La Verdure dorée/Texte entier


La Verdure dorée
La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. couv.-263).


TRISTAN DERÈME


LA VERDURE DORÉE


— POÈMES —


LE PARFUM DES ROSES FANÉES
LES IRONIES SENTIMENTALES - PETITS POÈMES
ERÈNE OU L’ÉTÉ FLEURI - PETIT CAHIER
LA FLÛTE FLEURIE
LE POÈME DE LA PIPE ET DE L’ESCARGOT
POÈME DES CHIMÈRES ÉTRANGLÉES


Préface de M. Philippe Huc


NOUVELLE ÉDITION


PARIS
ÉDITIONS ÉMILE-PAUL FRÈRES
14, rue de l’abbaye, (vie)



PRÉFACE



Monsieur Derème au cœur trop tendre
Par ses propos nous fait dormir.
Ah ! que de grâces à lui rendre
Il nous épargne de l’ouïr.

Il nous épargne de l’ouPhilippe Huc.



On ne lit point les préfaces, et c’est au seuil d’une préface que je me divertis à le dire. Si, de la sorte, quelqu’un s’avisait de me répondre, je serais prêt, qu’il approuvât mes paroles ou dénonçât mon erreur, à lui rendre les armes, en chantant ses louanges. Charmante et vaine hypothèse, car je tiens pour assuré de n’incommoder personne, si je note ici quelques réflexions touchant cet ouvrage, où la plupart des pages que j’ai écrites se trouvent recueillies.

Ce livre est toute ma jeunesse, pourrais-je fredonner, moi aussi, et non sans quelque amertume, peut-être. Mais, si j’ajoutais que je l’ai fait sans presque y penser, il ne me faudrait plus croire, et ce ne pourrait être qu’en un de ces soirs heureux où, moins soucieux d’être sincères que d’étonner et de ravir qui leur prête audience, les poètes se plaisent à laisser entendre qu’ils chantent sans plus de peine ni de malice que les noisetiers, quand le vent souffle, ou les troènes. Ainsi le vieil Ovide, quoi qu’il tentât d’écrire, c’était un vers…

Ô printemps, jeunesse de l’année ! Ô jeunesse, printemps de la vie ! Célèbre tour d’équilibre, et la jeunesse n’est qu’un flot mouvant et vivace de verdure, que dorent maintenant le souvenir et la mélancolie.

Mais, cette couleur dorée, agréable aux regards et pourtant au cœur douloureuse, n’est-ce pas simplement, comme au feuillage du platane et du peuplier, la marque de l’automne, quand l’air aigre des matinées commence à dépouiller les roses rouges de septembre ?

D’un autre point de vue, la chair de la poésie, nos joies, nos peines, nos désirs, nos rêveries, nos tristesses, ne sont-elles pas chose vivante et bruissante, comme la verdure des vergers et des bois ? Mais n’est-ce pas seulement par l’artifice du poète, qui, sur certaines feuilles, appuie son pinceau doré, qu’il leur est permis de prendre une figure qui, parfois, ne passe point ?

Ainsi, la matière donnée, l’art est tout choix et industrie dans l’assemblage des éléments choisis, habileté dans l’emploi des lumières diverses dont le poète se plaît à éclairer son domaine. De la sorte, loin qu’il se laisse noyer aux sentiments, il les évalue, les domine, les juge et les canalise.

Le poète, dès lors, en vient à chanter des passions qui sont les siennes, certes, mais que sa raison, souvent, ne peut cependant contempler sans qu’elle sourie, avec indulgence ou avec dureté. Video meliora… Pourquoi les laisserait-il au silence, puisqu’elles sont véritables, qu’elles emportent le cœur de tous les hommes et qu’elles composent, en quelque manière, l’étoffe de notre vie ? Mais, dans ses poèmes, la tristesse et l’affliction les plus douloureuses n’apparaîtront qu’ornées des claires guirlandes de l’ironie, qui est, on l’a dit, une pudeur, et qui est aussi une rébellion et une revanche.

Le choix des mots, des rythmes, la rime, l’assonance — aucune richesse ne doit être négligée — serviront le poète en ce dessein. Il saura, par l’éclat exagéré d’une rime, par la rouerie d’une épithète ou le jeu trop sensible des allitérations, donner volontairement à sourire des sentiments graves qu’au même instant il chante et sans cesser d’être sincère.

Nous avons méthodiquement utilisé dans ce livre la contre-assonance. Tandis que dans l’assonance, le son des voyelles subsiste dans la variation des consonnes, dans la contre-assonance, les consonnes se maintiennent dans la mutation des voyelles. La rime dit : lèvres — fièvres ; l’assonance : lèvres — Thèbes ; la contre-assonance : lèvres — livres ; elle dirait aussi : cœur — décor, amer — endormir ; certains — printemps, etc… C’est, exécutée sur la vieille et solide rime, une variation qui donne à l’ouïr une impression ambiguë de liberté, de surprise et de malaise.

Cette forme peut donc être rangée dans l’arsenal des moyens qui servent à exprimer le secret d’un poète, — si ce poète, semblable, d’ailleurs, à la plupart des hommes, se trouve en perpétuel désaccord avec ce qui l’entoure, comme avec lui-même.

T. D.
1921.



POÈMES




Tristan, verse dans mon verre
La légère
Mousse de ce vin doré.

JEAN-MARC BERNARD.


Près du volcan Adèle a pris naissance :
Puis-je en douter ? la flamme est dans ses yeux.

PONCE-DENIS ÉCOUCHARD-LEBRUN.


Aimer ? Qui se leurre ? Aristippe ?
Le professeur d’ocarina
Qui, chaque soir, après sa pipe,
Jouait : « C’est dans tes yeux, Lina » ?

JEAN PELLERIN.


L’heure amère des poètes
Qui se sentent tristement
Portés sur l’aile inquiète
Du désordre et du tourment.

FRANCIS CARCO.


Quels vents impétueux, ô puissante Sagesse !
De l’île du Bonheur me repoussent sans cesse ?

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Vois toi-même au plaisir succéder les langueurs,

Et les ronces déjà croître parmi les fleurs.

HELVETIUS.


I


Allez et que l’amour vous serve de cornac,
Doux éléphants de mes pensées.
Ô poète, tu n’as qu’
À suivre allègrement leurs croupes balancées,
Cependant que l’espoir te tresse un blanc hamac.

Tu as voulu guider ton troupeau vers les cimes,
Vers le glacier que nul vivant n’avait foulé ;
Les éléphants tremblaient sur le bord des abîmes,
Où, tandis qu’ils tondaient un maigre serpolet,
Tu prenais des poses sublimes.
 
Va ! Redescends avec tes monstres affamés
Vers la douceur des terres grasses.
C’est le vallon que tu aimais,
La maison aux volets fermés,
La flûte au bord du fleuve et les vieilles terrasses.

Voici la plaine herbeuse où tu reposeras
Dans le hamac consolateur des infortunes ;
L’air nocturne caressera tes membres las,
Et les bleus éléphants brouteront des lilas,
Sous la clarté tiède des lunes.


II

À Lucien Corpechot.


Quelle bataille se livre
Sous les constellations ?
Fatigué de mon cœur ivre
Et du cri des passions,

Lassé de lutter, de mordre
Et de vaincre, j’aspirais,
Dans l’apaisement de l’ordre,
À des songes mesurés.

Sage et pur, oubliant celle,
Dont la chevelure ainsi
Qu’une eau vivante ruisselle
Sur ma joie et mon souci,

Onde magnifique et noire
Où le poète noierait
Sa passion de la gloire,
Son espoir et son regret,

Je voulais sous le feuillage
De ce fabuleux été
Écraser sur chaque page
L’ombre chaude et la clarté,


Le trèfle rouge qui brûle,
L’air qui dort, le bruit des eaux
Aux rameaux du crépuscule
Le tumulte des oiseaux,

Dans les ténèbres fleuries
La lune, fruit d’un beau soir
L’herbe humide des prairies
Et l’azur sonore. — Espoir,

S’attaquant à la nature
Le poète la pétrit
Pour en faire l’œuvre où dure
Le triomphe de l’esprit.

Mais quoi ! langoureuse celle,
Dont la chevelure ainsi
Qu’une eau vivante ruisselle
Sur ma joie et mon souci,

Découvre sa gorge blanche
Et féconde en voluptés,
Sourit et vers moi se penche
Dans l’ombre où je méditais.

Qu’est-ce ? Le monde chavire
Comme un jeu de vains décors ;
Elle est belle et je respire
L’odeur lourde de son corps.


Vignes blanches de rosée,
Peupliers jaunes et verts,
Sa main sur mes yeux posée
Me dérobe l’univers.


III

À Pol Neveux.


Pélops, par l’épaule d’ivoire
Qui tous les maux guérit,
M’arracheras-tu de l’esprit
La face de la Gloire ?

Chaque aube annonce une victoire
Que l’autre aube flétrit.
Plus heureux celui qui n’écrit
Et ne pense qu’à boire.

Il est aux bois tièdes et verts
De jeunes femmes, et tes vers
N’ont que toi pour les lire.

Et le vent dans un peuplier
Quand il chante fait oublier
Les cordes de la lyre.


IV

À Michel Puy.


Que mes poèmes soient étranges
Et qu’on les raille et leur auteur,
Cela m’est peu, car les louanges
Ne sont pas chères à mon cœur,

Hors celles de quelques poètes
Au cœur fervent, au regard pur,
Et qui nagent, blanches mouettes,
Dans les ténèbres et l’azur.

Ma vie en silence s’écoule,
C’est pour peu d’hommes que j’écris,
Car si je chantais pour la foule.
Je pousserais bien d’autres cris.

De deux poings défiant les astres,
Je clamerais à grand fracas
Et ferais crouler les pilastres
Et les balustres sur mes pas.

Ou plaignant ma longue misère,
En des tumultes mesurés,
D’une voix qu’on dirait sincère,
Apollon, je t’invoquerais.


Je pourrais dater une stance,
Doux exotisme, de Turin,
De Heidelberg ou de Constance,
Sans avoir jamais pris le train.

Et je plairais aux demoiselles,
Ayant mis à mon violon,
Non des cordes, mais des ficelles,
Pour des romances de salon.

Et peut-être dans mon vieil âge
Pourrais-je voir sur mon perron
Un laurier bercer son feuillage.
Mais à quoi bon ? Mais à quoi bon ?

La gloire éclôt, jaunit, se fripe
Et s’effeuille de l’aube au soir,
Et j’aime mieux fumer ma pipe
Que renifler son encensoir.


V


Comme j’allais, couvert de la poussière du voyage,
Heurtant aux pierres mes sandales,
Vous étiez au balcon que les glycines automnales
Enguirlandent de leur feuillage.
Et vous étiez si calme parmi l’ombre,
Votre visage était si pur
En ce crépuscule d’octobre,
Que je sentais sur mon épaule
Se nouer un manteau d’azur,
Et que, dans ma poitrine, en secouant des étincelles,
Mon cœur ivre battait des ailes.


VI


Le Passé maugréait et frappait à la porte.
Je me taisais. Il m’appela d’une voix forte ;
Mais je continuai de songer à tes yeux ;
Et j’entendais crier le vieillard furieux,
Grelottant dans la nuit sous sa mante à ramages,

Il est entré portant un vieux livre d’images.

Laure, dans la maison à l’ombre des sureaux,
Songeuse, tu brodais derrière les carreaux,
Et, si j’apercevais un livre à ta fenêtre,
Je sonnais à la grille et tu voyais paraître,
Au jardin envahi d’herbe et de serpolet,
Celui qui dans les soirs longuement te parlait
Et déroulait son rêve ainsi qu’un paysage…
Laure, où sont tes cheveux, tes mains et ton visage ?…

Vous qui pleuriez, mélancolique, au soir tombant ;
Toi qui sur ton épaule attachais un ruban
Mauve ; toi qui jouais Manon et l’ouverture
De Tannhäuser ; toi qui riais dans ta voiture…
Ô passé, plein de fleurs et de chardonnerets !
Rires ! Passé léger ! Passé tendre ! Regrets !

Mésanges, accourez, mes lointaines pensées !
Ô souvenirs, rameaux flétris, branches cassées…

Oui, j’aurais dû, ce soir, te dire tout cela,
T’avouer les penchants où mon cœur s’écoula
Et te montrer au loin ces figures d’argile,
Et nous aurions pleuré de sentir si fragile
Notre amour qui s’éveille et frissonne au soleil
D’automne, notre amour incassable et pareil
Aux beaux jouets de notre enfance. Mais qu’importe,
Si l’espérance encore ouvre la vieille porte ?
Elle parle ; sa voix illumine tes yeux ;
Son regard verse en nous la lumière des cieux.
Sous le manteau de pourpre et la cuirasse triple,
Cheveux au vent, partons pour le vaste périple.
Les merles se sont tus devant l’astre éclatant ;
Et le navire aux voiles blanches nous attend
Au port, prêt à cingler vers les îles lointaines
Où le bonheur fleurit aux rives des fontaines.
Je ne sais quelle main nous pousse. Nous rirons
Des rafales soufflant dans leurs rauques clairons ;
Et, comme ivres, car l’Univers nous est complice,
Les flots noirs et cabrés nous seront un délice.

Ainsi nous voguerons sur l’eau cruelle ou sur
L’eau calme, sous tes coups, tonnerre, ou sous l’azur,
Sous la lune indulgente ou dans l’ombre sauvage.
Et plus tard n’ayant vu briller aucun rivage,

Revenus, mais encor, les doigts ensanglantés,
Rêvant que sur la mer âpre des voluptés
Il est pourtant après les tempêtes quelque île
Où boire le bonheur d’une âme enfin tranquille,
Fourbus, endoloris, meurtris, nous changerons
La voile blanche ou nous prendrons les avirons,
Sur l’eau vaine luttant, mangeant notre colère,
Pauvres rameurs perdus sur la vieille galère.


VII


J’exprimais autrefois d’une façon morose
Mon désespoir et ma tristesse à l’eau de rose.
Mon poème était plein de larmes, de douleurs,
De cris, et je riais en décrivant mes pleurs.
Plus artificiel qu’un pâtre de pendule,
Je ciselais, avec un sourire incrédule,
Des agrafes et des boutons de corozo.

Mais l’Amour a paru soufflant dans un roseau…


VIII


Droite, dans la candeur des voiles, à l’orée
Du bonheur, les yeux clairs, radieuse et laurée
D’un feuillage éternel et qui bruit au vent
Des plaines, tu souris aux roses du levant ;
Et le matin qui chante aux branches de la berge
Inonde de clarté ton visage de vierge.


IX


D’allégresse vibrant de la nuque au talon,
Sur le char attelé d’un quadruple étalon,
Et dans mon cœur brisant la dernière relique,
Je suis parti vers ta beauté mélancolique.
Mes chevaux bondissaient dans la lumière ! Vois,
Ô miracle ! j’oublie, au rythme de ta voix,
La meute des lions qui grognait sur ma trace
Et la nuit. Et j’enlève en riant ma cuirasse
Puisque le soleil flambe et puisque tu jaillis
Comme une source fraîche à l’ombre des taillis.


X


Mon espérance était tombée
Sur le dos, comme un scarabée.

L’ombrelle aux doigts le lendemain
Tu vins rêver sur le chemin.

Tu retournas l’insecte frêle
Avec la pointe de l’ombrelle.

Et soudain l’insecte, au delà
Des soleils calmes, s’envola !

Mon espérance était tombée
Sur le dos, comme un scarabée…


XI


Le vent perce la porte et souffle sur le feu
Et je tremble qu’un jour nous puissions dire : « Feu
Notre amour… » Tu souris, heureuse et rassurée ;
Notre tendresse est forte et brave la durée.
Et cependant… Non, non, le charme est trop puissant
Qui lie à ta beauté mon cœur adolescent
Pour que jamais le rompe ou le temps ou l’orage.
Vivons paisiblement sous ce tranquille ombrage
Sans redouter qu’un jour le ciel soit obscurci,
Car l’amour éternel…
Car l’amour éternel… Et c’est toujours ainsi.


XII


Tu parus. Mais les doigts posés sur le loquet,
Tu t’arrêtas avec un air interloqué.
Puis devant les papiers qui encombraient la table,
Tu dis : « Cette maison devient inhabitable ! »
Et ton sautoir frémit dans ses cent trois maillons.
Voici bientôt deux mois que nous nous chamaillons,
Voici deux mois bientôt que je t’ai rencontrée
Et que je sais ton goût natif pour l’eau sucrée,
Les pommes vertes, les promenades, les sous-
Bois en octobre et les romans à quatre sous.
Tu grondes, mais je sens, dans nos pires querelles,
Quand bondissent les mots comme des sauterelles,
Que tu n’es que tendresse et qu’au fond tu souris
En ton cœur plus léger qu’une dent de souris.


