais tout ça c’était des prétextes. Oh ! si je pouvais lui parler… Mais non, en quittant toutes ces belles dames il me trouverait laide… Est-ce que j’ai les yeux rouges ?

Schaunard.

Mais, dame !… pas mal comme ça.

Mimi.

J’ai tant pleuré !… je l’ai attendu deux jours et deux nuits… Enfin, aujourd’hui j’ai appris qu’il allait au bal chez Mme de Rouvre… je n’y ai pas tenu… il a fallu que je vienne… si je ne le vois pas, vous le verrez, vous, dites-lui bien que je n’ai rien fait… qu’il ne me reprenne pas, s’il ne veut pas ; mais qu’il ne croie pas que je l’ai trompé !… Je sais bien qu’il ne peut pas rester avec moi toujours… on me l’a dit… j’ai compris ça… Je voulais bien le quitter pour son bonheur… mais qu’il me croie coupable !… oh ! je ne le veux pas !

Schaunard.

Vous lui direz tout ça vous-même ; je vais le chercher.

Mimi, l’arrêtant.

Non, non… décidément, je n’ose pas… si on le voyait avec moi, ça le contrarierait peut-être, et il ne m’aimerait plus du tout !… Ne lui dites pas que je suis là… je suis superstitieuse, vous savez… eh bien ! si le hasard l’amène, je croirai que le bon Dieu veut nous raccommoder… Ne lui dites rien.

Schaunard.

Dame ! si ça vous va mieux… mais si on vous voit ?…

Mimi.

On me verra.

Schaunard.

Alors, je vous quitte… Il y a longtemps que je n’ai paru au buffet ; je crains que mon absence soit remarquée. Adieu, Mimi… ça s’arrangera, allez !

Mimi.

Vous croyez ?…

Schaunard, à part.

Je suis bête avec les femmes !…

Il se dirige vers la deuxième porte de droite.
Mimi.

Et Phémie ?…

Schaunard, près de sortir.

Phémie !… elle est dans la cavalerie… (Il sort.)


Scène VIII.

BAPTISTE, MIMI.
Baptiste, rentrant par la gauche avec une assiette qu’il pose sur le guéridon.

Il n’y a plus de consommé… mais voici une charlotte… Ah ! Mlle Mimi… consolez-vous, allez… bientôt vous serez heureuse…

Mimi.

Comment ?

Baptiste.

Laissez-moi faire… d’abord, je vais apprendre à M. Rodolphe que vous êtes ici… (Mouvement de Mimi.) Ne craignez rien… je n’ai qu’un mot à lui dire pour qu’il tombe à vos pieds.

Mimi.

Est-il possible ?

Baptiste.

J’en suis sûr.

Mimi.

Oh ! que je suis heureuse !… mon cœur bat à m’étouffer.

Baptiste.

Calmez-vous… voulez-vous un verre d’eau ?

Mimi.

Oui, pour mes yeux… Est-ce qu’on voit encore que j’ai pleuré ?

Baptiste.

Mais, oui… Tenez, là, vous trouverez tout ce qu’il faut.

Il va ouvrir la première porte à droite.
Mimi.

Y a-t-il un miroir ?

Baptiste.

Il y en a deux… Allez… pendant ce temps-là je chercherai M. Rodolphe et je vous l’amènerai.

Mimi.

C’est ça… hâtez-vous…

Elle entre dans le cabinet à droite.

Scène IX.

BAPTISTE, puis MIMI, ensuite Mme DE ROUVRE et RODOLPHE.
Baptiste, seul.

Le moment est venu d’exécuter mon projet… c’est Calas et M. de Voltaire qui me l’ont suggéré… Je veux réhabiliter cette enfant… (Il va pour sortir par le fond. — Regardant au dehors.) Ah ! mon Dieu ! quel contretemps ! M. Rodolphe et Mme de Rouvre qui se dirigent de ce côté… (Courant à la première porte de droite et frappant.) Mademoiselle !… mademoiselle !…

Mimi, ouvrant la porte et entrant.

Quoi donc !

Baptiste, très-troublé et regardant toujours vers le fond.

