La Puissance d’amour

chez Pierre Mortier, Libraire (p. 169-199).


LA PUISSANCE
D’AMOUR.


CONTE.


IL y eut autrefois dans l’Arabie heureuſe un grand Magicien. Son fils s’appelloit Panpan, Prince de Sabée Les ſecrets de l’art de ſon pere ne purent lui donner rien d’acquis, parce que la nature toute ſeule le rendit parfait, ſoit pour les charmes de la perſonne, ſoit pour les dons de l’ame & de l’eſprit.

Panpan brilla dans le monde dans un âge qui ne le ſeparoit pas encore de l’enfance. Il fut les delices de tous les yeux qui le regarderent, & il porta des deſirs de l’aimer dans tous les cœurs.

Comme il avoit un grand feu dans l’eſprit, qu’il étoit dans une Cour galante, ſa premiere jeuneſſe fut pleine d’impetuoſité. L’emportement de ſes ſens guida ſon cœur ; Il eut autant de Maîtreſſes qu’il vit de beautez. On ne luy foiſoit pas une longue reſiſtance.

Mais l’Amour n’étoit pas content de ces conquêtes frivoles, il vouloit faire un autre uſage d’un cœur ſur lequel il vouloit prendre de veritables droits.

La Princeſſe de l’Arabie heureuſe qui ſe nommoit Lantine, étoit née pour l’aſſujettir. Sa perſonne étoit ſi aimable & ſi gracieuſe, qu’on ne la pouvoit voir ſans ſentir des mouvemens qu’elle ſeule étoit capable d’inſpirer.

Sa taille n’étoit pas grande : mais elle étoit ſi aiſée, elle marchoit , elle danſoit avec tant de grace, qu’elle plaiſoit par toute ſon action. Ses yeux étoient le trône de l’Amour, ou plûtôt elle n’avoit pas un regard qui n’eût un Amour en particulier. Le deſir de plaire étoit auſſi le plus fort de tous ſes deſirs : de là vint qu’elle prit des manieres coquettes, & qu’elle devint coquette. Tout aimoit autour d’elle, & tout eſperoit d’être aimé.

Le Seigneur du Roc affreux ſe mit ſur les rangs comme les autres. C’étoit un Enchanteur qui voulut employer la force de ſon art pour ſe rendre poſſeſſeur d’une ſi charmante perſonne. Il ſe lia, pour réüſſir dans ſes deſſeins, avec la Fée Abſoluë, qui avoit un grand pouvoir ſur la Princeſſe de l’Arabie heureuſe : il la ravit, & la tint un temps conſiderable dans une eſpece de captivité. Ses agrémens & ſa douceur l’obligerent à luy rendre ſa liberté. Elle revit ſes peuples, & ſa preſence ramena les Fêtes & les Jeux.

Ce fut dans ce temps que le jeune Prince de Sabée vit la belle Lantine : la voir & l’aimer furent la même choſe. Mais qu’il trouva ſon cœur changé ! Ce n’étoit plus ce cœur volage ſi penetré de tant de traits differens, & ſi capable de prendre l’impreſſion de toute ſorte d’objets. Ses ſentimens ſi fougueux devîn rent ſolides, cette legereté impetueuſe ſe paſſa, & tout ce feu ſe fixant pour la Princeſſe, il crut dés ce moment qu’il l’aima, n’avoir jamais aimé qu’elle.

Ce ne fut pas le ſeul effet de la Puiſſance d’Amour ; le même miracle ſe produiſit dans l’ame de Lantine, elle ne voulut plus plaire qu’à un ſeul. Elle connut qu’elle étoit aimée du Prince Panpan, elle l’aima à ſon tour. Elle n’eut plus de deſir, que pour luy, & ſe renfermant dans le plaſir de cette conquête, elle haïſſoit ſes charmes quand ils continuoient de luy gagner des cœurs.

Il y avoit un jour de l’année qui étoit deſtiné pour recevoir les tributs que tant de Princes faiſoient à la Princeſſe. Ils étoient tous aſſemblez au pied de ſon Trône dans une grande Salle pleine de Courtiſans. La Princeſſe avec ſa ſuite la traverſa, monta ſur ce Trône, y brilla un moment ; & ſe dépoüillant, pour ainſi dire, d’une majeſté embaraſſante, elle paſſa ſeule, dans un magnifiqe Cabinet, où l’on faiſoit entrer l’un aprés l’autre chacun de ſes illuſtres Tributaires.

