La Science pratique des filles du monde/00-2

s. n. (p. 7-12).

AVIS

DE L’ÉDITEUR.

Vous serez sans doute surpris, messieurs, de trouver à la tête de ce recueil une épître adressée par M. Fendl’Air à la dame Eustache : ces noms, je l’avoue, ne sont ni respectables, ni propres à en imposer. Un souteneur de boucan délabré, un vas-me-la-quérir du dernier ordre, en honneur ces personnages peu sonores pourraient vous autoriser à porter sur l’ouvrage en général un jugement assez défavorable. Comme j’ai prévu votre étonnement, je crois, pour l’acquit de ma conscience, être dans l’obligation de le faire cesser en vous en faisant connaître les véritables auteurs.

Ce n’est, Messieurs, ni à la dame Eustache, ni à son mignon que la république galante des amateurs de la Fouterie est originairement redevable de cette intéressante collection ; ce présent lui est fait par la main d’une personne bien plus recommandable. Fille et prêtresse de l’Amour, l’illustre demoiselle C… dite F…, l’avait composée dans les instans de son loisir, et ce n’était certainement pas pour son usage ou son amusement personnel ; les fréquentes répétitions qu’elle faisait, fait et fera des rôles qui y sont contenus, lui répondaient assez qu’elle ne serait jamais dans le cas de recourir au manuscrit pour s’en rappeler les situations, un motif plus précieux l’avait guidée je veux dire l’instruction de ses compatriotes et son zèle pour leurs plaisirs. Bien est-il vrai que son intention n’était pas qu’il parût sitôt, et que, si l’on s’en était totalement rapporté à elle, l’ouvrage en question risquait fort de n’être qu’un posthume (et ce serait une perte, du moins elle nous l’apprend dans son début, et qui plus est, pousse la complaisance jusqu’à en déduire les raisons que l’on goûtera si l’on veut ; mais à bon compte notre Sottisier français n’en aura été enrichi qu’après sa mort, et, sauf son meilleur avis, nous méritons bien d’en profiter autant que nos successeurs.

Ce n’est donc que par un hazard que cette production est tombée entre les mains de M. Fendlair, et il n’y a réellement d’autre part que celle de l’avoir escamotée : un matin qu’il était allé rendre visite à mademoiselle C…, non pour son compte, mais pour régler l’heure et les conditions d’une entrevue que désirait avoir avec elle un étranger curieux, dont il était le Mercure, il s’amusa, en attendant qu’elle soit visible, à faire l’inventaire des bijoux de sa toilette, et trouvant dans l’un des carrés, le galant manuscrit, il crut, sur la foi du titre, pouvoir le mettre dans sa poche et se l’approprier, tant comme un meuble inutile à la demoiselle C…, que comme un à-compte sur ce qui devait lui revenir pour son droit de courtage.

Quoique, suivant les lois civiles, M. l’agent ait eu tort, néanmoins vous ne pouvez, messieurs, vous empêcher de lui avoir une certaine obligation, puisque, sans cet heureux larcin, le recueil serait encore ignoré, et que, grâces à son intimité avec madame Eustache, vous êtes en état de reconnaître les soins flatteurs de la demoiselle C…, et, ce qui n’est pas à négliger, de sentir tout le prix d’une épître dédicatoire de la façon de M. Fendlair.

Après avoir dit pour la justification de ce dernier, tout ce qu’il était possible de dire de meilleur, il n’est pas inutile de démasquer un peu le pèlerin, pour le profit de madame Eustache que je n’ai pas l’honneur de connaître ; (et cette raison est la vraie) pour celui de mon amour-propre.

Le lecteur saura donc que M. Fendlair avait prudemment supprimé le début de cet ouvrage, qui contient pourquoi et comment la demoiselle C… l’avait composé, et avait imaginé de le remplacer par son épître à madame Eustache, afin sans doute, de faire croire à cette dernière, que ce recueil était de son cru, et en obtenir pour représailles la faculté d’avoir chez elle, ainsi qu’il l’annonce lui-même, ses entrées gratuitement, ou du moins à bon marché. La dame Eustache fera de ce petit éclaircissement l’usage qui lui plaira, je m’en moque aussi parfaitement que d’elle ; mais ce qui m’intéresse, ce sont les droits que j’ai sur la reconnaissance du public auquel j’ai conservé l’ouvrage entier de mademoiselle C…, au reste, si je ne supprime pas la galante missive de M. Fendlair qui se trouve au commencement, c’est moins parce qu’elle vaut la peine d’y être, que pour mettre à portée de juger de l’impudence qu’il a eue de substituer ses expressions grossières et dignes d’un héros de bordel au langage poli et recherché d’une garce aussi décente et respectable que la F…