La Trace du serpent/Livre 1/Chapitre 04

Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome Ip. 36-50).

CHAPITRE IV.

OÙ RICHARD MARWOOD ALLUME SA PIPE.

À cinq heures, Dick le Diable entend le réveille-matin, et il se lève sans bruit. Il aurait voulu aller jusqu’à la chambre de sa mère, ne fût-ce que pour s’agenouiller et prier un instant sur le seuil. Il aurait voulu aller jusqu’au lit de son oncle, jeter un regard d’adieu sur le visage de l’excellent homme ; mais il a promis de ne réveiller personne. Il sort donc sans bruit par la porte vitrée du salon, celle-là même par laquelle il est entré si étrangement la veille. Le matin est glacé, et il fait encore aussi noir que pendant la nuit.

La pluie a cessé, mais un brouillard épais empêche de voir à quelques pas devant soi. Richard connaît si bien le chemin que ni le brouillard ni l’obscurité ne le gênent, et, la pipe à la bouche, il marche gaiement vers la station de Slopperton. Il faut une demi-heure pour se rendre de la ville à la station. Six heures sonnent comme il y arrive. Apprenant que le train ne doit partir que dans une demi-heure, il se promène tranquillement sur le trottoir de la gare. Sa belle figure, son accoutrement assez déguenillé attirent l’attention des voyageurs. Il enfonce ses mains dans ses poches et son chapeau encore tout trempé de la veille est rabattu sur ses yeux, car il ne veut être reconnu de personne, du moins jusqu’à ce que sa position soit meilleure, et quand un individu qu’il a intimement connu autrefois semble le reconnaître et s’approche pour lui parler, Richard lui tourne brusquement les talons et traverse la voie pour gagner l’autre côté du chemin.

S’il avait pu songer qu’un incident si peu important en apparence dût avoir une terrible influence sur sa vie, assurément il aurait cru qu’une destinée cruelle lui était inévitablement réservée.

Il entre au buffet, prend une tasse de café, change un souverain en payant son billet, il achète un journal, puis il va s’asseoir dans un wagon de seconde classe, et quelques minutes plus tard le train quitte Slopperton.

Il n’y a qu’une seule personne dans le compartiment, c’est un commis voyageur, et Richard et lui fument leurs pipes en se défiant des employés des stations auxquelles ils s’arrêtent. C’est la première fois que Dick le Diable ne nargue pas une autorité. Il avait nargué tout Bow Street, joué des tours pendables aux agents de Malborough Street, et tenu tout un poste en éveil pendant une nuit entière, en criant à tue-tête : « Bonne nuit, messieurs les policemen ! »

Ce n’est jamais un voyage bien gai que celui de Slopperton à Gardenford, et par cette matinée de novembre, humide et brumeuse, le trajet est encore plus triste que de coutume. Il faisait encore nuit noire à six heures et demie. La station était éclairée au gaz, et une petite lampe brûlait dans l’intérieur du wagon ; sans la lueur faible et incertaine qu’elle répandait, les deux voyageurs n’auraient pu se voir. Richard mit la tête à la portière pendant quelques minutes, puis il lia conversation avec son compagnon de voyage ; mais bientôt il garda le silence (car il se sentait tout attristé d’avoir quitté sa mère si brusquement après leur réconciliation) ; ensuite, ne sachant comment passer le temps, il prit la lettre adressée par son oncle au négociant de Gardenford, et en lut la suscription. Cette lettre n’était pas cachetée, mais il ne la sortit pas de l’enveloppe.

« S’il dit du bien de moi, c’est beaucoup plus que je ne mérite, pensa Richard ; mais je suis jeune encore, et je puis réparer le passé. »

Réparer le passé ?… Pauvre Richard !…

Il tordit la lettre dans ses mains, alluma une autre pipe, et fuma jusqu’à l’arrivée du train à Gardenford. Encore une affreuse journée de novembre !

