LA RELIGION
LE SENTIMENT RELIGIEUX
ET LE MYSTICISME EN RUSSIE

Beaucoup de nos contemporains, en France comme en Russie, ne comprennent ni l’intérêt ni l’attrait des études religieuses. S’y livrer, c’est, à leurs yeux, se montrer en retard sur le siècle, avoir des idées ou des curiosités d’un autre temps. En vérité, on pourrait leur retourner ce reproche, leur dire qu’ils en sont encore au xviiie siècle. Que faut-il pour démontrer l’importance des questions religieuses, si l’histoire, depuis la révolution, n’y suffit point ? Le XIXe s’était flatté d’en avoir fini avec elles ; il a eu beau les dédaigner, elles ne l’en ont pas moins agité ; et force lui est de reconnaître qu’elles lui survivront. Tout annonce que, sous ce rapport, le siècle qui vient ne différera guère de celui qui s’en va.

Il me revient à la mémoire un souvenir de mon adolescence, sous l’empire. M. Guizot venait de publier ses Méditations religieuses ; M. de Morny, alors dans le voisinage du Val-Richer, à Deauville, disait à ce propos : « Comment, de notre temps, peut-on s’occuper de questions pareilles ? » C’était, il est vrai, à un banquet pour l’inauguration d’un chemin de fer. Bien des Russes, aujourd’hui encore, seraient de l’avis de l’homme d’état du second empire. Il est peu de pays cependant où pareille opinion nous semble moins de mise. La religion y mérite d’autant plus d’attention qu’elle a gardé plus de prise sur les masses. N’aurait-elle d’autre attrait pour notre curiosité, qu’elle serait encore pour nous un moyen de connaître le peuple, de pénétrer ses sentimens et ses instincts, de le saisir dans ce qu’il a de plus intime ou de plus spontané.

Les religions sont comme des moules où les siècles ont jeté les générations ; souvent l’empreinte persiste après que le moule est brisé. Parfois, au contraire, la religion se modèle elle-même sur le peuple qu’elle prétend former à son image. Ainsi en est-il notamment des sectes russes. En Russie, l’empreinte religieuse, chez le peuple du moins, est d’autant plus marquée que la religion est demeurée plus nationale, plus populaire ; que, dans les sectes, elle a pris quelque chose de plus personnel, de plus russe. C’est dans le vaste champ de la religion, dans les aériennes et nébuleuses régions de la théologie, que l’esprit encore inculte du peuple a pu jusqu’ici se donner le plus librement carrière. L’étudier dans ses croyances, c’est étudier l’ethnographie russe dans ce qu’elle a de plus relevé, non-seulement dans les coutumes ou dans les vêtemens du paysan, mais dans son esprit, dans son âme et sa conscience.

Est-ce là le seul intérêt d’une pareille étude ? Nullement. À cette sorte d’intérêt à demi scientifique, à demi littéraire, s’en joint un autre au moins égal, l’intérêt politique. En examinant la religion du peuple, en scrutant ses croyances, en considérant l’église qui l’a instruit et les sectes qui l’attirent, nous sommes persuadé que nous étudions l’état et la société russes dans un de leurs principaux élémens. dans ce qui, en réalité, leur sert de base et de support.

Il serait aussi facile de bâtir une ville dans les airs que de constituer un état sans croyance aux dieux. Ainsi parle un ancien, Plutarque, si je ne me trompe, et, sur ce point, la plupart des penseurs modernes, y compris Rousseau et Robespierre, ont été d’accord avec l’antiquité. En dépit des apparences, cette vieille maxime ne nous paraît pas encore surannée. La science a eu beau émanciper la pensée de l’homme, les sociétés humaines ont peine à vivre sans croyances supérieures ; non pas assurément sans culte officiel ou sans religion d’état, mais sans culte ni sentiment religieux. Ils montrent une présomption naïve, les politiques ou les philosophes qui, avec le fondateur du positivisme, croient l’heure venue de reconduire Dieu aux frontières de leur république, sauf « à le remercier de ses services provisoires. » Dieu a encore des services à rendre. Dieu exilé de la cité, bien des choses pourraient émigrer à sa suite.

Telle est, à notre sens, la difficulté capitale de notre civilisation arrivée à l’âge adulte. Loin de diminuer avec le temps et avec l’habitude, cette difficulté s’accuse de plus en plus avec l’affaiblissement des croyances religieuses et l’énervement des notions morales dont ces croyances faisaient la force. Le péril des états modernes, leurs révolutions périodiques, leurs agitations incessantes, l’esprit d’inquiète convoitise qui travaille la plupart des nations, proviennent, avant tout, de ce que les peuples contemporains ont, en grande partie, perdu leur ancienne foi, sans que rien l’ait remplacée. De là les ébranlemens de l’Occident, et toutes cas commotions populaires qui menacent la société européenne d’un bouleversement sans analogue depuis quinze siècles.

Le socialisme, l’anarchisme, ou, d’une manière plus générale, l’esprit révolutionnaire, est le fils aîné de l’incroyance. Les utopies de la terre remplacent la foi au ciel. Partout, de nos jours, il y a, entre les questions religieuses et les questions sociales, une corrélation qui éclate aux yeux les moins ouverts, et cette connexité deviendra plus manifeste à chaque génération. Nous ne pouvons ici que répéter ce que nous disions récemment ailleurs[1] : frustrées du paradis et des espérances supraterrestres, les masses populaires poursuivent l’unique compensation qu’elles puissent découvrir. À défaut des félicités éternelles, elles réclament les jouissances de la terre. Le socialisme révolutionnaire prend chez elles la place de la religion ; et, plus s’affaiblit l’empire de cette dernière, plus cet héritier importun acquiert d’ascendant. Le sentiment religieux disparu, les luttes de classes deviennent fatales ; l’ordre social n’a, vis-à-vis des appétits déchaînés, d’autre garantie que la force.

Encore, chez certains peuples, en Occident notamment, la société, privée de base religieuse, peut en retrouver une autre, plus ou moins chancelante, dans la science, dans les progrès du bien-être, dans les intérêts matériels surtout. Un état relativement pauvre, tel que la Russie, un peuple encore peu cultivé, comme le peuple russe, ne saurait de longtemps avoir une pareille ressource. Chez lui, comme ailleurs, durant de longs siècles, la religion demeure le principal, si ce n’est l’unique étai de la société et de la paix sociale.

Ainsi en est-il bien en effet. Le grand obstacle à la révolution est dans la conscience populaire. Tout le lourd édifice de la puissance russe repose sur un sentiment, sur le respect, sur l’affection du peuple pour le tsar. Or, ce sentiment du peuple envers son souverain est éminemment d’essence religieuse. À regarder certains côtés de son existence, de ses mœurs communales, certaines de ses notions ou de ses traditions, le peuple russe semble avoir la vocation du socialisme ; il porte en lui, pour ainsi dire, la révolution à l’état latent. A-t-il jusqu’ici fermé son âme à des doctrines souvent d’accord avec les instincts du moujik, c’est, en grande partie, qu’il a un frein invisible, plus puissant que toute l’autorité de la police et que tout le génie de la bureaucratie, la foi religieuse. Sans cette foi, la Russie serait déjà, de tous les états des deux mondes, le plus révolutionnaire et le plus bouleversé.

S’étonne-t-on que l’esprit révolutionnaire, sous sa forme la plus radicale, ait si profondément pénétré la pensée russe, c’est que, chez des classes entières, l’ascendant de la religion a été ébranlé. L’affaiblissement du sentiment religieux a produit, à cette extrémité de l’Europe, les mêmes effets qu’en Occident. Là aussi, la place laissée vide par la foi chrétienne a été occupée par l’esprit d’utopie et les rêveries socialistes. Là aussi, au culte de l’invisible a succédé le culte des réalités tangibles, et aux promesses de la Jérusalem céleste les visions d’un paradis humanitaire.

C’est une observation déjà ancienne que, chez les peuples modernes, la révolution agit à la manière d’une religion. Nulle part cela n’est plus sensible qu’en Russie. Nous avons eu mainte fois l’occasion de faire cette remarque aujourd’hui devenue banale[2]. En aucun pays, le mouvement révolutionnaire n’a autant pris l’aspect et les allures d’un mouvement religieux. Quelle en est la raison ? C’est qu’en Russie la secousse a été plus brusque et la conversion plus rapide ; que l’esprit russe a plus vite passé de la foi chrétienne à la foi révolutionnaire, et qu’en sautant de l’une à l’autre, il a apporté dans sa conversion toute la ferveur d’un néophyte. C’est, en même temps, que l’âme russe est restée plus profondément religieuse ; que, jusqu’en ses révoltes et ses négations, elle a gardé, à son insu, les habitudes, les émotions, les générosités de la foi, de façon qu’en devenant révolutionnaire elle n’a fait, pour ainsi dire, que changer de religion.

Telle est, nous l’avons vu, la principale originalité du « nihilisme » russe. Cette originalité est dans le sentiment bien plus que dans les idées. Jamais l’âme humaine, si souvent dupe d’elle-même, ne s’était montrée aussi religieuse à travers son irréligion. Ils ont beau faire profession d’athéisme, le « nihilisme, » chez beaucoup de ses adeptes, n’est que de la religion retournée. C’est pour cela que le sexe pieux par excellence, que la femme a pris une si large part au mouvement révolutionnaire russe. Elle allait aux sociétés secrètes et aux missionnaires du socialisme comme elle eût été au Messie et à ses prophètes. Précipitée du faîte des espérances chrétiennes, la femme russe a cherché un refuge dans les rêveries humanitaires, et remplacé l’attente de la résurrection par les songes de palingénésie sociale, portant dans sa foi nouvelle le même besoin d’idéal et les mêmes ardeurs, le même appétit de renoncement, la même ivresse de sacrifice.

La jeune fille a dit à la révolution : « Tu me tiendras lieu d’époux, tu me tiendras lieu d’enfans. » Et elle s’est donnée à cette divinité farouche, comme d’autres se vouent aux fiançailles du Christ ; abandonnant pour son impérieuse idole père et mère ; lui offrant en holocauste beauté, jeunesse, amour, pudeur même. Les cheveux que d’autres laissent tomber au pied de l’autel sous les ciseaux du prêtre, elle les a coupés en l’honneur de ce Moloch insensible. Pour lui, elle a dit adieu aux parures de son sexe et quitté les vêtemens de son rang. Elle a dépouillé les habitudes du monde et revêtu une robe grossière ; elle a frappé à la maison des indigens et a partagé leur repas et leur manière de vivre. Elle a fait, à sa façon, vœu de pauvreté pour se consacrer au service des humbles et à l’évangélisation des ignorans, servant et adorant le Dieu nouveau dans ses membres souffrans.

Le jeune homme, de son côté, obéissant aux mêmes voix, a laissé là ses études et ses livres. Il s’est dit, comme l’auteur de l’Imitation, que l’abondance du savoir n’enfantait qu’orgueil et affliction de l’esprit. Il a, lui aussi, découvert qu’une seule science importait à l’homme, celle du salut ; qu’une seule doctrine valait d’être enseignée, celle qui pouvait racheter l’homme de la servitude de la misère. Périsse tout le reste, s’il le faut, et l’art, et la civilisation ! Une seule chose est nécessaire, la rédemption des masses opprimées. Tel est le nouvel Évangile, et, s’il veut des confesseurs et des martyrs, l’élite de la jeunesse se disputera l’honneur de mourir pour lui. Il se trouvera des centaines, des milliers de jeunes gens pour avoir cette folie de la révolution, comme d’autres, en d’autres temps, ont eu la folie de la croix.

C’est à cette exaltation religieuse que le nihilisme russe a dû sa force et sa vertu. Peut-être eût-il fait plus de conquêtes, peut-être eût-il été plus à redouter, si, fidèle à sa première inspiration, il s’en fût toujours tenu à l’apostolat pacifique, au lieu de faire appel aux mines et aux bombes. Mais, pour n’avoir d’autre ambition que celui de s’immoler, pour s’enfermer obstinément dans la sereine protestation du martyr, il ne suffit pas d’une quasi-religion sans Dieu et sans ciel ; il faut une foi possédant un Dieu, attendant tout de Dieu, lui laissant le choix de ses voies et de son heure.

