La Pupille (1842)
Traduction par Sara de La Fizelière.
Hachette (p. 254-264).


CHAPITRE XXXIII.


Au dîner, sir Charles Temple avait repris du calme, et, tout en s’efforçant de faire l’aimable avec les miss Wilkins, il cherchait à maintenir la paix entre Sophie et les Heathcote, et s’ingéniait à aider sa pupille dans son rôle de maîtresse de maison. De son côté M. Jenkins, comme on l’appelait encore, était d’une humeur charmante et entourait Sophie de soins et d’attentions. Grâce à ces deux messieurs, le dîner et la soirée furent moins tristes que la veille. Les miss Wilkins firent de la musique ; Florence se dispensa de chanter, préférant causer à voix basse avec sir Charles ; Algernon communiqua toutes ses remarques à sa mère, qui ne put bien tôt plus dissimuler sa gaieté ; le major s’installa dans un coin du salon pour lire les journaux, et M. Wilkins s’endormit dans le meilleur fauteuil qu’il put trouver.

Sir Charles, qui avait craint que M. Thorpe ne se déclarât après le dîner, se rassura bientôt en voyant le tour que prenait la conversation. Loin de se presser de reprendre ses biens et son nom, le véritable héritier attendit encore une semaine, pendant laquelle il chercha à se lier davantage avec ses cousines. Il passa de longues heures dans la bibliothèque avec Algernon et, en parlant avec lui de différentes choses, il put connaître l’intelligence, l’esprit et le caractère de son jeune ami. Quant aux miss Wilkins, M. Jenkins se montra fort empressé auprès d’elles, au grand déplaisir de Sophie, et discerna vite quelle sorte de femmes elles étaient. Pour Florence, ses attraits et sa naïveté charmaient M. Thorpe, qui aurait peut-être préféré l’azur de ses yeux à celui du ciel d’Orient, et aurait volontiers abandonné le pays qu’échauffaient les rayons du soleil pour ne plus quitter celui qu’embellissait le sourire de la jeune fille ; mais cet espoir ne fut que passager, car le voyageur s’aperçut bientôt que Florence aimait et qu’elle était aimée.

Sir Charles, qui suivait avec intérêt les mouvements et jusqu’aux sourires du fils de son ancien ami, rendait justice à l’habileté et à la lenteur avec lesquelles M. Jenkins marchait vers son but. En effet, le riche marchand de Madras était parvenu à entrer dans l’intimité de toute sa famille ; il avait su, par quelques paroles dénotant ses intentions généreuses, et aussi par d’élégants cadeaux adroitement offerts, se faire très-bien venir des dames, avec lesquelles il avait intérêt à causer librement. Du reste il avait toujours soin, par ses prévenances et sa préférence marquée pour Sophie, d’éloigner de la tête de l’héritière toute pensée de jalousie contre ses parentes. Depuis leur premier voyage à Thorpe-Combe les Spencers et les Wilkins avaient conservé des relations amicales, et même Elfreda entretenait avec son oncle Spencer une correspondance très-suivie et très-affectueuse.

M. Spencer, après avoir reçu l’invitation de Sophie Martin-Thorpe, voulut savoir si les Wilkins avaient été invités et s’ils s’étaient rendus chez leur cousine. Il écrivit donc à miss Elfreda ; mais la lettre étant arrivée à Llanvellyn-Lodge après le départ de la famille, elle fut renvoyée à Thorpe-Combe et l’aînée des miss galloises la reçut un matin à table.

« Avez-vous connu M. Spencer, murmura miss Elfreda à l’oreille de son voisin M. Jenkins, après avoir jeté un coup d’œil sur la lettre de son oncle, lorsque vous habitiez ce pays ?

— Je ne me le rappelle pas, répondit M. Thorpe ; mais il me semble qu’il aurait bien pu écrire quelques mots à votre cousine Sophie, car elle l’avait aussi invité à cette réunion. J’aurais eu beaucoup de plaisir à le voir, et je trouve son procédé aussi impoli pour Sophie que pour moi.