Ils luy firent des preſens d’une magnificence & d’une galanterie extraordinaire ; & quand ce fut le tour du Prince de Sabée, qu’elle n’avoit point encore vû juſqu’à ce moment, elle eut une ſurpriſe qu’elle ne put cacher.

Elle vit un jeune homme d’une taille agreable, & d’un viſage ſi charmant, qu’elle luy donna avec toute ſon attention la plus ſenſible tendreſſe de ſon cœur. Il avoit les traits reguliers, de grands yeux noirs, vifs & paſſionnez, la bouche ſoûriante, de belles dents, une grande quantité de cheveux bruns & friſez, plantez avec un agrément ſans pareil ſur le haut de ſa tête ; ils faiſoient une pointe extrémement marquée, qui luy donnoit une phyſionomie ſinguliere qui plaiſoit.

Panpan avoit déja vû la Princeſſe, il en étoit amoureux. Il ſe preſenta devant elle d’un air hardy : mais les premiers regards qu’elle jetta ſur luy l’humilierent. Il voulut la regarder, il ne l’oſa faire. Il baiſſa la tête ; & mettant un genou devant elle, il demeura tout interdit. Son ſilence fut long. Enfin parlant avec une voix timide : Je n’ay rien à vous donner, luy dit-il ; vous avez tout quand vous avez mon cœur, je vous apporte ſes hommages. Ce que les autres vous donnent eſt indigne de vous ; ce que je vous offre ſeul peut vous être offert. Je le reçois, luy répondit la Princeſſe, je mépriſe tout le reſte ; ſoyez fidele.

Le Prince ſe retira, pour faire place à ceux qui reſtoient encore à paroître. Il ſortit, l’ame penetrée d’amour ; celle de Lantine en fut vivement atteinte.

Le lendemain la Princeſſe fit prendre cet amas de tant de belles & riches choſes qu’on luy avoit données ; elle en fit dreſſer un trophée, qui étoit renoüé avec des ceintures magnifiques, où l’on voyoit écrits ces quatre Vers en lettres de Pierreries.

  Superbes raretez, preſens ſi précîeux,
  Que le deſtin vous eſt contraire,
Vous n’étes pas celuy que je cheris le mieux ;
  Cedez, cedez au ſeul qui m’a ſçü plaire.

L’eſperance du Prince Panpan fut merveilleuſement flatée par un aveu ſi delicat où perſone n’ententendoit rien, & dont il connoiſſoit tout le charme. Il goûta quelque temps une felicité parfaite dans les manieres tendres & ſenſibles de la Princeſſe d’Arabie : mais quoi ! elle étoit trop aimable, pouvoit il long-temps être heureux ?

La jalouſie ſe mêla de le tourmenter ; il avoit autant de Rivaux qu’il voyoit d’hommes. La Fée Abſoluë luy déroboit ſouvent l’entretien de ſa Princeſſe ; le Seigneur du Roc affreux l’obſedoit de prés, & cent autres l’incommodoient par des aſſiduitez éternelles.

Il étoit dans une peine extréme pour faire ſavoir à Lantine tout ce qui ſe paſſoit dans ſon cœur : mais il n’avoit aucune intelligence avec elle. Il étoit bien éloigné d’avoir la ſcience de ſon pere ; il regrettoit la mort de ce grand Enchanteur, dont le pouvoir l’auroit ſecouru au beſoin.

Il devint rêveur & ſolitaire. Il s’étoit retiré une fois dans une Orangerie ; il prit les Vers d’Anacreon, croyant que la lecture d’un Poëte ſi agreable diſſiperoit pour un moment ſon chagrin : il le feüilleta. Il ne faiſoit que le parcourir, quand il tomba ſur l’Ode troiſiéme. Cette ingenieuſe deſcription de l’arrivée & de la malice de l’Amour l’occupoit avec quelque plaiſir, lors qu’un éclat ébloüiſſant luy frapa les yeux, & luy fit tomber le livre des mains. Sa vûë s’étant raſſurée, il vit l’Amour luy même comme on nous le repreſente, bel Enfant nud, armé d’un Flambeau, d’un Arc, & de ſes Fléches.