La révolution a beau devenir une sorte d’humaine religion, aussi fervente, aussi croyante à sa manière que l’ancienne ; elle a beau inspirer le même zèle enthousiaste et la même abnégation, elle ne saurait longtemps résister au démon de la violence. Elle est condamnée, par son principe, à laisser la force morale pour la force brutale. Sur ce point, il lui est interdit de rivaliser avec les vieilles doctrines qu’elle prétend supplanter. Il faut le Christ pour dire à Pierre de remettre l’épée au fourreau. Le croyant seul peut, devant le juge ou le bourreau, répéter le Fiat voluntas tua. N’est-il pas sûr d’avoir son jour et sa revanche ? Et encore que de fois le croyant même s’est lassé d’attendre ! Que de religions ont, elles aussi, armé le maigre bras du fanatique ! À certains esprits, le fanatisme semble même un trait essentiel de l’exaltation religieuse. Rien, à ce compte, n’a été plus religieux que le « nihilisme. » Ses héros, un Jéliabof, une Sophie Pérovsky, ont égalé le fakir le plus endurci ; et cela, sans Dieu pour les voir, ni paradis pour les recevoir.

De tous les mouvemens révolutionnaires du siècle, le nihilisme russe est celui qui a le plus clairement affecté les caractères d’un mouvement religieux, et c’est pour cela qu’il a surpassé en intensité et en grandeur morale des mouvemens politiques autrement importans par leurs résultats. Toute sa force était dans sa foi, une foi russe. La jeunesse des écoles, dédaigneuse des conceptions théologiques, « l’intelligence, » comme on dit là-bas, a montré qu’en elle le besoin de croire était toujours vivant. Pour ses dogmes révolutionnaires, l’athée a bravé la pauvreté et l’exil, souffrant pour la foi nouvelle avec une patience russe, comme ont souffert, durant des siècles, ses compatriotes du peuple, les raskolniks, pour « la vieille foi. » Si la révolution a eu l’air, en Russie, de prendre elle-même l’aspect d’une secte, comment s’en étonner dans un pays où fleurissent tant de sectes ? Ainsi, là même où la religion semble avoir entièrement disparu, la révolution, qui en a pris la place, laisse voir le fond religieux de l’âme russe.


II.

Chez le peuple, et non-seulement chez le paysan, mais chez l’ouvrier, chez le petit bourgeois et le marchand des villes, le sentiment religieux a conservé son antique naïveté. La religion y donne une incontestable preuve de vie : la fécondité ; elle y est sans cesse en enfantement, mettant au jour des sectes bizarres, sorte de monstres d’un autre âge, dont le nombre même est difficile à fixer. L’homme du peuple semble n’avoir pas encore franchi ce degré de civilisation où toutes les conceptions prennent spontanément une forme religieuse. À cet égard comme à tant d’autres, il est le contemporain de générations chez nous depuis longtemps disparues. S’il est, en Europe, des états où la religion a tenu une aussi grande place, il n’en est peut-être point où elle en occupe encore une aussi large. La rudesse du sol, la rigueur du climat, avaient préparé son empire ; les vicissitudes de l’histoire, la forme du gouvernement public et privé l’ont affermi ; l’état de culture l’a maintenu.

Lorsque, au-dessus d’un village des steppes, j’apercevais l’église dominant de ses coupoles vertes les noires cabanes du paysan, il me semblait voir un emblème de cette vieille royauté de la religion sur la terre russe. Que si l’on nous demande comment ou pourquoi la religion a gardé, sur le peuple et sur la vie populaire, un ascendant qu’elle a perdu en tant de contrées de l’Europe, les raisons en sont multiples. C’est d’abord et avant tout le degré de civilisation du pays, et, si l’on peut ainsi parler, l’âge intellectuel de la nation. Ce peuple, encore jeune malgré ses mille ans d’histoire, en est à une sorte d’adolescence où les croyances de sa longue enfance conservent presque toute leur autorité. Il n’en est pas encore arrivé (nous parlons, bien entendu, des classes populaires) à la phase du scepticisme, à cette crise des croyances que traversent, depuis un siècle, les sociétés occidentales. Il n’a pas encore passé par cette redoutable mue intellectuelle qui a pour longtemps ébranlé la santé morale des peuples modernes. Il a eu beau être visité par Diderot, il a beau posséder la bibliothèque de Voltaire, il en est encore à l’âge théologique, et, malgré les recrues faites chez lui par les disciples de Comte, rien n’indique qu’il en doive bientôt sortir.

Dans cette Russie, pareille à ses paresseuses rivières, les siècles paraissent couler plus lentement. Pour la grande masse de la nation, le moyen âge dure toujours. Luther est encore à son couvent et Voltaire, l’ami de Catherine, n’est pas né. Elle est restée, au XVe siècle, pour ne pas dire au XIIIe. C’est une impression que j’ai souvent eue en Russie. Après avoir franchi, au milieu d’un peuple de pèlerins, les hautes portes du monastère de Saint-Serge, ou être descendu, à travers deux longues files de mendians, dans les galeries des catacombes de Kief, il me semblait mieux comprendre notre moyen âge. De même, pour qui n’a pas foulé le sol encore intact de la sainte Russie, la meilleure manière de se représenter le peuple russe, c’est encore de remonter au-delà de la réforme et de la renaissance, aux siècles où la foi au surnaturel dominait toute la vie populaire, où des hérésies naïves et subtiles étaient le refuge des esprits les plus hardis.

Ce peuple a conservé l’intégrité de croyances des époques où l’on n’ose mettre en doute que les conditions de la foi et la forme du salut. Son grand charme et sa grande force, c’est qu’il n’a pas été entamé par notre aride scepticisme. De là vient qu’à travers son apparente grossièreté, il a souvent l’âme moins grossière que des peuples extérieurement plus policés. Ce qu’il avait de noble et d’élevé dans le cœur ne s’est pas flétri au contact d’un esprit de négation qui n’est pas fait pour les petits et les humbles, et qui, en descendant des lettrés ou des savans dans les foules, s’y dessèche en un inepte et brutal matérialisme. C’est uniquement, dira-t-on, que la Russie est arriérée de plusieurs générations. C’en est au moins une des raisons. Libre à chacun de l’en plaindre ou de l’en féliciter. Ce qui est certain, c’est que c’est là un fait gros de conséquences, d’autant qu’à considérer l’épaisseur des couches populaires et le mince épiderme de classes soi-disant instruites qui les recouvre, il faudra longtemps pour que ce qu’on appelle les idées modernes en pénètre le fond.

La Russie populaire vit dans une autre atmosphère que la nôtre : les vents qui soufflent de l’Occident seront longtemps avant d’en avoir renouvelé l’air. C’est presque le seul pays de l’Europe où l’homme du peuple ait conservé le sens de l’invisible, où il se sente réellement en communion avec les hôtes du monde supra-terrestre. Ses villages de bois, en vain traversés par la vapeur, sont de ceux où un saint des vieux jours se sentirait le moins dépaysé. L’état de culture du peuple n’est pas la seule raison de cette persistante prédominance des penchans religieux ; l’histoire, l’état social, l’état politique de la Russie, n’y sont pas étrangers. Dure a été la vie sous le sceptre paternel des tsars. Rares et précaires étaient les joies qu’offrait l’existence à ce peuple de serfs. Sentant peser sur lui tout le poids d’un des plus pesans édifices sociaux qu’ait connus le monde chrétien ; ne voyant s’ouvrir à ses yeux de chair aucune libre perspective, il était d’autant plus enclin à chercher des échappées sur l’au-delà. Il lui fallait un monde plus clément, où il trouvât en tout temps un refuge. La religion le lui assurait. En même temps que la grande consolatrice, la foi était pour lui la grande revanche de l’âme. Plus cette vie était lourde, plus il vivait de l’autre.

L’ignorance des masses, le manque de tout bien-être, la double tyrannie du bailli représentant le seigneur et de la police représentant l’état ; toutes les tristesses de l’existence russe concouraient au même effet, tournaient le cœur du peuple dans le même sens. Cette influence historique s’étend secrètement jusqu’aux classes cultivées, aux classes atteintes, depuis un siècle, du scepticisme occidental. Elles aussi ont durement ressenti le poids de l’histoire et de la vie. De là, en grande partie, l’accent original de leur mélancolie, leur précoce désenchantement d’une civilisation inférieure à leurs exigences, leur effort convulsif, dans le naufrage de leurs croyances, pour se rattacher à une foi nouvelle. De là, chez tant de ceux qui traversent le désert de la vie russe, un penchant au pessimisme, au mysticisme, au nihilisme, trois puits profonds et voisins l’un de l’autre, où se laissent choir bien des âmes lasses. De là, pour une bonne part, les brusques et douloureux coups d’aile d’une littérature restée croyante dans l’incrédulité, gardant le sentiment d’une foi qu’elle a perdue et frappant de ses élans impuissans un ciel vide.

Nous sommes portés, en Occident, à demander à la race, au sang slave, le secret des penchans mystiques et de l’instinct religieux des Russes. De pareilles vues ont beau se retrouver jusqu’à Pétersbourg ou à Moscou, c’est là, me semble-t-il, moins une explication qu’une simple constatation. Entre le génie slave et le génie hindou, entre le nihilisme de l’un et le bouddhisme de l’autre, on s’est plu à découvrir une ressemblance ; et, cette ressemblance, on a été, chez nous et en Russie, jusqu’à l’attribuer à une parenté des deux races et à la pureté du sang russe[3].

Le nihilisme mystique de certains contemporains (nous ne parlons pas ici du nihilisme révolutionnaire, assez improprement dénommé) a beau présenter certains points de contact avec le vieux bouddhisme des bords du Gange, il y a entre l’esprit russe et l’esprit hindou, l’un essentiellement réaliste, l’autre essentiellement métaphysique, non moins de contrastes que de similitudes. À tout prendre, ils ne diffèrent guère moins que les épaisses jungles du Deccan et les pâles forêts du Nord. L’un tient du soleil des tropiques et l’autre des neiges du cercle polaire. Si notre œil perçoit entre eux de secrètes affinités, cela prouve une fois de plus que les extrêmes se touchent ; cela montre que la nature sait, dans les régions les plus dissemblables et par des moyens opposés, aboutir parfois aux mêmes effets ; que l’homme peut, sous les cieux les plus divers, éprouver à son insu les mêmes sentimens. Encore, en pareil cas, la part de l’histoire et de l’état de culture, la part du régime social, politique ou religieux, est-elle peut-être plus grande que celle de la nature.

Quant à conclure de pareilles similitudes de tempérament à une étroite parenté de race ; quant à en faire honneur à la pureté du sang aryen des Russes, regardés comme la lignée directe des Aryas, toutes les données de l’ethnographie protestent contre ce système. S’il est injuste de refuser aux Russes le titre d’Aryens, il est hors de doute que le Slave moderne, que le Russe en particulier, fortement croisé d’élémens finno-turcs, est par le sang un des moins aryens des peuples indo-européens. La ressemblance du vieux slavon avec le sanscrit ne saurait, à cet égard, rien prouver. Les Lithuaniens du Niémen seraient, à ce compte, en droit de faire valoir des titres supérieurs. Les plus éloignés du berceau présumé de nos ancêtres communs, les Celtes, pourraient, eux aussi, par certains côtés, prétendre à une ressemblance avec leurs lointains cousins du Gange, sans que Bretons ou Gallois en puissent conclure au privilège d’un sang plus pur.