— C’est en effet extraordinaire, reprit Elfreda avec une vive indignation : car vraiment votre bonté, vos intentions et votre générosité envers nous, méritent bien qu’on vous remercie et que….

— Je ne demande pas de la politesse, interrompit M. Jenkins ; et si, comme je le pense, vous lui écrivez bientôt, je vous prie, miss Wilkins, de lui dire pourquoi je désirais faire sa connaissance et celle de ses fils, et aussi combien son silence m’a paru étrange.

— Je le ferai certainement, très-cher monsieur Jenkins, répondit miss Elfreda avec enthousiasme, si toutefois je lui écris, ce qu’il ne mérite certainement pas. Je lui dirai aussi ce que je pense de la manière dont il a agi envers vous, qui êtes si bon et si aimable. »

Le soir même miss Wilkins, écrivit une longue lettre à son bel oncle M. Spencer, et glissa le passage suivant, au milieu de la relation de leurs occupations à Combe :

« J’avoue, mon cher oncle, que je n’approuve pas votre silence vis-à-vis de notre cousine Martin Thorpe. Je comprendrais très-bien cela si elle seule devait recevoir l’impertinence, car je partage sincèrement votre indignation contre celle dont les basses intrigues ont privé vos charmants fils d’un héritage qui aurait dû, pour cent raisons, leur appartenir. Mais vraiment M. Jenkins est un homme que j’aurais souhaité que vous connussiez. C’est l’être le plus bizarre et le plus étrange que j’aie jamais vu ; mais il est si riche qu’il ne sait comment dépenser son argent : non content de nous avoir fait de riches présents d’une valeur considérable, à moi, à mes sœurs, à Florence Heathcote et à Sophie Martin Thorpe, il a donné à cette grosse mistress Heathcote, qui n’appartient nullement à la famille du vieux Thorpe, une magnifique paire de boucles d’oreilles en diamants, d’une grosseur extraordinaire.

« Décidément je crois avoir très-sagement agi en déterminant papa à venir. Mes broches et mes bracelets sont d’une rare beauté, et je suis persuadée que le petit homme nous laissera des preuves plus sérieuses encore de son attachement pour les Thorpe. Il a donné à Algernon une montre à répétition en or, d’un goût aussi pur qu’élégant et je n’ai pu m’empêcher de regretter que ce ne fût pas un de mes charmants cousins d’Eton qui la reçût, ainsi que la magnifique chaîne en or, la clef et le cachet qui l’accompagnaient. Quoique mon cousin Algernon soit revenu très-bien portant de son voyage et qu’il soit réellement très-remarquable, car ses traits se sont formés pendant son absence, il est à mes yeux à cent lieues d’égaler vos charmants fils, qui sont comme leur père le type de la distinction et des manières élégantes. Quant à ma cousine Florence, j’ai le regret de vous annoncer qu’elle est changée à son désavantage ; car depuis que vous ne l’avez vue elle est devenue ce qu’elle promettait déjà, la plus vilaine coquette que j’aie jamais rencontrée. Je suis aussi fort étonnée que sir Charles Temple, qui est d’une société recherchée, s’oublie au point de s’afficher avec cette fille, dont il encourage ainsi l’abominable penchant. Quant au major, il mérite bien ce qui arrivera à sa fille, puisqu’il la laisse rire et chuchoter avec sir Charles, de manière à choquer les personnes les moins réservées. Tout cela est bien pénible à dire quand cela touche un membre de la famille ; mais je sais que vous autres hommes du grand monde, n’êtes guère sévères sur la conduite des femmes. »

Ce passage de la lettre suffira pour montrer l’esprit d’Elfreda et celui de son oncle, qui trouvait sa correspondance agréable, divertissante et intéressante.

Quand même sir Charles n’aurait pas approuvé la lenteur un peu trop prolongée avec laquelle M. Thorpe conduisait ses affaires, il n’aurait pas eu le courage de s’en plaindre bien vivement, car ses journées se passaient près de Florence, et leur amour sincère et pur suffisait à leurs cœurs.