XIII


Le temps est achevé des cris et des tempêtes ;
Aimons-nous aujourd’hui sans tambours ni trompettes ;
Et les étalons blancs qui piaffent dans la cour
Nous les mettrons à l’écurie. Ô mon amour,
Suis-moi ; nous mènerons le troupeau noir des chèvres.
Les mots ambitieux déserteront nos lèvres ;
Nous raillerons la gloire et nous nous étendrons,
Le soir, pour bavarder, sous les rhododendrons.


XIV


Celui qui partira loin de la ville, qu’il le
Veuille ou non, pleurera ton visage tranquille,
Ta grâce et la beauté de tes cheveux flottants.
Et les roses et les guirlandes du printemps
Qui fleurirent ton front de leur délicatesse
Se faneront devant ses yeux et sa tristesse.
Mais au bord de la nuit calme, sur le chemin
Il songera qu’un soir tu lui donnas ta main,
Qu’il a baisé tes doigts dans l’ombre coutumière
D’un automne, et son cœur sera plein de lumière.


XV


Quand tu m’auras quitté (ne lève pas les bras),
Quand tu m’auras quitté, car tu me quitteras,
Je n’irai plus chercher d’œillets chez la fleuriste.
Je demeurerai seul avec mon rêve triste.
Et je dirai : « Voilà la chambre où tu te plus,
Et voici le miroir qui ne te verra plus,
La table d’acajou, le canapé, le pouf, le
Tabouret où le soir tu posais ta pantoufle.
Ô golfe calme, où le bonheur était ancré !… »
Et quelquefois amèrement je sourirai,
En feuilletant mon vieux Racine aux coins de cuivre,
Des pantins que tu fis dans les marges du livre.


XVI


J’avais toujours rêvé d’éternelles amours.
Les nôtres ont duré trois mois et quatre jours.
C’est beaucoup. J’aurais pu ne jamais te connaître.
Ainsi tournons la page et fermons la fenêtre
Ouverte sur la plaine immense du bonheur.
Ce soir, nous passerons chez le camionneur.

Pourquoi chausser ici le tragique cothurne
Et blasphémer l’azur d’une bouche nocturne ?
Quittons-nous sans soupirs, sans larmes, sans discours.
Terre ! Nous achevons un voyage au long cours.
Débarquons ! Tu t’en vas. Je m’en vais. Il faut rire
Et ne prendre pas l’air de goujons mis à frire.

Et, tout bas, je sanglote en te parlant ainsi,
Et tu baisses la tête et tu pleures aussi.


XVII


Ô vous qui par le bout du nez me conduisîtes,
Je vous rencontrerai parfois dans les visites.
Nous nous ferons un grand salut ; puis vous direz :
« Le temps est beau. » Je répondrai : « Les soirs sont frais. »
Que ces phrases, Seigneur, seront intéressantes !
Mais le passé battra des ailes dans les sentes
Où nos rêves fuiront sous le soir odorant…
Et tous deux nous prendrons un air indifférent.


XVIII


Vieille arquebuse entre les vieilles arquebuses,
Pour me tenter encor c’est en vain que tu t’uses,
Amour ! Mes chiens sont morts et mon rêve lointain.
Et n’étant plus de ceux qui partent au matin
Et foulent en chantant la luzerne qui plie,
Je suspendrai ta rouille à quelque panoplie.
Que ceux-là seulement te viennent décrocher
De qui l’espoir est plus solide qu’un rocher.
Qu’ils partent ! Les chemins sont blancs de tubéreuses.
L’Oiseau jette à l’azur ses notes langoureuses.
Qu’ils partent ! Mais l’Oiseau qui nargue le péril
Avalera leurs plombs comme des grains de mil.


XIX


La maison où je l’ai connue
Abrite un cuistre chauve et gras.
Où est la courbe de ses bras ?
Où est sa gorge dure et nue ?

Bon cuistre (hic, hœc, hoc ; hujus,
Hujus, hujus), parle-moi d’elle,
Que ta voix comme une chandelle
Éclaire les plaisirs que j’eus.

Je viendrai dans l’étroite chambre,
Et les souvenirs sur les murs
Seront pareils à des fruits mûrs
Sur les espaliers de septembre.

Cuistre adorable (hic, hœc, hoc),
Son amant fleure-t-il le musc, le
Corylopsis ? Tend-il le muscle
Du mollet comme un jeune coq ?

Voici le store et les persiennes.
Le soir elle s’endormait là.
La tendresse donnait le la
Sous les gravures anciennes.


Cuistre, je t’aime avec éclat
Car le cuir de ton crâne chauve
Reflète l’ombre de l’alcôve
Où l’amour aux dieux m’égala.

Une feuille de l’hiver blême
Tombe sur la table où j’écris ;
Et je raille malgré les cris
Que j’entends au fond de moi-même.

Que ne puis-je être allègre et doux
Comme un lièvre sur une touffe,
À l’heure où le chagrin m’étouffe
Et me fait ployer les genoux !

Ils disent que la vie est belle.
Je meurs, tu meurs et nous mourons.
De liserons, parons nos fronts.
Ouvrez l’amour comme une ombrelle.

Ah ! ferme ces yeux obstinés
Si rien au monde n’est durable,
Et mets la lampe sous la table
Car l’encrier te rit au nez.


XX


Entre la vie et moi tirant un voile épais,
J’enfermerai mon cœur et conquerrai la paix
Je sèmerai dans mon oreille une tulipe ;
Et quand j’aurai fumé mes cheveux dans ma pipe,
Pour marquer la retraite où je m’ensevelis,
Sur mon crâne rasé je ferai peindre un lys.


XXI


Débouchons l’encrier et, du titre à la table,
J’écrirai, pour lui plaire, un livre lamentable
Où, le cœur écrasé sous plusieurs univers,
Je veux agoniser durant deux mille vers.
Ô prodige ! Ma plume au fond des écritoires
Harponnera des adjectifs lacrymatoires
Et vibrants comme les anguilles des fossés.
Et de petits mouchoirs seront dûment fixés
Dans les marges de ces poèmes pathétiques.
Un volume in-18 dans les bonnes boutiques…


XXII


À quoi bon te chercher, gloire, vieille étiquette !
Et quel rêve ai-je mis aux vers de ma plaquette ?
Le douloureux poème où s’exalte mon front,
Aux bouquinistes ceux que j’aime le vendront.
Devant la meute des grattoirs, vol de bécasse,
Demain s’effaceront les mots des dédicaces ;
Et si, dans le pays aimable où nous tombons,
Mon livre encor ne sert de cornet à bonbons,
Du moins pourra-t-on voir l’amour que nous sentîmes,
En étalage, au prix de quarante centimes.


XXIII


Toi qui passes, foulant la neige de la rue,
Vois sur ma porte deux lions et une grue
Qu’un vieillard catalan dans la pierre a sculptés.
Médite, et que ton rêve amoureux des clartés
Neuves, pour picorer la grappe des étoiles,
Ouvrant ses ailes d’or comme de grandes voiles,
Plane, le col tendu, dans un ciel enchanté
Et raille les lions de la réalité.


XXIV


Quand on n’a plus ni sou, ni bûche, ni fagot,
Quand on a le cœur froid comme un vieil escargot,
Hélas ! et pas un brin de tabac pour trois pipes,
On évoque un jardin torride où des tulipes
Fastueuses dans la fournaise des juillets
S’épanouissent ; et les yeux émerveillés,
L’on rêve. Mais alors doucement tu murmures,
Ma lampe, et songeant au verger des figues mûres,
Aux corbeilles de fruits lourds sur le guéridon,
Le cœur s’en va comme un navire à l’abandon.


XXV


Si tu as bu le vin suprême des idées,
Pour toi le ciel est noir et les vierges ridées.
Et, les contrevents clos aux splendeurs des étés,
Tu t’exaltes devant tes livres annotés ;
Les pages dans le soir vibrent comme des ailes
Et l’encrier jette des gerbes d’étincelles.
Ainsi le front courbé sous la lampe tu lis,
Drapant ton rêve dans l’orgueil aux larges plis,
Jusqu’à l’heure où, poussant la porte d’un doigt frêle
Elle apparaît, riant sous sa petite ombrelle.


XXVI


Elle disait : Le bonheur vient on ne sait d’où.
Bats le briquet contre la mèche d’amadou
Et fume lentement et regarde les bûches
Rouges. Les heures sont douces comme des cruches
Et tu les bois au bord torride des chemins.
L’amour est chaud comme une pipe au creux des mains
Et rien ne vaut pour la tristesse familière
La paisible maison qu’environne un lierre.
Il neige. Mets, ce soir, tes pieds sur les chenets.
Reste. Le feu jaillit des gerbes de genêts.
Reste-là, caressant une large tulipe.
Ton rêve s’éteindra s’il neige dans ta pipe.


XXVII


Par les matins d’hiver quand je lisais tes lettres,
Des roses de juillet fleurissaient aux fenêtres
De mon rêve. Bravant le givre, le verglas,
Les averses, le vent du Nord sonneur de glas,
Je murmurais tes mots en suivant les ruelles
Tortueuses… Soudain les rafales cruelles
S’apaisaient ; le soleil inondait les maisons ;
Je m’avançais sous de divines frondaisons,
Et je voyais sourire au fond du paysage
La grâce et la candeur de ton jeune visage.


XXVIII


J’ai laissé de mon cœur tout le long du chemin
Comme les brebis de leur laine,
Et j’espérais toujours qu’un tiède lendemain
M’ouvrirait une herbeuse plaine.

Et toujours sous mes pas l’ortie et les galets ;
Car c’est en vain que tu annonces,
Après l’orage, Espoir, les matins étoilés,
Et la luzerne après les ronces.

Mais tu le sais, bélier fourbu, qu’il faut marcher
Vers un but secret et suprême,
Toi qui raillais la fin, la route et le berger,
Et le destin comme toi-même.


XXIX


Les jours sont plats comme des soles
Et la rouille a couvert mon cœur ;
Mais tu parais et tu consoles
Mon amertume, ô remorqueur !

Amour, nous sommes les chaloupes
Vides sur le flot des hivers,
Et nous rêvons de Guadeloupes
Où rugissent des lions verts.

Là-bas, vibrent des promontoires
Sous le cri de tigres ailés ;
Et dans des champs de roses noires
S’étirent des chats violets.

Des oiseaux sont couverts de feuilles ;
Des plumes poussent dans les prés…
Emmène-nous, toi qui recueilles
L’espoir des rêves déchirés.

Amour, jette-nous tes amarres ;
Vois nos larmes, entends nos cris.
Les soirs dorment comme des mares
Autour des cœurs endoloris.


XXX


Ce sera la maison blanche avec un arbuste
En fleurs sur le perron, et quand d’un geste brusque
Tu ouvriras les volets jaunes, le jardin
Mêlera, pour fêter ton rire et le matin,
L’odeur des seringats au parfum des framboises,
Et les paons fastueux crieront sur les ardoises.


XXXI


Dans l’odeur des œillets, du fenouil et du buis,
Sur le vallon qui dort à la fraîcheur du puits,
Ce sera, sous le toit rouge que l’aube mouille,
La maison blanche comme un ventre de grenouille.


XXXII


Ce soir d’octobre est lourd comme ta lourde chevelure,
Et jamais plus mes yeux ne te verront ;
Je n’entendrai plus ta voiture
S’arrêter au bas du perron.
Tu n’apparaîtras plus ainsi qu’une aube printanière
Dans cette chambre où tu pleuras ;
Et jamais plus dans la lumière
Ne s’ouvrira la courbe heureuse de tes bras.
La tempête a brisé la lampe familière
Qu’on ne rallumera jamais ;
Sur tes épaules le temps verse sa poussière,
Et tes yeux sont fermés.


XXXIII


Aux soirs mornes, devant la table d’un café,
Cependant que s’attriste un air ébouriffé
Que chante avec aigreur une excentrique étique
Auprès d’un violon enduit de cosmétique
Dont le sourire amer dure depuis des ans,
Je regarde flotter sur les crânes luisants
Des vieux habitués qui rêvent, la fumée
De ma pipe où sourit une figure aimée.


XXXIV


Si je dois ne jamais oublier les sentiers,
Les hêtres, les ravins bordés de noisetiers,
Les bruyères, les digitales diaphanes,
Les touffes de chardon que broutèrent nos ânes
Tandis que nous montions vers l’azur ; si je dois,
Songeant avec tristesse aux bagues de tes doigts,
Entendre dans la nuit brillante de rosée
Un souvenir battre de l’aile à la croisée,
C’est que, magicienne aux gestes de clarté,
J’ai vu dans la tiédeur de cet arrière-été,
Se mirer les genêts et la forêt pâlie
Dans tes yeux de douceur et de mélancolie.


XXXV


Des mois ont fui ; mais ma pensée
N’est encor qu’un trouble frisson ;
Non, la corde n’est pas cassée,
Et c’est toujours le même son.

Seul et morose en vain j’ergote,
Mon cœur toujours d’elle est empli ;
Ainsi ma vieille redingote
Garde un immuable faux pli.


XXXVI


Mon désespoir vers toi grave et silencieux
S’élève comme un lis d’automne vers les cieux ;
Et devant notre rêve aux lentes agonies
Mon cœur est plein ce soir de larmes infinies.
Bonheur frêle, jasmins, églantines, lilas,
Les minutes en fleurs se flétrirent, hélas !
Et je sens, aujourd’hui que l’espoir me délaisse,
S’enrouler tendrement sur mon âme qu’il blesse
Et qu’il enserre en la douleur de ses replis,
Ton souvenir ainsi qu’un blanc volubilis.


XXXVII


Je revis doucement d’anciennes pensées,
Et leur frêle pâleur d’estampes effacées,
Ravivant les douleurs graves du souvenir,
Fait encore mon rêve à ton rêve s’unir.
Tendres comme des fleurs, légers comme des plumes,
Voici passer tous les plaisirs que nous élûmes ;
Et mon cœur pénétré de leur triste parfum
Pleure les jours enfuis et le charme défunt.
Ah ! que l’heure de joie et de bonheur renaisse,
Dans la lumière, aux bleus décors de ma jeunesse,
Où je dansais… Amour, et l’azur du matin
Accueillait les oiseaux des songes ! — Le jardin
Dans le silence étend ses désertes allées,
Et la rouille s’attaque aux vasques ciselées,
Hélas ! — Et j’appartiens au passé radieux,
À ces jours, à ces nuits qu’éclairaient tes beaux yeux,
Où mon cœur ignorant des tristesses moroses
Était doux et léger comme un parfum de roses.


XXXVIII


Dans la froideur de l’aube hivernale, il bruine
Sur les palais branlants et les murs en ruine ;
L’église où s’unissaient les myrrhes et les chants
Croule ; sur les degrés pousse l’herbe des champs ;
Et les toits éventrés par les quartiers de roche
S’effondrent ; le lierre aux gargouilles s’accroche.

Dans la ville déserte, aux lueurs des flambeaux,
Je pénètre et fouillant les caves, les tombeaux,
De l’aube au crépuscule et du soir à l’aurore,
Éperdu, je me mêle au passé que j’adore,
Et voici des miroirs, des perles, des colliers,
Des anneaux précieux à tes doigts familiers,
Et des lis trépassés dont tu respiras l’âme.
Et mon cœur de tristesse et de douleur se pâme
En évoquant, parmi ces décombres, tes yeux !

Ah ! laisse-moi verser des pleurs silencieux.


XXXIX


Parmi la brume et la tristesse du matin,
Languissamment les fleurs s’effeuillent au jardin,
Exhalant la douceur de leur âme embaumée ;
Et nos rêves aussi s’effeuillent, bien-aimée.
La maison est déserte et nul ne s’assied plus
Sous la tonnelle ; les deux bancs sont vermoulus ;
Et, pareille à l’oubli, l’herbe envahit l’allée.
Ton souvenir emplit mon âme désolée,
Et tristement je songe au soir où tu lias
Parmi tes cheveux noirs de blancs camélias.


XL


Maintenant que tes yeux sont clos et que ta voix
Ne murmurera plus les phrases d’autrefois ;
Puisque je t’ai perdue, hélas ! et que la vie
Est pareille au jardin solitaire, j’envie
Le guerrier embrasé d’une tragique ardeur,
Qui, vêtu d’or, le glaive au poing, dans la splendeur,
Blasphémant et dressé, farouche, sur la selle,
Au milieu du tumulte et du sang qui ruisselle,
S’élance, frappe et meurt, troué de mille dards,
Dans les plis triomphaux des rouges étendards !