Ici, comme en bien d’autres questions, l’appel à la race n’éclaire rien, d’autant que l’instinct mystique est loin d’être également commun à tous les peuples de souche slave. Il est peut-être plus rare chez les Slaves du Danube ou de l’Elbe que chez leurs voisins de sang germanique. Il n’a guère d’empire que chez les Russes et les Polonais, en tant de choses si différens, en cela seul peut-être semblables. Et encore, si, au XIXe siècle, la littérature polonaise, la religieuse poésie de Mickiewicz ou de Krasinski, le poète anonyme, est tout imprégnée d’un douloureux mysticisme, cela tient avant tout aux souffrances ou, comme disent ses fils, au long martyre, à la passion de la Pologne, cette crucifiée des nations. Si Mickiewicz, le grand poète de Lithuanie, s’est, avant Léon Tolstoï, égaré dans les subtils brouillards des sortes mystiques, c’était, chez l’adepte du tovianisme, attendant la résurrection de sa patrie, autant folie patriotique que folie religieuse.

Veut-on, chez les Slaves du Nord, regarder le penchant au mysticisme comme un trait du tempérament national, il faut, croyons-nous, en rechercher l’origine dans l’histoire d’un côté, dans la nature de l’autre. Pour employer le langage du jour, la théorie des « milieux » nous paraît ici moins décevante que celle des races. Si de pareilles recherches ne sont pas entièrement vaines, l’explication la moins trompeuse est encore celle que nous fournissent ces deux grands facteurs du caractère d’un peuple, l’histoire et le climat, autrement dit, le milieu moral et le milieu physique. Chez les Slaves, comme chez toutes les grandes races, l’instinct religieux a ses sources au plus profond du cœur ; chez le Russe, le sentiment mystique nous semble jaillir du sol et découler du ciel.

Nous avons déjà tenté d’analyser les principaux traits de la nature russe et la manière dont ce ciel et cette terre ont agi sur le caractère national[4]. Les impressions de cette pâle nature se résument pour nous en un contraste. Sur ces vastes plaines tantôt nues, tantôt couvertes de maigres forêts, l’homme se sent petit, sans que la nature se montre réellement grande. Il se sent faible, il se sent pauvre, sans que la nature lui fasse toujours sentir sa force ou sa richesse. Une pareille terre, sous le froid ciel du nord, éveille aisément l’instinct de l’infini avec le sentiment de l’inanité de la vie. Cette terre russe, à la fois immense et débile, incline l’âme à la mélancolie, à l’humilité, à la méditation intérieure, par suite au mysticisme.

Vues d’en haut, du sommet des falaises abruptes ou des collines boisées qui bordent le Dniepr, le Don ou le Volga, vues des tours de Kief ou des murailles de Nijni. ces plaines russes donnent la même sensation d’infini qu’ailleurs la mer. Ce paysage, tout horizontal, laisse généralement au ciel la plus grande place. Souvent le ciel occupe seul tout le tableau ; la terre, à force d’être plate, s’efface ; les regards, que rien n’arrête, vont en tous sens se perdre dans le ciel. Les diffuses forêts du centre ou du nord donnent d’une autre manière une impression analogue. L’œil, à travers les noires aiguilles des pins dénudés ou le grêle feuillage des trembles et des bouleaux, se sent invinciblement attiré vers le ciel. La forêt, comme la nuit, est partout mystérieuse. Les songes habitent la vivante solitude des bois. Leur silence, fait de bruissemens confus, a une solennité grave dont l’âme se sent enveloppée ; et, quand le vent du pôle passe sur leur tête, les forêts du nord ont tour à tour les gémissemens et les grondemens de la vague sur la grève.

À ces impressions du sol russe s’ajoutent celles qu’apportent les saisons, plus contrastées ici que nulle part ailleurs en Europe ; les saisons, dont les oppositions violentes nous ont semblé expliquer ce qu’il y a de heurté, de déréglé, d’outré, dans le caractère et la pensée russes ; expliquer, par leurs contrastes, l’antithèse perpétuelle de l’âme russe, tour à tour résignée et révoltée, douce et dure, indifférente et passionnée, somnolente et fiévreuse ; tour à tour et souvent à la fois réaliste et mystique, positive et rêveuse, brutale et idéale, et sans cesse prête à passer d’un extrême à l’autre, avec une égale sincérité de conviction, avec des emportemens et des élans étranges. Ce manque d’équilibre, ce manque de mesure, si frappant chez ce peuple, comme sous ce climat, ferait seul comprendre ses accès de mysticisme, et les bonds et les chutes de sa pensée, violemment renvoyée de la terre au ciel.

Les saisons, avons-nous dit, confirment et corroborent les impressions du sol ; le ciel russe est en cela d’accord avec la terre russe. C’est d’abord l’hiver, le long recueillement de l’hiver, le froid sommeil de la nature, engourdie sous la neige et dont la mort apparente fait une impression solennelle. N’est-ce pas un fait trop peu remarqué que l’énergie du sentiment religieux dans les pays du Nord ? Le Nord n’est pas moins religieux que le Midi ; peut-être serait-il permis de dire qu’il l’est davantage. L’histoire en fait foi. L’Ecosse presbytérienne a, sous ce rapport, mérité d’être comparée à l’Espagne de l’inquisition. La Pologne, l’Irlande, la Suède de Swedenborg, l’Angleterre même, ont été au nombre des pays les plus croyans de l’Europe. Le sentiment religieux des peuples septentrionaux diffère de celui des peuples du Midi comme les lacs de l’Ecosse ou de la Finlande diffèrent des golfes bleus de Naples ou de Valence. Des aspects du Nord il prend une teinte plus sombre et plus austère, il devient plus mélancolique et plus intime, peut-être en est-il plus profond.

Les régions septentrionales, où ont longtemps été confinés les Grands-Russes, sont celles où ont pris naissance la plupart des sectes mystiques de la Russie. Sous cette latitude, les longues nuits de l’hiver, les longs jours de l’été tendent presque également à ouvrir l’âme aux impressions mystiques ou aux religieuses angoisses. Ce n’est pas seulement au figuré que les ténèbres engendrent la superstition ; elle naît spontanément, chez l’homme comme chez l’enfant, de l’obscurité physique et des heures nocturnes. Partout la nuit est le temps des craintes mystérieuses, qui, ainsi que les phalènes et les oiseaux du soir, se cachent dans le jour pour voltiger autour de l’homme après le coucher du soleil. L’été, les longues soirées de juin, avec leur diaphane crépuscule qui n’est ni la nuit, ni le jour, donnent à l’atmosphère du nord quelque chose d’éthéré, d’immatériel, de fantastique, qui semble étranger au monde réel ; tandis que, durant les gelées d’hiver, les deux Ourses, inclinées sur le pôle, et l’innombrable armée des étoiles scintillent sur les cieux noirs avec un éclat obsédant.

Partout ce qui déconcerte l’esprit et épouvante les sens, ce qui accroît la fragilité de la vie et semble la mettre dans la dépendance de causes extérieures à la nature, éveille ou renforce le sentiment du surnaturel. Or, les Russes de la Grande-Russie sont restés, pendant des siècles, sous le joug de trois fléaux, qui, en ébranlant périodiquement l’imagination populaire, les ont inclinés, à la fois, à la superstition, au mysticisme, au fatalisme. Nous voulons parler des épidémies, des famines, des incendies, dont les anciens annalistes n’ont cessé de mentionner les ravages. Épidémies et famines, s’abattant sans pitié sur chaque génération, n’ont pas moins affecté le tempérament moral des Russes que la richesse de la Russie.

Les fléaux soudains, sans cause apparente ou explicable, sont attribués par le peuple à des crimes de la terre ou à des vengeances du ciel, Rien n’entretient davantage la conception primitive de la maladie, tour à tour imputée à des sortilèges ou à une punition divine, sans autre remède que les prières ou les enchantemens. C’est là une des sources historiques du fatalisme et de la superstition des populations orientales. À l’aide du médecin, au soulagement incertain d’une science qu’il ne comprend point, le paysan russe préfère souvent des paroles mystérieuses, une amulette ou un pèlerinage ; au contraire, on l’a vu souvent, par une religion mal entendue, repousser comme diaboliques les spécifiques les plus efficaces. On dirait qu’il réserve sa foi pour le sorcier et ses scrupules pour le médecin. C’est ainsi qu’en plusieurs contrées la vaccination a été longtemps fuie comme un péché, sous prétexte que c’était le sceau de l’Antéchrist. Naguère encore, lors des épidémies de diphthérie, devenues si fréquentes dans l’Europe orientale, les villageois de Poltava s’opposaient opiniâtrement à la désinfection de leurs maisons, voyant dans les procédés sanitaires une profanation de leurs demeures, et dans les fumigations une opération satanique. Quand il a recours au médecin, le moujik en attend souvent le même genre de service que du sorcier ; si ses remèdes sont impuissans, il le traite comme un imposteur.

La peste et la famine, ces deux blêmes et maigres sœurs si longtemps acharnées sur elle, sont en train de disparaître de la Russie comme du monde civilisé. Il n’en est pas de même d’un autre fléau dont l’Occident peut à peine comprendre les ravages et l’impression décourageante, l’incendie. Le caractère du peuple en a été aussi éprouvé que son bien-être. Comme les famines et les épidémies, comme tout ce qui rend la santé, la vie ou la fortune précaires, l’incendie a fomenté chez les Russes la superstition et le fatalisme. Lui aussi a souvent provoqué les soupçons aveugles et les violences soudaines d’une foule atteinte d’un mal dont la cause lui échappait. Comment s’étonner que l’imagination populaire y voie parfois un châtiment céleste contre lequel il n’y a d’autre secours que la prière ou une image miraculeuse ? Naguère encore ce sentiment était assez fort, chez le paysan, pour paralyser ses bras en face des flammes. On en a vu déménager leurs maisons, enlever leurs vêtemens et leurs ustensiles, décrocher les châssis de leurs doubles fenêtres et laisser leur village brûler en s’écriant : « C’est la main de Dieu ! » Les villageois font parfois encore le même accueil résigné aux maladies nouvelles qui déciment leurs troupeaux ou leur famille et aux insectes qui fondent à l’improviste sur leurs champs. Le sud de la Russie n’est pas toujours à l’abri des ravages des sauterelles. Vers 1880, on a vu, dans le gouvernement de Kherson, les paysans refuser de se défendre contre une invasion de criquets. « Dieu est irrité, disaient-ils ; les sauterelles sont un châtiment de Dieu. » Et ils restaient assis, immobiles, en face de l’armée dévorante des locustes, répétant : « Quand le jour du châtiment sera passé, les sauterelles partiront. » Pour triompher de l’obstination de ces moujiks, l’autorité civile dut s’adresser au clergé, et, en pareille rencontre, le peuple des campagnes est loin de toujours obéir aux exhortations de ses prêtres.

Le fatalisme est un des traits les plus marqués du caractère national. Général chez les paysans, il persiste fréquemment dans des classes ou chez des hommes que leur éducation semblerait devoir y soustraire. L’esprit russe en est pour ainsi dire imprégné. On en retrouve la trace dans sa bravoure comme dans sa résignation, dans ses révoltes comme dans ses soumissions, dans ses témérités non moins que dans ses découragemens, dans ses accès d’activité fiévreuse aussi bien que dans ses langueurs et son apathie, dans ses négations presque autant que dans sa religion. Si le Russe a vraiment quelque chose d’oriental, c’est par là.

Au fatalisme s’allie souvent chez lui le mysticisme, un mysticisme inavoué qui s’ignore, qui fréquemment se nie lui-même et a honte de se reconnaître. Cette veine mystique, longtemps inaperçue des indigènes, frappe l’étranger. Nous l’avions, pour notre part, dès longtemps signalée[5]. Après avoir été lente à le découvrir, l’Europe est peut-être aujourd’hui disposée à grossir ce mysticisme russe, à lui faire une trop grande part dans la littérature, dans la pensée, dans le caractère slaves. Il s’en faut que tous les Russes en soient vraiment atteints. Partout, sur notre globe déjà vieux, c’est là forcément chose rare. Peut-être même est-on d’autant plus frappé de le rencontrer en Russie qu’il s’y mêle fréquemment à des instincts qui semblent jurer avec lui.