Tantôt installés tous deux avec la famille dans le pavillon de plaisance que sir Charles avait fait orner de son mieux, tandis que mistress Heathcote travaillait et que le major faisait lire ses fils, les deux amoureux, retirés dans une embrasure de fenêtre, parlaient de leur amour ; tantôt, assis sur l’herbe, ils causaient à voix basse pour ne pas effaroucher les poissons que le major cherchait à attraper au bord de la rivière, et jamais la coquetterie abominable dont parlait miss Wilkins à son oncle ne s’était mêlée à leurs causeries de chaque jour. Cette intimité choquait toute la société, car personne ne connaissait leurs projets, et ils ne voulaient toujours pas en parler à qui que ce fût.

Algernon partageait son temps entre la lecture et la promenade, et M. Jenkins, son nouvel ami, lui faisait visiter le pays. Mais ces attentions de l’étranger n’inquiétaient nullement Sophie, qui était très-convaincue que M. Jenkins la préférait au reste de la famille. Et quant aux cadeaux qu’il avait offerts à ses cousines et à Algernon, ils ne faisaient que lui prouver plus clairement qu’il était très-riche et pouvait être très-généreux.

Tout le monde était donc heureux et content. Sir Charles réservait ses matinées, mais dînait tous les jours à Thorpe-Combe ; M. et miss Brandenberry avaient été invités deux fois ; M. Jenkins s’était trouvé indisposé et avait demandé qu’Algernon vînt lui tenir compagnie dans sa chambre. La vérité était que M. Thorpe craignait que M. Brandenberry, qu’il avait beaucoup connu autrefois, ne se rappelât sa voix ou sa figure, et ne dévoilât imprudemment son secret.

Mais les huit jours étaient passés et, à la demande de M. Jenkins, miss Martin Thorpe avait engagé ses cousines à rester encore une semaine : ce second délai allait finir aussi, et les Wilkins faisaient déjà leurs préparatifs de départ.

M. Thorpe comprit qu’il était temps de se faire connaître ; il choisit pour cela le moment où l’on rentra au salon après le dîner.

Le premier objet qui frappa la vue de Sophie, en ouvrant la porte du salon, fut le portrait dont elle avait copié si exactement le costume six ou sept mois auparavant. Le tableau était placé contre une fenêtre et admirablement bien éclairé. Toute autre aurait gardé de la reconnaissance à ce portrait qui avait été la cause de sa fortune ; mais Sophie le haïssait et avait ordonné qu’on l’ensevelît dans le grenier, sous prétexte qu’il était laid et que le cadre était trop vieux.

Mistress Barnes, qui aurait cru manquer de respect au fils de son ancien maître en agissant ainsi, l’avait au contraire accroché à la plus belle place dans la chambre qu’elle destinait au major et à mistress Heathcote.

Un jour, en-causant, M. Jenkins avait demandé à mistress Heathcote :

« N’avez-vous jamais vu un portrait du fils de M. Thorpe ? j’aurais grand plaisir à le regarder s’il n’a pas été détruit.

— Comment était ce portrait ? » demanda Algernon ; et, sans attendre de réponse, il dépeignit le costume et les principaux détails qu’il avait fait remarquer six mois auparavant à sir Charles. Sur la réponse affirmative de M. Jenkins, il s’écria : « Si nous nous le rappelons ? Ah ! il nous a assez amusés. Il est maintenant dans la chambre de maman.

— Comment a-t-il pu tant vous amuser ? demanda M. Jenkins avec un peu d’amertume et de mécontentement dans la voix.

— Je ne sais si je dois vous le dire, reprit Algernon.

— Et pourquoi non, mon enfant ? reprit mistress Heathcote ; c’est très-drôle en effet, et, si vous ne le racontez pas, moi je vais le faire.