XLI


Le jardin bourdonnait de soleil et d’essors,
Quand tu pris ton chapeau de paille à larges bords,
Fleuri de liserons, fleuri de violettes ;
Et les roses fumaient, vivantes cassolettes,
Exhalant vers le ciel éblouissant et bleu
Leur parfum plus subtil qu’une aiguille de feu.
J’écoute encor ta voix et je regarde encore
Tes yeux illuminés aux fastes de l’aurore,
Le sable humide et les grands lis que tu cueillais,
Et les massifs bordés de sauges et d’œillets…

Heures parmi la joie et l’amour égrenées,
Volubilis défunts et jacinthes fanées…


XLII


Maintenant que la neige a blanchi la maison,
Promène ta douleur et vois à l’horizon,
Au-dessus des cyprès funèbres et des tombes,
Tes rêves s’effacer comme un vol de colombes.


XLIII


Souffle ta lampe ! Le matin
A frissonné sur les collines ;
Et, morose, le cœur lointain,
Dans la pénombre tu t’inclines.

Ouvre ta porte ! Le verger
N’est qu’une verdure légère,
Dans la lumière où l’air léger
Sent l’herbe humide et la fougère.

Et d’un esprit calme et plus pur,
Loin des douleurs que tu cisèles,
Regarde tourner dans l’azur
Les colombes aux blanches ailes !


XLIV


Le vent hurle, et dans sa monstrueuse colère
Jusqu’au lugubre ciel soulève les flots noirs.
Pas un astre. Ma vie aux amples désespoirs
Erre sans gouvernail, lamentable galère.

Tu parais ; l’ouragan suspend son large cri ;
Tu parles, et ta voix douce et lente l’apaise,
Et la mer en chantant caresse la falaise,
Et mon rêve au soleil est un vaisseau fleuri.


XLV


La porte du jardin donne sur la ruelle
Et c’est là qu’un beau soir elle est apparue, elle
De qui l’amour est clair, comme l’aube et l’azur.
Elle m’attend. Le chat s’étire sur le mur.
Elle m’attend. C’est le village après le steppe.
Son sourire est léger comme une aile de guêpe.
Elle m’attend sous la tonnelle de roseaux.
Mon cœur est une cage où chantent mille oiseaux.
Elle m’attend, elle regarde la pendule.
J’arriverai dans la tiédeur du crépuscule,
Et quand je la verrai me tendre les deux mains,
Les roses de juillet pleuvront sur les chemins.


XLVI


Quoi ! pourrais-je envier
Pisistrate vêtu des royales étoffes,
Ou le berger Ronsard, couronné de laurier,
Conduisant le troupeau sublime de ses strophes !

Quoi ! pourrais-je songer
À la gloire d’Achille ou de Platon le Sage,
Lorsque je puis sous la tonnelle du verger
Sourire à la beauté de ton jeune visage !


XLVII


Girouette, tu peux crier sur les ardoises,
Grincer comme une dent sur d’acides framboises !
Hiver, tu peux lancer aux vitres tes grêlons
Qui bourdonnent comme une averse de frelons,
Qu’importe ! Hiver, brandis tes trompettes de cuivre
Et déchaîne tes chiens sur la route de givre
Et les chevaux des ouragans ! Je m’en bats l’œil !
Je m’en bats l’œil ! Je lis des vers dans mon fauteuil !
Beauté des jours ! Beauté des livres et des lèvres !
À mon coupé, j’attellerai cent douze lièvres.
Sous l’azur plus vibrant qu’une aile de perdrix,
Et j’irai vers les bois que mon rêve a fleuris !


XLVIII


Regarde le jardin abandonné, le banc,
Et la tonnelle où tu pleuras au soir tombant,
La grange, le balcon rouge, le massif plein de
Grives, le gravier bleu sous les marronniers d’Inde.
Quand tu partis et que ton rire s’envola.
J’eus le cœur gros comme un volume de Zola ;
Mais te voilà ! — L’air est léger comme un sourire ;
Ma tristesse fond devant toi comme une cire
Sur la lampe. Rentrons. La porte grince et les
Volets. Veux-tu, soyons deux oiseaux envolés !
Nos regrets sont partis au grand trot des carrioles
Cahotantes et nous ferons des cabrioles
Dans l’azur. Le fauteuil est là, dans l’ombre. J’ai
Déboutonné tes gants et, bruyant comme un geai
Des bois, je ne dirai que des mots d’allégresse.
Vous pleurez ? Tu souris ? Est-ce de bonheur ? Est-ce ?


XLIX


Dans le calme, la barque se balance
Comme un vers que je dis.
Dors, mon amour, aux vagues de silence
Des golfes attiédis.

Pour toi, j’ai déserté l’ombre des grèves,
Le lac et les roseaux ;
Tes larges yeux ont reflété mes rêves,
La mer et les oiseaux.

J’ai mis ma vie au chaton de ta bague
Sous la lune d’un soir.
Dors, mon amour, il n’est pas une vague
Aux nappes de l’espoir.

N’écoute pas siffler sur toutes choses
Les merles que j’entends ;
Et que pour toi les heures soient des roses
Sur la tige du temps.


L


Fumerai-je au soir de ma vie
Une pipe en bois de laurier ?
Nous voilà vieux, ma pauvre amie,
J’ai eu vingt ans en février.

Nous avons vu bien des feuillages,
Des lacs, des golfes, la clarté
Du songe, et de tous nos voyages,
Hélas ! qu’avons-nous rapporté ?

Et tout cela n’est pas peu triste,
Mais dans l’ombre où nous nous plaignons,
Enfin l’ironie oculiste
Ouvre boutique de lorgnons.

Des lièvres dansent aux pelouses,
Et dans ma chambre mon espoir.
Maintenant j’attends que tu couses
Une rose à ton jupon noir,

Et que le rire ensevelisse,
Sous des guirlandes de clarté,
Notre rêve, ce vieil Ulysse
Que les sirènes ont tenté.


LI


Dénouons les rubans mauves que tu voulus
Fixer à nos propos et ne soupire plus
D’une voix de douleur et de larmes trempée.
La bouche soit cousue et la langue coupée
Aux pleureurs ! Nous devons rire. Tu l’oubliais.
Et pour l’amour, par qui tes songes sont liés
Comme les blanches tubéreuses que tu aimes,
Sur tes ongles étroits j’écrirai des poèmes
Suaves comme la courbe de ta jambe ou
La clarté de ta gorge et creux comme un bambou.
Un tambour plein chanterait-il ? Et la tendresse
Chante, divinement vide, dans ta caresse.
Ne me regarde pas avec ces yeux. C’est vrai,
Pardon. Tu n’aimes pas qu’on raille. Je serai
Triste, si tu le veux, et grave, et pas plus tard que
Demain je te lirai les œuvres de Plutarque.


LII


Ah ! jeter les filets crevés, les hameçons,
Les livres. Devenir un de ces bons garçons
Sans tristesse, railleurs des barbons à catarrhe,
Qui le soir lancent des chansons sur leur guitare
Et dont l’âme aux exploits amoureux se complaît.
Moduleurs de couplets, leur bonheur est complet
S’ils voient rimer austère et stère, Estelle et stèle.
Mais sentir que la vie est l’épaisse dentelle
Sous laquelle palpite un visage inconnu…

Un liseron s’enroule autour de ton bras nu.


LIII


L’espérance apparut et tu lui ressemblais,
Hier. Elle avait des yeux verts comme les blés
D’avril, des doigts légers comme l’ombre d’une âme,
L’aile d’un roitelet ou le cœur d’une femme.
Et de la voir si fraîche et limpide, les mains
Pleines de dahlias cueillis sur les chemins
De l’aube, nous sentions au charme de son souffle
Nos cœurs pareils aux deux flacons d’une guédoufle.


LIV


Délaissons, s’il te plaît, Baruch de Spinoza,
Ses termes épineux (et verba spinosa)
Et partons vers les pins où l’air tiède murmure.
(Qu’il serait laid d’écrire ici le mot ramure
Pour la rime !) Je viens. Ne gronde pas. Je viens.
Et j’abandonne aussi les vers virgiliens,
Les calmes vers de qui ta tendresse est jalouse,
Que traduisit Clément Marot (1512).


LV


Regarde. La glycine a jauni sur la porte,
Et voici que l’automne aux tempes couronnées
De lierre caduc et de roses fanées
S’avance et d’un pied lourd foule les feuilles mortes.
Il marche et son manteau de pourpre au crépuscule
Se dénoue et se mêle aux nuances champêtres.

Mon cœur, voici l’octobre ; et les joueurs de flûte
Commencent à siffler sous la voûte des hêtres.
Veux-tu, nous quitterons pour la ville prochaine
Les parterres flétris et l’ombrage des chênes,
Et la maison rustique au milieu du feuillage
Qui sut nous accueillir au retour du voyage,
Et la source. Mon cœur, partons ; voici l’automne
Et la dernière abeille aux troènes bourdonne.


LVI


En l’honneur de ton nom je veux sonner du luth,
Donner ma voix, donner mon cœur et donner l’ut !
Mon cœur dans le matin s’ouvre comme une rose ;
Mon cœur est la pantoufle où ton orteil repose ;
Aux baguettes du sort mon cœur est un tambour ;
Mon cœur est une flûte aux lèvres de l’amour ;
Mon cœur est le vieux puits où se mirent les branches
D’octobre et, par les soirs tristes, des robes blanches…
Et je pourrais ainsi lâcher du bout des dents
Des vers qui me vaudraient l’estime des pédants,
Car leur troupe se plaît à de telles sottises
Comme les boucs parmi les feuilles des cytises.


LVII


Vois ! Le ciel est clouté d’étoiles cristallines,
Et la lune a bleui les pentes des collines,
Et tu es dans mes bras blanche de volupté
Et vibrante et pareille à l’éternel été
Qui verse sur nos fronts l’ombre des roses noires.
Tu bois superbement l’ivresse des victoires
Et tu souris d’orgueil, car j’ai baissé vers tes
Yeux tristes mon regard fait pour d’autres clartés,
Et tu as triomphé sous les lampes complices.
Enfin, tu as vaincu le rebelle et tu glisses
Sur ma nuque la main fraîche comme le soir…

Si je me penche sur tes yeux, c’est pour m’y voir !


LVIII


Les souvenirs ce soir vibrent comme des mouches
D’été. Rappelle-toi la fille aux jupons rouges
Qui portait une rose à son corsage ouvert
Et qui gardait des cochons noirs dans un pré vert.
Elle chantait à pleine voix une romance
Triste ; nous écoutions monter la plainte immense
Et nous songions, le cœur morose comme un soir,
Aux cochons du regret qui broutaient notre espoir.


LIX


Vous que je vois dans la clarté des lampadaires
De mon rêve, héros des amours légendaires,
Jeunes hommes dont un cheveu lia les poings,
Ô vous qui roucouliez ivres en des pourpoints,
Redingotes, bardocuculles et chlamydes,
Et frôliez vos velours aux feuillages humides
Des clairières, vous tous que l’amour distingua,
Elle m’aime, et je porte un veston d’alpaga.


LX


Va ! tu n’es qu’une femme, une fleur vide, rien !
Tu me tiens, je le sais, par un souple lien
Qui raille les ciseaux et se moque des limes,
Et je sais que malgré mes révoltes sublimes
Tu n’auras qu’à paraître avec ton chapeau blanc
Pour que ce loup devienne un caniche tremblant.
Oui, je le sais ! Il faut ployer ! Il faut te suivre !
Je t’aime et je te hais ! Hélas ! le plus beau livre
S’effeuille quand paraît l’éclat de tes cheveux,
Et je suis un coussin sous tes pieds ! Mais je veux,
Et que ce fier aveu te flagelle ou te grise,
Que tu saches du moins comme je me méprise !


LXI


Et tu disais : Vous tous qui souffrez d’insomnie,
Pour goûter au repos que le sort vous dénie,
Mélangez le tilleul et le suc de pavot.
Et si de votre mal nul philtre ne prévaut,
Il demeure un remède héroïque et suprême :
Lisez sur l’oreiller quatre vers de Derème.


LXII


L’enthousiasme, comme un peuple de frelons,
Vibre dans l’heure noire.
Debout, et déchirons la nuit où nous râlons,
Pour un ciel de victoire.

Nos marteaux font le bruit crépitant des grêlons ;
Et pour le char d’ivoire
Je dompterai les mots comme des étalons
Qui traîneront ta gloire.

Se roidissent leur flanc sur le timon d’airain,
Et d’un vol souverain
Que dans mon bras, ton corps qui tremble et s’abandonne,

Au tumulte du vent,
Sur la rouge splendeur de ce couchant d’automne,
S’élève triomphant !

LXIII

À Stuart Merrill.


Terrible passion, voici que tu m’exiles ;
Et des flots inouïs viennent battre les îles,
Où je mène parmi le feuillage tremblant
Vers les sources d’azur le troupeau noir et blanc.
Car j’ai quitté les toits, les hommes, les musées,
Pour la mer et les prés où fument les rosées.
Ô livres du futur, ô chèvres, ô brebis,
Qui paissez sous le ciel étoilé de rubis,
Loin des cours où l’ennui tourne sa manivelle,
Imprégnez votre chair de cette herbe nouvelle
Afin qu’au jour affreux où je ne serai plus
Lorsque vous quitterez ces agrestes talus
Pour les jardins publics où le buis en bordure
Encadre les palmiers d’une maigre verdure
Et pour la ville amère où la foule aux tambours
Écorche le poète et pâme aux calembours,
Sur les trottoirs et dans les sombres avenues,
Poèmes, vous portiez des odeurs inconnues !
Alors, troupeau mordu des caniches galeux,
Encore émerveillé des paysages bleus,
Strophes, vous buterez, secouant vos clarines,
Des cornes et des pieds au cristal des vitrines ;

Brebis graves, chevreaux, ma joie et mon tourment,
Vous gonflerez le soir de votre bêlement
En broutant des lilas aux rouilles des grillages,
Et la rue entendra bruire des feuillages.
Vous bondirez sur les pavés, vous sauterez
Dans les rigoles, boucs de lumière enivrés ;
Et le droguiste en gros pointant ses arrivages
Sentira le parfum des montagnes sauvages ;
Et les vierges au seuil paisible des maisons
Enfonceront leurs mains dans vos chaudes toisons ;
Les yeux fermés, elles verront les îles fraîches,
La forêt bleue où le soleil taille des brèches,
L’écume qui blanchit les arbres du verger
Et les chevaux cabrés dans l’aube et le berger
Qui fumera là-bas, dédaigneux de la gloire,
La pipe de la mort sous la verdure noire.


LXIV

À John Middleton Murry.


Maisons rouges, pavés brûlés, feuillages bleus…
L’aveugle aux yeux d’opale embrasse un chien galeux
Dans ses cheveux graisseux brillent des bouts de paille
Et sa tasse en fer-blanc secoue un sou d’Espagne.
Un enfant au ruisseau traîne un bouc égorgé.
Des filles en riant poussent vers le marché
Des monceaux de lilas rose dans des brouettes.
L’odeur des piments frits flotte dans les ruelles,
Et les chiens dorment noirs de mouches. Sur les quais
De jaunes matelots vendent des perroquets
Violets, de l’ivoire et des plumes d’autruche.
L’étal d’un charcutier verse un parfum de truffe,
Et des bergers sentant la brebis et le suif
Portent du lait tourné dans des outres de cuir.
Les faisans corrompus, les viandes en conserve
Chargent l’air et là-bas, jailli d’une caserne,
Un long cri de clairon monte comme un jet d’eau.
Et pourtant c’est ici qu’une nuit, doux fardeau,
Je t’emportai sur mes épaules, sous les lampes
Des carrefours, sous les étoiles en guirlandes,
Sous les chauves-souris et la lune, à travers
Ces ruelles, loin de l’auberge aux carreaux verts,

Où tu dansais avec des feuilles à ton peigne
Sous un voile léger comme une aile d’abeille,
Où tu dansais parmi le rhum et les citrons,
Dans les cris, dans l’azur des pipes, les jurons
Des bateliers, des colporteurs et des manœuvres ;
Où tu dansais en déchirant des roses neuves
Sous les quatre flambeaux de résine et de poix
Qui rougissaient les murs et les tables de bois ;
Où tu dansais tordant ta chevelure rousse,
Sur la terre où giclaient des flaques de vin rouge.


LXV

À J. Aurélien Coulan.


Ni les roses, ni l’air morose que tu siffles
Sous les ifs en gardant ces chèvres et ces buffles
Au crépuscule, vieux berger, joueur de flûte,
Sous la lune que frôle un ibis insolite,

Ni le soir calme, ni ces palmes immobiles,
Ni les astres montant comme de lentes bulles,
Rien ne me distraira de la source où se mire
Son blanc visage au vert de la fraîche ramure.

Et dussé-je mener par les aubes allègres
Le troupeau jaune et noir des tigres et des zèbres
Ou cueillir sur les monts la branche souveraine,

Que j’entendrais sa voix douce sur les fanfares
Et que son souvenir embaumerait mon rêve
Comme une rose à mes couronnes triomphales.