Si Richard eût été un peu observateur, il n’eût pas manqué d’être intrigué par la conduite et les manières d’un petit homme, épais, assez salement accoutré, qui se tenait debout sous la galerie de la gare quand il descendit de voiture. Évidemment cet homme attendait quelqu’un, et sûrement aussi ce quelqu’un était arrivé, car il eut l’air parfaitement satisfait après avoir toisé d’un regard rapide chaque voyageur qui descendait. Mais quel était ce quelqu’un que le gros homme attendait ? Voilà ce qu’il était bien difficile de savoir. Il ne parla à personne, n’approcha personne, et même après ce coup d’œil rapide jeté sur chaque voyageur, il ne parut pas être venu là dans un but déterminé. Cependant un observateur très-minutieux aurait certainement pu remarquer qu’il prenait certain intérêt aux mouvements de Richard Marwood, et quand celui-ci sortit de la station, l’étranger marcha sur ses traces, et suivit comme lui la petite rue qui conduit de la station à la ville. Bientôt même il se rapprocha de lui et tout à coup, sans la moindre cérémonie, il passa son bras dans celui de Richard.

« M. Richard Marwood, n’est-ce pas ? dit-il.

— Je ne cache pas mon nom, répondit Dick le Diable, et celui-ci est le mien ; peut-être, puisque vous en usez si familièrement avec moi, voudrez-vous bien me dire le vôtre. »

Et le jeune homme essayait de dégager son bras de celui de l’étranger, mais celui-ci tenait bon.

« Oh ! peu importe mon nom, fit-il, vous l’apprendrez toujours assez tôt ; mais, ajouta-t-il en remarquant le coup d’œil menaçant que Richard jetait sur lui, si vous y tenez absolument, appelez-moi Jinks.

— Fort bien. Alors M. Jinks, comme je ne suis pas positivement venu à Gardenford dans le but de faire votre connaissance, et comme, maintenant que je l’ai faite, je n’éprouve pas absolument le besoin de la cultiver, je vous souhaite le bonjour ! »

En disant ces mots, Richard s’arracha brusquement à l’étreinte de l’étranger et fit deux ou trois pas en avant.

Deux ou trois pas seulement, pas davantage, car l’affectueux M. Jinks lui ressaisit aussitôt le bras, et un ami de M. Jinks, qui s’était justement trouvé à la station lors de l’arrivée du train, et qui par hasard traversait la rue en ce moment même, s’empara de son autre bras, et le pauvre Richard, vigoureusement retenu entre ses deux nouveaux amis, fixa alternativement sur eux un regard plein d’étonnement.

« Allons, allons, dit M. Jinks, le mieux que vous puissiez faire, c’est de prendre la chose tranquillement et de venir avec nous.

— Oh ! je vois ce que c’est, dit Richard. Voilà déjà un bâton dans les roues de ma vie nouvelle ; ces maudits juifs auront eu vent de mon arrivée ici. Faites voir votre mandat, M. Jinks, dites-moi au nom de qui il est, et quel en est le chiffre. J’ai sur moi une forte somme d’argent, et je puis régler cette affaire à l’instant même.

— Ah ! vraiment ? »

M. Jinks éprouva une telle surprise à ces paroles du jeune homme, qu’il dut ôter son chapeau et passer à trois reprises différentes sa main dans ses cheveux avant de pouvoir se remettre.

« Oh ! continua-t-il en ouvrant de si grands yeux que Richard s’attendait presque à les voir tomber de leur orbite sur le pavé ; oh ! vous avez une forte somme d’argent sur vous, vraiment ? Eh bien ! mon ami, ou vous êtes bien jobard, ou vous êtes un fin matois, et tout ce que je puis vous conseiller, c’est de prendre garde à ce que vous dites. Je ne suis pas un des officiers du shériff. Si vous m’aviez fait l’honneur de consulter mon nez, vous auriez pu vous en apercevoir (l’organe olfactif de M. Jinks était d’un retroussé des plus flagrants) ; et je ne viens pas vous arrêter pour dettes.