Que vois-je ! s’écria Panpan. Eſt ce que je lis encore, ou vois-je en effet ce que je liſois ? Tu vois ton Maître, luy dit l’Amour, tu vois le Seigneur de toute la nature. En vain tu regrettes les ſecours que ton pere te pouvoit donner ; ſi je te favoriſe, tous tes deſirs s’accompliront. C’eſt moi qui ſuis le pere des Fées & de tous les Enchanteurs. Tout Enfant que je parois, j’ay donné la naiſſance aux plus grandes Puiſſances du monde ; & tel que tu me vois, je ſuis le plus grand Sorcier qu’il y ait jamais eu. À quoi ſert tout cela, réprit Panpan, ſi vous ne voulez m’être bon à rien ? J’aime Lantine, j’en ſuis peut être aimé ; rompez les obſtacles qui nous ſeparent, uniſſez nous. Vous allez bien vîte, mon Cavalier, répliqua l’Amour : vous ne faites que de commencer le Roman de vôtre vie, & vous en voudriez voir le bout. Je vais quelquefois aufſi promptement que vous le deſirez : mais dans vôtre affaire la deſtinée reſſerre un peu mon pouvoir, & j’avouë franchement auſſi, que je me veux un peu divertir par la diverſité des avantures, par où je pretends vous conduire.

Panpan l’alloit conjurer d’abreger ſes peines, & s’alloit peut-être embaraſſer dans un long diſcours. Il ouvroit la bouche pour le commencer, quand il ne vit plus rien auprés de luy qu’une grande trace de lumiere, & une Fléche à ſes pieds.

Ah Sorcier ! s’écria-t-il en la relevant, qui jettes tes charmes dans le fonds de mon cœur ; fais que la durée en ſoit éternelle par une abondante ſuite de douceurs.

Il crut que l’Amour l’aideroit. Dans cette penſée il reſolut d’aller au Palais où l’on retenoit ſa belle Princeſſe ; il avoit à ſa main la Fléche que ce petit Démon luy avoit laiſſée, Il fut bien étonné de trouver des Corps de Gardes avancées dont l’eſpece le ſurprit. C’étoit une rangée de Statuës de marbre, qui toutes avoient l’arc tendu. Elles décocherent leurs traits dés qu’il parut de loin, & il connut bien qu’il ne pouvoit approcher ſans un évident peril de ſa vie.

Il s’arrêta comme on le peut juger, & voulut prendre une autre route : mais ces mêmes Archers ſe preſentoient toûjours.

Le pauvre Prince s’effraya, & jugea bien qu’il n’y avoit que le Seigneur du Roc affreux qui pût animer les pierres mêmes pour ſa ruïne.

Que feray-je ? diſoit-il tout deſolé. Je ne vaincray jamais ces guerriers ſi terribles. Il ſoûpiroit, il ſe tourmentoit, il ne ſavoit que faire. Enfin il s’aviſa de prononcer cette invocation à l’Amour.

Ô ! toy dont le pouvoir s’étend juſqu’aux Enfers,
Charmant Sorcier ; donnes-moy ta ſcience,
    Ces obſtacles me ſont offerts
Pour me faire ſentir d’un Jaloux la puiſſance :
    Je perds Lantine, je la perds,
Si je n’ay pas ta magique aſſiſtance.

À peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il ſe ſentit tout animé ; & ſe reſſouvenant de la Fléche qu’il avoit à la main, il crut qu’elle valoit bien la Baguette de la plus grande Fée : de ſorte qu’il la lança avec vigueur contre l’Eſcadron armé. Elle toucha tous ces Fantômes, qui baiſſant leurs Arcs, & mettant un genou en terre, s’ouvrirent, & laiſſerent un eſpace par où le Prince pût paſſer. Il réprit ſa bonne Fléche, & s’avança tout joyeux. Il traverſa un Parc d’une beauté merveilleuſe, & il découvroit déja le Palais tant deſiré, quand il apperçut une palliſſade qui s’élevoit inſenſiblement, formée de Tubereuſes, d’Oeillets, de Jacinthes & de Jonquilles.