J’ai réfléchi. Vous ferez mieux d’attendre M. Rodolphe en bas… c’est bien plus ingénieux.

Mimi.

Vous me cachez quelque chose… (Elle remonte malgré Baptiste.) Ah ! je comprends !… Mme de Rouvre et Rodolphe.

Baptiste.

Ils vont venir dans ce salon.

Mimi.

C’est bien… (Elle rouvre la porte de droite.)

Baptiste.

Mais…

Mimi, avec calme.

Je veux rester… (Elle rentre.)

Baptiste, à part.

Mais, mon Dieu !… elle va entendre…

Mme de Rouvre entre par le fond, au bras de Rodolphe ; Baptiste referme la porte à droite.
Mme de Rouvre, à part.

Elle est là !…

Baptiste, à part.
Il faut que je prévienne M. Rodolphe… Comment faire ?… (Il cherche à s’approcher de Rodolphe.)
Mme de Rouvre, le devinant.

Laissez-nous.

Baptiste, même jeu.

Pardon, madame… c’est que…

Il passe à gauche.
Mme de Rouvre, impérativement.

Sortez donc !…

Baptiste, à part.

Qu’est-ce que ça va devenir ?…

Il sort par la gauche et emporte l’assiette qu’il avait apportée.

Scène X.

Mme DE ROUVRE, RODOLPHE.
Mme de Rouvre, à Rodolphe, en le conduisant vers le guéridon où se trouve l’album.

M. Rodolphe, vous allez savoir pourquoi je vous ai amené dans ce salon… (Lui montrant le dessin de Marcel.) Quelle est cette femme ?

Rodolphe, souriant.

Vous le savez aussi bien que moi, madame, puisque vous me le demandez.

Mme de Rouvre.

Ceci est subtil, mais c’est vrai… Soyez donc franc jusqu’au bout… Dites-moi… est-ce que c’est arrivé votre histoire avec cette petite… comment donc ?… Mimi, je crois ?…

Rodolphe.

Mimi… Oui, madame.

Mme de Rouvre.

C’est historique ?

Rodolphe.

Comme Charlemagne.

Mme de Rouvre.

Vous l’aimiez ?

Rodolphe.

Madame…

Mme de Rouvre.

L’aimiez-vous ?

Rodolphe.

On le disait.

Mme de Rouvre, après un moment de dépit.

Elle est jolie ?

Rodolphe, embarrassé.

Très-jolie !… Mais désirez-vous vous asseoir, madame ?

Il veut la conduire sur le canapé de gauche.
Mme de Rouvre, vivement.

Merci !… Elle a des yeux bleus ?

Rodolphe.

Non, madame, noirs.

Mme de Rouvre.

Bien grands ?

Rodolphe.

Des yeux tout autour de la tête !

Mme de Rouvre.

Vous m’impatientez !

Rodolphe, lui prenant les mains qu’il admire.

C’est toujours Pradier qui vous fournit vos mains, madame ?

Mme de Rouvre.

Vous les trouvez jolies ?… Plus jolies que celles de Mlle Mimi ?

Rodolphe.

Les siennes étaient moins bien mises.

Mme de Rouvre, ironique.

Point gantées ?

Rodolphe.

Pardon, madame, gantées… de baisers…

Il baise les mains de Mme de Rouvre.
Mme de Rouvre, avec dépit, et retirant ses mains.

J’ai mes fournisseurs… (Rodolphe sourit. — Avec coquetterie.) Voyons, Rodolphe… Aimez-vous encore Mlle Mimi ?

Rodolphe.

Madame, je ne dois plus l’aimer… et peut-être l’ai-je aimée plutôt pour moi que pour elle.

Mme de Rouvre, avec un mouvement de satisfaction contenu.

Ah ! asseyons-nous donc… (Elle l’entraîne sur le canapé de droite, près de la chambre où est Mimi. Ils s’asseyent.) Vous dites l’avoir aimée plutôt pour vous que pour elle ?… Quelle passion est cela ?

Rodolphe.

Passion de poète, passion d’artiste… c’est-à-dire ce qu’il y a de plus beau…

Mme de Rouvre.