Pareil à une vapeur subtile, le mysticisme n’en plane pas moins sur la terre russe. S’il n’a pas de prise sur toutes, il pénètre certaines âmes ou plus fines, ou plus ardentes, ou plus maladives. À l’opposé de ce qu’on serait tenté d’imaginer, les années semblent y rendre plus sensible ; la jeunesse s’en défend parfois mieux que l’homme fait. Le mysticisme est, chez plus d’un Russe, une affection de la maturité. Tel qui en semblait exempt à vingt-cinq ans en est atteint à cinquante. Gogol et Léon Tolstoï en sont des exemples. Cette sorte d’évolution et comme de conversion mystique s’est vue également ailleurs. En Russie, elle ne s’explique pas seulement par l’éternel désenchantement de la vie humaine, mais aussi par les fatales déceptions encore inhérentes à la vie russe. Les étroites limites de l’activité intellectuelle sous le régime autocratique ; les barrières où se heurte en tous sens l’initiative individuelle ; l’inaction tôt ou tard imposée aux esprits indépendans ; le vide mal dissimulé de l’existence officielle et le vide trop apparent de tout ce qui n’est pas service d’état ; en un mot, l’impuissance d’agir et la fatigue de vouloir, l’inutilité de l’effort, mieux ressentie avec l’âge, rejettent parfois dans la contemplation et le mysticisme des âmes robustes qui, en d’autres pays, se fussent absorbées dans l’action. Peut-être l’usure du climat n’y est-elle pas non plus étrangère, car les forces morales ne lui résistent souvent pas mieux que les forces physiques ; on vieillit vite sous ce ciel.

Le mysticisme russe se ressent, du reste, du sol et du peuple ; il conserve presque toujours une saveur de terroir. Ne lui demandez point l’exquise et allègre poésie de ce doux extatique de François d’Assise qui, dans sa charité, embrassait toute la nature vivante, prêchant aux petits oiseaux et « à ses sœurs les hirondelles. » Peut-être faut-il pour cela le ciel et les fraîches vallées de l’Ombrie ou de la Galilée. S’il n’a pas la suavité franciscaine, le mysticisme russe a rarement l’âpreté de l’ascétisme oriental. S’il est, lui aussi, souvent bizarre, lourd, prosaïque, il est d’ordinaire moins sombre et moins farouche. Il perd rarement tout à fait le sens du réel ; il garde des soucis pratiques jusque dans ses conceptions les plus folles. Son vol ne dépasse jamais les sommets. Le vide éther des espaces célestes, l’air raréfié des hautes cimes, ne conviennent pas à ces enfans de la plaine. Jusqu’en ses envolées les plus hardies, le Russe ne quitte presque jamais la terre du regard. Aux songes les plus étranges de l’illuminisme religieux ou de l’utopie politique il mêle fréquemment les calculs de l’esprit le plus pratique.

C’est que le fond du caractère russe demeure un positivisme latent, un réalisme, lui aussi, parfois inconscient, qui perce à travers tout ce qui le recouvre et le cache. Ce n’est pas seulement dans la littérature, dans le roman qu’on trouve combinés, en Russie, ce que les Occidentaux ont appelé naturalisme et idéalisme, positivisme et mysticisme ; c’est dans l’âme, dans la vie, dans le caractère russes. Les contrastes que Joseph de Maistre se plaisait déjà à signaler dans les idées et dans les mœurs de ses hôtes de la Neva, nous les avons partout retrouvés dans l’homme lui-même. Il faut toujours en revenir là quand on parle des Russes. C’est cette alliance de traits opposés qui fait l’originalité de leur caractère national, qui lui donne quelque chose d’imprévu, de troublant, d’insaisissable, et en rend l’étude si attachante parce qu’elle réserve toujours des découvertes ou des énigmes. Chez le Russe, les contraires s’attirent. Toutes ces oppositions de tempérament, tous ces contrastes de caractère se manifestent dans sa religion, et nulle part peut-être avec plus de relief que dans ses sectes populaires.


III.

Nous étudions le sentiment religieux en Russie ; mais le peuple russe est-il vraiment religieux, est-il vraiment chrétien ? Les vagues et grossières croyances du moujik méritent-elles le nom de religion ? ses confuses notions sur la vie et sur le monde proviennent-elles bien de la foi chrétienne ? Beaucoup de ses compatriotes le contestent. Pour un grand nombre de Russes, la Russie n’est ni religieuse, ni chrétienne. À Pétersbourg, à Moscou même, cela est devenu une sorte d’axiome. Des hommes, d’opinions d’ailleurs fort diverses, sont là-dessus d’accord. À les en croire, le moujik n’a de la religion que l’apparence ; il n’a de chrétien que les dehors. En certains cercles, ce n’est pas là seulement un lieu-commun, c’est aussi une prétention nationale. On est disposé à s’en faire gloire, oubliant que, s’il y a là une part de vérité, la cause en est surtout au peu de culture du pays. Déjà, sous Nicolas, l’un des oracles de la pensée russe, Biélinsky, écrivait à Gogol, si je ne me trompe : « Regardez bien le peuple et vous verrez qu’au fond il est athée. Il a des superstitions, il n’a pas de religion. » À plus d’un Pétersbourgeois cela semble préférable. On trouve avantage à ce qu’au point de vue religieux comme au point de vue politique, l’esprit russe soit une table rase.

Un Russe, ami et disciple de Littré, a fort bien, sur ce point, exprimé l’opinion de beaucoup de ses compatriotes ; il nous reprochait d’avoir attaché trop d’importance à l’entrée de la Russie au nombre des nations chrétiennes[6]. En Russie, a dit M. Wyroubof, il y a eu des églises, il n’y a jamais eu de religion, si ce n’est le polythéisme primitif. L’église a dissous peu à peu le paganisme sans réussira lui rien substituer. Le peuple, resté sans croyances en rapport avec ses besoins, s’est montré accessible à toutes les superstitions, à toutes les étrangetés. En fait, la Russie n’a jamais été ni réellement chrétienne, ni réellement orthodoxe ; elle n’a jamais été soumise qu’à un simulacre de baptême.

L’objection revient à dire que les sujets du tsar ont un culte et n’ont pas de religion. C’est là, qu’on veuille bien le remarquer, une observation que, pour des raisons analogues, on pourrait étendre à bien d’autres pays, à bien d’autres époques. Certes, il n’a pu suffire aux Varègues de Vladimir de prendre un bain dans les eaux du Dniepr pour en sortir chrétiens. À Kief et à Novgorod, comme plus tard à Moscou, un paganisme latent et inconscient a pu longtemps régner à l’ombre de la croix byzantine. Mais, à regarder l’histoire, la Russie n’est ni le seul état de l’Europe où le christianisme ait été officiellement imposé par une sorte de coup d’autorité, ni le seul où la foi chrétienne soit longtemps demeurée tout extérieure, toute superficielle. Les Francs de Clovis et les Saxons de Charlemagne ne nous semblent pas avoir beaucoup mieux compris le christianisme que les droujinniks de Vladimir et d’Iaroslaf. Nous pourrions, à cet égard, faire de curieux rapprochemens entre les Francs peints par Grégoire de Tours et les Slaves décrits par la Chronique de Nestor. À comparer les deux pays et les deux époques, ce n’est pas toujours chez le moine de Kief et chez les Rurikovitch qu’on trouverait le moins de religion et le moins de sens chrétien. Dans la Russie des apanages, l’église et la foi n’ont guère eu moins d’ascendant sur les grands princes qu’elles n’en ont eu, en Occident, sur les Carolingiens et les premiers Capétiens. Qu’on lise les instructions de Vladimir Monomaque à ses fils ; l’empereur Louis le Débonnaire ou le roi Robert n’auraient pas, dans leur testament, montré plus de respect de l’évangile ou de souci de l’église.

À prendre l’époque actuelle, la Russie n’est pas non plus le seul pays des deux mondes où le christianisme se réduise fréquemment en pratiques extérieures et en notions grossières. Ce que certains Russes disent de leurs compatriotes, bien des nationaux ou des étrangers l’ont dit de maint peuple de l’Europe ou de l’Amérique méridionale. Combien de fois n’a-t-on pas répété que, avec toute sa dévotion, avec tous ses hommages aux saints et aux images, le Napolitain ou l’Andalous, et, à plus forte raison, le Mexicain ou le Péruvien, n’étaient réellement pas chrétiens ; que, sous le mince vernis de leur christianisme de surface, perçait partout le vieux polythéisme ? Pour un esprit non prévenu, le cas de la Russie n’est donc pas aussi singulier que semblent le croire beaucoup de Russes. Il n’y a pas là du quoi dénier au moujik le titre de chrétien, car il faudrait alors le refuser à bien d’autres. L’on risquerait d’aboutir à cette bizarre découverte que les pays où la religion est restée le plus en honneur, où ses rites et ses préceptes ont gardé le plus d’empire sur les masses, ne connaissent ni religion ni christianisme.

La religion, et cela est vrai de la plus sublime comme des plus humbles, la religion s’épure ou se dégrade selon le milieu qui la reçoit. Chez un peuple grossier, ignorant, elle devient ignorante et grossière. Entre elle et le croyant, il y a une action réciproque ; elle se matérialise quand elle ne peut le spiritualiser ; elle s’avilit avec ceux qu’elle ne peut élever. La religion prend les hommes par le dedans ou par le dehors, selon leur degré de culture ; et c’est par le dehors que commence le plus souvent son empire, comme c’est encore par le dehors qu’il se prolonge, alors que s’affaiblit son autorité sur le dedans.

Il se rencontre souvent ici une confusion d’idées qu’il importe d’éviter. De ce qu’une religion est grossière, de ce que les rites et les formes y prédominent, il ne s’ensuit pas toujours qu’elle soit toute de forme. Elle peut être, ou mieux, elle peut sembler tout extérieure, sans être pour cela superficielle. Ce sont là deux choses fort différentes. Telle pratique, qui nous paraît de pure forme, peut tenir au plus profond des notions populaires ou au plus intime du cœur ; il faudra des siècles pour l’en déraciner. L’importance attachée aux rites et aux observances ne prouve point que le cuits reste sans prise sur le fond de l’homme. Loin de là, à un certain degré de culture, comme à un certain âge de la vie, l’intérieur est asservi à l’extérieur. Il ne pénètre à l’âme que ce qui frappe les sens ; il n’y a de règle pour le dedans que ce qui règle le dehors, parce qu’alors l’homme est presque tout en dehors, ou le dehors est presque tout l’homme.

Cette réserve faite, il reste vrai qu’en Russie la religion est demeurée plus grossière qu’en tel ou tel autre pays. La foi chrétienne y est entachée de notions païennes. En dehors même de ces tribus d’origine finno-turque, qui n’ont de chrétien que leur inscription sur les registres de l’église, le paysan, s’il est toujours religieux, ne semble pas toujours chrétien. Pour être parvenu à rayer de l’âme russe le nom et le souvenir des dieux païens, le christianisme n’a pas toujours réussi à y graver ses dogmes et ses croyances. Entre les vieilles conceptions païennes et les enseignemens évangéliques, il y a une sorte de superposition qui a persisté jusqu’à nous. Ce ne sont pas seulement les rites du paganisme que le paysan a çà et là conservés, c’est, sous une enveloppe chrétienne, l’esprit même du polythéisme. Aussi est-ce devant le moujik qu’on pourrait dire que le paganisme est immortel.

Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons faciles à saisir : par l’état de culture du peuple, par son manque d’éducation historique, et aussi par son caractère, par son réalisme invétéré, son attachement traditionnel aux rites et aux coutumes. Il s’explique par l’esprit de l’église qui lui apporta l’évangile, par les défauts du christianisme byzantin, lui-même déjà tombé dans le formalisme, et aussi par la manière dont la foi nouvelle se substitua à l’ancien polythéisme. Le missionnaire grec était enclin à faire consister toute la religion dans les rites ; et ses protecteurs, les convertisseurs du peuple, les princes de Kief, étaient naturellement, par leur éducation païenne, encore plus portés à ne demander à leurs sujets que le respect des observances de la foi nouvelle.