Qu’eſt cecy, s’écria Panpan un peu étonné ? Ce ne ſera qu’une foible reſiſtance, & ſe prenant à rire, il dit aſſez gayement :

Sorcier, charmant Sorcier, je ne t’invoque pas ;
    Cet obſtacle eſt peu difficile,
Pour le franchir ſans toy tout doit m’étre facile,
Des Fleurs n’arrétent point mes pas.

En diſant ces paroles il crut d’un coup de pied abattre cette paliſſade. Il fut épouvanté de voir qu’elle étoit plus ferme qu’une muraille de bronze. Je reconnois la Fée Abſoluë à cet enchantement, réprit-il ; voicy de ſes artifices pour m’interdire la vûë de ma belle Princeſſe.

Ô toy ! s’écria t-il, viens vite à mon ſecours,
    Détruis ce ſurprenant myftere,
Cher Maître de mon cœur, Protecteur de Mes jours.
  Tu m’es encore neceſſaire.

Et ſe reſſouvenant de ſa bonne Fléche, il en preſenta la pointe à cette aimable paliſſade, qui ſe ſeparant auſſitôt, luy laiſſa un paſſage parfumé. Le Prince de Sabée avança, & n’ayant plus qu’un parterre à traverſer, il le vit ſe changer, en un Lac d’une prodigieuſe étenduë. Il s’arrêta aſſez interdit ; car il ne penſoit à ſa Fleche que quand il avoit invoqué l’Amour. Il la poſa à terre, pour détacher un cordon de ſoye qui tenoit à une petite barque, & dans le même temps la Fée Abſoluë ſe preſentant à luy, ramaſſa cette Fléche. Innocent, luy dit elle, oublies-tu ainſi tes plus fortes armes ; Pour moy qui en connois toute la vertu, je m’en ſerviray pour te nuire. Et lors rompant ce frelle bois en mille morceaux : Matiere combuſtible, s’écria-t-elle, en le jettant dans le Lac, faites vôtre effet. Et lors s’allumant de luy même, cette Fléche produiſit un grand feu, qui conſomma dans un moment toutes les eaux : il demeura vif & clair en élevant ſes flammes juſqu’au Ciel.

Le Prince de Sabée fut deſeſperé de la ſottiſe qu’il avoit faite, d’avoir abandonné ſa bonne Fléche : ainſi d’ordinaire on ne reconnoît les fautes que l’on fait que lors qu’on en ſent le préjudice. Il demeura les bras croyſez, à conſiderer l’impetuoſité de ces flammes, & il étoit dans une triſteſſe profonde.

Veux tu embraſer tout l’univers, dit-il, enfin Démon cruel ? Voilà de tes tours ; aprés les biens que tu m’as laiſſé goûter, tu m’en fais trouver la perte inſupportable. Tu changes ſuivant ta nature, tu m’abandonnes, & tu tournes à mon dommage les mêmes faveurs que tu m’avois faites.

Le jeune Prince ſe tut aprés ces mots, & ſe mit à penſer avec une grande application de quelle ſorte il pourroit ſurmonter ſon malheur. Enfin il ſe ſouvint qu’il ne vivoit que dans les flammes depuis qu’il aimoit Lantine, & qu’un feu allumé par les traits de l’Amour ne ſauroit offenſer ſa perſonne. Peut-être continua-t-il, que ces flammes qui me paroiſſent ſi terribles ſont ſemblables aux exaggerations dont ſe ſervent les Amans, & que je ne trouveray rien moins que ce que je crois voir. À tout hazard je riſque peu de choſe ; dans la fureur où je ſuis j’aime autant mourir que de ne voir point Lantine.

En achevant ces paroles, il ſe jetta tête baiſſée au travers de ces feux. Il crut être dans un bain délicieux ; il alloit & venoit parmy ces flammes avec autant de facilité que s’il eût été dans un jardin. Il ſentoit une certaine volupté qui enchantoit ſes ſens : il luy ſembloit qu’il ne luy manquoit que la preſence de ſa chere Princeſſe ; encore croyoit-il quelquefois qu’il s’en pouvoit paſſer. Il avoüoit en luy même que bien ſouvent les plaiſirs de l’imagination valent mieux que les plaiſirs réels.

