La Révolution mexicaine vue par une femme de diplomate

LA RÉVOLUTION MEXICAINE
VUE PAR
UNE FEMME DE DIPLOMATE

La diplomatie américaine a toujours eu des allures bien à elle, où l’on retrouve l’indépendance foncière de la race, sa répugnance pour le collier du fonctionnaire. Le moins de lisières, le moins de bride possible… Go your own way.

Toutefois, dans un service aussi caractérisé que le service diplomatique par les règles d’une sévère réserve, on relève toujours avec une certaine surprise, au compte des diplomates américains, des singularités, des mouvemens de prime-saut qui contrastent avec les airs boutonnés et secrets de la profession et qui dépassent ainsi la marge laissée à la liberté de ses membres par toute hiérarchie un peu chatouilleuse sur le respect des traditions et de l’esprit de corps. Mais y a-t-il aux États-Unis une hiérarchie au sens strict que nous donnons à ce mot ?

Toujours est-il que la formation laborieuse d’un personnel peu plié aux disciplines, la division des élémens administratifs, comme de tout le pays, du reste, en deux grands partis politiques, l’instabilité professionnelle qui en résulte, ont donné lieu à plus d’une histoire d’enfant terrible, enregistrée par la chronique. On se rappelle le cas de cet ancien ambassadeur des États-Unis à Londres qui, à peine rentré dans la vie privée, s’empressa de publier sur l’Angleterre et sur la Cour britannique des appréciations et des souvenirs dont la causticité eût pu être tempérée avec avantage par quelque discrétion d’état.

Un nouvel exemple de ces fantaisies qui nous paraîtraient, à nous, un peu indisciplinées, vient d’être apporté au public, avec l’excuse toutefois que l’enfant terrible de la Carrière, dont il s’agit aujourd’hui, est une femme. Ses impressions et ses indiscrétions sont présentées sous la forme d’un de ces beaux livres comme on sait les éditer à New-York et qui est intitulé : Une femme de diplomate au Mexique[1].

Mme O’Shaughnessy était, il y a peu d’années, fort entourée à Vienne où son mari faisait fonctions de secrétaire de l’ambassade des États-Unis. De là, à son grand chagrin, il devait être envoyé au Mexique, poste beaucoup plus important aux yeux du Cabinet de Washington, mais, — alors du moins, — plus démuni d’attraits que la ville du beau Danube bleu. C’est de Mexico que Mme O’Shaughnessy a écrit ce livre qui, sous une reliure frappée aux trois couleurs de la Fédération mexicaine, est une collection de notes, ou plutôt d’extraits de lettres presque journalières adressées par l’auteur à sa mère, durant la dernière période de la dictature du général Huerta.


Le recueil s’ouvre le 8 octobre 1913. Le jeune ménage de diplomates est de retour a Mexico, après une absence au cours de laquelle s’étaient déroulés les événemens les plus graves, notamment la chute et la mort de Madéro, événemens auxquels l’opinion avait tendance à mêler si étroitement l’ambassadeur des États-Unis, M. Henry Lane Wilson, que ce dernier venait d’être rappelé à Washington, laissant l’intérim à son secrétaire. Le 20 avril 1914, les troupes américaines débarquaient à la Veracruz. Les relations diplomatiques étaient rompues et, peu de jours après, le récit du départ de M. Nelson O’Shaughnessy avec sa jeune femme et son personnel met le point final au volume.

Or, disons-le tout de suite : l’intérêt essentiel de ce livre, ce n’est pas seulement le ton alerte et dégagé du style. Ce n’est pas seulement l’ « humour, » la perspicacité de l’observatrice, sa sympathie passionnée toujours en éveil pour les drames d’un milieu tourmenté par les convulsions révolutionnaires, la sincérité de ses émotions devant les spectacles de la nature la plus grandiose, les renseignemens significatifs rassemblés par elle au jour le jour, le sens anecdotique, l’abondance des traits heureux… C’est surtout que l’auteur s’est trouvé, dans une période critique, au premier plan de son ambassade, c’est-à-dire au centre de la politique américaine au Mexique, et à la meilleure place peut-être pour apprécier cette politique, ses méthodes, son but et ses résultats. Ce sont des « instantanés » impétueusement dictés au chroniqueur par les événemens, qui l’entraînent lui-même dans leur course. C’est la déposition d’un témoin qui n’a pas perdu une minute d’un spectacle tumultueux, qui, mieux que beaucoup, a pu voir les origines, connaître les causes de l’anarchie mexicaine, en prévoir le développement, et dont les souvenirs présentent, pour cette raison, un pouvoir de démonstration exceptionnel. Nous avons ainsi un témoignage de premier ordre sur les événemens obscurs dont le Mexique a été et reste encore malheureusement le théâtre, car on n’ignore pas l’importance des intérêts que possède la France dans ce pays que menacent le pillage et la ruine, à la faveur d’une révolution passée à l’état chronique[2].