— Il vaudrait mieux ne rien dire, mais faites selon votre désir ; ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne resterai pas pour vous écouter. »

Mistress Heathcote raconta alors tout ce qui s’était passé lors de la première réunion de famille à Thorpe-Combe, sans oublier les remarques et les prophéties d’Algernon. Puis elle ajouta : « Je me rappelle parfaitement l’émotion de ce bon M. Thorpe, quand il vit Sophie ainsi coiffée. Vous comprenez ce qu’elle voulait, monsieur Jenkins, et vous voyez que cela lui a parfaitement réussi. »

M. Jenkins ne répondit pas ; mais, le jour où il se décida à en finir avec toutes ces hésitations, il ordonna à William de descendre ce portrait et de le placer ainsi que nous l’avons vu. Le domestique aurait peut-être hésité, si M. Jenkins n’avait eu soin en lui parlant de glisser un souverain dans la main du valet, qui répondit un : « Oui monsieur, » des plus respectueux, et qui ne laissait aucun doute sur son obéissance.

En apercevant le tableau, sur lequel le jour frappait en plein, Sophie fronça les sourcils et demanda à William avec colère :

« Qui a apporté cela ici ?

— C’est moi, madame, d’après les ordres de M. Jenkins, répondit William.

M. Jenkins ! répéta Sophie plus doucement ; c’est bien alors, laissez-nous.

— Est-ce drôle ! reprit miss Wilkins ; il est certainement bien aimable et bien généreux ; mais quel homme bizarre, n’est-ce pas, chère Sophie ?

— Je trouve M. Jenkins si aimable que tout ce qu’il fait me paraît très-naturel ; si réellement il est extravagant, je ne m’en suis jamais aperçue. Je ne connais personne qui me plaise autant que lui. Quant à cette peinture, je devine pourquoi il l’a fait descendre. Dans sa visite à travers la maison, il aura reconnu ce portrait pour celui du fils de son ami, mon oncle Thorpe, et il désire probablement le voir de plus près ; je suis même ravie de cette découverte, puisqu’elle lui a procuré un instant de plaisir. »

Cette explication parut tout à fait naturelle aux miss Wilkins ; mais mistress Heathcote, se rappelant l’anecdote qu’elle avait racontée à M. Jenkins quelques jours auparavant, se douta bien que ce n’était pas sans motifs que l’ancien ami des Thorpe avait fait descendre le vieux tableau. Elle supposa qu’il avait l’intention de faire une tirade sur les modes, en trouvant moyen de dire quelque chose sur le grand col et la coiffure représentés dans le portrait. Cependant l’excellente dame ne dit rien, pour ne pas tourmenter Sophie qui se conduisait beaucoup mieux envers elle, et avait parlé d’aller aux bains de mer avec toute la famille pour la santé des enfants.

M. Jenkins entra le dernier dans le salon, où il trouva toute la société groupée autour du portrait. En voyant le tableau, sir Charles comprit que le moment décisif était arrivé ; aussi alla-t-il s’asseoir près de Florence, afin d’assister à la scène qui devait se passer sans y prendre part en aucune façon. Algernon et sa mère s’écartèrent aussi et s’assirent l’un auprès de l’autre pour écouter comment M. Jenkins allait expliquer la présence du tableau dans le salon.

« Vous avez connu l’original de ce portrait, major Heathcote ? s’écria tout à coup M. Thorpe en se plaçant contre le cadre. Le jeune homme avait dix-huit ans alors ; il y a vingt ans que vous ne l’avez vu. Avez-vous idée de ce que serait devenue cette figure d’enfant, si Cornélius avait vécu jusqu’à présent ?

— Je me le rappelle si bien, le pauvre garçon, que, si jamais je l’avais rencontré depuis son départ, je suis sûr que je l’aurais reconnu.

— Trouvez-vous que je lui ressemble, major ? continua M. Thorpe avec une gravité imposante.

— Grand Dieu ! non, monsieur, répondit précipitamment le major ; que veut dire cette étrange question ?