LXVI

À Henri Martineau.


Lève le nez, ferme ton livre et ton pupitre.
La flûte de cristal à la bouche du pâtre
Module sous les fleurs nouvelles et les feuilles
Un air grave qui fait rougir les jeunes filles ;
Et son souffle fervent, magnifique et docile
S’épanouit dans la lumière universelle.
Elle chante la joie et les collines fraîches,
Le cri des paons, le vert des bois, le bruit des ruches,
L’écarlate des liserons sur les écorces,
Le bleu du ciel, le bleu des yeux, le bleu des sources ;
Elle chante, elle vibre, elle crie, ô nature,
Elle te loue et s’abandonne à ton mystère
Et son âme n’est plus qu’une phrase amoureuse.
Elle vibre et soudain trop ivre elle se brise
Et, poussière immortelle, au monde elle se mêle.

Douce flûte et mon cœur qui se donne comme elle.


LXVII


Vous, Carco, Pellerin, Vérane et vous Jean-Marc
Bernard, vous qui fumez la pipe et bandez l’arc
Et percez sous les bois les tigres et les strophes,
Lorsque le bleu tabac couvre de ses étoffes
Le feuillage où s’éveille un tendre rossignol,
N’avez-vous point rêvé d’ouvrir ce parasol
Fait de peau de panthère et de plumes d’autruche,
Et nus et soulevant le vin dans une cruche
De verser aux badauds devant les magasins
L’ivresse des coteaux rouges sous les raisins
Et de leur faire voir au milieu de la rue
Les chiens jaunes et noirs, les bœufs et la charrue,
Les geais beiges et bleus et les merles siffleurs
Et sous les becs de gaz un ruisseau dans les fleurs ?


LXVIII


Les bouleaux du matin sous quoi tu te recueilles
Balancent leur fraîcheur et leur blanc flot de feuilles
Déferle en bruissant aux rives de l’été.
De jaunes moucherons nagent dans la clarté.
Un rayon de soleil pique ta jambe nue.
Une fouine d’un saut traverse l’avenue.
Une guêpe a touché ces genévriers verts.
Aux Marcou du futur laisserai-je trois vers ?
Un jour les écoliers penchés sur leurs pupitres
En écoulant vibrer les mouches sur les vitres
Trouveront-ils au fond des collèges moisis
Une page de moi dans leurs Morceaux choisis
Et verront-ils trembler à l’entour de la chaire
Ce feuillage d’argent sur la verte fougère
Et ce bleu liseron qui s’enroule à ta main ?
Pourquoi rêver ainsi qu’au soleil de demain
Ta gloire s’ouvrira comme une douce ombrelle
Et que ta voix pareille à cette tourterelle
Roucoulera longtemps ta peine et ton amour ?
Journaux, parlerez-vous de mes livres et pour
Derème écrirez-vous une nécrologie
Quand l’aile du destin soufflera sa bougie ?

Qu’importe ? N’ai-je pas cette aube que je bois,
Ce matin bourdonnant, ces feuilles et ce bois
Et toi qui dans tes bras endors toute amertume ?
Qu’un autre pour l’honneur d’une palme posthume
Ferme ses contrevents sur les jardins fleuris
Et meure dans son encre et dans ses manuscrits !
Mais moi qui sais jouer des cithares diverses
Et goûter le soleil, la lune et les averses,
Les roses de cristal sur les prés endormis,
Je chante pour moi-même et pour quelques amis,
Et j’écoute siffler l’air tiède dans ses flûtes
En levant vers l’azur ma pipe et ses volutes
Et sans me soucier sous ces arbres touffus
Que dans quatre mille ans on sache que je fus.


LXIX


Carco, passez-moi la gourde,
Que ce vin d’Irouléguy
Me fasse le cœur moins lourd
Et l’âme moins alanguie.

Qu’ai-je besoin de pensées
Qui déchirent mon bonheur ?
Pour pleurer les jours passés
C’est encor de trop bonne heure.

Mais plutôt sur mon épaule
Voyez ce grand oiseau vert
Comme il va prendre son vol
Quand je viderai mon verre.

Vous, vous buvez à la gourde,
Le visage vers l’azur,
Et l’air murmure alentour
Et balance la verdure.

Ah ! qu’un autre geigne et pleure ;
Nous, dans l’ombre et le soleil,
Nous rêvons à la couleur
De la ramure vermeille.


Ainsi, sans nous mettre en peine
Ni de demain ni d’hier,
Nous buvons avec ce vin
L’allégresse et la lumière.


LXX

À Henri Martineau.


Je vais songer à la jeune fille que j’ai
Peinte naguère au tome II de l’Abrégé
De mes Amours et dont la grâce était fleurie.
Cet abrégé n’est pas encore en librairie
Mais elle est dans mon cœur comme une rose dans
Un livre. Je souris, mais j’ai serré les dents
Avec un tel sanglot que j’ai fendu ma pipe
L’autre hiver. La douleur elle-même se fripe
Et plus rien ne demeure au fond de nous que des
Fleurs mortes. C’est enfin l’heure que j’attendais
Du calme intérieur et de l’ombre assagie ;
Et je puis maintenant allumer ma bougie
Pour feuilleter l’herbier poudreux du souvenir.
Mais j’entends les chevaux de l’aurore hennir !
Ah ! laisse le passé, bois mort et feuilles sèches.
Le soleil sur les toits lance de rouges flèches ;
Détourne tes regards des vierges d’autrefois ;
Leur visage pâlit comme la lune et vois
Bondir en secouant leur sauvage crinière
Les quatre étalons blancs cabrés dans la lumière.


LXXI


Je crayonne ton nom sur la peau d’un tambour
Au corps de garde. Où est le jour ? où est le jour
Où tu tendis tes mains vers mes lèvres ? La pluie
Battait les vitres. Dans ma mémoire éblouie
Tu refleuris, bouquet de roses qui trempais
Dans l’ombre et parfumais l’oubli des canapés.
Sur toi mon souvenir est la caresse douce
D’un clair de lune sur les collines. Soir d’où ce
Bonheur m’est venu ! Soir rare dont je rêve en
Larmes, où j’ai compris ton visage fervent
Qu’atténuait déjà le charme des automnes.
J’avais un air mélancolique et des gants jaunes.


LXXII


Tes bras ont une courbe adorable et malgré que
Ton cœur n’ait que dédain pour la grammaire grecque
De Burnouf et le dialogue d’Ampelis
Et de Chrysis, tu m’es plus chère que ces lys
Bleus et verts qui s’ouvraient sous les feuilles des frênes,
L’autre automne. Mais le collier que tu égrènes,
Ta chevelure qui ruisselle et la tiédeur
De ta gorge et tes mains pures comme l’odeur
Des roses disent la vanité de mon livre
Et qu’il vaut mieux ce soir où ta grâce m’enivre
Dans tes bras regarder à travers le rideau
La lune comme un œuf dansant sur le jet d’eau.


LXXIII


Et naguère aux midis de résine imprégnés,
Après les bois de pins torrides, je baignais
Mes mains dans tes cheveux comme dans une eau pure,
Ô toi que mon amour ce soir caresse et pare.
Tu trempais en riant des roses dans du sucre
Et tu mordais dans leur fraîcheur à blanche nacre
Et quand tu me tendais tes lèvres, j’y goûtais
Les roses dont l’arôme embaume les étés.


LXXIV


Le décor somptueux et lourd d’étoffe rouge
Où parfois de chaleur une rose s’écroule,
L’eau tiède des bouquets que boit l’ombre torride
Et toi voluptueuse et nue et ton sourire
Et ton bras où miroite une chaîne d’ivoire
Et d’or. Ah ! dans le lin immaculé d’un voile
Goûter la neige et l’aube aux flûtes argentines
Et la nuit pure et les étoiles maritimes !…


LXXV


Bien qu’avec passion à mes bras tu te livres,
Je sais que tout est vain, l’amour comme les livres ;
Les étoiles se faneront dans le foin bleu
Et rien ne vaut le soir ma pipe au coin du feu
Qui me caresse et m’offre un trouble paysage.
Et pourtant je reviens toujours à ton visage
Encore que je sache au monde qu’il n’est rien
Qui puisse consoler un cœur comme le mien.


LXXVI


C’est le feuillage noir des platanes que perce
Une flèche de lune et la sonore averse
Des nocturnes. Ô nuit musicale ! J’attends…
Et j’attendais que tes bras ivres de printemps
Vinssent avec fraîcheur se nouer à mes tempes.
Aujourd’hui quelle main rallumera les lampes
Et l’espoir, me rendra les blancs oiseaux enfuis
Et jonchera de fleurs les routes que je suis ?


LXXVII


Puisque tout est pareil aux feuillages labiles,
C’est vainement que sur mes flûtes malhabiles
Je chante les jongleurs, ta grâce et nos doigts joints.
Le monde et ta beauté n’en passeront pas moins.
C’est vrai. Mais par le rythme où mon rêve s’applique
Nous entendrons passer l’univers en musique.


LXXVIII


Prends ton manteau. Suspends les plaintes éternelles
Et buvons la splendeur des heures automnales,
Car la pourpre des bois environne le zèbre
Qui rue et trotte et mord le feuillage et se cabre.
C’est le nouvel octobre et la sente où je marche
Je la foulais naguère en brandissant la torche
Quand je voulais au sort attacher des entraves
Et nouer à l’azur les roses de mes rêves.
Et nous nous oublierons et que notre cœur saigne
En regardant glisser la souplesse d’un cygne
Et nous contemplerons, dédaigneux des clepsydres,
Les paons de cuivre bleu dans le bronze des cèdres.


LXXIX

À Léon Vérane.


Non, ce n’est pas cela que tu avais rêvé
Et le soir quand tu vas t’attabler au café
Pour lire le Divan, la Phalange ou les Marges
Tu songes aux voiliers qui glissent sur les larges
Atlantiques, en plein azur, vers les îlots
Candides, nénuphars que balancent les flots.
Les buveurs braillent. Tu es seul. Tu lis. Tu coupes
Les pages. Tu es seul dans le bruit des soucoupes ;
Et ces gens dont le cœur ne reflète aucun ciel
Ignorent Gaudion, Royère et Duhamel.
Tu es seul et sous tes sourires tu sanglotes,
Rose triste au milieu d’un bouquet d’échalotes.


LXXX

À Francis Carco.


Un visage, une phrase, un merle, ce fruit d’if
Jaune, j’ai tout aimé d’un amour maladif.
Car en tout je trouvais la marque du mystère
Universel ; et sous les branches, solitaire
Dans l’herbe et la chaleur que de fois j’ai compté
Les anneaux éclatants des guêpes de l’été.
L’ombre émouvante est dans les choses minuscules
Et je me tais pour écouter aux crépuscules
Le grillon dont la voix déferle comme un flot
Et renaît et se brise ; et dans l’œil d’un mulot,
Ainsi que dans la mer où se perdent les voiles,
Se reflète l’azur, la lune et les étoiles.


LXXXI

À George Gaudion.


Au bord de la prairie humide où tu gazouilles,
Aurore, j’ai cueilli les jaunâtres groseilles
Et le long du chemin, sur les ronces, les mûres
Vertes et je songeais à ses lèvres amères
Et qu’elle souriait quand je baisais ses larmes.
Les vaches qui sonnaient sortaient des blanches fermes
Et dans les prés fauchés pâturaient l’herbe rase.
Elle n’est pas venue et j’ai pris une rose
Pour la faire sécher dans cette anthologie
Grecque que je traduis le soir à la bougie.


LXXXII

À Paul Mieille.


L’ombre élève un parfum de tilleul et de fraise.
Métonymie, antonomase, catachrèse,
Et c’est sur vos secrets que je me penche. Elle est
Sous la tonnelle, une tulipe au bracelet,
Et mord un brin de buis plein de sèves amères.
Et je la vois sourire aux marges des grammaires.


LXXXIII


La double passion de l’amour et des livres,
Les poèmes et les beaux yeux dont tu m’enivres,
Jules Laforgue et tes mains blanches, Mallarmé
Et la pâleur de ton visage accoutumé,
François Villon, Laurent Tailhade, Paul Verlaine
Et vous, Jammes, berger vêtu de rude lame
Qui tirez des sanglots d’une flûte de buis…
Ô poëtes, c’est vous que dans l’ombre où je suis
J’évoque en regardant tandis qu’elle sommeille
Ses cheveux dénoués sous la lampe vermeille.


LXXXIV


Vers la croisée et vers les roses du plafond,
Souffle au bout de tes doigts les bulles de savon
Et souris tendrement à mon rêve crédule.
La lune de cristal flotte comme une bulle
Aux cieux tendres et verts ; les constellations
Éternelles, nos cris, nos pleurs, nos passions
Se vont faner comme de blanches marguerites.
Et toi, ma pure amie et claire, qui abrites
Les bleus ramiers de mon amour, tu souriras
À quelque autre baiser qui brûlera tes bras
Et tu ne seras plus qu’un tumulte de fête.
L’eau glace tes bras nus dans la blanche cuvette.
Souffle des bulles qui reflètent l’Univers.
Mais vois ! plus rien ne flotte aux cieux tendres et verts ;
La lune de cristal sur un toit s’est brisée ;
Baisse les yeux : le pré scintille de rosée.


LXXXV


Je dirai pour l’instruction des biographes
Que ton corsage avait quarante-deux agrafes,
Que dans tes bras toute la nuit j’étais inclus,
Que c’était le bon temps, que je ne quittais plus
Ta chambre qu’embaumait un pot d’héliotrope.
Duhamel animait son héroïque Anthrope,
Pellerin habitait Pontcharra et Carco
49, quai de Bourbon, Paris. Jusqu’au
Matin, je caressais tes jambes et ta gorge.
Tu lisais Chantecler et le Maître de Forge ;
Tu ignorais Laforgue estimant qu’avec art
Écrivaient seulement Botrel et Jean Aicard.
Mais au bord du Viaur embelli de ses rêves,
Frêne, pâle et barbu, méditait sur les Sèves,
Et Deubel, revêtu des velours cramoisis,
Publiant au Beffroi ses Poèmes choisis,
Déchaînait dans les airs le tumulte des cuivres.

Et j’aimais beaucoup moins tes lèvres que mes livres.


LXXXVI


Que de fois j’ai souri pour te cacher mes larmes !
Que de fois j’ai noué des roses sur mes armes
Pour te dissimuler que j’allais au combat !
Fallait-il que mon fiacre à jamais s’embourbât
Et se perdît dans les ornières de la vie ?
Comment faut-il encor ce soir que je sourie
Lorsque j’entends crouler le monde autour de moi
Et quand l’espoir suprême où j’avais mis ma foi
Je le vois s’effeuiller comme une primevère ?
Garçon, apportez-moi du fiel dans un grand verre.


LXXXVII


Lorsque tu étais vierge
(Le fus-tu ? Le fus-tu ?)
Nous dînions à l’Auberge
Du Caniche Poilu.

C’était une bicoque
Sous un vieux châtaignier ;
Tonnelle pour églogue,
Lavoir et poulailler.

Buis sec à la muraille
Et rosiers aux carreaux…
À travers une paille
Tu suçais des sirops.

Guinguette au toit de chaume,
Mur d’ocre éclaboussé…
Un grand liseron jaune
Fleurit sur le passé.


LXXXVIII


Oui, je chante la joie ivre et passionnée
Et je noue à ma barbe une rose fanée
Pour songer nuit et jour qu’il faudra que mon corps
Se dissolve comme elle et quitte les décors
Fastueux où le monde épanouit sa force.
Je m’en irai. Je tomberai comme l’écorce
Des platanes, comme les feuilles, comme les
Roses ! Je suis vivant ! Ciel, nuages gonflés
D’eau lourde, bois roussis par les torches d’automne,
Vergers où l’or vivant des abeilles bourdonne,
Fruits riches, souvenirs d’un magnifique été,
Moissons, je vous respire avec avidité
Et je mêle ma vie au triomphe des choses,
Éperdu comme les feuilles, comme les roses !


LXXXIX


En vain tu mets tes doigts sur mes yeux inquiets
Et me caches les prés, les branches et le ciel,
Ô doux amour, ô toi qui es
Du féminin au pluriel !

Exiges-tu que d’une voix endolorie
Je dise les brasiers que ton sourire allume,
En un livre de la série
In-16 à 3 fr. le volume ;

Ou que, trempant encor ma plume dans mon cœur,
Car déjà ton regard a séché l’encrier,
Je te figure, archer vainqueur,
Coiffé de myrte et de laurier ?

Ma plume ne sert plus qu’à débourrer la pipe
Que je fume le soir sous les saules moroses
En songeant à l’ombre qui fripe
Les espérances et les roses.

Laisse-moi. Je me plais à voir glisser le vol
Sur l’immobile azur des pigeons gris et blancs ;
À quoi bon nouer à mon col
Tes bras perfides et tremblants ?