Au milieu des roulemens de tonnerre de la guerre européenne, l’attention n’a été que trop naturellement détournée des péripéties de la révolution mexicaine, si pathétiques qu’elles pussent être. On n’a pas oublié, cependant, les événemens retentissans qui avaient brusquement rouvert, en février 1913, la crise que le triomphe de Madéro sur le vieux Porfirio Diaz, et son élection ultérieure en 1911, avaient paru terminer. Rappelons sommairement le pronunciamiento de Félix Diaz, neveu du fameux président, contre le président Madéro, les furieux combats dans les rues de la capitale pendant dix journées tragiques, la prise de possession du pouvoir par Huerta, intervenu comme arbitre entre les deux adversaires, la chute de Madéro et sa mort mystérieuse en compagnie du vice-président, la reconnaissance du nouveau gouvernement de facto par toutes les grandes Puissances, à l’exception des États-Unis, résolus à ne pas donner cette prime « à l’ambition qui s’élève sur l’assassinat ; » enfin, l’envoi au Mexique d’un mandataire confidentiel de la Maison-Blanche, chargé d’imposer au général Huerta la volonté de M. Wilson : à savoir sa retraite définitive et sans conditions.

Voilà dans quelles conditions les O’Shaughnessy arrivaient au Mexique. C’était d’ailleurs pour eux une reprise de contact. Une précédente campagne les avait déjà familiarisés avec les questions mexicaines, avec leurs multiples aspects et leurs solutions possibles. Ils étaient suffisamment pénétrés de l’esprit de leur carrière pour avoir, dès le début, sans aucun sacrifice pour leur légitime patriotisme américain, apprécié les solutions adoptées, les unes une fois pour toutes, les autres tour à tour, par le nouveau président, M. Woodrow Wilson, et par son collaborateur d’alors, M. Bryan. Enfin, pour parler franc, ils étaient en désaccord sur plusieurs points avec la politique de la Maison-Blanche. Que signifiait le maintien, pendant six mois, d’une ambassade (c’est-à-dire de la plus haute expression des rapports diplomatiques), auprès d’un régime dont on s’était déclaré, dès sa naissance, l’implacable ennemi ? Que signifiait, après le rappel de l’ambassadeur, l’envoi d’un chargé d’affaires concurremment avec un agent « confidentiel, » sans qu’on sût, de ces deux frères siamois, comme les appelle drôlement notre auteur, lequel devait être subordonné à l’autre, lequel incarnait la vraie politique de Washington ? S’il n’y avait qu’une seule politique, à quoi bon ce double, emploi ? Et s’il y en avait deux, était-il prudent pour le gouvernement de Washington de les afficher ? Autant de questions qui étaient déjà des critiques…

Quoiqu’il en soit, dès l’arrivée du jeune ménage à Veracruz, et dès sa rencontre avec l’envoyé en question, M. Lindt, l’opposition entre les deux manières de voir se laisse pressentir. « La conversation, écrit Mme O’Shaughnessy, s’ouvrit par des remarques conciliantes, sourire aux lèvres, — comme dans les consultations d’experts qui prennent leur premier contact. Malgré un je ne sais quoi de lincolnesque dans la silhouette et l’allure de M. Lindt, je ne pouvais m’empêcher de songer au vin nouveau versé dans un vieux baril, et à tout ce que nous dit là-dessus l’Écriture… » Presque au lendemain de l’installation du ménage américain à Mexico, Huerta accomplissait d’ailleurs son fameux coup d’Etat. La dissolution de la Chambre des députés était suivie de l’arrestation de 110 représentans sur 136. Notre observatrice aux yeux aigus note aussitôt avec empressement que la Chambre mexicaine, ne cessant de conspirer contre le gouvernement, n’a eu par conséquent que ce qu’elle méritait. Détail significatif et curieux : en dépit de l’anticléricalisme de Huerta, les députés demeurés libres étaient ceux du parti catholique, c’est-à-dire le groupe conservateur et le plus sincèrement intéressé au retour de la paix publique.

À ce moment, le général Huerta, auquel la Chambre n’avait laissé d’autre choix que de se soumettre ou de se démettre, assuma les principaux pouvoirs : Finances, Guerre, Intérieur. Il devenait ainsi l’autocrate du Mexique. En même temps, la présentation de ses lettres de créance par le nouveau ministre d’Angleterre, sir Lionel Carden, donnait à cette situation extraordinaire la ratification solennelle du gouvernement britannique. Vu les étroites et anciennes relations de sir Lionel avec lord Cowdray, chef des vastes intérêts Pearson, très développés au Mexique dans les bassins d’huile minérale, le fait avait une portée évidente et appuyait la thèse de ceux qui ne voyaient dans la crise mexicaine qu’une rivalité de pétrole. « Un seul mot, dit le recueil, le mot oil suffirait peut-être à tout expliquer. »