Tandis qu’il eſt ſi paiſiblement dans un lieu qui devroit être ſi chaud, la Princeſſe de l’Arabie heureuſe étoit renfermée dans un Palais par les ſoins de la Fée abſoluë, par la joulouſie du Seigneur du Roc affreux. Elle n’avoit d’autre compagnie que celle de ſes Filles, qui tâchoient avec empreſſement de la divertir, mais qui n’y réüſſiſſoient pas toûjours. Elle avoit des momens ſombres, & ſa gayeté naturelle ſe perdoit bien ſouvent dans le ſouvenir qu’elle avoit du Prince de Sabée.

Elle étoit un ſoir toute ſeule dans ſa chambre, aſſiſe au coin de ſon feu, un pied appuyé ſur la grille, ſa vûë étoit attaché ſur quelque Peinture agréable. Elle l’en détourna par un petillement extraordinaire qui venoit de ſon feu, elle y porta ſes regards, il en ſortit un nombre infini d’étincelles qui volerent autour d’elle, & qui s’attacherent à ſes habits.

Elle eut peur d’être brûlée, & les ſecoüa avec promptitude : mais toutes ces étincelles l’environnerent, & ſembloient ſe joüer en cent façons differentes, faiſant le même bourdonnement des abeilles. Lantine s’accoûtuma bientôt à cette nouveauté, voyant que ces feux n’avoient point de malice. Elle les trouva fort jolis ; ils ſe poſoient ſur ſon viſage & ſur toute ſa perſonne : & voulant eſſayer d’en prendre, ils avoient une grande ſubtilité à s’échaper. Enfin elle en attrapa un : mais elle ſentit un chatoüillement extraordinaire dans ſa main, de ſorte qu’elle l’ouvrit promptement. Et lors ils ſe raſſemblerent tous vers le milieu de la chambre ; & ſe diſſipant tout d’un coup, Lantine vit en leur place un petit vieillard, qui avoit une barbe auſſi grande que luy : il avoit le teint frais, les yeux vifs, & l’air ſoûriant.

Elle n’éût point de frayeur, & cela devroit paroître fort-étrange ; au contraire elle s’appaocha gayement de luy. Pere de tous les humains, luy dit-elle, ne croyant pas ſi bien dire, à vôtre longue barbe je vous crois tel, d’où venez vous ? que voulez vous ? Je viens de quiter Panpan, luy répondit-il ; je veux vous unir, ſi vous vous abandonnez à ma conduite, & ſi vous faites exactement ce que je vous diray. Vous avez raiſon de m’avoir nommé comme vous avez fait. J’ay vû l’enfance du monde, je ſuis l’Amour. L’Amour, s’écria Lantine, l’Amour vieux & barbu ! on le peint ſi beau & ſi jeune. N’en ſavez-vous autre choſe, réprit-il ? tenez je vais paroître à vos yeux comme je ſuis devant Pſiché. Et ſe metamorphoſant dans un clin d’œil, elle fut ſurpriſe de ſa belle forme & de ſa beauté merveilleuſe. Ne vous étonnez pas, pourſuivit-il, je puis changer auſſi ſouvent & auſſi promptement que les décorations de l’Opera. Vous étes donc plus qu’une Fée, luy répondit-elle. Bon, répart-il, leur ſcience eſt bien au deſſous de la mienne, mes enchantemens paſſent tous les autres enchantemens, je ſuis le ſeul veritable Magicien.

Il luy recita lors ce qu’il avoit fait en faveur de Panpan, & comme il le tenoit fraîchement au milieu des flammes. Voudriez-vous le venir trouver, pourſuivit-il ? Je ſuis gardée dans ces lieux d’une maniere trop exacte, luy répondit-elle, je n’en puis ſortir. Ne vous ay je pas dit, répliqua-t-il, que j’en ſay plus que perſonne, & que je puis renverſer tous les deſſeins du Seigneur du Roc affreux & de la Fée Abſoluë ? Mais la bienſeance ne veut pas que j’aille trouver le Prince de Sabée, réprit-elle, il ſeroit plus dans l’ordre de me l’amener. Eh bien, dit l’Amour, parez-vous & toutes vos Filles auſſi ; je viendray vous prendre dans deux heures, je veux vous donner une Fête galante, & j’y conduiray Panpan.