Une des choses qui frappent dans l’histoire de la Russie, c’est la facilité avec laquelle le christianisme s’est introduit chez les Slaves russes. Entre l’évangile et le paganisme la lutte fut courte, la victoire peu disputée. À Kief, où le Christ avait des églises dès avant Vladimir, le polythéisme semble avoir été vaincu sans avoir presque combattu. Il s’efface, en quelque sorte, il s’évanouit tout à coup devant le conquérant étranger. Or, en religion, plus encore qu’en politique, il n’y a de complètes et de durables que les victoires disputées.

Le triomphe du christianisme fut d’autant plus rapide que le polythéisme des Slaves russes était plus informe, plus vague, plus primitif. S’il avait des dieux, s’il possédait même des images, des statues de ses dieux, le Slave du Dniepr n’avait ni temples pour les abriter, ni clergé pour les défendre. Le culte, pour ne pas dire la religion, était encore chez lui en voie de formation. Au lieu d’être en décadence, comme le polythéisme classique, son paganisme semble avoir été plutôt dans la période d’élaboration. Ce qui, en d’autres circonstances, en eût pu rendre la résistance plus vive, ne l’a pas empêché de succomber devant une religion supérieure non-seulement par ses croyances, mais par son organisation, par son culte et son clergé. Toutefois, comme le sentiment païen était encore dans toute sa vigueur, que l’âme populaire en était imbue, le triomphe du Dieu unique a été longtemps plus apparent que réel. Les idées et les notions du polythéisme ont, après sa défaite officielle, persisté à travers les rites du nouveau culte. Ce qui a été renversé par Vladimir, ce sont les dieux de bois à tête d’argent et à barbe d’or du paganisme russo-slave, plutôt que les antiques conceptions que ces dieux personnifiaient. Aux anciennes idoles, convaincues d’impuissance devant le Dieu des missionnaires byzantins, ont succédé le Christ et les saints du christianisme. La victoire de l’évangile s’est ainsi trouvée d’autant plus facile qu’elle était moins profonde. Il a pris d’autant plus vite possession des collines de Kief et des demeures des Varègues qu’il s’emparait moins des esprits et apportait moins de trouble dans les âmes, moins de changement dans les idées. On comprenait si peu le christianisme qu’on restait à demi païen sans le savoir. Tel encore souvent le moujik.

La religion du peuple a ainsi été longtemps une sorte de paganisme chrétien, ou mieux de christianisme païen, où le polythéisme « représentait les croyances, et le christianisme le culte. » Si les idées chrétiennes s’infiltraient peu à peu à travers les notions païennes, en revanche les vieilles cérémonies du paganisme, avec ses chants et ses danses, revivaient souvent au-dessous des rites de l’église. On a pu dire que le peuple russe était un peuple bireligieux. Les vieux chroniqueurs en faisaient déjà la remarque. Cette sorte de dualité de croyances, persistant à travers les siècles, a frappé tous ceux qui ont étudié le paysan ; elle se retrouve encore aujourd’hui dans ses chants, ses contes, ses traditions, comme dans son imagination. L’élément chrétien et l’élément païen s’y mêlent et s’y entre-croisent de telle façon que sa religion ressemble à une étoffe de deux couleurs.

Les dieux slaves ont-ils été effacés de sa mémoire, le peuple a gardé le souvenir des divinités secondaires, de celles du moins qui, par leur nom ou par leurs attributs, personnifiaient le plus nettement les forces de la nature. Comme presque partout, c’est la partie inférieure de la mythologie qui a le mieux résisté. C’est ainsi que, en près de dix siècles, le christianisme n’a pu supprimer ni le Vodiany, l’esprit des eaux, vieillard au visage boursouflé et aux longs cheveux humides qui habite les rivières et fait sa demeure près des moulins ; ni les Rousalkas, sorte de sirènes ou de naïades slaves, à la peau d’argent et à la chevelure verte, qui attirent les jeunes gens au fond des eaux ; ni le Léchîi, l’esprit des bois, sorte de lutin folâtre ou de sylvain aux pieds de chèvre, qui égare les voyageurs dans la forêt ; ni le Domovoi, le génie de la maison, dont le poêle, ce foyer russe, est la demeure préférée. Tous ces êtres fantastiques jouent un grand rôle dans les chants et les contes populaires. Les marais, les lacs, les forêts les ont fait vivre dans l’imagination russe.

En Russie plus qu’ailleurs, c’est surtout dans le culte des saints que le polythéisme s’est survécu. Si oubliés que soient les dieux slaves, ils n’ont disparu du sol russe qu’en se travestissant en saints chrétiens. Pour se retrouver dans l’Orient hellénique, comme dans l’Occident latin, de pareilles métamorphoses n’ont nulle part été plus fréquentes qu’en Russie. Elles seules expliquent la vogue de certains bienheureux et la bizarre hiérarchie du ciel russe. La place assignée par la dévotion populaire à ses saints favoris est sans rapport avec leur rôle dans l’histoire ecclésiastique ou leur rang dans la liturgie orthodoxe. On a remarqué que, parmi les hôtes de l’empyrée chrétien, les plus vénérés du peuple étaient souvent les moins humains, ou les moins historiques, ceux que la légende a le plus librement modelés à son gré. La raison en est simple : saints légendaires, anges du ciel ou prophètes de l’ancienne loi, les préférés de la dévotion russe ont, pour la plupart, conservé un caractère mythique.

Plusieurs ne sont que des dieux dégradés ou purifiés. De l’Olympe barbare de la Rouss primitive, ils se sont glissés dans le paradis orthodoxe. Parfois, sous le couvert d’une ressemblance de noms, ils ont transmis à un saint leurs attributs et leurs fonctions. C’est ainsi que saint Blaise, en russe Vlas, a, dans les superstitions locales, pris l’emploi de l’antique Volos ou Veles, le dieu des troupeaux. Le Jupiter slave, Péroun, le dieu de la foudre, dont les statues furent jetées dans le Dniepr et le Volkof, est remonté sur les autels sous la figure d’Élie, saint Élie, Ilia. Le prophète d’Israël, enlevé au ciel sur un char de feu, a succédé au dieu du tonnerre des anciens Russes, de même que, chez les Grecs, le même Élie avait déjà hérité d’Hélios, le Soleil. Lorsqu’il tonne, c’est, pour le moujik, le char du prophète Élie qui roule dans les cieux. En même temps que de la foudre, ce maître de l’orage dispose de la grêle. Un conte du gouvernement de Iaroslavl le montre détruisant les récoltes d’un paysan qui célébrait la saint Nicolas sans fêter la saint Élie.

Pour d’autres bienheureux, pour l’archange saint Michel, pour saint George, l’un des patrons de l’empire, dont l’équestre image, d’origine païenne, décore l’écusson national, le caractère mythique n’est pas moins marqué. Il en est de même de saint Nicolas, le plus invoqué et le plus puissant de tous les saints russes, celui qui, selon la croyance populaire, doit succéder à Dieu, lorsque Dieu se fera vieux. Saint Nicolas a les vocations les plus diverses. C’est, comme en Occident, le patron des enfans, c’est le protecteur des matelots, des pèlerins, des gens en danger. Par opposition à saint Élie, souvent dur et vindicatif, saint Nicolas est le bon saint, obligeant et secourable par excellence. Le Russe en emporte le culte partout avec lui et le répand autour de lui. Les païens d’au-delà de l’Oural ont pour saint Nicolas les mêmes hommages que les orthodoxes : ainsi les Votiaks non baptisés et les Ostiaks, qui l’appellent Kola, le dieu russe. En Europe comme en Asie, plusieurs tribus finno-turques, officiellement converties au christianisme, ne connaissent guère d’autre dieu chrétien. Presque toute la religion des Tchou vaches du Volga se réduit en pèlerinages à ses sanctuaires, partout fort nombreux. On peut ainsi, encore aujourd’hui, suivre en Russie même les diverses phases de l’évolution religieuse, du paganisme ou du fétichisme au christianisme.

La façon dont le paysan honore ses saints, l’idée qu’il se fait de leur puissance, de leur protection, de leurs rancunes, est souvent encore toute païenne. Il redoute leur vengeance et prend garde de blesser leur amour-propre. Il cherche à gagner leur faveur, et leur en veut de leur négligence. « Te sert-il, prie-le ; ne te sert-il pas, mets-le sous le pot, » dit un dicton populaire. On sait que dans chaque maison, presque dans chaque chambre, la place d’honneur, un des angles de la pièce, selon un usage oriental, est occupée par les saintes images, ces dieux lares moscovites. Pour elles est le premier salut de tout Russe qui entre. Veut-il commettre un acte qui puisse les choquer, le pécheur a le soin de leur voiler la face. Ainsi les femmes de mœurs légères.

Les Russes ont l’habitude d’honorer les saints et le Christ lui-même en faisant brûler des cierges devant leurs images. Durant les offices, les fidèles, debout les uns derrière les autres, se transmettent de main en main les petits cierges à poser devant l’iconostase. Un jour, c’était la fête de saint George, un paysan passait ainsi deux cierges. « Pourquoi deux ? lui demanda-t-on. — C’est, répondit le moujik, qu’il y en a un pour le saint et un pour le serpent. » Plus d’un homme du peuple serait enclin à rendre ainsi hommage en même temps à saint George ou à saint Michel et au dragon terrassé par le saint. Il y a dans leurs croyances une sorte de dualisme inconscient. La vie leur apparaît comme la lutte de deux principes opposés. On a cru retrouver dans les traditions populaires le souvenir de deux dieux ennemis : le dieu blanc, dieu du bien, le dieu noir, dieu du mal. Cette vue, à en croire les mythologues, a beau sembler inexacte, elle est d’accord avec les idées et la religion de nombre de moujiks. On dirait parfois que, sous leur christianisme, se retrouve une sorte de manichéisme latent. Maintes sectes populaires croient partout découvrir le diable et l’Antéchrist.

Une chose plus d’une fois remarquée, c’est la facilité avec laquelle le moujik russe, le colon russe, transporté au milieu de populations idolâtres, en adopte les superstitions et parfois même les rites païens. En Sibérie, notamment, un grand nombre de paysans orthodoxes se laissent prendre aux grossières séductions du chamanisme et figurent parmi les ouailles des chamans. Aux bords de la Lena, beaucoup fréquentent les sanctuaires bouddhistes des Bouriates, leurs voisins. Jusqu’aux environs d’Irkoustk, la capitale de la Sibérie orientale, siège d’un archevêché orthodoxe, on rencontre, dans les izbas russes, des idoles bouriates, en même temps que des images de saint Nicolas dans les huttes des Bouriates. En Europe même, dans la région du Volga, le paysan subit souvent la contagion des superstitions polythéistes ou fétichistes de ses voisins allogènes, les Tchouvaches ou les Tchérémisses, par exemple. Il semble qu’à demi émergé du paganisme, le moujik soit toujours près d’y retomber, quand il ne rencontre pas de main pour l’aider à en sortir. L’immensité du pays, l’éloignement de centres intellectuels et religieux, l’insuffisance et la négligence d’un clergé, à la fois trop peu nombreux et trop peu instruit, sont pour la religion autant de causes de corruption. Chez un pareil peuple, ce qui doit étonner, ce n’est point que le christianisme s’allie souvent à des notions païennes, c’est que la foi chrétienne ait vécu et duré, qu’elle n’ait pas été entièrement étouffée par les ronces du paganisme.

Sous le polythéisme chrétien du moujik, se retrouve une couche religieuse encore inférieure, qu’en creusant un peu l’on découvre également au fond des peuples de l’Occident, la sorcellerie. On ne saurait demander au paysan du Don ou du Volga d’avoir perdu l’antique foi dans les sortilèges et les maléfices, alors que de semblables croyances rampent encore au fond des campagnes, dans les pays les plus anciennement civilisés. À cet égard encore, le spectacle que nous offre l’izba russe nous fait remonter de plusieurs siècles en arrière. En aucun pays contemporain, la confiance dans les charmes magiques, la crainte du mauvais œil et des mauvais présages, la foi dans les songes et les enchantemens n’est aussi commune. Il est peu de villages qui n’aient leurs sorciers, et l’un des livres les plus répandus dans le peuple est le Sonnik, l’interprète des songes.