Devant ce coup de théâtre, le président Wilson ne pouvait rester indifférent. A son tour, il faisait remettre à Huerta un message condamnant la dissolution du Congrès, lui enjoignant de respecter la vte des députés prisonniers et déclarant que, de toute manière, les États-Unis tiendraient pour nulles des élections présidentielles qui se consommeraient dans de pareilles conditions. N’était-ce pas la rupture imminente ? Ces faits alarmans se succèdent pour le jeune ménage durant la première semaine de son arrivée. Mme O’Shaughnessy ne trouve cependant, pour le vieux dictateur, que des paroles d’approbation, écho fidèle des sentimens de son mari. Elle décrit avec soin ce qu’elle appelle l’arbre généalogique de Huerta comme chef de l’Exécutif, savoir : Madéro, président constitutionnel ; Pino Suarez, vice-président constitutionnel. Leur double démission ayant été reçue par M. Lascurain, ministre des Affaires étrangères, celui-ci devenait président provisoire, par suite de la vacance du pouvoir exécutif. Sa magistrature avait duré vingt minutes à peine : ce qui parait court, remarque notre écrivain, même pour l’Amérique latine. Ces momens lui suffirent cependant pour lui permettre de nommer Huerta ministre de l’Intérieur, puis de s’effacer à son tour. Dès lors, automatiquement, par la vertu de la loi et conformément à son rang parmi les secrétaires du Cabinet, Huerta devenait l’Exécutif à titre provisoire, sous la réserve d’élections ultérieures à bref délai. « Il n’y a rien à dire à cette procédure technique et d’accord avec la Constitution, conclut le recueil. On ne peut, toute sentimentalité à part, qu’admettre la parfaite légalité de l’opération. »

Mais voilà qu’aussitôt ce point de vue, si franchement formulé par la femme du secrétaire de l’ambassade américaine, la met, sur un article capital de doctrine, en opposition avec son gouvernement. Est-ce que, de la Maison-Blanche, une voix ne vient pas de s’élever et d’annoncer que les États-Unis partaient pour la « croisade » en faveur d’une race asservie ? La croisade ! Une race asservie ! Mme O’Shaughnessy réprime mal un sourire et elle écrit cette observation aussi vigoureuse qu’ironique : « Ce n’est que par une main de fer que cette race impulsive, obstinée, mystérieuse, bien douée, d’ailleurs, mais indisciplinée et composée d’innombrables élémens réfractaires entre eux, peut être maintenue dans la soumission aux lois. Aux Etats-Unis, où, comme on sait, chaque chose et chacun sont toujours à leur vraie place, on ne comprend cela qu’à moitié… » Un peu plus loin, la femme du diplomate américain ajoute : « Un fait indéniable, c’est que Huerta tient dans sa main l’armée et tout l’appareil visible du gouvernement, tout ce qui représente, pour les élémens conservateurs (bons ou mauvais, peu importe), leur constitution, l’unique égide autour de laquelle les affaires vitales du pays puissent former un groupe national. »

Ces idées, directement opposées à celles qu’avait alors, sur les choses du Mexique, le gouvernement de Washington, empruntent, nous l’avons dit, une autorité particulière à la personne qui les a exprimées, au lieu officiel où elles ont été formulées. C’était d’ailleurs ainsi, d’après les témoignages les plus authentiqués comme d’après le recueil lui-même, que pensait tout ce qui savait observer et réfléchir, non seulement dans la société mexicaine, mais parmi les communautés étrangères, à commencer par les légations. Cette unanimité ne sera pas sans valeur pour l’histoire et, avant d’aller plus loin, il importait de la relever.

Causant un jour avec un diplomate qu’elle ne désigne pas (là-dessus, d’ailleurs, à Mexico, leur opinion à tous est la même), Mme O’Shaughnessy put s’entendre dire : « La politique des États-Unis consiste à laisser le pays s’affaiblir par le simple refus de reconnaître son gouvernement. Ainsi, quand le Mexique entrera en agonie, les États-Unis seront les maîtres de la place sans peine et sans frais, ayant fait l’économie d’une intervention qui vaudrait certes beaucoup mieux pour le Mexique, mais qui leur coûterait infiniment plus cher. » Et Mme O’Shaughnessy, moitié figue, moitié raisin, ajoute aussitôt cette remarque : « Tous nos chers collègues se plaisent à répéter, sous le voile d’une imperturbable discrétion, les propos les moins flatteurs pour ce que, sans doute, ils appellent entre eux notre petit jeu (our little game). »


Entre temps, la crise mexicaine suivait son cours avec des alternatives de succès et de revers, tant pour les troupes du gouvernement que pour les forces révolutionnaires qui, sous la conduite de Carranza, s’étaient soulevées contre Huerta, au lendemain du double assassinat de Madéro et de Pino Suarez. Voilà un nouveau héros de la révolution sur la scène. L’écrivain relève en passant la xénophobie de Carranza, sa haine contre tous les étrangers, quels qu’ils soient. « Très inférieur à Huerta en aptitudes et en force, il ne doit sa fortune qu’à sa barbe grise de prophète, à sa foi en lui-même et à son ambitieuse ténacité… Qu’on joigne à cela une hostilité décidée vis-à-vis des États-Unis et l’on concevra ce que doit être sa surprise s’il se demande les raisons de sa popularité à Washington… »

M. Lindt, cependant, est monté de Veracruz à Mexico, sans doute pour recevoir lui-même la soumission de Huerta. Il éprouve un échec complet et le jeune ménage contient à peine la satisfaction que lui cause cette défaite de l’agent « confidentiel » du gouvernement américain. Quelques jours plus tard, à un déjeuner diplomatique, le mot d’« intervention » se trouve prononcé.