Tu verras en sanglots mainte âme évanouie
Baiser tes pieds en implorant la servitude ;
Moi, j’ouvrirai mon parapluie
Pour danser dans la solitude.

XC


Une pie de neige et d’ébène
Ou, si l’on veut, de craie et de charbon,
Tandis que je songe à ma peine
S’envole et vole au vert vallon.

L’eau fredonne sous mes semelles
Et je m’endors dans l’herbe du talus.
Voici des jours et des semaines
Que pour moi tu ne souris plus.

Tu dois pleurer dans cette ville
Comme, la nuit, je pleure loin de toi…
Le vent (qui sait ?) souffle, et ravive
Les girouettes sur le toit

Rouge de cette maisonnette
En fleurs où nous nous sommes tant aimés ;
Mais les roses de la tonnelle
Refleuriront-elles jamais

Pour moi qui, près de la rivière
Que frôle et griffe un bleu martin-pêcheur,
En attendant que l’oubli vienne
Avec son calme et sa fraîcheur


Compose un poème inutile
En écoutant les blancs et bleus remous
De l’eau qui chante sous la digue
Et qui caresse les cailloux.

XCI


Puisque dans cette chambre où l’amour triompha
Des guirlandes de fleurs meurent sur le sofa
Et que ton pauvre cœur jaunit avec les roses,
Épargne à ta douleur les visions moroses
De tout ce qui se fane et passe comme toi ;
Et ta pipe azurant jusqu’aux poutres du toit
Enferme ces bouquets au coffre que tu plombes.

Le ciel est gris comme les ailes des palombes ;
Et l’air plus frais que les cheveux que tu mordais
Balance doucement les plats à barbe des
Coiffeurs et les lilas qui pendent aux murailles.

Ton misérable cœur chante les funérailles
Et tu pleures les yeux qui ne te verront plus.
Et pourtant tu dansais sous les saules feuillus,
Les oiseaux gazouillaient dans le parfum des branches
Et toi tu poursuivais dans le hallier de blanches
Filles et tu marquais leur bouche à belles dents

Mais maintenant craintif tu cherches, les pieds dans
La rigole, le vol des cigognes lointaines.
Le bonheur a coulé comme l’eau des fontaines


Et tu n’as plus que des fleurs sèches dans les doigts,
Toi qui voulais, quand les bourgeons perçaient le bois,
Entasser des moissons de roses dans ta grange.
Le passé comme un vieux décor déjà s’effrange.
Mets ton lorgnon ; ferme tes ailes de moineau ;
Et pleure en écoutant ce triste piano
Qui réveille ton cœur plein d’ariettes grêles.

Les beaux jours ont passé comme des tourterelles.


XCII


Laisse. La passion vaut seule que je vive
Et qu’ébloui sous les feuillages de la rive
Je dédie à l’azur cette coupe où je bois,
Et que pareil à l’eau qui reflète les bois,
Les nuages, la lune et la voûte profonde,
Je ne sois plus qu’un hymne à la gloire du monde.


XCIII


Le soir pique à l’azur des grains de mimosa.
Étoiles. Le collier qu’hier je nouais à
Son col et qui tremblait sur sa gorge endormie
Ne scintillera plus au cou de mon amie.
Je ne baiserai plus que dans mon souvenir
Les roses que naguère elle aimait à cueillir
Pour attacher leur pourpre aux nacres de ses peignes.
Lune au plumage blanc, comme hier tu te baignes
Au lac bleu. Les pigeons roucoulent comme hier.
Seul dans ce tendre soir je porte un cœur amer
Et je sens aux frissons de l’air dans la tonnelle
Sourire autour de moi la nature éternelle.


XCIV


Univers, bois, coteaux et les sources ! Je suis
Ivre ! J’écrase les fougères ; je poursuis
La troupe sous les buis des vierges effrayées.
Éclairs roses dans la verdure des feuillées ;
Courses dans la fraîcheur et les branches. Sur leurs
Épaules et leurs bras les gouttes et les fleurs
Pleuvent des bas rameaux que leur fuite secoue.
Mais là-bas le ciel est rose comme une joue ;
La forêt s’éclaircit au bord bleu du torrent.
Herbe drue, aube, oiseaux, feuillage transparent !…


XCV

À Guillaume Apollinaire.


Je veux bourrer ma pipe et fumer en silence
À l’ombre des rosiers que l’air tiède balance.
Les feuilles sur le ciel tremblent avec douceur
Et je rêve, couché sous les branches, tresseur
De rythmes et de fleurs qui raillent le tonnerre.
Car le temps est venu, mon cher Apollinaire,
De boire cette paix que goûtent seulement
Ceux-là qu’a déchirés un illustre tourment.


XCVI


À quoi bon prendre un air tragique si tout n’est
Qu’illusion et secouer ton bracelet,
La chevelure éparse, en un geste terrible ?
La résignation demeure au fond du crible
Quand la vaine espérance a passé dans le vent.
Laisse les cris aux gens de théâtre et levant
Ton cœur dans la clarté d’une lune meilleure,
Goûte, comme je fais, la paix intérieure.


XCVII


Six heures tombent de l’horloge
Comme six noix dans un chaudron
Déjà le soir triste grelotte
Sous un lourd nuage marron.

Elle, naguère sous le saule
À cette heure elle souriait…
Faudra-t-il que je me console
De son doux regard inquiet ?

Roses chaudes de sa jeunesse,
Hélas ! j’en ai mal à mourir.
Comme un colibri dans la neige
Mon cœur se glace au souvenir.

Et ce soir morose d’automne
Dans le vieux jardin qu’elle aima,
Il tombe d’un marronnier jaune
Des feuilles sur mon panama.


XCVIII


Mon Dieu, madame, il faut nous consoler
Sans faire des gestes tragiques,
Sans déclamer et sans râler
Si le sort nous donne des gifles.

C’est un destin encore assez
Banal qui nous désole et nous sépare,
Qui m’offre ses bouquets glacés
Et qui vous fait amère et pâle.

Laissez le sabre à la cloison
Et l’aconit à l’officine,
Car voyez-vous le fer et le poison
C’est bien usé depuis Racine.

Hélas ! Pourquoi railler ainsi
Nos seules choses éternelles ?
Et chavirant au noir souci
Je pleure en écrivant ces chansonnettes…


XCIX

À Léon Vérane.


Tu me railles, mais j’aime un livre singulier
Comme moi-même et qu’un auteur sache lier
L’univers à son rythme et que sa droite unisse
Et courbe au même joug l’autruche et la génisse.
Et déjà n’ai-je pas en des mètres égaux
Chanté ce calme fiacre attelé d’escargots
Qui me traînait naguère aux pentes des collines
Dans l’herbe et la fraîcheur des roses cristallines ?
La lumière soufflait dans de suaves cors
Et mes huit escargots toutes cornes dehors
Dans cette aube que l’air gonflait comme une voile
Glissaient avec lenteur vers la dernière étoile.


C


Cette grande chambre et ce lit défait…
Un rouge-gorge sur la branche se balance.
Cela vaut mieux pour lui que d’aller au café.
Cette grande chambre et ce lit défait…
T’en souviens-tu de ce dimanche ?

Une branche de neige entrait par la fenêtre.
Fleurs de pommier dans la tiédeur
Et sur la pompe et sur le cèdre
Les moineaux se battaient et roulaient dans les fleurs

Le soleil séchait les flaques de pluie…
(Ah ! que je m’ennuie !)
Il n’y avait ni vasques ni jet d’eau ;
Un pigeon blanc dormait sur le bleu des ardoises
Et quand le chat passait sous les rouges framboises
Les feuilles lui versaient des gouttes sur le dos.

Puis la lune apparut en nacre transparente.
(C’est une chose assez courante…)


CI


Ce mouchoir sent l’éther comme ta chevelure,
Et ton visage est doux comme la pure lune
Qui verse sa blancheur dans la chambre où parmi
Les fleurs je sais bercer mon amour endormi.
La forêt rousse était comme une peau de nèfle
Et le soleil du soir caressait ta jeunesse
Et tu tourbillonnais dans un voile d’azur
Si léger qu’on eût dit de la lumière sur
Des roses. Ton parfum de ce mouchoir s’exhale.
Mais hier je tendais les mains vers ton visage,
Quand soudain me lançant une rose dans l’œil
Tu t’enfuis à cheval sur un grand écureuil.


CII


Le soleil a doré tes lèvres. Un bourdon
S’éveille et bat les murs. Prends ton sourire et ton
Ombrelle ; tu courras sur l’herbe fraîche. L’aube
Est moins claire que ton visage et sur ta robe
Le matin lancera des flèches de clarté.
Tout chante et nous marchons vers ce bois écarté
Où nous vîmes des musaraignes. Une huppe
A crié. Cet ajonc va déchirer ta jupe.
Je t’aime. Je voudrais que tu dises : « Je suis
Heureuse ». Ne ris pas. Les grillons grincent. Suis
Le sentier ; ne mets pas tes pieds dans la rosée.
Une mésange sur les ronces s’est posée.
Elle s’envole. Tu partis naguère. Mais
Ta main cueille le thym et les houx embaumés.


CIII


T’en souviens-tu (comme on écrit dans les romances)
T’en souviens-tu de ce dimanche des dimanches
Où nous avons erré sous les mornes platanes
Après l’azur et la poussière et la chaleur ?

Souvenirs, souvenirs, venez qu’on vous rétame,
C’est moi qui suis le rétameur !

Ah ! malgré qu’on veuille sourire,
Moi, j’ai des larmes plein le cœur
Et je m’en vais à la dérive.

Cette musique au loin et ces bouffées de cuivre,
Polka pour deux pistons et grands airs d’opéra
La Favorite, l’Africaine, etc.

La même lune va reluire
Et refléter son cristal nacarat
Dans l’eau chaude du fleuve.

Un vent tiède se prit à remuer les feuilles.
Tes mains étaient pleines de larmes.
Les tramways en passant t’éclairaient le visage.


Près d’un café pleurait une aigre clarinette.
Un grand magnolia balançait ses fleurs blanches,
Et la lune pendait aux branches,
Douce lanterne japonaise.


CIV

À Charles-Henri Hirsch.


Jardin mouillé, chantons encore ce poème.
L’averse a secoué la vigne et le troène,
Et le soleil, dorant le désastre des roses,
Allume aux noisetiers de vives émeraudes.
L’air tiède et langoureux qui souffle dans son fifre
Chasse vers le coteau les nuages en cuivre.
La pelouse scintille à travers ma fenêtre.
En robe blanche et bleue, elle rit sous le cèdre
Et trempe ses pieds nus dans l’eau de la fontaine ;
Puis elle ouvre, doux cœur, ses ciseaux à dentelle
Et sur le sable vert près des tulipes jaunes,
Guette les escargots et leur coupe les cornes.


CV


Chambre d’hôtel où flotte une odeur de benzine,
Les échos d’un concert sur la place voisine
Et le parfum amer de tes épaules nues.
Tu rêves dans mes bras de berges inconnues
Où le vent tiède émeut des feuillages de givre,
D’une prairie épaisse où ta chair serait ivre
Et d’eau sous un soleil pâle comme une perle.
Tu dors ; le double flot de ta gorge déferle
Doucement ; d’un ruban je caresse ta joue
Et j’écoute là-bas la musique qui joue
Sous les ormes grillés, ô ma belle dormeuse,
Guillaume Tell, le Beau Danube et Sambre-et-Meuse.


CVI

À Élie Richard.


Triste, à côté du chien et du chat, j’ai chauffé
Mes bottes dans l’auberge en buvant le café
Trouble que m’apportait une vieille servante ;
Et j’ai pleuré de n’avoir plus l’âme fervente
Qui élève un flambeau triomphal dans son poing,
Ni cette passion qui ne balance point,
Foule d’un pas égal la ronce et les prairies
Et des chemins boueux fait des sentes fleuries.
Ah ! pauvre cœur sans gouvernail, où t’en vas-tu ?
Tout n’est qu’ombre et mystère et tu prends, éperdu,
Les astres à témoin de ta peine exiguë…
Petit Socrate, bois ta petite ciguë.


CVII


La chaleur tout le jour a rougi le vignoble
Et j’étais seul avec ces tulipes d’octobre
Dans la chambre où jadis chantèrent mille oiseaux.
Je lève maintenant le store de roseaux ;
Le double volet vert sur la muraille claque.
Le soleil a plongé dans le soir d’écarlate
Comme une abeille en or dans un coquelicot ;
Et la lune déjà, comme un jaune escargot,
A quitté la colline et glisse au ciel d’automne.
Ce n’est plus vous, vous qui m’aimiez au premier tome,
Hélas ! ce n’est plus vous, cette nuit, qui viendrez
Appuyer sur mes yeux votre visage frais…
Croyez que le mot frais n’est pas là pour les rimes ;
J’abandonne ces pirouettes puériles
(Qu’hier encore j’exécutais ivre d’azur
Facile) pour pleurer avec tristesse sur
Les pauvres hommes que nous sommes, si nous sommes
Car il est dans mon cœur, car il est dans les saules
Un oiseau de cristal que j’écoute gémir
Sous l’ombre bleue, un rossignol, un souvenir…


CVIII


Nous nous taisons. Le vent balance
Les deux saules sur l’abreuvoir ;
Et je sais malgré ton silence
Que ce soir est le dernier soir.

Adieu. Les feuilles tombent. Lune
Coutumière. Décor banal.
Tourterelles, crépuscule. Une
Étoile, comme un point final.

Tu as la force de sourire
Et dans mon cœur je reconnais
L’odeur des buis que l’on respire
Dans les jardins abandonnés.


CIX

À Jean Pellerin.


Reste dans ta coquille et dédaigne, escargot,
Cet humide parfum de rose et d’abricot ;
Ta solitude sera douce si tu l’ornes
De beaux rêves ; il pleut ; tu mouillerais tes cornes.
L’averse drue et chaude écrase le gazon,
Et les tonnerres illuminent la maison
Et la muraille où tu te colles sous les toiles
D’araignées ; et le vent a soufflé les étoiles
Et la lune a roulé dans l’herbe comme un fruit.
Rentre tes cornes ; loin des éclairs et du bruit,
Médite sur toi-même et dore tes pensées.
L’orage fauche l’herbe et les feuilles froissées ;
Il siffle et fait voler les ardoises du toit.
Laisse le monde s’écrouler autour de toi.


CX


Jean Pellerin, j’ai revêtu la houppelande
Grise. C’est l’hôpital. Qu’un rosier enguirlande
Vos tuiles et fleurisse à la neuve saison
Afin que vous viviez parmi les roses ! On
Le cherche et le bonheur est sous les branches ; elles
Frémissent quand un geai les touche de ses ailes…
Mais où sont les oiseaux et les feuilles ? Je n’ai
Que des flacons et un œillet jaune et fané
Dans un verre ; et le soir, lorsque les notes grêles
S’envolent des clochers comme des tourterelles,
Je regarde, perdu dans ce lit d’hôpital,
Glisser sur les carreaux la lune de cristal.


CXI


Ce soir de septembre où je suis
Solitaire sous le feuillage
Calme, j’évoque ton visage
En fumant ma pipe de buis.

Car il n’est plus rien qui émeuve
Mon cœur lassé de ses décors
Que la mémoire de ton corps
Rose dans l’eau verte du fleuve

Et tes gestes que je revois
Lorsque, dansant sous la feuillée,
Tu jonglais, rieuse et mouillée,
Avec une rose et deux noix.

La lune monte, et sur ce bord je
Pense à tes bras que j’ai baisés,
Et qu’aux soirs bleus tu écrasais
Des mûres noires sur ta gorge.

Ainsi je regarde fleurir
De vieilles roses étouffées
Et je tire d’âcres bouffées
De ma pipe et du souvenir.


Que le sort maintenant me donne
La paix d’un feuillage indulgent.
Quoi ! vais-je pleurer en songeant
Que tu t’es flétrie à l’automne ?

La lune pend, rouge abricot,
Aux branches jaunes de la berge
Et j’enroule un fil de la Vierge
Sur les cornes d’un escargot.


CXII


Rouges coquelicots que le soir amoncelle,
Nuages, vais-je encor donner ma voix à celle
Qui sur mon désespoir pose ses escarpins
Et dédaigne mes vers et les ciels que je peins ?
Des cygnes au lavoir glissent comme des strophes ;
Le paysage dort sous de jaunes étoiles
Et le ruisseau d’eau froide où je trempe la main
Reflète les ormeaux qui bordent le chemin,
Les osiers gris et verts et les feuillages roses.
Je veux la voir pleurer devant ces simples choses.
Palpiter, et goûter la secrète beauté
De ce pré qui bleuit, de ce saule argenté
Qui tremble, de ce soir sur la molle vallée
Où monte au ciel désert une lune exilée.