Ces superstitions sont tellement enracinées que, si l’on ne savait quelle peine a la culture à en triompher en des pays autrement favorisés, l’on serait tenté d’en rejeter la faute sur le sol ou sur la race. Le Nord a toujours été la terre des magiciens, et la sorcellerie y a conservé un caractère plus sombre. Entre toutes les races ou les nationalités de l’Europe, les Finnois ont, sous ce rapport, longtemps joui d’une sorte de primauté. Aucun peuple n’a eu plus de foi dans la force des enchantemens. Les magiciens tchoudes ont, en Russie comme en Scandinavie, gardé leur antique renom. Les traditions finnoises, les poésies recueillies dans les villages de Finlande font à la sorcellerie une place unique dans la littérature. Le grand poème dont les runot, habilement soudées, ont formé le Kalevala, est l’épopée des conjurations magiques. Dans cette sombre Iliade ou celle brumeuse Odyssée du Nord, les héros, au lieu de combattre avec le fer ou l’airain, luttent à coups d’incantations et de talismans, terrassant leurs ennemis et domptant les élémens par la puissance de leurs évocations. Le principal personnage, le vieux runoia Wäinämoinen, n’est qu’un sorcier divin, l’Achille ou l’Ulysse de la sorcellerie. Lönnrot et les savans finlandais qui ont recueilli les runot du Kalevala ont également publié des formules d’enchantement et des exorcismes destinés à conjurer tous les périls dont la colère d’êtres malfaisans peut menacer l’homme.

Chez les Finnois modernes, chez les Finlandais protestans du moins, la religion et la culture ont secoué le joug des plus grossières de ces superstitions. Il n’en est pas de même en Russie. Le Grand-Russe, dans les veines duquel coule tant de sang finnois, le Russe qui, pour la sorcellerie, a été l’élève des devins tchoudes, est demeuré plus fidèle aux croyances de ses ancêtres et maîtres. Dans toutes les calamités publiques ou privées, en cas de maladie, en cas de disette ou d’épidémie, le moujik continue à recourir à la science du magicien et à l’expérience des sorcières. En certains villages, le paysan fait régulièrement exorciser son champ par le sorcier après l’avoir fait bénir par le prêtre ; il est ainsi en règle des deux côtés. En Sibérie et dans certaines régions du Nord, les sorciers et les chamans prélèvent une sorte de dîme pour protéger les villages contre les maladies et les épizooties. Ce ne sont pas seulement des paysans isolés qui consultent en secret les maîtres de la science noire ; ce sont des villages entiers, publiquement et en quelque sorte officiellement, parfois après délibération des assemblées communales.

Jusqu’au centre de la Russie, dans les gouvernemens qui entourent Moscou, on voit la population des campagnes recourir, pour chasser la peste bovine, aux rites de leurs ancêtres. Les femmes, rassemblées au milieu des ténèbres, pendant que les hommes demeurent enfermés, font à demi nues une procession nocturne. En tête marchent les saintes images, associant malgré lui le christianisme aux antiques cérémonies païennes. Des jeunes filles sont attelées à la charrue ; elles tracent autour du village un sillon que des incantations traditionnelles interdisent à la peste de franchir. D’autres fois la maladie, personnifiée par un mannequin de paille, est noyée dans la rivière, ou bien enterrée ou brûlée solennellement, avec un chien ou un chat. On a vu, en temps de choléra, des paysans du centre de l’empire contraindre leur prêtre en habits sacerdotaux à ensevelir, selon les rites de l’église, une poupée de cette sorte représentant le choléra.

C’est contre la sorcellerie et non contre les dieux du paganisme que l’église et le clergé ont eu le plus à lutter. Dans ce combat séculaire, le christianisme, loin de toujours triompher de son occulte adversaire, ne l’a emporté qu’en dégénérant lui-même, pour nombre de moujiks, en une sorte de magie sainte, officiellement consacrée par l’église et l’état. Aux yeux de maint paysan, les rites de l’église ne sont que des charmes plus solennels et ses prières des incantations, propres à conjurer les périls réels ou imaginaires. Pour lui, le prêtre est avant tout le dépositaire des saintes formules et le maître des célestes évocations ; le Christ n’est, en quelque façon, que le plus puissant et le plus doux des enchanteurs ; Dieu n’est que le magicien suprême[7].

Un des traits les plus marqués de la religion du moujik, ce n’est pas seulement le formalisme extérieur, c’est l’attachement au rite, à l’obriad, comme disent les Russes. Cet attachement, qui a été, chez les Moscovites, le principe d’un schisme et de nombreuses sectes, tient en partie au caractère national respectueux de toutes les formes, dans les choses profanes comme dans les choses sacrées ; il tient aussi à la conception religieuse du peuple. Pour lui, le rituel et les paroles sacrées ont par eux-mêmes une vertu mystérieuse, on pourrait presque dire une vertu magique ; les changer, c’est leur faire perdre cette vertu. Ainsi s’expliquent, par exemple, les longues controverses sur l’orthographe du nom de Jésus ou sur le signe de croix, dont, aujourd’hui encore, les Russes de toutes classes font un tel usage. Si la manière de se signer a coupé l’ancienne Moscovie et, après elle, la Russie contemporaine, en deux partis ennemis, c’est que, pour la masse du peuple, le signe de croix n’était pas seulement une sorte de memento du Crucifié et de profession de foi chrétienne, mais une espèce de signe magique, un préservatif contre le mauvais œil et contre les dangers du corps et de l’âme.

Si grossière que semble une pareille religion, c’est encore là, nous devons le répéter, de la religion ; c’est encore là du christianisme ; et un christianisme qui, en réalité, ne vaut peut-être pas beaucoup moins que celui de plusieurs peuples des deux mondes. En Occident même, si notre façon d’entendre la foi du Christ est généralement supérieure, elle ne l’a pas toujours été. Dans la dévotion du moujik, bien des pratiques que protestans et catholiques lui reprochent comme d’indignes superstitions ne sont que des restes d’un âge ailleurs évanoui, et, si l’on peut ainsi parler, des traits d’archaïsme religieux.

Est-ce uniquement par la naïveté de ses conceptions ou par ses pratiques enfantines que le peuple russe a droit au titre de chrétien ? Nullement ; s’il est chrétien, ce n’est pas seulement par les dehors, par ces rites auxquels il attache tant de prix, c’est aussi par le dedans, par l’esprit et par le cœur. Peut-être même mérite-t-il plus, à cet égard, le nom de chrétien que beaucoup de ceux qui le lui contestent. À travers cette religion obscurcie et comme épaissie par son ignorance et sa grossièreté, on retrouve souvent chez lui le sentiment religieux dans toute sa noblesse. Sous ce demi-paganisme, et jusque sous les aberrations de sectes bizarres, se fait jour l’esprit chrétien dans ce qu’il a de plus intime et de plus singulier, tel qu’en la plupart des pays de l’Occident, il n’apparaît presque jamais dans les couches populaires.

De tous les peuples contemporains, le Russe est un de ceux où il est le moins rare de rencontrer les aspirations propres au christianisme, et les vertus qui en ont fait une religion unique entre toutes, la charité, l’humilité, et chose moins commune encore, chose ailleurs presque inconnue de l’homme du peuple, l’esprit d’ascétisme et de renoncement, l’amour de la pauvreté, le goût de la mortification et du sacrifice. S’il comprend mal la doctrine orthodoxe, s’il est peu au fait des dogmes de l’église, d’autant que son clergé omet parfois de les lui enseigner, le moujik entend la morale et les conseils du Christ ; son cœur en sent l’esprit. A-t-il l’intelligence ou l’imagination encore païenne, il a déjà l’âme chrétienne. À travers l’impur alliage des superstitions, sous la rouille des sectes, reluit l’or de l’évangile.

Pour s’expliquer ce singulier phénomène, moins extraordinaire et moins rare peut-être chez les pauvres d’esprit que nous le croirions de loin, il faut dire que cette compréhension de l’évangile, que cette disposition à se pénétrer du sentiment chrétien, semble tenir en partie au caractère ou au génie national, à de secrètes affinités entre la foi chrétienne et le fond de l’âme russe. Tertullien, par un sublime paradoxe, disait de l’âme humaine qu’elle était naturellement chrétienne. Si cela a jamais été vrai, c’est peut-être surtout de la Russie et des Slaves du Nord. Entre l’évangile et la nature russe, il y a une sorte de conformité, si bien qu’il est souvent difficile de décider ce qui revient vraiment à la foi et ce qui appartient au tempérament national.

Une chose manifeste, c’est qu’en tombant sur la terre russe, dans les tourbières des forêts et dans les grandes herbes de la steppe, la mystique semence du semeur de l’évangile n’est pas tombée sur un sol ingrat. Les ronces du paganisme et les broussailles de la superstition ne l’ont pas empêchée d’y lever, d’y donner parfois ses fleurs les plus délicates et ses fruits les plus exquis. Ce peuple, que certains de ses fils se plaisent à mettre hors du christianisme, est du petit nombre de ceux qui ont conservé l’idée de la sainteté ; chez lesquels cette haute vision, si étrangère aux foules de l’Occident, est demeurée populaire et vivante, avec ce qu’elle a pour nous de sublime et d’étrange. Le paysan russe est presque le seul en Europe à chercher encore la perle de la parabole évangélique et à vénérer les mains qui semblent l’avoir trouvée. Ce qui est l’essence du christianisme, il aime la croix ; il ne la porte pas seulement à son cou, en cuivre ou en bois de cyprès, il se réjouit de la porter dans son cœur. Il n’a pas désappris la valeur de la souffrance ; il en goûte la vertu ; il sent l’efficacité de l’expiation et en savoure l’amère douceur. Un des appas qui l’attirent aux sectes, c’est le désir de souffrir pour la vérité, c’est la soif de la persécution et du martyre. « La souffrance est une bonne chose ; Mikalka a peut-être raison de vouloir souffrir, » dit un des héros de Dostoievskv.

Ces sentimens se retrouvent dans la littérature, depuis que cette littérature s’est rapprochée du peuple ; non point, il est vrai, chez les écrivains « démophiles » à tendances révolutionnaires, qui exaltent le paysan sans le connaître ou le comprendre, mais chez les grands romanciers dont l’âme a pénétré son âme, qui, parfois, pour mieux s’identifier à lui, n’ont pas craint de dépouiller l’homme cultivé. Ainsi de Léon Tolstoï ; ainsi de Dostoievsky ; ainsi même d’Ivan Tourguénef, quoique, à l’inverse de ses grands émules, l’auteur des Reliques vivantes eût personnellement la tête libre de toutes fumées mystiques.

Chose singulière, cette littérature russe contemporaine, presque tout entière œuvre de sceptiques libres-penseurs, est, par certains côtés, une des plus religieuses de l’Europe. Le fond en est souvent, à son insu, secrètement chrétien. Les romanciers sont avant tout préoccupés de l’âme, de la conscience et de la paix du cœur ; ils ont le souci anxieux de l’énigme de l’existence et des mystérieuses destinées humaines. À travers leur rationalisme perce le sentiment religieux dans ce qu’il a de plus obsédant. Chez eux, le christianisme s’est, pour ainsi dire, volatilisé. On peut leur appliquer la belle image d’un de nos penseurs : pareille à ces vases qu’imprègnent encore des parfums évaporés, la littérature russe, de même que l’âme russe, reste souvent imbue des sentimens d’une foi évanouie. Du peuple, comme du sol, s’élève jusqu’aux froides couches lettrées une sorte de valeur religieuse.


IV.