Et de plus faux à la fois.

Rodolphe.

Oui, madame, car c’est la perpétuelle exploitation du cœur par l’imagination.

Mme de Rouvre, avec intention.

Vous reniez donc votre amour ? Vous convenez donc que ce n’était qu’un caprice, une fantaisie ?

Rodolphe.

Peut-être…

Mme de Rouvre.

Ce que vous aimiez en elle, c’était donc sa beauté ?…

Musique à l’orchestre.
Rodolphe.

Oui, sa beauté, sa jeunesse, l’éclat de son sourire, la fanfare de sa gaieté.

Mme de Rouvre.

Enfin, vos amours étaient de ceux qui naissent au printemps avec la première feuille et meurent à l’hiver avec la première neige.

Rodolphe.

Qu’y faire ?… Voyez-vous, madame, l’amour dans une petite chambre visitée du soleil et de la bise aussi… l’amour qui s’attable à un couvert frugal et boit dans le même verre… cet amour-là est quelque chose de charmant quand on est encore sous le soleil levant de la première jeunesse… Mais il arrive un jour où l’orgueil de l’esprit commence à disputer au cœur la liberté de ses sympathies et de ses enthousiasmes… Alors, tout change !… le naïf vous paraît vulgaire… le caquetage d’une jolie bouche vous semble monotone, et vous commencez à trouver tiède le baiser de sa lèvre ardente…

Il entoure la taille de Mme de Rouvre.
Mme de Rouvre, se tournant du côté de la porte.

Rodolphe !…

Rodolphe, se penchant sur son épaule.

C’est alors qu’on rêve un autre amour… Celui qui marche sur les tapis, se drape dans la soie ou le velours, se constelle de diamans, va au bois, à l’Opéra, parle un langage pur, écrit sur vélin couronné de vignettes héraldiques, et s’appelle d’un nom qui a ses entrées dans l’histoire…

Il embrasse l’épaule de Mme de Rouvre. On entend un léger bruit dans le cabinet. Mme de Rouvre se lève vivement et passe à gauche.
Rodolphe, se levant aussi.

Il y a quelqu’un là ?

Mme de Rouvre.

Ma femme de chambre…

Marcel, en dehors.

Un rentrant à la bouillotte !

Mme de Rouvre, un peu agitée.

On vous appelle, quittons-nous… Je vous reverrai tout-à-l’heure… Allez, allez… à bientôt !

Rodolphe. À bientôt !…

Il lui baise la main et sort par le fond.

Scène XI.

Mme DE ROUVRE, MIMI.
Pendant que Rodolphe remonte la scène, Mme de Rouvre jette les yeux vers le cabinet dont on a vu la porte remuer. Mimi sort du cabinet.
Mme de Rouvre, à part.

La voilà !

Mimi, apercevant Mme de Rouvre.

Pardon, madame.

Mme de Rouvre.

Vous cherchez quelqu’un.

Mimi.

Oui, madame… je cherche Rodolphe.

Mme de Rouvre.

M. Rodolphe, voulez-vous dire…

Mimi.

Pour moi, c’est Rodolphe tout court… je suis la petite dont vous parliez tout-à-l’heure.

Mme de Rouvre.

Attendez donc… mademoiselle…

Mimi.

Mimi ! vous le savez bien, madame !

Mme de Rouvre.

Mademoiselle… songez où vous êtes !

Mimi.

Je m’en souviendrai, madame… si on ne me le fait pas oublier !

Mme de Rouvre.

Que désirez-vous ?

Mimi.

Je veux mon amant, madame !… (Mme de Rouvre fait un mouvement pour se retirer. Mimi se place en face d’elle et lui barre le passage.) Ne vous en allez pas, madame… ou je crie !

Mme de Rouvre.

Du scandale !

Mimi.

Tant pis ! je veux mon amant !

Mme de Rouvre.

Vous êtes folle, mademoiselle.

Mimi.

Ça se peut bien !

Mme de Rouvre.