L’Amour ſe ſepara ainſi de la Princeſſe. Elle fit appeller toutes ſes Filles, elle leur ordonna de s’aller ajuſter ; elle leur prêta même toutes ſes pierreriers, & leur dit de revenir la trouver quand elles ſeroient dans la derniere parure. Lantine changea d’habit, elle en mit un blanc, qui n’étoit agréable que par ſa fimplicité, elle ſe coëffa avec des fleurs ; belle de ſa ſeule beauté.

Quand elle fût prête, & que ſes Filles furent revenuës, elle n’attendoit que le moment que l’Amour alloit paroître : elle fut un peu déconcertée de voir arriver la Fée Abſoluë & le Seigneur du Roc Affreux. Ce contre-temps luy fit de la peine.

Vous voilà donc faite d’une maniere à conquerir toute la Terre, luy dit le Seigneur du Roc affreux ? Pourquoy donc la parure de toutes vos Filles, interrompit bruſquement la Fée ? pourquoy ſont-elles de la ſorte ? Pour me récréer les yeux, réprit Lantine ; je me divertis à ce que je puis dans la captivité où vous me tenez. Eh bien, Princeſſe, répartit l’Enchanteur, je vais vous faire preparer un Bal ; vous aimez la danſe. Comme je puis fatisfaire ces deſirs-là, que ne puis-je même être l’objet de tous ceux que vous pouvez avoir ? J’ay mal à un pied, Seigneur, luy répliqua la Princeſſe, il me ſeroit de danſer. Eh bien, dit-il, on danſera devant vous, Et lors prenant ſa Baguette, & diſant quelques paroles, il preſenta la main à Lantine, & la conduiſit dans une ſalle, où il y avoit un grand nombre de belles & de Courtiſans, avec toute la preparation d’une Fête magnifique.

Lantine ſoûpiroit de temps en temps, & voyoit tout cet appareil ſans plaiſir. Quelle Féte, diſoit-elle en elle-même ; qu’elle eſt differente de celle que je croyois avoir ! elle s’ennuyoit mortellement. Il n’y avoit pas un quart d’heure que le Bal étoit commencé, qu’elle croyoit qu’il y en avoit cent. Son chagrin paroiſſoit ſur ſon viſage, la Fée s’en apperçût & l’en gronda ; & voulant continuer ſa gronderie, elle ouvrit la bouche pour parler, elle ne la put plus refermer, & demeura en cet état : ce qui ſurprit un peu la Princeſſe. En ce même temps le Seigneur du Roc affreux danſoit, & la femme qui figuroit avec luy ayant achevé ſa danſe, elle fut ſe remettre à ſa place ; il danſa tout ſeul, & danſa toûjours : ce qui ne cauſa pas un mediocre étonnement à toute l’Aſſemblée ; Lantine en rit comme les autres, ſans s’en pouvoir empêcher. En même temps les violons ceſſèrent de joüer ; ils s’endormirent, & tout dormit, hors le Seigeneur du Roc affreux, qui ne ceſfa point de danſer. Et la Princeſſe de l’Arabie heureuſe, avec toutes ſes Filles, fut conduite ſans ſavoir par qui, juſques dans un veſtibule, où un Theâtre ſe roulant de la Cour, & venant juſqu’à elle, elle y paſſa avec ſes filles : il s’éleva doucement en l’air, & fut ainſi juſques ſur le bord d’une belle Riviere, où il y avoit des ſiéges de corail incarnat, avec des Carreaux de plumes d’Alcions.

Rien n’étoit ſi ſuperbe ; ni de ſi galant que la decoration de cette Riviere. Il ſembloit que des cordons de feu pendoient de chaque étoile & qu’a la hauteur qu’il faloit ils ſoûtinſſent une quantité de feux qui formoient des figures toutes differentes, qui repreſentoient les attributs de l’Amour ; les Jeux, les Ris joüoient de pluſieurs inſtrumens : les Graces & les Plaiſirs commencerent le Bal.

La Princeſſe Lantine étoit ravie de voir un ſi charmant ſpectacle : mais par des regards inquiets elle témoignoit qu’elle auroit voulu autre choſe. En ce moment même elle vit l’Amour & le Prince de Sabée, l’un auſſi beau que l’autre. Vous me l’aviez bien promis ; luy dit-elle, avec un épanchement de joye qu’elle ne put retenir, qu’il ne manqueroit rien à la Fête que vous me donneriez. Vous joüez de bonheur, réprit l’Amour ; car je ne tiens pas toûjours ce que je promets. Et Panpan venant prendre la Princeſſe pour danſer, ils couloient ſi doucement ſur la furface des eaux, que c’étoit une merveille de ce qu’ils n’enfonçoient pas, & que cette liquide glace eût toute la ſolidité qu’il faloit pour les ſoûtenir.

