La Renaissance du stoïcisme au seizième siècle/Introduction

Librairie ancienne Honoré Champion (p. 13-14).


INTRODUCTION


LE MOUVEMENT STOÏCIEN DE LA RENAISSANCE


Des études intéressantes ont déjà signalé, ces dernières années, l’existence d’une restauration partielle du stoïcisme au XVIe siècle[1]. Nous avons vu là l’indication d’un mouvement plus vaste qu’il serait utile de préciser et d’étudier dans son ensemble. La renaissance du stoïcisme fera donc l’objet de cette étude ; nous essaierons de l’analyser dans ses causes profondes et souvent cachées, de la replacer dans le milieu où elle s’est produite, racontant son histoire, depuis ses humbles débuts, jusqu’au moment où elle se fixe et s’épanouit en quelque sorte dans les œuvres de deux hommes : Juste Lipse et Guillaume Du Vair, qu’on peut considérer comme les représentants authentiques d’un stoïcisme nouveau qu’il restera alors à caractériser et à définir.

Rappelons tout d’abord qu’au début de la Renaissance, l’homme, remis en face de lui-même, a repris conscience de sa force, et surtout de la force de sa raison. C’est à elle qu’il revient désormais pour demander des règles pratiques de vie, pour examiner des vérités d’ordre spéculatif. Il sépare les deux domaines du spéculatif et du pratique, autrement dit de la morale et de la foi religieuse, et réagit contre le surnaturel. Ainsi l’idéal se déplace, chaque homme le porte en soi, puisque ce n’est point autre chose que le complet épanouissement de sa nature ; et comme cette nature est universellement considérée comme bonne, chacun, en travaillant à son propre développement, pourra réaliser le bonheur particulier pour lequel il est né. Quant à l’effort nécessaire pour vivre sa vie d’homme, il est immédiatement récompensé. Nul besoin des sanctions de l’au-delà : la paix, l’harmonie intérieure sont réservées à ceux qui se rangent aux lois de la Nature, et le Sequere naturam devient le principe universel d’action.

Il y a plus encore : les sanctions sociales viennent s’ajouter aux sanctions individuelles ; il semble alors, en Italie surtout, que les honneurs, les dignités soient les récompenses immédiates de l’intelligence et du travail. Ces hommes de la Renaissance, qu’ils soient érudits, peintres, sculpteurs, poètes ou historiens, à quelque degré que les place d’ailleurs leur génie, ont lutté courageusement contre les obstacles qui menacent à leurs débuts tous les talents, mais ils en ont triomphé.

Telles sont les tendances nouvelles. Elles vont rencontrer et heurter des forces contraires, celles du passé et de la tradition, et un combat doit inévitablement s’engager entre cet esprit nouveau, tout teinté de paganisme, et celui des siècles passés, tout imprégné de christianisme, entre l’Autorité et la Raison. Cependant, comme le Christianisme ne peut pas ignorer l’art antique dont il sent et comprend toute la beauté, la lutte ne saurait être violente pour les esprits, du moins, qui ont développé leur sens esthétique et participé d’une manière quelconque à ce grand mouvement de la Renaissance ; aussi aboutira-t-elle en définitive à une heureuse conciliation. Mais encore faut-il que parmi les tendances philosophiques, celles-là soient choisies, qui, par nature, répugneront le moins au christianisme ; or, de toutes les morales anciennes, celle qui s’accorde le mieux avec les aspirations générales du monde religieux chrétien, c’est la morale stoïcienne. Son succès, par ce fait même, est donc assuré ; et comme, d’autre part, l’humanisme vulgarise les œuvres des stoïciens, nous pouvons reconnaître dans l’humanisme l’une des sources les plus fécondes du courant stoïcien.
  1. Cf. F. Strowski, Pascal et son temps, 3 vol. (Paris, 1907) ; Ibid., Montaigne (Paris, 1906) ; P. Villey, Les sources et l’évolution des Essais de Montaigne, 2 vol. (Paris, 1908) ; Thamin, Les Idées morales au XVIIe siècle, dans la Revue des Cours et Conférences (2 janvier 1896).