— Une intervention ! Mais vous n’êtes pas prêts, dit le ministre d’Allemagne à l’Américaine.

— Comment ! pas prêts ? réplique Mme O’Shaughnessy, dont la crête patriotique se redresse aussitôt joliment. Entre le lever et le coucher du soleil, les États-Unis auraient un million d’hommes sous les armes.

— Des hommes peut-être, mais non des soldats. On ne fait pas des soldats entre le lever et le coucher du soleil.

À ces mots, Lindt, énervé, ouvre son cœur. Il émet l’idée (c’est peut-être un des objets de sa mission) de favoriser les progrès des rebelles, en faisant lever l’embargo sur les expéditions d’armes et de munitions au Mexique.

— Oh ! monsieur Lindt, s’écrie Mme O’Shaughnessy, y songez-vous ? Des armes et des munitions aux rebelles, ce serait ouvrir sur ce malheureux pays la boite de Pandore de toutes les calamités.

« En me voyant hors de moi, poursuit-elle, il changea de sujet ; mais je ne réussis plus à chasser de mon esprit ces images sinistres. Toute mesure qui tend à miner ici l’autorité centrale ne peut, en effet, que déchaîner d’autres orages… Ma conviction s’est faite lors de l’écroulement de Diaz et de l’avènement de l’impuissance madériste. Madéro a été, je suppose, plus surpris que personne en voyant qu’après avoir pris tant de peine pour le porter au pouvoir, nous en avons pris si peu pour le maintenir. Les diplomates ne cessent de rappeler que la situation de Diaz, en 1877, était analogue à celle de Huerta aujourd’hui et qu’après un délai plausible d’une dizaine de mois, la Maison-Blanche l’a pourtant reconnu. Alors, pourquoi repousser Huerta ? Lui, du moins, il tient en mains la machinerie si délicate du gouvernement au Mexique, et il a montré qu’il s’entendait à la manœuvre. » Voilà le point qui tient au cœur loyal et à l’esprit sensé de notre Américaine. Elle le développe à vingt reprises. Et il est capital en effet. Le principe, l’explication de toute l’anarchie mexicaine se trouvent là.

Le 11 novembre, arrive un télégramme de Washington. C’est un ultimatum. Il faut la démission de Huerta, ou c’est la rupture avec les États-Unis. Aussitôt, le chargé d’affaires court de tous côtés à travers Mexico pour remettre son ultimatum au Président. Mais Huerta reste introuvable malgré les rendez-vous fixés. Peut-être est-il retenu, comme l’insinue Mme O’Shaughnessy, par les seuls étrangers dont il goûte vraiment la compagnie : MM. Hennessy et Martell. M. Lindt, dépité et furieux, repart pour la Veracruz. Le bruit inopportun qui s’était fait autour de son arrivée dans la capitale, n’avait pu, joint aux ruses de Huerta, que rendre stériles tous les pourparlers. Et puis Carranza, dans le Nord, vient de déclarer qu’il ne tolérerait aucune intervention étrangère : Huerta peut-il faire moins ? « Car tel est l’Américain-Latin : il a beau savoir que vous connaissez ses affaires ; il a beau savoir que vous savez qu’il sait que vous les savez… Il n’admet pas, il ne supportera pas que la publicité s’en mêle. Nous voilà donc en bonne passe, » conclut l’écrivain.

L’ultimatum de la Maison-Blanche est d’ailleurs le signal du gâchis complet et d’une affreuse anarchie. Les Carranzistes progressent de divers côtés. Le pillage a ses coudées franches. Sur maints réseaux, les trains sont arrêtés par des bandes, à moins qu’on ne les fasse sauter. « C’est vraiment, dit Mme O’Shaughnessy, la danse de la mort, et il me semble que les violens, c’est nous. » Tuxpam, ville industrielle dans la région pétrolifère, est menacée. « Nous espérons, écrit l’auteur, que la Louisiana, envoyée dans ces parages, arrivera à temps pour bombarder les insurgés qui se grisent de leurs succès et ne rêvent que destruction. Les propriétaires, alarmés pour leurs biens, interrogent l’avenir avec effroi. Protégerons-nous leurs intérêts ou leur permettrons-nous de se protéger eux-mêmes ?… Notre Gouvernement a déclaré qu’il ne considérerait pas les concessions accordées durant le régime de Huerta comme liant les Mexicains… C’est à se frotter les yeux. »