Le Prince de Sabée dit cent jolies choſes à la Princeſſe, & elle luy en répondit pour le moins autant. Aprés quoy on leur ſervit une collation admirablement bonne, & l’Amour ayant preſenté à boire à Panpan, la Princeſſe remarqua qu’auſſi-tôt qu’il eut bû il perdit la raiſon : de ſorte que ce petit Sorcier l’ayant auſſi voulu obliger de boire, elle le refuſa. Elle étoit trop prudente pour riſquer à ſe mettre dans un état honteux ; & regardant finement l’Amour, elle chanta cette chanſon.

  Bacchus eſt aſſez dangereux :
Amour, n’y mêlés point tes charmes ni tes feux :
  Arrête, Dieu cruel, arrête.
  Dans ce bon vin délicieux & frais
Il a déja trempé la pointe de ſes traits,
Et ſon venin cruel va du cœur à la tête.

L’Amour ſe mit à rire avec Lantine, & luy dit qu’il n’y en auroit pas une entre mille qui eût la force de faire ce qu’elle avoit fait. Aprés cela il jugeoit qu’il faloit la ramener ; ils ſe mirent ſur le même Theâtre qui les avoit apportez, & ſe rendirent au Palais de la Abſoluë. Ils la trouverent au même état où ils l’avoient laiſſée, la bouche ouverte & dormant ; le Seigneur du Roc affreux danſoit encore, & tout le reſte dormoit. Ils ſe divertirent de l’avoir fait danſer ſi long-temps. L’Amour ordonna qu’ils fuſſent tous mis dans leurs lits, dans un moment la choſe fut faite. Il donna le bon ſoir à Lantine, & ramena ſon Amant dans ſa maiſon.

Le lendemain la Fée & l’Enchanteur


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600em
600em
crurent que tout ce qui leur étoit arrivé

n’avoit été qu’un ſonge ; tant il eſt vray que les avantures d’Amour, quand elles ſont paſſées, ont plus que toute autre choſe cet air là. L’Enchanteur ſe trouva ſi las qu’il n’en pouvoit plus ; il ſentoit une douleur horrible à la plante des pieds.

La Fée fut comme à ſon ordinaire faire la viſite dans tout ſon Palais. Son art ne l’avertiſſoit point des circonſtances de la nuit derniere, parce qu’il cedoit à un plus grand que le ſien. Mais une petite indiſcrette, à qui l’Amour avoit joüé d’un mauvais tour, luy raconta tout ce qui s’étoit paſſé. La Fée fut dans une extréme colere, ſans s’étonner neanmoins, parce que c’étoit les effets ordinaires de l’Amour. Elle fut trouver le Seigneur du Roc affreux, & luy fit part de cette belle Hiſtoire. Il réſolut ſur le champ d’aller trouver l’Amour, de le conjurer de ne luy être plus contraire, & de ceſſer de favoriſer Panpan.

Dans ce deſſein il étudia pour ſavoir où ce Maître Enchanter pourroit être, & l’ayant deviné, il ſe rendit auprés de luy. Seiguer, luy dit-il, je ſay la malice que vous me fîtes hier au ſoir. Avez-vous réſolu de ravir Lantine à ce tendre amour que vous avez allumé dans mon cœur. L’Amour ſe prit à rire, & luy avoüa ce qu’il avoit fait. Le Seigneur du Roc affreux le pria de bleſſer Lantine en ſa faveur, s’il n’aimoit mieux le rendre volage ; luy declarant qu’elle ne pouvoit vivre heureux tandis qu’elle luy prefereroit ſon Rival.

L’Amour luy répondit qu’il ne changeroit rien à ſes ordonnances, & qu’il vouloit que la Princeſſe de l’Arabie heureuſe fût au Prince de Sabée, qu’il ne l’importunât plus, & qu’il ſe retirât.