— Je vous demande, Heathcote, si vous retrouvez les traits de votre petit-neveu, que vous avez perdu de vue il y a dix-huit ans, dans ceux de l’homme bronzé et vieilli qui est devant vous ? »

Les spectateurs de cette scène ne doutaient plus que ce ne fût bien Cornélius Thorpe, le maître de la maison, qui venait de leur apparaître. Cette nouvelle foudroyante produisit des effets différents sur les auditeurs.

Le major avait immédiatement reconnu M. Thorpe aux premiers mots de la dernière phrase de M. Jenkins, et cette révélation inattendue l’avait tellement ému qu’il ne se sentait plus la force de parler.

Sir Charles avait pris la main de Florence qu’il avait serrée tendrement, et dans son trouble la jeune fille lui avait rendu sa douce pression. Algernon avait aussitôt commencé une comparaison entre les traits du tableau et ceux de l’original ; les trois miss Wilkins s’étaient précipitées l’une vers l’autre, et, après avoir regardé Sophie en souriant, avaient commencé une conversation à voix basse. La bonne mistress Heathcote avait murmuré : « Est-il possible ! » et avait détourné la tête avec compassion. Quant à M. Wilkins, il s’était soulevé en disant : « Qu’y-a-t-il ? »

Et Sophie ?… Elle était devenue blanche, puis verte et enfin extrêmement rouge, et s’était écriée d’une voix tonnante :

« Infâme imposteur !… Et vous autres, êtes-vous des hommes ? Vous oubliez donc que vous devez me défendre ? Faites donc jeter ce fourbe hors de chez moi ! »

Sir Charles la regarda avec pitié, mais ne répondit pas. Le major secoua la tête, garda un instant le silence, et dit enfin à haute voix :

« Nous ne pouvons nier votre identité, Cornélius ; il faut être hors d’état de raisonner pour vous accuser d’une fraude semblable, et nous vous reconnaissons parfaitement. Mais pour l’amour de Dieu, mon ami, dites-moi pourquoi vous êtes resté si longtemps loin de nous. »

En entendant ces mots décisifs, Sophie se leva et sortit précipitamment de la chambre sans regarder autour d’elle. Elle monta dans sa chambre où elle s’enferma : puis, ouvrant tous ses tiroirs, elle fit un petit paquet de tout ce qui avait de la valeur en robes et en dentelles, sans oublier le collier de perles et les autres cadeaux précieux qu’elle avait reçus de M. Jenkins. Quand elle mit la main sur les riches diamants de famille, elle hésita : il lui répugnait d’être arrêtée comme une voleuse et forcée de rendre ce qu’elle avait dérobé. D’un autre côté, il lui était bien pénible de se séparer pour toujours de ces magnifiques joyaux ; aussi les joignit-elle fébrilement à son paquet, en murmurant d’un ton de défi et de colère :

« Qu’ils me fassent arrêter et traîner en prison, s’ils l’osent. Ce vagabond qui me dépouille ne parviendra pas à me les arracher. »

En disant ces mots, Sophie reprit les diamants, les serra contre elle avec passion, et les fit entrer de force dans sa poche.

En cherchant encore dans ses armoires, elle retrouva la petite miniature représentant son jeune cousin Cornélius, que M. Thorpe n’avait plus pensé à lui réclamer. Mais la vue de ce portrait parut lui faire horreur, et après quelque hésitation, malgré ses regrets d’abandonner les diamants qui l’entouraient, elle rejeta le médaillon dans le tiroir, qu’elle referma brusquement.

Elle entassa ensuite ses dentelles et ses bijoux dans un petit sac à ouvrage qu’elle prit à la main, mit à la hâte son plus beau châle et son plus élégant chapeau, et quitta la maison qui ne lui appartenait plus.

La nuit devenait très-sombre, et grâce à l’obscurité, l’ex miss Sophie Martin Thorpe put échapper aux regards de ses invités, qui prenaient le frais devant le salon, et gagner la route qui conduisait à Broad-Grange.

Tout en se dirigeant vers la demeure de son adorateur, la fugitive combinait un projet formé précipitamment, au moment où elle avait vu sa fortune et sa position lui échapper.