Ce que le monde diplomatique à Mexico redoutait le plus, en cas de rupture, c’était l’interrègne, le temps qui s’écoulerait entre le départ du chargé d’affaires et l’entrée des troupes américaines. « les diplomates étrangers prévoient, écrit Mme O’Shaughnessy, la mise à sac de la ville et le massacre des habitans : leurs protecteurs naturels, les troupes fédérales mexicaines, devant être occupés à combattre l’ennemi. Or l’ennemi, c’est nous. Les diplomates répètent que Washington sera tenu pour responsable des événemens si leurs craintes se réalisent. Mais cette perspective n’est pour eux qu’un médiocre réconfort. L’idée qui prévaut chez tous les étrangers, c’est que nous suivons au Mexique un programme d’épuisement et de ruines, de telle sorte que, le moment venu, rien ne nous soit plus facile que de dévaliser notre proie… On pourra discourir à perdre haleine, expliquer, embellir, soutenir la politique du Président. Cette politique, la voilà… »

Il est difficile de rendre l’agrément avec lequel ces choses sérieuses sont dites, la richesse des détails d’ordre pittoresque ou intime qui les encadrent. Ce sont de magnifiques matinées d’automne dans la vallée de Mexico que ferme, sur un vaste horizon, la masse des grands volcans neigeux. A Sechimico, devant les jardins flottans, au bois de Chepultepec, sous le dôme majestueux des « ahuehuetes » millénaires, contemporains des ancêtres de Montezuma, près du lac où se reflète, entre les sillages des cygnes, leur antique acropole, ce sont d’autres enchantemens. Les marchés, les foires où les pauvres Indiens apportent les menus objets de leur négoce, fruits multicolores, gibier, poteries émaillées, figurines symboliques, fournissent mille croquis animés. Et puis, c’est la cherté de la vie, les caprices des domestiques indigènes, les bizarreries culinaires, les embarras d’une maîtresse de maison en lutte contre un exotisme compliqué de révolution.

Avec tant de goût pour les choses du Mexique, pourrait-on être malveillant à l’égard des hommes ? Il est difficile, sans doute de se montrer sévère pour des personnes qu’on fréquente et qu’on nomme aussi librement en toutes lettres… Mais la sympathie de l’écrivain a quelque chose de si persuasif, que l’on s’en étonne à peine devant ce tableau d’une société où il semble qu’il n’y ait guère en conflit que les opinions politiques.

La première fois que Mme O’Shaughnessy rencontre Huerta, c’est à une réception offerte au Corps diplomatique par le dictateur, dans ces mêmes salons du château de Chepultepec, où, dit-elle, elle avait laissé en plein triomphe, à la fin de son premier séjour, ce Madéro et ce Piño Suarez dont les fantômes lui parurent venir à sa rencontre, sur la terrasse.

« Huerta, écrit-elle, est un homme de taille moyenne, aux larges épaules, avec une expression de visage à la fois aimable, sérieuse et pénétrante ; ses yeux investigateurs sont toujours en mouvement, a demi voilés derrière de larges verres de lunettes. Il ne trahit aucun signe de cet alcoolisme dont on a tant parlé ; au contraire, il a plutôt l’air d’un buveur d’eau et donne l’impression d’une énergie latente bien propre à le porter à cette reconnaissance qui est, pour l’instant, le but final de toute son activité. » Mais M. Wilson persiste à ne pas le reconnaître, et, en attendant, les choses se gâtent pour le gouvernement de Huerta : Chihuahua tombe entre les mains des rebelles ; Ojinaga est évacué par le général Mercado, son lieutenant. La série notre des trains qui sautent s’allonge chaque jour. Une colonne d’insurgés parait à San Luis de Potosi, à quatorze heures de Mexico. Tampico est menacé. Devant ces progrès alarmans, qui font la joie de M. Lindt, que doit-on souhaiter, sinon le renforcement et les succès du pouvoir central, unique barrière contre le vandalisme et l’anarchie ? Or, c’est le moment que choisit le Cabinet de Washington pour lever l’embargo sur les envois d’armes et de matériel destinés aux révolutionnaires, contrairement aux adjurations réitérées de son chargé d’affaires !

« Nous sommes tremblans et hors de nous, écrit la jeune femme à sa mère. Un pareil acte ne saurait par lui-même établir les insurgés ni à Mexico, ni nulle part… Il ne peut que perpétuer cette effroyable guerre civile et grossir les torrens de sang qu’elle fait couler… Que vont dire le Quai d’Orsay, la Wilhelmstrasse, Downing street et le Ballplatz, déjà informés de la mesure préméditée ? Je répète sans cesse en moi-même : Mon Dieu ! mon Dieu ! toute une génération de riches et de pauvres va se trouver à la merci de hordes auxquelles on met les armes à la main pour la dévastation et le massacre… »