Je suis désolée de vous le dire, mademoiselle ; mais vous devez comprendre que M. Rodolphe ne désire pas cette rencontre… (Montrant le cabinet.) Vous étiez là, vous avez dû entendre. Je pensais que cela devait vous suffire !… (Elle va s’asseoir sur le canapé de gauche.) M. Rodolphe ne vous aime plus… que voulez-vous que j’y fasse ?

Mimi.

Oh ! si, madame, il m’aime toujours ! L’accent avec lequel il disait ne plus m’aimer me prouve le contraire !

Mme de Rouvre, froidement.

Non-seulement il ne vous aime plus… mais il en aime une autre !

Mimi, riant convulsivement.

Vous, peut-être ! Ha ! ha ! ha ! vous me faites rire, tenez !… Je ne suis qu’une petite fille, un enfant perdu en venant au monde, j’ignore le beau langage et les belles manières, et cependant Rodolphe m’a adorée ! oui, madame, adorée ! ce n’est pas trop dire… Aussi n’est-ce pas en quatre jours qu’il pourra m’oublier et en aimer une autre… À celle qui se croirait aimée de lui, je dirais : Il vous trompe et se trompe lui-même… ne l’écoutez pas ; car vous ne tarderez pas à vous apercevoir que vous n’êtes pour lui qu’une distraction… et cela vous ferait de la peine.

Mme de Rouvre.

Continuez, mademoiselle… vous m’amusez beaucoup.

Mimi.

Non, madame, je ne vous amuse pas… au contraire… Si Rodolphe ne vous aime pas… que voulez-vous que j’y fasse ?… Il sera peut-être votre mari… il était mon amant !… C’était un poète… il deviendra un homme d’affaires… Au reste, cela arrive, et nous autres grisettes, comme vous dites vous autres grandes dames, nous avons souvent le dessus du panier de vos amours.

Mme de Rouvre, se levant.

C’est tout ce que vous avez à me dire, mademoiselle ?

Mimi, un peu intimidée.

Pardon, madame, si je vous ai parlé ainsi… mais tout ce que je vous ai dit, j’en suis sûre, voyez-vous.

Mme de Rouvre.

Je vous ai écoutée jusqu’au bout… Vous êtes venue me conter vos petites affaires, que je ne vous demandais pas… Je vous ai répondu, c’est beaucoup, croyez-le… Restons-en donc là… Si je parlais, je pourrais détruire des illusions que vous vous obstinez à conserver… et cela vous ferait de la peine, comme vous me le disiez tout-à-l’heure… Permettez-moi donc de me retirer.

Mimi.

Soit… mais laissez-moi voir Rodolphe !

Mme de Rouvre, passant à droite.

Vous désirez qu’il vous répète ce qu’il disait tout-à-l’heure ?

Mimi.

Quoi ?

Mme de Rouvre.

Je m’en souviens, moi : l’amour dans une petite chambre visitée de soleil !…

Mimi.

Je sais !…

Mme de Rouvre.

Mais bientôt on rêve un autre amour… Vous comprenez, mademoiselle ?

Mimi.

Eh bien ! oui, c’est vrai… les diamans, la toilette, les belles choses… je n’ai rien de tout cela ; mais j’ai le dévouement qui peut les remplacer.

Mme de Rouvre.

Croyez-vous donc que votre amour vaille le sacrifice de son avenir ?… (Musique à l’orchestre.)

Mimi

Oh ! mon Dieu ! c’est donc vrai, puisque tout le monde me le dit ?… (Haut.) Mais je ne puis me passer de lui, madame ! mais cet amour, c’est tout mon bonheur !

Mme de Rouvre.

Que c’est bien là le cri de votre égoïsme !… Tenez, vous ne savez pas ce que c’est que le dévouement… votre cœur est trop étroit pour le contenir !

Mimi, égarée.

Assez, madame !… Vous ne croyez pas à mon dévouement, demain vous y croirez… et Rodolphe aussi y croira… Adieu, madame… aimez-le bien !…

Elle sort vivement par la gauche.

Scène XII.

Mme DE ROUVRE, BAPTISTE.
Mimi est sortie à moitié folle. La porte se referme. Mme de Rouvre, très-émue, a fait un mouvement pour la retenir. Quand Mimi est sortie, Mme de Rouvre court au guéridon et sonne. — Baptiste entre par le fond.
Mme de Rouvre, très-agitée.