En Russie, de même que dans le reste de l’Europe, l’ère de l’unanimité morale est passée pour ne plus jamais revenir peut-être. La religion a cessé de « relier » toutes les âmes ; elle a perdu son sens étymologique ; elle n’enveloppe plus les intelligences d’une atmosphère commune. Ici se montre un des contrastes que l’on retrouve partout en Russie. Ici se manifeste le dualisme qui, depuis Pierre le Grand, coupe la nation en deux. Nulle part la religion n’a une telle influence ; nulle part elle n’en a si peu. Tandis que le gros de la nation est demeuré sous son empire, des classes presque entières se vantent d’en avoir secoué le joug. Cette seule opposition expliquerait comment l’action du christianisme et l’importance de la religion sont jugées d’une manière si diverse.

À cet égard, les classes cultivées, « l’intelligence, » comme on dit là-bas, et le peuple, les deux Russies superposées et presque étrangères l’une à l’autre, semblent appartenir à deux âges différens, sans qu’aucune d’elles peut-être soit tout à fait notre contemporaine. Si l’une nous paraît en être toujours au moyen âge, au XVe ou au XIVe siècle, l’autre en est fréquemment restée au XVIIIe siècle, à l’incrédulité frivole ou au naïf philosophisme antérieur à la révolution. Dans les salons de Pétersbourg, un Mesmer, un Saint-Martin, un Cagliostro, tous les rêveurs ou les faiseurs de la fin du XVIIIe siècle, auraient bien des chances de rencontrer le même accueil que chez les contemporains de Catherine II. Pour être plus ou moins sceptique et n’accorder qu’une foi limitée aux dogmes d’aucune église, alors même qu’il en observe décemment les rites, le beau monde n’a pas toujours renoncé à tout commerce avec le surnaturel. Si nombre d’hommes et de femmes croient de leur dignité d’êtres cultivés de se confiner dans la sphère des réalités scientifiques, bien peu se résignent à ne pas dépasser les étroites frontières des connaissances positives et savent s’arrêter aux bords obscurs de l’incognoscible. Parmi les contempteurs les plus décidés des chimères métaphysiques et des illusions religieuses, plus d’un se donne carrière dans les utopies du millénarisme humanitaire. D’autres en reviennent, comme leurs arrière-grands-pères, à une sorte de théosophie ou d’illuminisme nébuleux. L’esprit de secte, longtemps relégué chez le peuple, menace de s’insinuer dans le monde ; s’il faut y voir un indice de l’espèce de détraquement moral de cette société déséquilibrée, il est permis d’y retrouver aussi l’obsession de l’inconnu, le goût toujours renaissant du merveilleux, avec cette sorte de mysticisme inconscient qui travaille l’homme russe. On le voit apparaître sous les formes les plus diverses jusque dans les classes instruites. Tel qui, pour scruter la nuit des destinées humaines, méprise les lointaines clartés de la religion et le demi-jour de la foi, recourt volontiers aux troubles lueurs des visionnaires et à la lampe des magnétiseurs. À défaut du christianisme, on fait appel au spiritisme. Entre l’état religieux de la Russie et celui d’une notable partie de l’Occident, il n’y en a pas moins une différence capitale, pour ne pas dire un contraste. La situation est en quelque sorte inverse. L’axe religieux est déplacé, le point d’appui de la foi chrétienne retourné. Tandis qu’en plusieurs pays de la vieille Europe, en France et en Angleterre notamment, la religion, devenue suspecte au bas peuple qu’elle a si longtemps consolé, s’est en grande partie réfugiée dans les hautes classes, dont le XVIIIe siècle lui avait fait essuyer les dédains ; chez les Russes, les croyances chrétiennes vont en diminuant de bas en haut. En bas, chez le paysan, chez le marchand, chez l’ouvrier même, la foi ; en haut, chez les classes cultivées, le scepticisme ou l’indifférence. Cette sorte d’interversion des rôles est avant tout imputable à l’état social et à l’histoire. Plus le peuple montre de foi, plus il reste attaché aux croyances de ses pères et plus les classes supérieures sont portées à regarder la religion comme bonne pour le peuple, moins elles sentent le besoin de la soutenir de l’autorité de leur exemple. Le sentiment aristocratique est alors d’accord avec l’orgueil du savoir pour pousser à mettre sa vie comme ses idées au-dessus des règles communes. Le frein social est assez solide pour qu’on ne se fasse pas scrupule de ne s’y point soumettre. Ainsi longtemps de la Russie ; l’empire de la religion semblait assez fort pour qu’en le secouant elles-mêmes, les classes civilisées ne craignissent pas de l’ébranler au-dessous d’elles. Ce n’est pas qu’il y eût moins d’hypocrisie (il y a partout, en pareil cas, plus d’instinct que de calcul), c’est plutôt qu’il y avait plus de frivolité et moins d’expérience.

Qu’un jour, à une époque prochaine peut-être, il y ait, dans la société russe, une reprise religieuse analogue à celle dont le XIXe siècle a été témoin en Angleterre, en France, en maintes parties de l’Allemagne, on ne saurait en être surpris. Là, tout comme ailleurs, l’un des effets de la propagande révolutionnaire parmi les foules sera de ramener à la vieille foi les sympathies des esprits, des professions, des classes qu’effraient les progrès de la démocratie et les menaces du socialisme. Assaillie comme un obstacle par les uns, la religion est par les autres défendue comme un rempart. Le flot de la révolution n’a qu’à grossir ou à se rapprocher, pour que la foi religieuse apparaisse comme une digue contre le débordement des idées subversives, et qu’on voie les mains qui se faisaient un jeu de la miner se faire un devoir de la relever.

Il y a déjà, en Russie, des symptômes d’un pareil revirement. Cela est sensible dans la haute société, dans les couches aristocratiques. Une certaine liberté d’esprit y est-elle toujours de mise, le respect, si ce n’est la pratique, de la religion y est de bon ton. L’impiété, l’athéisme tranchant, on les laisse à de moins raffinés. Cela est plus sensible encore dans le monde officiel, où la politique a toujours tenu la religion en honneur. Plus la propagande révolutionnaire lui a donné de soucis et plus le gouvernement a été pris de ferveur religieuse.

Ainsi autrefois, sous Nicolas ; ainsi aujourd’hui, sous Alexandre III. Le « nihilisme » a valu à la Russie un réveil de ce zèle officiel. L’état a tout fait pour fortifier l’ascendant des croyances religieuses, non-seulement sur le peuple, mais sur toutes les classes de la nation, dans tous les établissemens d’instruction, de l’école populaire aux universités. À cet égard, la politique impériale, sous Alexandre III, comme jadis sous Nicolas, serait, en tout autre pays, qualifiée de cléricale.

Beaucoup de Russes, il est vrai, affirment que toute espèce de « cléricalisme » est incompatible avec la Russie, incompatible avec l’orthodoxie orientale. N’est-ce pas là encore une prétention que les faits peuvent démentir ? Si cet équivoque terme de cléricalisme, mal défini même en Occident, semble particulièrement impropre en Russie, c’est d’abord que l’église et l’état y sont trop intimement liés pour que l’activité de l’église s’exerce aux dépens de l’état et contre l’état ; c’est ensuite que le clergé est loin d’y posséder ou d’y pouvoir revendiquer le même ascendant que dans les pays catholiques. Presque entièrement isolé de ses compatriotes, formant lui-même une sorte de caste, le clergé russe a peu de rapports avec les autres classes et, par suite, peu d’empire sur elles, en haut surtout. Pour la noblesse, pour l’état lui-même, l’église a longtemps été une église de paysans, ses prêtres un clergé de moujiks. Cela a-t-il empêché l’état de la soutenir de son autorité, de lui prêter, d’une manière constante, ce qui lui fait défaut presque partout en Occident, l’appui de la loi et du bras séculier ? Repousse-t-on le terme de clérical, le gouvernement russe s’est maintes fois montré piétiste. L’état, en effet, peut faire du piétisme ou du cléricalisme, peu importent les mots, par calcul politique autant que par conviction religieuse ; l’état peut être dévot par instinct de conservation, dans son propre intérêt, bien ou mal entendu, et non dans l’intérêt d’une église ou d’une doctrine. Même en pays catholiques, la plupart des hommes que leurs adversaires traitent de cléricaux ont beaucoup moins en vue l’avantage du clergé, ou la défense de la foi, que le bien de l’état et de la société.

L’église russe a conservé des droits et prérogatives dont aucune autre église ne jouit en Europe. Nulle part, le spirituel et le temporel ne sont restés aussi étroitement unis ; nulle part, la religion n’est aussi protégée. Il est vrai que, selon la règle commune, ses privilèges vis-à-vis du pays, l’église a dû les payer en dépendance vis-à-vis du pouvoir. Une des raisons de cette intimité de l’état et de l’église, c’est que, en Russie, la religion est demeurée essentiellement nationale. Cela explique comment l’église excite si peu de haine jusque dans les cercles où l’on est le plus rebelle à ses dogmes. Le scepticisme est commun dans les classes cultivées ; l’esprit de négation y est souvent tranchant ; l’église y est rarement attaquée. L’indifférence n’est point seule, comme en Occident, à retenir dans le giron de l’église les hommes qui franchissent les limites du dogme. En perdant la foi de ses enfans, l’église russe garde généralement leur sympathie. Comme certains fils, on en voit qui lui témoignent de l’affection en lui montrant peu de respect ou même peu d’estime. Le plus grand nombre reportent sur elle une part de l’attachement qu’ils ont pour leur patrie. Les deux choses leur paraissent liées ; le Russe qui ose renoncer au culte de ses ancêtres est honni, moins comme apostat que comme traître à son pays. C’est que l’église est pour eux chose russe ; qu’elle est avant tout une institution nationale, la plus ancienne et, malgré tout, la plus populaire de toutes. C’est que. non-seulement, elle a contribué à former la nation et à faire la Russie, mais qu’aujourd’hui même elle en est restée le ciment.

Le peuple russe n’est pas encore entièrement sorti de cette phase, où la religion tient lieu de nationalité et se confond avec elle. Pour les masses, bien mieux, pour les hautes classes, pour le gouvernement lui-même, il n’y a de vrais et de foncièrement Russes que les orthodoxes. « Autocratie, orthodoxie, nationalité, » disait l’empereur Nicolas, et, de cette triple devise, reprise par Alexandre III, les deux derniers termes, regardés comme équivalens, sont les moins contestés. Pour le moujik, russe ou orthodoxe semblent synonymes. Le paysan, dont le nom traditionnel Krestianine signifie chrétien, le paysan, quand il s’adresse à ses pareils, les appelle orthodoxes, mettant, à l’orientale, la religion à la place de la nationalité. Veut-on dans le peuple exciter la fibre nationale, c’est la foi qu’il faut toucher. Ainsi ont toujours procédé les hommes qui ont poussé la Russie à guerroyer en Orient. C’est pour les souffrances des orthodoxes opprimés par le musulman que le cœur du peuple battait, en 1878, sous Alexandre II, comme un demi-siècle plus tôt chez Nicolas. Ce n’est qu’à une époque relativement récente que l’idée d’affinité de race a tendu, dans les cercles cultivés, à se substituer à l’idée de fraternité religieuse ; chez les masses, celle-ci a toujours primé. Pour remuer les couches profondes, il n’y a qu’à leur montrer des orthodoxes à délivrer ou la croix à relever sur la coupole de Sainte-Sophie. Veut-on réveiller les passions guerrières, ce n’est pas le clairon qu’il faut sonner ; ce sont les cloches des trois cents églises de Moscou. Le vieil esprit des croisades couve encore dans le sein du peuple. Peut-être un jour l’entrainera-t-on ainsi en Asie jusqu’au tombeau du Christ, sauf à s’arrêter, comme les Francs de la quatrième croisade, à faire des conquêtes en chemin.