Dès lors, les événemens marchent vite dans le malheureux pays mexicain. Pourtant, le gouvernement de Washington continue de rester impassible. Ni le meurtre du résident anglais, M. Benton, tué a Chihuahua de la main même de Villa, a ce qu’on assure, ni les tortures infligées depuis des mois et publiquement, par ce misérable, à un membre de l’opulente famille Terraza, pour lui arracher une rançon de 500 000 piastres, ne font changer le point de vue de la Maison-Blanche. Devant le péril croissant, les colonies étrangères ont obtenu l’autorisation d’armer leurs hommes valides, de s’organiser entre elles pour leur protection commune. Les légations dirigent ces mesures de sauvegarde et se munissent elles-mêmes de moyens de défense, tels que fusils Winchester, mitrailleuses, appareils de télégraphie sans fil, etc. Des maisons de refuge éventuel sont préparées. On y accumule des provisions, des médicamens, comme pour un siège qu’on sent prochain : tout évoque le souvenir de Pékin et de la révolte des Boxers…

Cependant, Huerta, dans ses entretiens, se montre expansif et sage, souvent avec une ouverture d’esprit digne d’un véritable homme d’État. Il se plaît à rappeler que toutes les requêtes qui lui ont été adressées par l’ambassade américaine ont été accueillies. Les troupes fédérales ont reçu les ordres les plus formels pour que des égards spéciaux fussent témoignés aux Américains. Sans critiquer la politique des États-Unis, il prédit que, s’ils le renversent au milieu de la mission pacificatrice qui lui est échue, ils se verront entraînés à la tâche ingrate d’une intervention armée.

La question mexicaine n’est pas de celles qu’on puisse résoudre par des formules d’algèbre. Il ne faut pas perdre de vue que le Mexique est, après tout, une nation de 15 millions d’Indiens… Les Etats-Unis savent, par leur propre expérience, ce qu’une telle population représente de difficultés. Durant le régime de Diaz, les Indiens ont entrevu la possibilité d’une amélioration de leur sort. Sous le régime madériste, avec la déception et la rancune laissées derrière elles par d’irréalisables promesses, le goût et l’habitude du désordre se sont généralisés. L’œuvre la plus urgente à poursuivre au Mexique n’est pas l’établissement d’une démocratie, mais le rétablissement de l’ordre. Tout en les combattant, Huerta ne condamne pas les rebelles du Nord. Mais il est certain qu’en cas de victoire, ces rebelles seraient dans l’incapacité de fonder par eux-mêmes un gouvernement viable et que leur premier soin serait de faire volte-face contre les Etats-Unis.

« La seule différence entre les rebelles et les fédéraux, remarque Mme O’Shaughnessy, c’est que les premiers ont carte blanche pour torturer, tuer, piller, tandis que les fédéraux sont obligés, bon gré, mal gré, à une certaine retenue. C’est leur existence même qui est en jeu. Huerta n’a peut-être pas plus de scrupules qu’il n’en faut pour les besoins de sa cause ; mais il a son prestige à soutenir aux yeux du monde et il est assez sagace pour en avoir mesuré le prix. »

« Il déplore, ajoute-t-elle, que notre gouvernement le prenne pour un bandit comme Villa et il assure que, si l’on voulait être juste pour lui, on verrait qu’il poursuit sa tâche en silence, aussi bien que le permet l’iniquité qui lui est faite, et qu’il ne demande rien, sinon d’être laissé en paix. Il répète que, s’il l’avait voulu, il aurait pu, de longue date, prendre le pouvoir ; que maintes personnalités influentes l’avaient supplié de mettre un terme à la désastreuse administration madériste ; qu’il ne recherche pas de fins intéressées ; que ses habitudes et ses besoins sont ceux d’un vieux soldat, et que, surtout, il n’a pris aucune part à la mort de Madéro. »

« Sur ce point, dit vivement l’écrivain, on peut causer des heures entières avec des gens appartenant à tous les milieux, sans découvrir aucune preuve de la participation directe de Huerta au meurtre de l’infortuné président. » Ainsi la femme du diplomate américain ne craint pas de se mettre en opposition directe avec son gouvernement…

Le 9 avril survient l’incident de Tampico. On se rappelle peut-être les faits. Un détachement d’une dizaine d’hommes envoyés à terre en corvée par le croiseur américain Dolphin, qui était en rade, fut arrêté en bloc par l’excès de zèle d’autorités subalternes, puis mis en liberté une ou deux heures plus tard, par ordre du général commandant la place, avec l’expression de ses regrets. Le Cabinet de Washington avait « son » incident. En quelques heures, l’affaire avait pris les proportions voulues. Le gouvernement mexicain avait jugé d’abord suffisantes les excuses officiellement formulées par le général Zaragoza, dont la responsabilité était seule en cause. Mais Washington exigeait encore une salve de 21 coups de canon pour saluer le pavillon étoile, à titre de réparation complète pour l’offense. Huerta offrait de soumettre le cas à l’arbitrage de La Haye : sa proposition fut écartée par M. Bryan. Mme O’Shaughnessy s’en étonne. M. Bryan n’est-il pas l’apôtre de la paix à tout prix ? Une dernière proposition est faite par Huerta qui demande, pour consentir définitivement au salut, que le chargé d’affaires des États-Unis donne, tout au moins, l’assurance écrite et sur sa parole, qu’il y sera répondu selon l’usage. Cette offre est encore déclinée. Le Rubicon est franchi. Il n’y a plus de place que pour l’intervention.