CXIII

Pour distraire mon ami le poète Léon Vérane.


Les fraises dans le plat de blanche porcelaine
Gardent la fraîche odeur de l’aube sur la plaine,
Des branches, de la mousse et des sources glacées
Sur la nappe, j’ai mis ton bouquet de pensées
Et tandis que, les yeux pensifs, tu te recueilles,
Ce soir grave, je vois glisser entre les feuilles
La lune comme dans les vieilles élégies.
Un souffle tiède et pur caresse les bougies
Et berce la glycine et les roses blafardes
Et la tonnelle. Prends des fraises. Tu regardes
Au champagne doré le sucre se dissoudre ;
Le temps sur nos cheveux verse du sucre en poudre
Et j’aurai quelque jour de larges mèches blanches.
Mais qu’importe ! ce soir vers moi si tu te penches,
Sans crainte de l’automne et des feuilles rougies,
Et si pour mes baisers tu souilles les bougies.


CXIV


Pour goûter au charme unique
Qui jaillit de ton baiser,
Diogène le Cynique
Courrait se faire raser.

S’ils savaient ton regard, ivres
Les sages silencieux
Verraient s’ouvrir dans leurs livres
Des pivoines et des yeux.

Et, mordus de quelles fièvres !
Secouant toge ou veston,
Et sautant comme des lièvres,
Ils crieraient : Où la voit-on ?

Dans leurs veines : escarboucles
Liquides et plomb fondu,
Tu les verrais pour tes boucles
Poussant un cri éperdu,

Tous, contemporains d’Ulysse
Et disciples de Bergson,
Se rouler nus, ô délice !
Sur des peaux de hérisson


Car pour mordre à la grenade
Rouge des désirs ouverts,
Ils oublieraient la monade,
Le noumène et l’Univers.

Ah ! Vivons ! La page écrite
Ne vaut pas les lèvres qu’on
Mord ! Vers l’amour ! Démocrite,
Spinoza, Hegel, Bacon,

M. Durkheim, Xénophane,
Vers l’amour, vous chanteriez,
Sans archet ni colophane
Violons extasiés !

Ah ! que pèsent hypothèses,
Postulats, systèmes, lois ?
Ne faut-il que tu te taises
Ou que tu joignes ta voix

Au grand tumulte des choses,
À l’amour qui fait ployer
Les cigognes et les roses,
La tulipe et l’épervier ?

Viens, et contre moi pressée,
Aux brutes fais-moi pareil
En écrasant ma pensée
Sous la grâce d’un orteil.


CXV


C’est février, le mois des chattes et du givre
Dans les ténèbres. Tu reviens. Je vais revivre.
C’est toi. Je ne sais plus si j’ai pleuré. C’est toi.
Et tous les rossignols gazouillent sous mon toit.
C’est toi. Voici un an que tu n’es revenue
Dans cette chambre où tu as dansé toute nue
En ouvrant ton ombrelle afin de ne pas voir
Ton corps souple se refléter dans le miroir.
Tu t’en allas. Le soir, j’alignais des distiques
Mélancoliques. Souvenirs, vol de moustiques !
C’est toi. Je veux chanter ton rire et février,
Et piquer un lilas sur le calendrier.


CXVI


Reste étendue encor sous la chaude verdure
Et dors dans le parfum des hêtres et du buis ;
Là-bas, l’herbe roussit dans la lumière dure,
Mais sur nous, plein d’oiseaux, feuillage, tu bruis.

Dors, pendant qu’au zénith le soleil rude forge
Le cuivre de l’automne et lance les essaims,
Tandis que je regarde incliné sur ta gorge
L’escargot jaune et bleu qui glisse entre tes seins.


CXVII


La lune se répand sur les blanches prairies,
Mais je veux dans mes bras ce soir que tu souries
Et que d’un cœur gonflé de jeunesse et d’amour
Tu goûtes la beauté de l’ombre après le jour,
Car nous remémorant l’azur, ô toi qui n’aimes
Que les prés attiédis et les fraîches tonnelles,
Dans la lueur lunaire encore nous verrons
La lumière, le chœur ivre des moucherons,
La cage de roseaux suspendue au platane
Et l’ombre violette où le paon vert étale
Rouge, bleue et dorée une roue en émail,
Le bouc apprivoisé sous les branches du mail,
La neige des brebis et les genêts de soufre,
Les feuillages légers et l’air tendre qui souffle
Dans l’herbe d’émeraude et le trèfle incarnat.
Angélus. Souvenirs. Cloche et pensionnat.
La lune sur le toit glissait sa blanche corne,
Sous les tilleuls nouveaux tu sautais à la corde
En écoutant gémir de vagues pianos
Dans la cour où déjà se taisaient les moineaux.
Tu cousais mes billets aux volants de tes robes…
Les mésanges de juin s’endorment sur les roses

Et près de toi je songe à tous les rossignols
Dont la voix enivrait les jasmins espagnols
Aux jardins de jadis dans la nuit odorante
Où la lune roulait comme une rouge orange.


CXVIII


Puisque je suis assis sous ce pin vert et sombre
Qui domine au soleil les tumultes marins,
Ô Muse, apporte-moi les syllabes de l’ombre
Pour rimer au premier de ces alexandrins.

Je sais que tout est vain ; je sais que tout est grave
Et je sais que mes vers tu ne les entendras,
Amie aux beaux cheveux qui rêves dans mes bras,
Cependant que le bleu s’argente sur la rive.

Pour toi ne faudrait-il chanter comme certains
Les sérénades à Grenade, les œillades
Et les baignades sans noyade des naïades,
L’échelle au clair de lune et l’amour au printemps ?

Mais tu dors ; langoureuse et lasse tu reposes,
Les cheveux caressés par le vent de la mer ;
Mais tu dors et ta main laisse glisser des roses
Sur le sable stérile et dans mon cœur amer.


CXIX


Tu n’aimes pas les vers, car tu es belle et dis
Qu’il faut saisir le temps sous des ongles hardis
Et tenaces, le déchirer, rouge grenade,
Le mâcher et jeter l’écorce vaine. Une ode,
Son ampleur magnifique et son rythme pareil
Aux respirations des flots sous le soleil,
Sa splendeur, son tumulte et ses tempêtes sourdes
Qu’importent, et tout l’art, puisqu’il faut que tu mordes
Ivre et pour en jouir la vie à pleines dents !
« Les poètes, dis-tu, qui contemplent, qui dans
Le secret de leur cœur reconstruisent le monde,
Peignent de vains décors sur des coques d’amande.
Je tressaille, je plonge et je m’évanouis
Aux durs baisers du fleuve, à ses cris inouïs,
L’eau m’emporte, me bat, m’enivre et quand j’émerge,
Poètes, je vous vois qui rêvez sur la berge. »


CXX


Toi, tu ris, tu te renverses
Sur le divan rouge et bas ;
Tu n’as gardé que tes perles,
Tes fourrures et tes bas.

Cet après-midi d’automne
Chauffe l’ombre de la chambre ;
Le vent siffle et tourbillonne
Au verger couleur de cendre.

Mais tu ris, ma belle amie,
Rose sur le divan rouge,
Sans redouter que la vie
Fane tes seins ni ta bouche.


Tu dors. Encore une fois,
Moi je bourre cette pipe,
Cette vieille pipe en bois
Qui fume quand je soupire,


Cette pipe que Carco
Noircit comme Pellerin
Et qui régnera jusqu’au
Sifflet de mon dernier train,

Jusqu’à l’heure où sous les fleurs
Je m’en irai pour toujours
Afin d’aller voir ailleurs
S’il est de longues amours.


Des gazes lentes et bleues
Environnent mon exil ;
Ferai-je sur tes cheveux
Une romance facile ?

Dois-je, injuriant le sort
Et le jour qui nous éclaire,
Vainement clamer encore
Ce que mon cœur a souffert ?

Quand tu vas dans l’ombre noire
T’éveiller en un soupir
Je saurai du moins avoir
La force de te sourire.


CXXI


La vie est douce encore à ceux qui savent vivre
Et tirent de leurs maux de puissantes liqueurs ;
Suspendez ce fracas, ce tambour et ce cuivre :
Il n’est besoin de cris pour émouvoir nos cœurs.

Ne me reprochez pas de vivre solitaire ;
Mais dans ce bleu jardin au feuillage léger
Où la rose fleurit près de la serpentaire
Pour un songe amical j’ai de quoi vendanger.

Je fume sagement ma vieille pipe à l’ombre
D’un arbre blanc et vert, sonore et japonais ;
Eh ! pourquoi penserais-je à quelque heure plus sombre,
À d’anciens printemps qui sont déjà fanés ?

Celui-ci me déchire et cet autre me loue ;
Mais qu’importe ? Demain, les grappes mûriront.
Laissez-moi dans ces jours que le destin m’alloue
De funèbres rameaux ne pas ceindre mon front.

Dois-je encore pleurer ? Qui faut-il que j’envie ?
Cette glycine en fleur s’enroule au cyprès noir ;
Amie aux beaux cheveux dont l’amour est ma vie,
N’ai-je pas les bras nus qui m’enivrent le soir ?


Bientôt, les escargots endormis sous les fraises,
Un chœur de rossignols charmera mon loisir ;
Mais déjà renversée et dans l’ombre tu baises
Les roses de juillet en riant de plaisir.


CXXII


Ma fortune a tourné comme l’ombre d’un arbre ;
Et l’avenir, palais fleuri, bassins de marbre,
Parc sonore où dans le tumulte et les cascades,
Mes jours devaient entrer en longues cavalcades
Sous les bouquets de blanc troène et les guirlandes
De laurier, l’avenir, la plus morne des landes,
N’est plus, parmi le deuil des futures années,
Qu’un tourbillon de cendre et de roses fanées.
Noirs platanes que bat l’averse dure ; et celle
Qui regarde pâlir la dernière étincelle
De cette gerbe en feu qui dora mes journées
Et jaunir cet espoir des tempes couronnées,
Baisse son beau visage et médite, et si elle
Profère enfin quelque parole essentielle,
C’est touchant les chapeaux, les gants et les ombrelles.
Et j’écoute gémir de rauques tourterelles,
Là-bas, dans les rameaux des saisons anciennes ;
Branches douces, lumière, aubes qui furent miennes.
Geais et merles sur les roses des matinées,
Paradis qu’à travers les grilles des années
Je regarde, tandis que la pluie et l’orage
Déchirent ma fortune et le sombre feuillage.


CXXIII


Que m’importe l’amour et les roses, si tu
Reposes loin de moi, si mon rêve abattu,
Rameaux rouges et verts, fleurs des branches ailées,
Ce n’est plus que bois mort sous les feuilles brûlées ?
Solitude, jardin des vipères, ciel gris
Et pluvieux où glisse avec de tristes cris,
Un triangle d’oiseaux sauvages. Mes pensées,
N’ont-elles pas souvent loin des rives glacées
Où l’esprit se lamente et mire dans les eaux
Un visage de nuit, n’ont-elles pas, oiseaux,
Fui naguère battant les airs d’une aile forte
Vers l’azur. Mais ce soir que l’espérance est morte,
Qu’un lourd nuage emplit ma vie et ma maison,
Et que nul autre ciel derrière l’horizon
N’appelle plus mon cœur aux grandes aventures,
Je songe tristement à de vieilles verdures,
Feuillages dont l’orage arrache les lambeaux,
À des printemps meurtris sous les fleurs des tombeaux,
À des toits écroulés, à des sources taries,
À tes faucheurs, Destin, riant dans mes prairies.
À des lampes de jade éteintes à jamais,
À mon bonheur pareil à de beaux yeux fermés.


CXXIV


Bien que les fleurs, Amour, dont hier tu te plus
À couronner mon front, tu ne les cueilles plus ;
Bien qu’il neige, bien que les roses soient tombées
Où mes rêves dormaient comme des scarabées,
Et que pour moi se voile un visage immortel,
Ne pense pas que dans cette chambre d’hôtel
Que baigne ma tristesse avec le crépuscule,
Je te consacre une harangue ridicule
Et vaine, qu’insultant les dieux et le destin
Et déclamant jusqu’aux lumières du matin
Je secoue à ton front la menace et l’ortie
Tant que, les bras pendants, la tête appesantie
Et comme un vert bandeau la couronne sur l’œil,
Tu t’endormes dans mes discours et ce fauteuil
Jaune et fané ; ni que, poète et locataire,
Les gouffres et les monts, la mer verte et la terre
Habitée et les bois et les fruits et le foin
Et la neige et l’azur, je les prenne à témoin
De ma misère et du supplice que j’endure,
Qui passeront comme l’amour et la verdure,
D’ailleurs, ou la colère et les glaïeuls et les
Plaintes des rossignols et le jaune des blés

Et la vigne que le tison d’automne embrase
Et l’odeur des lilas ; et j’achève ma phrase,
Amour, car il serait plaisant que l’univers
S’animât pour orner ma tristesse et mes vers.
Déjà j’en ai trop dit et déjà tu t’amuses
À voir que ma douleur s’efface chez les Muses
Qui passent en riant leur mouchoir sur mes yeux.
Tu ris de voir les mots des pleurs victorieux
Et que mon désespoir aux rythmes s’atténue.
C’est vrai. Mais la voici rêveuse et demi-nue ;
Ses cheveux sont pareils à son bracelet d’or ;
Lasse des voluptés, elle songe et s’endort ;
Une rose est moins rose et quand elle s’éveille
Je sens mon cœur léger comme une aile d’abeille
Et je vois frissonner sur des lauriers fleuris
Dans l’aube et dans l’azur de rouges colibris,
Et je… Tais-toi. Je suis triste comme une larme.
Ne souris pas de mes alarmes et désarme
Ton arc robuste encor depuis quatre mille ans
Qu’il darde aux madrigaux des traits étincelants,
Et tandis que la nuit dans mon cœur va descendre
Laisse-moi remuer ma douleur et la cendre.


CXXV

À Lucien Dubech.


L’acacia blanc sur la berge
Remue au vent du soir ;
Les rouliers boivent du vin noir
Sous la glycine bleue et fraîche de l’auberge.

Mes beaux rêves s’en sont allés,
Rouliers, dans vos charrettes ;
Mon cœur plein de larmes secrètes
Songe à des rosiers verts que la foudre a brûlés.

Pourquoi faut-il qu’à vos voix dures
Renaissent mes beaux jours
Et ma jeunesse et mes amours
Avec tous les oiseaux et toutes les verdures,

Alors qu’un âpre désespoir
Casse toutes les branches
Et que la berge et l’eau sont blanches
Acacia, des fleurs que t’arrache le soir ?


CXXV


Tu ne crois plus aux beaux cheveux,
Aux seins qu’une rose décore,
Et, le cœur morose, tu veux
Cependant les chanter encore.

Un beau regard, s’il te sourit,
Tu le railles, mais tu regrettes
Ces printemps morts où ton esprit
Était plein d’étoiles secrètes.

Herbes chaudes, lilas mouillés,
Bleus platanes sous l’azur ivre,
Et l’amour, tu t’émerveillais,
Tu dansais, tu riais de vivre,

Roses rouges, feuillages verts,
Tumulte des gloires physiques,
L’univers sonore et divers
N’était que couleurs et musiques,

Et tu chantais, mais cette voix,
Ténor naïf, n’était que celle
Du printemps ivre dans les bois
Et de la vie universelle.


Et pourtant, ce temps était beau
Mais où sont les vieilles rosées ?
Tu promènes sous ton chapeau
Des constellations brisées,

Et te penchant sur le décor
De l’ancienne frénésie,
Tu la veux respirer encor
Ainsi qu’une rose moisie.


CXXVII

À Paul Martignon.


À cheval sur mon bouc barbu
J’ai cueilli des roses dorées
Et mes chèvres noires ont bu
À des rivières ignorées.

J’ai vu sur les marais fumants
Le vent gonfler comme des voiles
Les ailes vastes des flamants
Qui s’envolaient vers les étoiles ;

J’ai vu, loin des jardins publics
Où s’endorment des paons moroses,
Sur les pointes des porcs-épics
Au printemps éclore des roses ;

Et dans le monde merveilleux
J’ai poursuivi mes promenades,
Mais aujourd’hui j’ai le cœur vieux
Et fendu comme les grenades.

Je rapporte pour tout butin
Des feuilles sèches dans ma poche ;
Et j’interroge mon destin
Sur le bouc noir que je chevauche.


Ah ! pourquoi donc ai-je quitté
Les coteaux bleus dans la lumière
Et les feuillages de l’été
Qui remuaient dans la rivière ?