— Oh ! très-bien alors, dit Richard, peut-être vous et M. votre ami, chez qui l’organe de l’affectuosité doit être excessivement prononcé, serez-vous assez bons pour me lâcher. Je vous laisserai une mèche de mes cheveux, si vraiment vous avez tant d’affection pour moi. »

Et avec un vigoureux effort, il se dégagea de l’étreinte des deux inconnus ; mais M. Jinks le ressaisit aussitôt par le bras, et l’ami de M. Jinks, tirant de sa poche une paire de menottes, les fixa aux mains de Richard avec une prestesse merveilleuse.

« Voyons, maintenant restez tranquille, dit M. Jinks. Je ne voulais pas me servir de ces choses-là, si vous étiez venu sans résister. J’ai entendu dire que vous appartenez à une famille respectable, et j’ai pensé qu’il serait inutile de vous orner de ces objets de bigitry (il est probable que M. Jinks voulait dire de bijouterie) ; mais c’est votre faute ; maintenant reprenons le chemin de la station, nous arriverons à temps pour le train de huit heures trente minutes, et nous serons à Slopperton avant dix heures. L’enquête ne commencera que demain. »

Richard jetait les yeux sur ses poignets, et de ses poignets il les reportait alternativement sur les visages des deux hommes avec une expression d’indicible étonnement.

« Suis-je fou, ivre, ou le jouet d’un rêve ? Pourquoi m’avez-vous mis ces horribles choses ? Pourquoi me reconduisez-vous à Slopperton ? Quelle est cette enquête ? Qui donc est mort ? »

M. Jinks pencha sa tête de côté et considéra son prisonnier avec un coup d’œil de connaisseur.

« A-t-il l’air assez innocent, eh ? dit-il en se parlant plutôt à lui-même qu’à son compagnon, qui, soit dit en passant, n’avait pas dit une seule parole pendant toute cette scène, est-il d’une force ? Quel fameux acteur il ferait au Théâtre Victoria de Londres ! Le voyez-vous dans Gonzalve l’innocent, ou bien dans les Soupçons ? Que le diable m’emporte, ajouta M. Jinks, s’il ne vaudrait pas au moins deux livres par soirée, et un bénéfice par mois ! »

Tout en faisant ces remarques élogieuses, M. Jinks et son ami avançaient toujours. Richard, étonné, étourdi et ne cherchant plus à résister, marchait entre eux ; mais bientôt M. Jinks daigna répondre aux questions du prisonnier, et voici comment :

« Vous demandez de quelle enquête il s’agit ? C’est une enquête au sujet d’un homme qui a été cruellement assassiné. Vous demandez qui est mort ? C’est votre oncle qu’on a assassiné. Vous voulez savoir pourquoi nous vous ramenons à Slopperton ? Parce que c’est vous qui avez commis le crime.

— Mon oncle !… mon oncle assassiné !… s’écria Richard en pâlissant tout à coup ; car pendant toute cette scène il avait seulement paru étonné sans céder un seul instant à la crainte.

— Oui, assassiné, la gorge coupée d’une oreille à l’autre.

— Cela ne se peut pas, dit Richard, il doit y avoir une horrible méprise. Mon oncle Montague Harding assassiné ! cela ne se peut pas : je lui ai dit adieu hier soir à minuit.

— Et ce matin on l’a trouvé assassiné dans son lit ; le secrétaire de sa chambre était forcé et on a volé un portefeuille qui devait contenir plus de trois cents livres !

— C’est ce portefeuille qu’il m’a donné hier soir. Je l’ai là dans la poche de côté de mon paletot.

— Vous ferez bien de dire cela au coroner, observa M. Jinks, il le croira sans doute.

— Il faut que je sois fou, dit Richard ; je suis fou, c’est certain. »

On était arrivé à la station, et M. Jinks, après avoir jeté un coup d’œil dans deux ou trois voitures du train qui allait partir, choisit un compartiment de deuxième classe, où il fit monter Richard Marwood. Il prit place à côté du jeune homme, son silencieux acolyte s’assit en face de lui, le garde du train ferma la portière et l’on partit.

Le silencieux ami de M. Jinks était de cette espèce de gens qui semblent faits tout exprès pour passer inaperçus dans la foule ; il en aurait pu traverser cent et pas un seul homme de cette centaine de foules n’eût détourné la tête pour le regarder.