Pleins pouvoirs sont donnés à M. Wilson par le Congrès qui lui ouvre, de plus, un crédit de 100 millions de dollars. Le 21 avril, au malin, Veracruz est occupée, après un court combat, par des troupes débarquées de la flotte de l’Atlantique qui, détail à ne pas négliger, faisait déjà route pour le Mexique, quand les pourparlers étaient encore en cours.

Il serait difficile de rendre le mouvement, la trépidation, pour mieux dire, des heures d’angoisse que Mme O’Shaughnessy, à partir de ce moment, avec un don d’évocation remarquable, nous fait vivre à côté d’elle. Qu’on songe que plus de mille résidens américains sont encore dans la ville, noyés au milieu d’un demi-million d’aborigènes, que plus de 400 kilomètres séparent Mexico de Veracruz, en passant par le massif de l’Orizaba, l’un des plus formidables de la Cordillère, que nombreux sont les trains qui ont sauté sur cette route ; que l’intervention des États-Unis va donner à l’insurrection un surcroit de force et d’audace ; qu’on s’attend à voir se reproduire, d’un moment à l’autre, une situation analogue à celle de Pékin, pendant le terrible siège des légations… Quels risques, dans de pareilles conditions, n’offre pas la remise de ses passeports à un chef de mission qui représente l’ennemi, et le départ immédiat qui doit s’ensuivre ?

Sur ces entrefaites, par un vrai coup de théâtre, Huerta s’annonce à l’ambassade des États-Unis. Il s’annonce en simple particulier. L’hôtel est entouré de troupes pour la protection éventuelle de ceux qui l’occupent. C’est Mme O’Shaughnessy, dont le cœur bat à tout rompre, qui reçoit le dictateur. Du reste, l’objet de cette visite est inattendu autant que la démarche elle-même. Il s’agit d’une invitation pour le mariage du fils du général. L’entrevue, racontée par Mme O’Shaughnessy avec la vivacité ordinaire de ses récits, est empreinte d’une dramatique solennité. Singulier moment, en vérité, pour convier des adversaires officiels à une noce ! Et cependant les adversaires acceptent, tant la situation, paradoxale dès son principe, a de mal a sortir du paradoxe. Malgré son objet, de pur apparat, l’entretien se ressent des sous-entendus redoutables qui sont dans l’air… Plus d’une fois, les larmes viennent aux yeux de la maîtresse de maison, durant cette conversation pénible qu’abrège enfin le retour de son mari. Le général se retire alors, en faisant à la jeune femme dont il se sent compris un salut profond et pénétré. « C’est donc ainsi que se fait l’histoire ! écrit-elle tristement. C’est donc ainsi qu’un homme que les circonstances et sa volonté portaient au sommet se trouve brisé en route par une loi d’airain… Et nous ? Devant des imputations sans preuves, pour des faits douteux, survenus hors de nos frontières, est-ce bien à nous qu’appartenait le châtiment ?… »

Toute privée qu’elle était, l’invitation de Huerta soulevait plus d’une difficulté. Pour tout trancher, seule et non sans courage, la jeune femme se rend à la cérémonie du contrat, dans la propre maison de Huerta, où elle se voit avec surprise l’objet de mille égards, conduite par le président à une place d’honneur, sous les regards curieux, un peu narquois sans doute, de l’assistance. Mais, tout de suite, son expérience du monde lui vient en aide. Avec assurance, elle accompagne le cortège à l’église. Suivant de près la famille, au bras d’un des ministres du Cabinet, l’élégant général Rincon Gallarde, elle assiste à tout le service et ne se retire qu’après avoir, dans le défilé de la sacristie, scandé nettement, en correct espagnol, les vœux et complimens d’usage, bien moins émue, remarque-t-elle, de cette suprême rencontre avec le vieux dictateur, qu’elle ne l’avait été au cours du poignant tête-à-tête de la veille.


Aussi bien, tout est fini. Le territoire mexicain est violé par l’envahisseur. Le sang a coulé de part et d’autre. Il faut partir. Si les emballages ne sont faits qu’à demi, qu’importe ! La jeune femme se borne à jeter un regard consterné sur ce qu’elle doit laisser derrière elle : une foule de témoins précieux et familiers de sa vie intime, des photographies signées, des souvenirs de voyage. « Mais, en face de cette catastrophe nationale, s’écrie-t-elle, et devant l’abandon forcé de nos compatriotes à Dieu sait quel destin, je perdais toute idée que quelque chose sur terre fût à moi, ou que les objets pussent avoir une valeur… »

Le soir même, un train spécial, précédé d’un train d’exploration, avec une escorte princière, emportait M. et Mme O’Shaughnessy vers la Veracruz où ils devaient retrouver l’escadre américaine. Ils descendaient le lendemain à 20 kilomètres du port, à Soledad, où l’amiral avait envoyé au-devant d’eux plusieurs de ses officiers qui les menèrent, en toute sécurité, jusqu’à son bord, sur le Minnesota.