Mes yeux sont las, mon arc rompu.
Où est cette aurore fleurie ?
Couché dans l’herbe, j’aurais pu
Rêver une si douce vie :

Laisser mûrir mes abricots,
Apprivoiser des escargots,

Bourrer ma pipe au frais champêtre,
En regardant les ânes paître,

Au torrent pêcher les goujons
Et les grenouilles dans les joncs,

Mener mes vaches à la foire,
À l’auberge, chanter et boire,

Cueillir les œufs au poulailler,
Lire des stances et bâiller,

Et sous mes troènes de Tarbe,
Loin des déserts et loin des flots,
Piquer des roses dans ma barbe…
Allons, tais-toi, cœur à sanglots,


Faiseur de lâches élégies,
Vas-tu pas maudire le temps
Qui souffle comme des bougies
Ton espérance et tes instants ?

Ne vas-tu pas sous la verdure
Nous dévider tes écheveaux
Et nous chanter que rien ne dure
Que le silence et les tombeaux ?

Marin, répare ta mâture,
La mer fait cabrer ses chevaux ;
Rien ne vaut la belle aventure
Et les espoirs toujours nouveaux.

Et nous, vieux bouc, partons encore !
Quel pays nous attend ce soir
Que l’espoir suscite et décore
Jetant des roses au ciel noir ?


CXXVIII


Mes trompettes adolescentes
Ont déchiré l’ombre des sentes.

J’ai rêvé d’empoigner le crin
De Pégase, Jean Pellerin,

Et d’éblouir les demoiselles
Sur le cheval aux blanches ailes.

Au bruit des vers que je chantais
Je pensais vaincre les cités ;

Qu’on jetterait sur mes bottines
Des lauriers et des églantines ;

Que les vierges en me nommant
Seraient prises d’un tremblement

Et qu’à Passy, charmante ivresse,
Les chauffeurs sauraient mon adresse.

Mais à ce rêve où je me plus.
Aujourd’hui je ne songe plus.

Mon livre vint et les libraires
En vendirent trois exemplaires.


Livres vendus ! Ah ! parlons d’eux
Sur les quais j’en ai revu deux ;

Le troisième, sa couverture
Couvre des pots de confiture,

Et l’épicier que je connais
De ses pages fait des cornets.

Oh ! la plus noire des boutiques !
Le sucre y poisse mes distiques,

Et mon sourire et mes sanglots
Enveloppent des berlingots

Et parfois, dans une élégie,
Le garçon roule une bougie.

Jean Pellerin, Jean Pellerin,
Pour la gloire j’ai pris le train,

Mais chanteur ivre de lumière
Je suis tombé par la portière.

Et me voilà sur le talus,
Là-bas, le train ne paraît plus,

Et je goûte, suave étude,
Les roses de la solitude.


CXXIX

À Roger Dévigne.


Nous qui dans les matins grandioses voulions
Vivre couverts de gloire et de peaux de lions,
Nous finirons gérants de bar, tabellions,

Archivistes ou grooms d’autos aux larges trompes ;
Mais, sevrés pour jamais du triomphe et des pompes
Qu’importe à notre cœur, Destin, que tu le trompes,

Si tu nous sais donner l’espoir toujours nouveau
D’aborder au pays sans neige ni tombeau
Où verdit à l’azur le laurier le plus beau,

Et si cette espérance a doré nos journées,
Si nous avons souri des guirlandes fanées,
Confiants au loyer des tâches obstinées,

Et si, chantant dans la ténèbre et dans le vent,
Nous nous sentons avec une candeur d’enfant,
Baigner dans la lumière et le soleil levant.


CXXX

À Pierre Benoit.


J’ai mis des fleurs autour de ma flûte mélancolique
Et, toujours exilé, soufflant sous les saules de l’île,
J’ai tour à tour chanté l’ombre et les roses transitoires,
L’azur, les escargots, l’amour, la pipe et les étoiles ;
Et l’on a vu parfois passer aux pages de mes livres
Dans les vallons français des paons, des buffles et des tigres ;
Et même, à la saison où jaunissent les blancs troènes,
À cheval sur un bouc, j’allais réciter des poèmes ;
Je proclamais l’espoir parmi les cendres et les roches,
Et le bouc indulgent s’endormait au bruit de mes strophes.
On disait : « C’est un fou qui vit dans les éclats de rire,
Et nul, pas même lui, ne devine ce qu’il veut dire. »
Mais vous le comprenez, vous dont la tendresse m’entoure,
Le douloureux tourment qui me soutient et qui m’étouffe,
Et vous avez senti que mes soupirs étaient sincères,
Vous, amis d’Oloron, de Barcelone et de Bruxelles,
De Toulouse, de Mons, d’Oxford, de Paris et de Tarbes,
Et que sous mon sourire il y avait de pauvres larmes.


CXXXI

À Henri Martineau.


Nous attendions des héroïnes
Qui dormissent sous des troènes

Ou tendissent sur des terrasses
Des lis verts et des branches rousses,

Et nous aurions chanté leurs lèvres
Avec leurs fièvres dans nos livres,

Afin, défuntes nos jeunesses,
Postérité, que tu connusses

Les traits, les tresses, les détresses
Atroces de ces Béatrices.


Où sont-elles, ces grandes âmes ?
Où sont-elles ? Tu le présumes.

Elles sont dans l’azur étrange
Où le rêve des hommes plonge

Et déroule dans les délices
Et parmi les musiques lasses


La semaine des trois dimanches.
Comme les feuilles dont tu jonches

Le gravier bleu sous les platanes,
Automne aux roses incertaines,

L’espoir s’abolit des triomphes
Que nous rêvâmes sur ces nymphes.


Mais celles que nous rencontrâmes,
Et qui fleurirent nos trirèmes,

Prononcèrent des mots sublimes
Pour dénouer les grands problèmes.

Elles eurent la voix des flûtes
Pour discourir de leurs voilettes

Et prirent des poses lointaines
Pour disserter de leurs bottines.

La passion, nous la connûmes
En voyant le fond de nos âmes.

Les leurs étaient pleines de brumes ;
Mais de ces belles nous apprîmes,

Avec la ruse des sourires,
Le prix des gants et des fourrures.



En vain, nous battions les cymbales,
En les chantant ; et pour ces belles,

Qui dédaignaient les orthographes,
Pourquoi composions-nous des strophes

Elles n’ouvraient point nos plaquettes
Aux dédicaces délicates

Bien qu’elles fussent plutôt minces ;
Et si nous leur lisions des stances

Elles disaient des phrases vagues
En songeant à des catalogues.

Nouveautés, dentelles, réclames
De blanc à tous les rayons, plumes,

Blouses, manchons, serviettes, jupes…
Ah ! laissez-nous bourrer nos pipes !

Car c’est vous, Écho de la Mode,
Qui faites pâlir l’Iliade

Et qu’on préfère à l’Énéide
Comme au Discours de la Méthode.



— Ami, pourquoi cette colère
Et ces grincements de ta lyre ?

— Je t’écoute, Muse, qui parles
De tubéreuses et de perles

Et conseilles que je profite
Du monde comme d’une fête.

— Que t’importent toutes ces choses ?
Puisque les lèvres que tu baises

Frémissent et serrent tes lèvres,
Qu’elles n’épellent point les livres

Qui vivent aux bibliothèques,
Et ne sourient à tes Ithaques,

Que t’importe, si dans ton rêve
Tu sais voguer vers une rive,

Branches molles, lente colline,
Où des oiseaux couleur de lune

Dans une rouge odeur d’automne
Chantent au bord d’une fontaine,


Et si, lorsque tu t’en retournes,
Loin de tomber aux heures ternes,

Après la mort du sortilège,
Tu trouves près de ton visage

Un visage qui te sourie
Et prolonge ta rêverie ?


CXXXII

À Fagus.


Viendras-tu rallumer les lampes
Et ma vie, Amour que j’attends ?
J’ai des cheveux gris sur les tempes
Et je n’ai pas encor trente ans.

Hôtels garnis, chambres meublées,
Escaliers tristes, quels décors !
Ah ! princesses ensorcelées,
Lys ténébreux dans les allées,
Vasques de jaspe et chœurs de cors !

Où est l’amour dont je renaisse
Et qui me rende ma jeunesse ?


Émail fendu du lavabo
Où saucèrent tant de visages
Disparus ; sont-ils au tombeau
Ou rient-ils à des paysages ?

Amer poison des logements
Dont mourraient seize Mithridates ;


Miroir terne où les diamants
De problématiques amants
Gravèrent des noms et des dates.

Ils sont partis. Ils sont ailleurs.
Les jours passés sont les meilleurs.


Chambres désertes et cruelles
Où j’erre avec mon encrier ;
Des buveurs braillent aux ruelles ;
À quoi bon gémir et crier ?

Qui veut trop chanter, il s’enroue ;
Et par les vitres de l’hôtel
Ne vois-tu pas la Grande Roue
Et ces beaux nuages que troue
Et déchire la tour Eiffel ?

Ton cœur, n’est-ce un de ces nuages,
Ton cœur, après tant de voyages ?


Chambres d’hôtel, amours d’un jour,
De six mois ou de quatre années,
Ce sont des roses mortes pour
De futures roses fanées.


Rêves ternis, bannis, finis,
Se peut-il que tu te rallumes,
Espoir ? Amours, hôtels garnis,
Les cœurs s’en vont de nids en nids
Perdant leurs larmes et leurs plumes.

La lune monte, seule aussi,
Image et fleur de mon souci.


CXXXIII


Je souffle dans ma pauvre flûte,
Et la glace, hélas ! ne reflète
Aucun sourire auprès de ma tristesse,
Aucun visage auprès de mon visage.
Je sifflerai puisque le sort l’exige.
Un lilas bleu se fane dans la tasse
Où tu buvais du thé chinois
Dans l’automne embaumé de pommes et de noix.

Il y avait des branches vertes,
Il y avait des feuilles mortes.
Et tu dansais parmi les noires chèvres,
Dans l’herbe jaune en secouant des roses ;
Et tu savais des baisers et des ruses
Qui me laissaient tremblant et les mains ivres.
La nuit, c’étaient les rossignols,
Et la lune glissant sur les bois espagnols.

Ombreuse auberge béarnaise
Que notre tendresse éternise !
Tu fredonnais en frottant la guitare
De sombres airs, graves comme l’orage,

Et les rouliers qui buvaient du vin rouge
Se regardaient et regardaient la terre.
Et je t’aimais éperdument,
(Dis si je mens) comme un jeune homme de roman.

Et derrière je ne sais quelles
Mers orageuses ou tranquilles
Sais-je où tu es ? Mais les toits du village
Fument encor vers les blanches montagnes,
Et les enfants ramassent les châtaignes,
Et le sureau de ses grappes s’allège.
Même décor. Pour n’y changer,
Ne reviendras-tu pas danser dans le verger ?

Ce sont les hêtres et les ormes,
Mais la flûte à l’heure des larmes,
En endormant ma cure et son murmure,
Transformera ma peine en harmonie ;
Et je mordrai dans la rose fanée
Et les rubis de la grenade amère ;
Et de leurs lèvres sur mes yeux
Les Muses sécheront des pleurs délicieux.


CXXXIV


La patronne d’un tir forain
Fut indulgente à mon caprice ;
Gardons, mon cher Jean Pellerin,
Que sa mémoire ne périsse.

Je pâmais au vu de sa peau,
Et, sous son rire étincelant,
Cœur chaviré, fusil tremblant,
Je ratais l’œuf sur le jet d’eau.

Mais c’est en vain que tu combines
Des rythmes purs pour cette Hélène ;
Elle sentait l’acétylène
Et la poudre des carabines.

Dans la baraque à l’ouistiti
Que le temps fane et désagrège,
Par un air bleu de confetti
Quelque beau jour la reverrai-je ?


CXXXV

À Franc-Nohain.


Casino de Paris, Olympia, Folies-
Bergère, quels troupeaux d’âpres mélancolies,
Chevreaux meurtris, béliers fourbus, dans vos lumières
Et vos tumultes, j’ai traînés. Mais les premières
Voluptés, leurs langueurs, leurs plaintes immortelles,
Ou qu’on croit telles, leurs alarmes, où sont-elles,
Et leurs larmes ? Douleurs, dont mes nuits étaient ivres
Et qu’aux tonnerres de l’orchestre, au bruit des cuivres
Rauques, des sourds banjos, des trompes, aux rafales
De clarté, je tentais d’abolir. Triomphales
Couronnes, les lauriers, aussi les marguerites,
Les dahlias, c’est toi seule qui les mérites
Et les roses, Jeunesse aux victoires secrètes
Et douces. Mais voici qu’au talus tu t’arrêtes
Avec ton blanc troupeau d’illusions qui broute
L’herbe rousse, et faut-il au désert de la route,
Quand le vent de la vie a soufflé les étoiles,
Quand mes yeux qu’enchantait la couleur de tes voiles
Ne voient plus que l’horreur de la nature nue,
Faut-il que vagabond triste je continue,
Sans l’espoir d’une auberge où je puisse descendre,
À marcher dans l’ennui, l’amertume et la cendre ?


CXXXVI

À Armand Praviel.


Sur le toit noir et bleu que mon exil habite
La grêle blanche et dure aux ardoises crépite
Et rebondit, tintant aux vitres, parmi les
Plumes qui volent dans la fuite des poulets.
Grêle, boules de gui, cristal, œufs des colombes
Fabuleuses, dans un fracas rauque tu tombes,
Fauchant les roses des rosiers, et tu détruis
La verdure des cerisiers rouges de fruits.
Dans l’herbe, les rubis roulent avec les perles.
Ô nuage, au coteau bleuâtre tu déferles
Comme un océan gris qui submerge l’azur
Et la terre avec ses vignes tristes ; et sur
Le paysage éteint cette mélancolie,
N’est-ce la mienne où tout soleil baisse et s’oublie,
Qui déchire et ternit les rameaux les plus verts
Et de cendre et de nuit imprègne l’univers ?


CXXXVII

À Jean-Louis Vaudoyer.


Chasseur morose, las durant la nuit sereine
De tirer sur la lune avec du petit plomb,
Ayant d’un réséda bouché mon vieux tromblon,
Je me veux promener sous une calme ombrelle.

Que d’autres au cœur neuf s’en aillent vers l’azur,
Que d’autres sur la mer tendent les larges voiles !
Je contemple mes tulipes et mes pivoines
Et les lents escargots qui rêvent sur le mur.

Naguère, je tremblais sous les étoiles blanches ;
Pour me mieux animer ma voix liait des mots,
Et d’un bras confiant je sciais les ormeaux
Pour prendre les oiseaux qui chantaient dans les branches.

Adieu, vieux jours. J’irai m’asseoir sur la hauteur,
Sifflant Guillaume Tell sous les jeunes troènes,
Pour voir l’Aube aux bras blancs, parure des poèmes,
Qui vide sur les prés son vaporisateur.

Et sans me lamenter sur ma lyre brisée,
Seul, je regarderai dans le trèfle, en bourrant
Ma pipe, les piverts qui boivent au torrent
Et les cailles qui vont pieds nus dans la rosée.


CXXXVIII


Tiède azur. Les bouvreuils s’éveillent dans les roses ;
Le soleil a séché les touffes des héliotropes,
Mais la rosée encor scintille sur les fraises,
C’est l’heure en robe verte où souriant aux feuilles fraîches
Tu jetais de l’avoine à la dernière poule.
Un pigeon gris et bleu sur les tuiles rouges roucoule
Et le vent soucieux et triste des automnes
Secoue aux verts bambous des coquilles d’escargots jaunes.


CXXXIX

À René Groos.


Je ne veux point gémir ni perdre la pensée
Pour que ma Muse par la gloire balancée,
Moi couché cependant dans les ténèbres calmes,
Sur ses lauriers vivants goûte le vent des palmes,
Hymne perpétuel et doux, mais qui n’arrive
À nul, même en écho, s’il a quitté la rive.
Je me lève et tandis que l’infirmière m’aide
À me vêtir, je songe à la belle Andromède.
Ainsi t’aurais-je plu, vierge d’Éthiopie ?
Me voici plus léger qu’une plume de pie
Et pour m’aller asseoir dans la tonnelle rousse,
Sous chacun de mes bras je loge un gros Larousse,
Tant je crains que le vent qui raille sous ma porte
Quand je traverserai le jardin ne m’emporte,
Les pans de ma jaquette enflés comme des voiles,
Et ne m’aille vivant mélanger aux étoiles.


CXL


Chambre d’hôtel morose et vide. Un œillet penche
Et touche le miroir triste où tu contemplas
Ta gorge nue. eau chaude. eau froide. MM. les
Clients sont priés de régler chaque dimanche.

C’est dimanche. Réglons les comptes de ce cœur.
Rideaux jaunes et noirs, quel funèbre décor !

Tu n’es plus là. J’ai lu Delille et l’Annuaire
Des Téléphones, pour ne plus songer à tes
Sanglots ; mais je voyais tes larmes et restais
Des heures, les yeux clos, trop habile à me nuire,

À remuer ma peine au lieu de l’endormir
Et mâchant ma douleur comme un fruit trop amer.