Il n’était ni très-grand ni très-petit, ni très-gros ni très-mince, ni brun ni blond, ni laid ni beau, mais dans le juste milieu entre ces extrêmes, il devait nécessairement toujours passer inaperçu.

Si vous eussiez considéré son visage pendant trois heures consécutives, vous n’eussiez remarqué, pendant ces trois heures d’observation, qu’une seule chose ; cette seule chose, c’était l’expression de sa bouche.

C’est une bouche serrée avec des lèvres minces, qui se tendent considérablement quand l’homme pense, et l’homme pense presque sans discontinuer ; ce n’est pas tout, car, lorsqu’il pense le plus profondément, la bouche penche d’une manière très-visible à gauche du visage. C’est là la seule chose digne de remarque chez cet homme, si ce n’est qu’il est muet, sans cependant être sourd, car il a perdu l’usage de la parole pendant sa jeunesse.

Si pendant l’arrestation de Richard il n’a rien dit, il a beaucoup observé, et maintenant, assis en face du jeune homme, il est noyé dans ses pensées, et ses lèvres pincées penchent fortement à gauche.

Ce muet n’est qu’un des bas employés de la police de sûreté. C’est une sorte de limier dont se sert M. Jinks, le chef de la police de Gardenford ; mais il est utile, consciencieux, et surtout tranquille. Son patron ajoute qu’on peut compter sur sa discrétion, parce qu’il ne peut parler.

Il peut parler cependant à sa manière, et bientôt il se met à causer avec M. Jinks ; il lui parle du bout de ses doigts (qui entre parenthèse forment un alphabet assez crasseux), il lui parle avec une merveilleuse rapidité.

« Oh ! que le diable vous emporte ! s’écrie M. Jinks, après l’avoir observé un moment, il faut aller un peu moins vite, si vous voulez que je vous comprenne ; je ne suis pas un télégraphe électrique. »

Je ne pense pas que son inférieur l’ait jamais pris pour cette innovation moderne, cependant il fit un signe de la tête et recommença plus lentement.

Cette fois, Richard aussi suivit les doigts de l’agent. Il avait eu autrefois de longues conversations muettes avec une jolie pensionnaire, avec laquelle il avait entretenu une affection toute platonique, sans parler d’un mur très-élevé et couronné de tessons de bouteilles.

Richard suivait donc des yeux le crasseux alphabet.

D’abord deux doigts crochus posés sur la paume de la main, N ; puis le bout de l’index de la main droite sur le bout du troisième doigt crochu de la main gauche, O ; la lettre suivante, N, et l’homme claquer ses doigts ; le mot est fini : N O N. Non quoi ? dit Richard en ouvrant de grands yeux ; malgré l’abattement d’esprit dans lequel il se trouve, son attention se réveille.

Le muet commence un second mot.

C O U P.

M. Jinks l’interrompt brusquement :

« Non coupable ! Mille chandelles ! qu’en savez-vous, je voudrais bien que vous le disiez. Où avez-vous acquis tant d’expérience ? Qui vous a donné tant de pénétration ? À quelle école vous êtes-vous formé ? Ce qui me surprend, c’est cet aplomb à donner votre opinion, et que vaut-elle votre opinion, je voudrais bien le savoir ? Je ne serais pas fâché de savoir en même temps combien vous estimez vos avis ? »

M. Jinks débita tout ce discours avec le ton du sarcasme le plus piquant, car M. Jinks est un membre distingué de la police de sûreté. Il se vante hautement de son infaillible pénétration, et il s’indigne de voir que son subalterne ose exprimer une opinion quelconque.

« Mon oncle assassiné !… murmura Richard ; mon pauvre oncle… mon excellent oncle !… Oh ! c’est trop affreux ! »

À ces mots que Richard murmura presque en lui-même, la bouche du subalterne penche énormément à gauche.

« Et l’on m’accuse d’être son meurtrier !

— Dame, vous voyez, dit M. Jinks, il y a deux ou trois petites choses qui parlent assez contre vous. Pourquoi étiez-vous si pressé ce matin d’arriver à Gardenford ?