Ce lien de la religion et de la nationalité, l’histoire l’a noué et les siècles n’ont fait que le resserrer. Sous ce rapport, la Russie nous a rappelé l’Espagne[8], avec cette différence que toutes ses luttes nationales, toutes ses guerres politiques, à l’Occident comme à l’Orient, ont pris, pour le peuple, l’aspect de guerres de religion. Qu’il eût affaire à l’Asie ou à l’Europe, au Nord ou au Midi, au Mongol ou au Turc, au Suédois ou au Polonais, à l’Allemand ou au Français même, c’était toujours l’infidèle, l’hérétique, le schismatique qu’il avait à combattre. Son ennemi était toujours l’ennemi de Dieu. Ce sentiment a survécu à l’émancipation du joug tatar. Il lui était antérieur. Déjà, dans la Russie des apanages, le baptême était regardé comme la marque distinctive du Russe vis-à-vis des populations allogènes. Déjà la foi était le garant ou la marque de la nationalité. Le Finnois ou le Finno-Turc converti était regardé comme Russe. Dans la cuve baptismale se combinaient les élémens d’où devait sortir le peuple nouveau. C’est l’orthodoxie, non moins que l’autocratie, qui a fondé l’unité russe ; elle a créé et sauvé la conscience nationale.

Comment, après cela, les théoriciens de la nationalité, les Russes résolus à vanter tout ce qui est russe, les slavophiles et leurs émules, ne se seraient-ils pas faits les panégyristes de l’église nationale ? Ils n’y ont pas manqué ; les Samarine, les Aksakof, les Khomiakof ont célébré à l’envi les mérites et les services de l’orthodoxie orientale. Ils n’ont pas craint d’en établir la supériorité sur toutes les autres formes vivantes du christianisme. À force d’exalter leur église, de lui chercher des titres aux yeux mêmes des incrédules, certains slavophiles ont, par le rationalisme de leurs argumens, éveillé les défiances de cette orthodoxie dont ils s’étaient constitués les apologistes. Quelques-uns ont eu la surprise de se voir censurés par le saint-synode. Par son principe, il est vrai, leur apologétique était autant politique que religieuse. L’apôtre était, chez eux, au service du patriote.

S’ils ne donnent pas dans les exagérations systématiques des slavophiles, la plupart des Russes croient devoir à leur pays de faire taire leurs préférences religieuses personnelles devant ce qui leur semble un intérêt national. « En religion, me disait à Moscou une femme du monde, je suis simplement chrétienne, sans attache à aucune confession ; mes tendances seraient plutôt protestantes ; mais, comme Russe, je suis passionnément orthodoxe. » Telle est la pensée, si ce n’est le langage, de la plupart de ses compatriotes : étant Russes, ils sont orthodoxes ou pravoslaves, ainsi qu’on dit en russe. Le rôle, déjà séculaire, de patronne de l’orthodoxie, a été trop avantageux à la Russie pour qu’aucun patriote ose en faire fi. De pareilles missions historiques apportent d’ordinaire autant de profit que d’honneur. Les considérations politiques et l’instinct populaire sont d’accord pour ne pas le laisser oublier à Pétersbourg. Entre les Russes et l’Orient grec ou romain, la religion est le seul lien qui subsiste. Entre eux et leurs congénères du Danube, elle est peut-être encore le moins fragile, car, tôt ou tard, chez les Slaves émancipés par l’aigle moscovite, les affinités de race s’effaceront devant le sentiment national ; le Slave disparaîtra sous le Serbe, sous le Bulgare. Les Bulgares entendraient la messe en latin qu’aujourd’hui même la Russie n’aurait pas plus de prise sur eux que sur les Polonais. Si, parmi les Grecs et les Roumains, parmi les Serbes même, la politique russe a gardé quelques sympathies, c’est surtout dans le clergé. Cet instrument religieux viendrait à s’user en Europe qu’il pourrait encore servir en Asie, où déjà il a ouvert aux tsars la Géorgie et le Transcaucase. L’orthodoxie a valu au peuple russe une sorte de primato dont, à l’inverse d’autres nations, en cas analogue, l’empire du Nord n’entend pas se dépouiller de lui-même.

Au dehors comme au dedans, les destinées de l’état semblent liées aux destinées de l’église. Après avoir été le premier facteur de la nationalité russe, l’orthodoxie orientale a été le premier élément de sa grandeur. Ce qu’elle était sous les Rurikovitch et les vieux tsars, elle l’est encore, près de deux siècles après Pierre le Grand. De nos jours mêmes, nous devons le répéter, la religion est restée la pierre angulaire de l’empire. Sur elle repose tout l’édifice autocratique. Il nous faut terminer ces réflexions par où nous les avons commencées. La Russie n’est pas seulement un pays chrétien, c’est encore, à bien des égards, un état chrétien. Et, quand nous disons qu’elle est demeurée un état chrétien, nous avons bien moins en vue la situation légale de l’église, ou la conception officielle de l’état, que les notions populaires.

Les vieilles lois russes donnent fréquemment à l’empereur le titre de souverain chrétien, et c’est à ce titre qu’elles reconnaissent aux tsars une autorité sans limite. Le code, le svod, débute en proclamant le pouvoir autocratique et en réclamant pour lui l’obéissance au nom de la loi divine, dans les termes mêmes prescrits par l’apôtre[9]. Mais, encore une fois, ce qui fait de la Russie un état chrétien à base religieuse, c’est bien moins la loi et l’enseignement officiel de l’état ou de l’église que la notion de l’immense majorité du peuple. Pour le paysan, le tsar est le représentant de Dieu, délégué par le ciel au gouvernement de la nation. Là est, pour la conscience populaire, le principe et la justification de l’autocratie. Là est la raison de l’espèce de culte public et privé, rendu par le moujik au tsar, oint du Seigneur. Il a réellement pour son souverain une religion souvent poussée jusqu’à la superstition ; mais le culte qu’il lui rend dans son cœur, comme par ses actes, le paysan le fait remonter au Dieu que l’église appelle le roi des rois et ses livres slavons le tsar éternel. C’est pour cela qu’il se courbe et se prosterne devant lui, et parfois se signe à son approche, comme devant les saintes icônes. Pour son peuple, l’empereur sacré au Kremlin a un caractère strictement religieux ; le tsar est comme le lieutenant et comme le vicaire de Dieu ; cela explique l’ingérence que le peuple orthodoxe lui a laissé prendre dans l’église. À plus forte raison, cela explique l’esprit de docilité des masses, le peu de goût d’une grande partie de la nation pour les libertés politiques. Le tsar gouvernant au nom de Dieu, n’est-il pas impie de lui oser résister ? L’église ne lance-t-elle pas, chaque année, l’anathème contre les téméraires qui ne craignent pas de mettre en doute la divine vocation du tsar et contre les rebelles à son autorité[10] ? La soumission aux puissances n’a-t-elle pas été commandée par l’apôtre ; et l’obéissance et l’humilité ne sont-elles plus les premières des vertus chrétiennes ? Ces sentimens ne sont pas toujours confinés dans le peuple. L’un des chefs du slavophilisme, Constantin Aksakof, dans un mémoire remis à l’empereur Alexandre II, le conjurait de ne pas se dessaisir de l’autocratie, parce que, de toutes les formes de gouvernement, c’était la plus conforme à l’évangile.

Un survivant des luttes du nihilisme, se plaignant des privilèges accordés au clergé, s’attaquait à ce qu’il appelait la théocratie russe[11]. Ce mot, jeté à la légère, comme un reproche banal, par un révolutionnaire, pourrait, à bien des égards, être pris au propre. Le gouvernement russe n’est pas sans droit au titre de théocratique. Chez lui, la théocratie est à la base de l’autocratie. Et cela n’a rien de surprenant : il en a été de même ailleurs. Chrétiens ou musulmans, la plupart des gouvernemens autocratiques ont eu un principe religieux. L’église, au lieu de dominer le pouvoir civil, a beau lui sembler subordonnée, le gouvernement russe est demeuré une théocratie, en ce sens qu’il s’appuie tout entier sur la foi religieuse. J’oserais, à cet égard, le comparer au gouvernement des Hébreux, qui, sous leurs rois comme sous leurs juges, faisaient profession d’être gouvernés par Dieu et par la loi divine. Le rapprochement est d’autant plus naturel que le Russe, lui aussi, s’est, depuis des siècles, habitué à se regarder comme le peuple élu, comme le peuple de Dieu. Les fils de la sainte Russie ont, pour leur gosoudar, quelque chose du sentiment que pouvaient avoir les Hébreux pour leurs rois ou, comme dit le Slavon, pour leurs tsars David et Salomon. Qu’est-ce au fond que le régime russe, cette sorte d’anachronisme vivant dans l’Europe moderne ? Le tsarisme n’est qu’une théocratie patriarcale, déguisée par la nécessité des temps et par l’influence du voisinage en monarchie militaire et bureaucratique.

S’il n’y avait d’autre Russie que la Russie populaire, si le Russe finissait toujours au moujik, si la Moscovie, parquée dans ses forêts, n’avait pas été en contact avec l’Europe, le trône des tsars orthodoxes serait à l’abri de toute secousse. Par malheur, l’homogénéité morale de la nation a été brisée ; la sainte Russie a perdu l’unité de foi religieuse et politique. En dehors même de sa large ceinture de provinces d’une autre nationalité et d’une autre religion, il y a, au sein du peuple russe, deux nations diverses et superposées, différentes de culture, de croyances, de besoins ; deux Russies qui ne sauraient s’accommoder du même régime et dont l’une blasphème ce que l’autre adore. Au-dessus de la vieille Russie moscovite, de la Russie russe, comme aiment à dire ses panégyristes, il y a la Russie moderne, la Russie européanisée, la Russie pétersbourgeoise, ainsi que l’appellent ironiquement ses détracteurs ; il y a la Russie libérale, dédaigneuse des superstitions populaires, pour laquelle la dévotion des masses envers le tsarisme n’est qu’un fétichisme grossier ; il y a la Russie révolutionnaire, fanatiquement ennemie du dogme autocratique, pour laquelle jeter des bombes à l’oint du Seigneur est œuvre pie. De ce contraste viennent les difficultés russes ; et comme ces deux Russies adverses ne peuvent vivre en paix, comme aucune des deux ne semble de force à supprimer l’autre ou à la convertir, on se demande quand prendra fin ce dualisme, à travers quels déchiremens et au prix de quelles commotions se pourra rétablir l’équilibre intérieur de la nation[12].


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez les Catholiques libéraux, l’Église et le Libéralisme, de 1830 à nos jours (Plon, 1885), p. 15.
  2. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. Ier, p. 193 (2e édit.), et la Revue du 15 octobre 1873.
  3. Voyez, p. ex., le beau livre de M. E.-M. de Vogüé : le Roman russe, chap. Ier.
  4. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. Ier, liv. III, ch. II et III.
  5. Voyez p. ex. la Revue u 15 oct. 1873.
  6. Voyez la Philosophie positive, nov. 1873 et août 1881.
  7. El Magico prodigioso, selon le titre de la pièce de l’Espagnol Calderon.
  8. Voyez l’Empire des tsars et des Russes, t. Ier, p. 219-240 (2e édit.).
  9. « L’empereur de Russie est un monarque autocratique au pouvoir illimité (néo-granitchennyi). Dieu lui-même commande qu’on soit soumis au pouvoir suprême, non-seulement par crainte du châtiment, mais encore par motif de conscience. » Ce sont les termes de saint Paul : Romains, VIII, 5.
  10. « À ceux qui pensent que les monarques orthodoxes ne sont point élevés au trône par suite d’une bienveillance spéciale de Dieu ; et que, lors de l’onction (à leur sacre), les dons du Saint-Esprit ne leur sont point infusés pour l’accomplissement de leur grande mission ; et qui osent se soulever contre eux et se révolter, tels que Grichka, Otrépief, Jean Mazeppa et autres pareils : anathème, anathème, anathème ! » — Ces imprécations, particulières à l’Église russe, sont récitées solennellement dans l’office « de l’orthodoxie, » où elles font suite aux anathèmes contre les athées et les hérésiarques.
  11. Stepniak (pseudonyme) : Russland under the tzars, Londres, 1885.
  12. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, tome II, livre VI, p. 59 et suiv., 2e édit.