Baptiste, descendez à l’instant, et suivez une jeune fille qui va sortir de l’hôtel.

Baptiste, à part.

Mlle Mimi… ah ! mon Dieu !

Mme de Rouvre, avec emportement.

Allez donc !…

Baptiste sort en courant par la gauche.
Mme de Rouvre.

Son adieu m’a frappée au cœur !

Rodolphe, entrant vivement par le fond, à part.

Qu’ai-je appris ?… ces lettres n’étaient que mensonges… Mimi est innocente… et elle était là !…

Il va vers le cabinet, Mme de Rouvre lui barre le passage.
Mme de Rouvre.

Elle n’y est plus, monsieur.

Rodolphe.

Quoi ! vous saviez ?…

Mme de Rouvre.

Eh bien ! oui, je le savais… il faut choisir entre vos deux maîtresses, monsieur ! je ne veux pas d’une semblable rivale !…

Elle tombe assise sur le canapé de droite.
Rodolphe.

Une rivale ! ah ! oui… Vous l’avez chassée, madame… les larmes de cette enfant ne vous ont pas touchée.

Mme de Rouvre.

Les miennes vous toucheraient-elles, monsieur ?…

Durandin paraît au fond avec Marcel et Colline.
Rodolphe.

Eh ! madame, ce n’est pas votre amour qui pleure… c’est votre orgueil.

Mme de Rouvre.

Monsieur !…

Durandin Marcel et Colline entrent vivement.
Durandin, courant à Rodolphe.

Qu’est-ce donc ? qu’y a-t-il ?

Rodolphe.

Laissez-moi, votre conduite est indigne.

Durandin.

Monsieur !

Marcel.

Mon ami !

Rodolphe.

Cette fille que j’aimais… que j’aime encore… vous l’avez calomniée.

Mme de Rouvre.

Comment ?

Baptiste, entrant par la petite porte de droite, à Rodolphe.

Ah ! monsieur… je crains qu’il ne soit arrivé un malheur… Mlle Mimi…

Rodolphe.

Eh bien ?

Baptiste.

Je l’ai vue sortir en courant, j’ai voulu la suivre, mais dans l’obscurité l’ai perdue…

Marcel, Colline et Baptiste vont à la fenêtre.
Rodolphe, avec douleur.
Mimi !… (À Durandin et Mme de Rouvre.) Entendez-vous ? en ce moment elle meurt peut-être, victime de votre amour et de votre perfidie…
Durandin hausse les épaules et remonte, Mme de Rouvre passe à gauche et regarde Rodolphe avec fierté.
Mme de Rouvre.

Vous êtes chez moi, monsieur !

Rodolphe.

Oui, madame, de votre perfidie… car elle était là… et elle m’a entendu quand je la reniais lâchement.

Mme de Rouvre.

Pour qui donc, monsieur ?

Rodolphe, bas à Mme de Rouvre.

Pour une autre qui me renie à son tour. Adieu, madame… Vous me disiez tout-à-l’heure de choisir…

Mme de Rouvre, qui vient d’arracher le portrait de Mimi de l’album, le froissant et le jetant aux pieds de Rodolphe.

Je ne vous le dis plus !… Adieu, monsieur !

Durandin, à Rodolphe.

Allez, monsieur, continuez votre existence de désordre, votre belle vie de Bohême… Tout est fini entre nous.

Rodolphe, à Durandin.

Gardez votre argent… (À Mme de Rouvre.) Gardez votre orgueil… moi, je garde mon amour !…

Il remonte près de Marcel et de Colline. Durandin est à gauche près de la table, Mme de Rouvre est tombée sur le canapé de gauche. Schaunard entre par la droite, et va suivre les autres.
Baptiste, arrêtant Schaunard, bas.

Monsieur, vous n’auriez pas besoin d’un domestique ?

Schaunard.

Si, quelquefois… pour m’avancer de l’argent sur ses gages…

Baptiste fait signe que ça lui va, et se dispose à le suivre.
FIN DU QUATRIÈME ACTE.