— Mon oncle m’avait donné une lettre de recommandation pour un négociant de cette ville : tenez, voici la lettre, lisez-la.

— Non, cela n’est pas mon affaire, dit M. Jinks ; la lettre n’est pas cachetée, je le vois, mais je ne dois pas la lire : quoi qu’il en soit, vous pourrez la faire voir au coroner. Quant à moi, je serais bien aise de vous voir sortir de là, car j’ai entendu dire que vous apparteniez à une de nos vieilles familles du Comté, et vous n’êtes pas tout à fait de l’espèce des gens qu’on pend. »

Pauvre Richard, ses paroles de la veille lui revenaient.

« Je m’étonne qu’on ne pende pas ceux qui me ressemblent, » avait-il dit.

« Maintenant, dit M. Jinks, comme je ne veux pas de rigueurs inutiles, si vous voulez venir tranquillement avec moi et mon ami que voici, je vais vous enlever ces bracelets, car s’ils sont quelquefois utiles, il faut convenir qu’ils ne sont jamais jolis. Je vais allumer une pipe, si vous voulez en faire autant, vous le pouvez. »

M. Jinks fit comme il l’avait dit, puis il tira sa pipe de sa poche ; Richard fit comme lui, puis il prit dans la poche de son gilet une boîte en fer blanc dans laquelle il ne restait qu’une seule allumette.

« Voilà qui est maladroit, fit M. Jinks, car je n’ai pas de feu sur moi. »

Quand ils eurent bourré leurs deux pipes, Richard frotta l’allumette sur le plancher.

Richard, pendant tout ce temps, avait tenu dans sa main la lettre de son oncle, et quand l’allumette fut près de s’éteindre, il approcha, sans y penser, le papier de la flamme, et s’en servit pour allumer sa pipe.

Presque aussitôt il vit ce qu’il venait de faire. Il venait de brûler la lettre d’introduction, la seule pièce au monde qui fût en sa faveur. Il jeta à terre le papier enflammé, le foula aux pieds, mais en vain, malgré tous ses efforts, il ne resta de la lettre qu’un peu de cendre noire.

« Il faut que le diable me poursuive, s’écria-t-il. Je viens de brûler la lettre de mon oncle.

— Ah diable ! dit M. Jinks, j’ai bien vu des malins dans mon temps, et des forts, je vous assure, mais vous êtes le plus fort de tous ; ah ! vous faites joliment sauter la coupe, mon camarade !

— Je vous dis que cette lettre avait été écrite par mon oncle à un de ses amis de Gardenford ; et dans cette lettre il disait m’avoir donné cet argent qu’on a volé, dites-vous, dans son secrétaire.

— Oh ! la lettre disait tout cela, vraiment ? et vous vous en êtes servi pour allumer votre pipe. Vous ferez bien de dire cela au coroner, cela ne manquera pas de convaincre les jurés. »

L’employé subalterne de la police épelle de nouveau sur ses doigts les deux mots : Non coupable ! et sa bouche penche de plus en plus à gauche.

« Oh ! oh ! dit M. Jinks, il paraît que vous y tenez, hein ? Ma parole d’honneur, vous êtes trop intelligent pour exercer en province ; je m’étonne qu’on ne vous appelle pas à Bow Street ; avec les talents que vous possédez, vous iriez loin en un rien de temps, ça ne fait aucun doute. »

Pendant le voyage, l’épais brouillard de novembre s’était peu à peu dissipé, et, à ce même moment, le soleil perçant la nue vint éclairer en plein la manche de l’habit râpé que portait Richard.

« Non coupable ! s’écria M. Jinks avec une énergie soudaine. Non coupable ! Eh, voyez donc ! Que le diable m’emporte si la manche de son habit n’est pas couverte de sang. »

En effet, sur la manche de l’habit usé jusqu’à la corde, le soleil venait de faire paraître des taches sinistres, et c’est, marqué et souillé par ces hideuses taches, comme un misérable assassin, que Richard Marwood rentrait dans sa ville natale.