Ces dernières pages sont charmantes par l’aisance et le naturel avec lesquels s’y rencontrent des émotions diverses. A travers la glace du wagon, la voyageuse, comme une exilée, se compose une vision aiguë de ces admirables décors qu’elle a tant aimés et qu’elle quitte ; c’est comme une page définitive où se rassemblent toutes les précieuses images mexicaines, non seulement celles qui défilent sous ses yeux, les immenses volcans argentés, les gorges et les profondeurs vertigineuses de la région d’Orizaba, mais d’autres, les anciennes, dont sa mémoire est doucement obsédée… C’est l’adieu à toutes ces beautés, et c’est un adieu qui est aussi un appel, une prise à témoin qu’elle n’est pour rien dans cette guerre étrangère qui va fondre sur le pays qu’elle quitte avec un tel déchirement et dont les horreurs dépasseront peut-être celles de la guerre civile…

Quand elle se retrouve au milieu de ses compatriotes, de ces jeunes aspirans sourians, dans leur uniforme d’une impeccable blancheur, alors Mn, e O’Shaughnessy se sent déjà pénétrée d’un autre sentiment. Le Mexique est loin. La patrie est là et l’air du pays l’entoure de nouveau. L’accueil de l’amiral, le spectacle de la flotte en rade, le va-et-vient des officiers « durs comme des clous, » les sons de l’hymne national : Star spangled Banner, une, revue des 6 000 hommes de débarquement, tout cet appareil militaire la frappe par une image de puissance qui anime en elle cette fibre nationale qu’à Mexico elle avait sentie si souvent froissée.

— Est-ce la guerre ? lui demande-t-on.

— Est-ce la guerre ? répond-elle… Personne ne sait…

Le mot de l’énigme, le jeune ménage le saura peut-être à Washington, où il est appelé par un télégramme officiel.

« Certaines choses sont mortes et ne renaîtront plus jamais, » écrit mélancoliquement Mme O’Shaughnessy à bord du yacht amiral, Yankten, jadis propriété de Mme Sarah Bernhardt, sous le nom de Cléopâtre, et qui la déposera à la Nouvelle-Orléans. « Tout ce qui finit est triste, » ajoute-t-elle en conclusion, et cette conclusion est presque une épitaphe, — l’épitaphe de Huerta et de sa tentative de régénération du Mexique.

Huerta est mort, sans avoir même obtenu l’auréole de cette guerre un moment si menaçante, qui fut un avortement. Il n’y a pas eu, en effet, de véritable conflit. Une nouvelle expédition américaine est seulement venue camper sur le sol mexicain. Des rencontres sanglantes ont eu lieu. Pas plus aujourd’hui qu’alors, il n’y a de guerre franche et ouverte. Des conférences se tiennent. On négocie L’équivoque persiste et les contradictions continuent. Seulement, Mme O’Shaughnessy, dont le mari a, dit-on, renoncé pour un temps à la carrière diplomatique, n’est plus là pour les observer avec son esprit sagace et les noter de son crayon coloré.

Cependant, beaucoup de ses prévisions sont devenues des réalités : la ruine du Mexique est à peu près complète. Indice sans réplique : la piastre, après avoir valu 2 fr. 50, avait encore cours aux environs de 2 francs à l’époque de Huerta ; elle est tombée à moins de cinq sous. Qu’on juge du gouffre où s’engloutissent les milliards apportés jadis par l’épargne étrangère et, pour une part si forte, par l’épargne française. Ceux qui tournent parfois les yeux vers cet « imbroglio » mexicain sur lequel planent tant d’obscurité, tant de mystère, ne se reporteront pas sans fruit aux confidences épistolaires que nous venons de résumer.

Il convient d’en laisser d’ailleurs toute la responsabilité à leur auteur. Il y a des critiques, il y a des jugemens qui sont permis entre concitoyens et dans lesquels l’étranger n’a pas à entrer. C’est par ses parties les plus générales, par son caractère historique et documentaire que le livre de souvenirs de Mme O’Shaughnessy méritait d’être signalé. Par lui on s’expliquera mieux, peut-être, quelques-uns de ces phénomènes d’anarchie qui mettent gravement en péril les grands intérêts économiques que la France possède dans ce Mexique dont l’avenir est si inquiétant et si incertain.


JACQUES BAINVILLE.

  1. A diplomat’s wife in Mexico, by Edith O’Shaughnessy, illustrated. Harper & brothers, publishers. New-York and London.
  2. Il suffira de rappeler que la colonie française de Mexico est, avec celle de Moscou, la plus importante du monde entier, et que le capital français engagé au Mexique atteint trois milliards.