CXLI


Soleil triste, mairie obscure, ô jours amers !
Un poulet bat de l’aile et crie, et, sur les murs,
Fades gravures : la Herse, Cité Lacustre
Ou Palafitte ; et, sur la table, le registre
Des mariages, deux orvets empaillés, dons
D’un anonyme et le portrait des Présidents
Et le cadastre avec ses taches de bougie.
Et cependant mon cœur n’est plus qu’une élégie,
Belle amie, et je songe à vous qui n’êtes plus
Qu’une ombre chère, un souvenir où je me plais
Et qui m’attriste et, sur mes jours, l’odeur des myrtes
D’un vieil automne et le parfum des roses mortes.
Cheveux légers, chair douce aux lèvres de l’amour
Et qu’orgueilleux j’aimais à regarder dormir,
Vous ; et l’air tiède, avec votre grâce apparue
Et ma peine, balance aux murs de la mairie
Dans une odeur de buis et de trèfle incarnat,
Grévy, ta redingote, et ton habit, Carnot.


CXLII

À Philippe Chabaneix.


Philippe, vous tiriez les lapins de garenne
Dans les prés jaunes de Cazères-sur-Garonne
(Canton dudit, arrondissement de Muret)
Aux jours lointains où dans les saules murmurait
Cet air sec et brûlant qui fripait le feuillage.
Une hirondelle sur l’aiguille de l’horloge
Se posait et dormait en laissant pendre ses
Ailes noires, tableau charmant, et je passais
Devant l’église avec vous et la chienne lasse
Qui buvait à l’ornière et tirait sur sa laisse
En revenant de la chasse, et nous demeurions
Sur la place où grinçaient déjà quelques grillons
À regarder les deux clochers de brique pâle
Et rose. Sous l’oiseau noir l’aiguille immobile
À six heures marquait encor deux heures moins
Le quart. Odeur des bois, de la terre et des foins,
Odeur des coudriers au bord du fleuve amère
Et visqueuse, c’est vous que je me remémore
En arrêtant ce soir l’aiguille de mes jours
Sur les lapins roulant dans l’herbe et les labours.


CXLIII


C’étaient les maquignons sous le jaune feuillage,
Les mules grises, les brebis de l’Ariège,
Les charrettes, le bruit, les clochettes, les cris,
Et les ruades quand les bois étaient fleuris
Du premier givre des novembres. À l’auberge
Les ivrognes juraient et se coupaient la gorge,
Dans l’odeur du vin rouge et du mouton graisseux.
Nous fumions notre pipe et n’étant pas de ceux
Que le puant aspect des goujats passionne
Nous allions vers les bois et battions cette chienne
Qui dans les basses-cours étranglait les poulets.
Les ornières craquaient sous nos semelles. Les
Moineaux roux se gonflaient sur les piquets des vignes.
Ballerines, vos mains se collaient à vos peignes
Et vous dansiez, et vous tourniez et vous tapiez
Le plancher rouge et vert qui sonnait sous vos pieds.
Pourquoi toujours pensais-je à cette ardeur lointaine
Dans ce décor malade et glacé de l’automne,
Pourquoi voyais-je encor vos visages crispés,
Ces lanternes, ces pleurs et ces noirs canapés,
Quand nous rêvions au bord de la Garonne grise
Où la lune tremblait comme une pâle rose ?


CXLIV


Les nuages légers comme une laine grise
Qui flottaient dans l’air frais frôlaient la lune rose,
Et sous les arbres noirs de ce beau crépuscule
Je baisais tristement ton visage tranquille,
Et les mains sur tes yeux je regardais la ferme
Qui fumait et voguait sur les flots de luzerne.

Image des départs vers d’autres aventures !
Cieux inconnus ; baisers nouveaux ; vieilles guitares.
Les trois ruches dormaient, mais des meules de paille
Les étoiles montaient comme un essaim d’abeilles
Ou comme d’une enclume un bouquet d’étincelles ;
Et notre amour n’était plus qu’ombre et feuilles sèches.

Pourquoi voulais-je fuir, déjà plein d’amertume
Et de regrets, moi qui t’aimais et moi qui t’aime,
Mais avide en mes bras de presser d’autres rêves,
Quoique assuré du vain voyage vers des rives
Vaines ? Le soir sentait la verdure et les pommes
Et tes cheveux se dénouaient sur tes épaules.

Le navire fleuri m’allait porter à l’île
Élue : arbres légers, eau lente, libellules.

Mais je pleurais sur le morose embarcadère
Ces soirs qui sentaient les pommes et la verdure
Et pressant sur mon cœur le paquet de tes lettres
En songe je buvais mes larmes sur tes lèvres.

Je ne reviendrai pas rêver dans la luzerne
Ni boire amèrement la tristesse nocturne
Dans le verger paisible à côté des trois ruches
Où je baisais ta bouche en tenant tes mains fraîches,
Je ne reviendrai pas, et coule la rivière
Et le vent souffle, à moins qu’un soir je ne revienne…


CXLV


Personne ne saura jamais
Que je te vis cueillir des roses
Au mois de mai
Sur les rosiers aux étiquettes de bois jaune
Par un ciel bleu comme ta robe.

Personne ne saura jamais
Que tu fus douce à ma colère
Au mois de mai,
Que tu pleurais dans un bouquet de violettes,
Que les larmes mouillaient tes lèvres.

Personne ne saura jamais…
Trop transparentes libellules
Au mois de mai…
Ton léger souvenir s’enfuit comme une plume
De tourterelle au clair de lune.


CXLVI


Violons qui chantez sous les archets du vent,
Sureaux aux blanches fleurs, bleus et larges platanes,
Je vous retrouve à l’heure où mes rêves s’en vont,
Et le vert déchirant des montagnes natales.

Genêts, lac, fusion bouillonnante, métal
Jaune et vert, or et cuivre, où plongent les abeilles,
Et torride bourdonnement sous les catal-
Pas rouges, qu’un soleil crève de rudes pailles.

Mais ce spectacle est trop puissant pour ma douleur
Et je souffre à pleurer d’une âpre jalousie
Monotone, devant le triomphe, dans l’air
Et sur la terre, du tumulte et de la vie.

Vers le silence et pour me retrouver face à
Face avec moi, j’irai sous les saules de l’île,
Verte ombre que jamais nul astre ne perça,
Seul et blessé comme un cygne qui bat de l’aile.

Lourde et profonde comme un ample désespoir,
Entre les herbes l’eau glisse avec un murmure ;
Tu ne reviendras plus au verger pourpre, pour
Cueillir la pomme acide avec la nèfle mûre.


Les voici revenus les matins embaumés,
Fleurs, branches, bleus bouvreuils ; mais que ta grâce morte
Dorme et repose dans ma mémoire à jamais
Sous les fleurs de troène et les feuilles de myrte.


CXLVII

À Georges Le Cardonnel.


Quelque rose que tu cueilles,
Une nuit la fanera ;
Le vent fait voler les feuilles,
Les amours, etc

Et pourtant j’aime les roses,
Le feuillage et les amours
Et bien d’autres belles choses
Qui ne durent pas toujours.

Durer, durer… Rien ne dure.
Accourez, comparaisons !
Rappelons que la verdure
Pas ne dure trois saisons.

Tout passe et cela n’est pas ce
Que les gens n’ont dit assez ;
Ils ont écrit que tout passe
Et leurs livres sont passés,

Sauf certains ; et les miens, Muses,
Dureront-ils plus longtemps
Qu’une voix de cornemuse
Qui se perd sur les étangs ?


Mais qu’importe ? Toutes choses,
Ne durent-elles qu’un jour,
Les poèmes et les roses
Et les feuilles et l’amour,

Toutes choses ne sont-elles
Les rameaux jaunes ou verts
Des guirlandes éternelles
Que déroule l’univers ?

Toutes choses sont liées,
La mollesse et le tambour,
Les poèmes, les feuillées
Et les grâces de l’amour,

Et chacune tient sa place
Dans cet hymne qui depuis
L’aube éternelle entrelace
Les chants des jours et des nuits.

Quelque rose que tu cueilles,
Une nuit la fanera
Mais la rose avec ses feuilles,
C’est la vie. Etc


CXLVIII

À J.-R. de Brousse.


Comme les marronniers d’Inde et la grange, qu’on
Me rende, avec les lilas de l’auberge
Le rosier qui parait la grille et le balcon
D’une guirlande jaune et verte ;

Et que je puisse, loin du vacarme et des cris
Qui font trembler les vitres de la ville.
Revoir l’azur et sous les lents nuages gris
Les feuilles rouges de la vigne.

Collines douces, nuits qu’embaument les foins mûrs,
Ne goûterai-je plus vos molles grâces,
Et ne verrai-je plus le noir lierre aux murs
Et les oranges des terrasses ?


CXLIX


Parmi mes souvenirs, Clorinde, je choisis
Cette rue avec ses étalages moisis
Où tu voyais s’offrir en un rare mélange
Des florins de Florence, une plume de l’ange
Gabriel et, pendant au char d’Achille, Hector
(Gravure), des chapeaux : paille et demi-castor.
Des perles, le vert d’eau d’un fauteuil Louis XVI ;
L’écharpe blanche à glands d’or d’un garde-française ;
Des médailles (un aureus d’Aurélien,
Le crabe d’Agrigente et le loup argien,
La tortue éginète et le thon de Cyzique
Et la chouette athénienne) : la Physique
D’Aristote, les Commentaires de César ;
Des sceaux de cire verte, une peau de lézard,
Un télescope, des plantes médicinales
Et la collection complète des Annales
(Manque un tome) ; des aquarelles, des oiseaux
De Malacca, Manon Lescaut avec deux eaux-
Fortes (l’une piquée et l’autre disparue)…

L’air rouge et lourd berçait dans cette vieille rue
L’ombre noire de deux pigeons sur les pavés
Voluptueux, des perruches. Tu me suivais

Et quand je me tournais je te voyais sourire.
Clorinde, en y rêvant, je m’arrête d’écrire
Et songe avec délice et souffre de songer
À ces murs qui sentaient le miel et l’oranger.
Un gros perroquet vert cria. (1912).
Briques brûlantes, vieux étalages, Toulouse
(S’il faut dire d’un mot le décor où l’Amour
Nous menait et, noyant sous des nappes de jour
Ma ténèbre, au milieu de ces ardeurs complices
Enivrait notre cœur de mortelles délices)
Toulouse (reprenons la phrase, s’il vous plaît)
Et ce double pigeon, Clorinde, qui volait
Comme pour imiter nos deux âmes liées,
Voici qu’au bord de l’eau, sous les chaudes feuillées,
C’est Toulouse au beau ciel, ses jardins gracieux
Et son fleuve et tes pleurs ; et je ferme les yeux
Pour me mieux dérober au jour qui m’environne
Et pour nouer en ton honneur cette couronne
Que sur tes noirs cheveux un rêve ira poser,
Cette couronne où chaque feuille est un baiser.


CL

À Francis Carco.


Pour le bonheur, dont le pipeau
Module plus doux que la gloire,
Prends ta massue et ton chapeau ;
Mais c’est toujours la même histoire.

Des fleurs sur l’onde et les agrès ;
Un vol de neige au bleu s’élance,
Et sur les flots au loin dorés
Le blanc navire se balance.

Faites sonner les beaux clairons
Des roses s’ouvrent aux antennes ;
Les astres nous les cueillerons,
Là-bas, au ras des mers lointaines.

Et le vaisseau navigue sur
L’eau claire où se mirent les voiles
Et là-bas les rameaux d’azur
Inclinent des grappes d’étoiles.


Quel vent arrache les bouquets
Et bat la mer creuse et terrible ?
Les bateaux sont entrechoqués
Comme des graines dans un crible.

Quelles sont ces montagnes d’eau
Et ces tonnerres d’avalanches ?
Mon pauvre ami, que tu es beau
Sous ces trombes vertes et blanches.

L’ouragan hurle et tord les mâts ;
Le vaisseau grince, tangue et roule,
Et l’oiseau bleu que tu aimas
Il est noyé comme une poule.


Et maintenant tu peux t’asseoir
Au milieu des lambeaux des voiles ;
Ce n’est pas encore ce soir
Que l’on décroche les étoiles.

Alors on pleure la saison
Pleine de nids et de dimanches,
La glycine sur la maison
Et la rivière sous les branches.


On s’en revient bien tristement
Sans sa valise d’espérance ;
On s’en revient comme je m’en
Reviens vers l’ombre et le silence.

Plus de voyages et que l’on
Jette ma cuirasse et ma pique !
Mon cœur n’est plus qu’un violon
Sous un archet mélancolique.


CLI


Une pie noire et blanche en se posant sur un platane
A fait dégringoler un flot de feuilles jaunes.
C’est l’automne. Bourre de roses ta guitare
Et médite en silence aux dernières nuits chaudes
Sur tes lauriers en fleurs qu’a brûlés le tonnerre,
Et dans l’air tendre aux feuilles crois entendre
Ces soupirs qu’éclaira par un autre septembre
La topaze lunaire.

Des mots. Des mots. Pourtant ta douleur est si simple…
Pourquoi ne pas pleurer comme un pauvre jeune homme ?
Mais non ; chaque lanière qui te cingle
Te fait jaillir du cœur une harangue trop sonore ;
Et lyrique et debout dans les ruines et les roches
Et défiant le sort, les étoiles et la nature,
Tu peuples de discours ta malheureuse solitude
Et tu gardes tes pleurs pour verser des paroles.

Tu déclames ; tu crois jouer un vaste rôle ;
Mais qu’une feuille tombe au bois qui t’environne ;
Que tu triomphes d’une robe ;
Que trop lourde de sucre et prise à la rafale

Une abeille froisse son aile ;
Qu’aux verts bambous de la tonnelle
Un liseron se dénoue et se fane ;
Que les lilas noircissent sous la neige ;
Qu’un chien se noie au tumulte des gaves
Et que meure une ardeur que tu crus éternelle :
Ce sont toutes choses égales.

Les bleus martins-pêcheurs égratignaient le fleuve calme ;
Tu sommeillais sous les noyers dont l’ombre est fraîche et noire
Et tu rêvais, loin du faux musc et du vacarme
De la ville où régnaient la Matchiche et la Tonkinoise
Et cette blanche ballerine
Qui dansait nue avec un ara bleu sur la poitrine ;
Sous les feuillages qui chantaient au vent d’automne,
Malgré ton désespoir dans l’herbe de la rive
Tu n’avais pas ce cœur qui se lamente et qui s’étonne
Et tu savais encor, sous tes larmes, sourire.

Laisse tomber les feuilles jaunes des platanes
Et tes espoirs pareils à des fusées
Qui montaient en brûlant au-dessus des plaines natale ;
Demain il y aura de nouvelles rosées,
Des feuillages nouveaux et des lèvres persuasives
Et des amours que déjà tu désires
Éclatant sur tes jours comme l’orage et les tonnerres,
Des tendresses que berce en caresse l’azur des îles,
Et de plus en plus éternelles.


CLII


Non, ne pousse pas de cris,
Car cela ne sert pas à grand chose,
Vois voler sur le ciel gris,
Lentement, ce pigeon vert et rose.

Que sait-il de la vie et du sort ?
A-t-il feuilleté les livres de métaphysique ?
Mais dans l’air qui joue une langoureuse musique
Il s’ébat sans songer à la mort ?

Vis de même au calme des prairies
Et dans la douce clarté
Respire sous les branches fleuries
Avec ingénuité.


CLIII


Amour, mon amour le plus cher,
J’ai connu ces aubes cruelles,
Veillant encor à l’heure où je voyais blanchir
L’aube couleur de plâtre sur les tuiles.

J’en pleurais, mais, têtu, jusqu’au
Sommeil je méditais sur le mystère
Et quelquefois, vague ivresse un écho
Faible me répondait du fond de la nature.

Puis comme un astre éclaterait
T’incendiant, nuit coutumière,
Muses, j’ai tressailli dans la chair et l’esprit
Et j’ai marché dans l’immense lumière.

Car le monde est harmonieux
Comme un beau chœur que soutiennent les lyres.
Ouvre les yeux, Amour, ouvre les yeux
Et danse de plaisir dans l’air que tu respires.



Ah ! laissez-moi, Francis et vous, Derème :
Je ne puis plus écrire ni chanter !

JEAN-MARC BERNARD.

Claudite jam rivos, pueri ; sat prata biberunt.

VIRGILE.

Adieu, mon exigente hôtesse.
L’exil nourrira la tristesse
De la rose de ton pied nu.

JEAN PELLERIN.

Rossignol, c’est assez chanté.

THÉOPHILE.

Encore une
Fleur : ainsi va et passe
La vie !

ONITSOURA.

Tu cherches le Bonheur où le Bonheur n’est pas.

HELVETIUS.