Le Seigneur du Roc affreux trouva cette réponſe auſſi ſéche qu’elle l’étoit, & la ſentit vivement : mais il reſolut en luy même de diſſimuler, & il penſa que l’Amour avoit tant de choſes à faire, qu’il ne pourroit pas toûjours être occucupé de Lantine & de Panpan ; qu’aprés tout il pourroit avoit auſſi quelques bons momens, que d’Enchanteur à Enchanteur il n’y avoit que la main, & que ſouvent le moindre pouvoit embaraſſer le plus grand.

L’Amour ſoûrit, il connut ſa penſée, il le congedia, réſolu de quitter tout plûtôt que de ne ſe pas donner du paſſe-temps de pieces qu’il luy vouloit faire.

Le Seigneur du Roc affreux ſe retira, & il alla trouver la Fée Abſoluë : il luy conta le mauvais accüeil qu’il avoit reçû du Maître de tous les Sorciers : ils ſe trouverent bien empêchez à ſavoir ce qu’ils auroient à faire. Enfin ils ſe déterminerent, & jugerent que la maniere la plus ſimple ſeroit la meilleure pour tromper tout le monde & même l’Amour : de ſorte qu’ils donnerent leurs ordres pour s’en retourner à la Ville Capitale. Mais dés qu’ils furent arrivez ils tranſporterent la Princeſſe & quelques unes de ces Filles dans ce même Palais qu’ils venoient de quitter. Il y avoit des voûtes ſoûterraines d’une admirable beauté, & dont perſonne qu’eux n’avoit la connoiſſance ; les appartemens en étoient d’une magnificence extraordinaire. Ce fut la qu’on mit Lantine. L’Enchanteur prit ſon logement tout auprés du ſien, réſolu de la garder luy même. Rien n’eſt plus ſurveillant qu’un jaloux.

La Princeſſe fut un peu affligée de ſe trouver ainſi en ſi petite compagnie, & ſous le pouvoir de ſon perſecuteur : elle luy fit fort mauvais viſage, elle auroit bien deſiré revoir ſon petit vieillard qui luy avoit fait tant de plaiſir ; & demeurant ſeule elle paſſa dans un cabinet, dont elle ferma la porte ſur elle. Mais quelle fut ſa ſurpriſe & ſa joye d’y trouver le Prince de Sabée ?

Belle Princeſſe, luy dit-il, je ſuis trop heureux de vous voir dans mon appartement. Comment, luy répondit elle, vous vous mocquez, je ſuis chez abſolue. L’Amour m’a logé icy, répliqua-t-il, je n’en partiray point tant que vous y ſerez. Mais, luy dit-elle, puis je y demeurer avec bienſeance avec vous ? Vous y ſouffrez bien le Seigneur du Roc affreux, interrompit-il. Je ne puis l’empêcher, pourſuivit-elle : Voulez-vous ma mort, répartit-il ? vous n’avez qu’à aller dire que je ſuis icy. Cette conſideration fut puiſſante, & obligea la Princeſſe à ſouffrir ce qu’elle ne pouvoit empêcher.

Le temps qu’ils paſſerent enſemble leur parut doux, & quand elle fut rentrée dans ſa chambre, ſes filles la mirent au lit.

Plufieurs jours s’écoulerent de la ſorte, qu’ils ſe voyoient librement : mais cette liberté devint inſupportable à Panpan, parce qu’il n’en fut pas plus heureux. Il voyoit la Princeſſe, il l’aimoit, il en étoit aimé, il auroit voulu la poſſeder entierement. Un jour qu’il trouva l’Amour en bel humeur : il le pria de ne le faire plus languir, & d’achever d’établir ſa fortune ; il luy promit de le contenter, il fit venir la Fée Abſoluë en ſa préſence, & dans un moment il luy tourna la tête ; de ſorte qu’elle conſentit que Panpan épouſât Lantine.

L’Amour toûjours peſte, qui a toûjours quelqu’un qui ſert de but à ſes méchancetez, voulut que le Seigneur du Roc affreux fût ſpectateur de la felicité du Prince de Sabée. Il le fit prendre par le deſeſpoir, qui l’emporta d’une maniere violente dans le lieu deſtiné pour l’union de ces Amans.

Cette ceremonie ſe devoit faire dans un Vallon agréable, bordé de côteaux verds & fleuris de chaque côté. Une grotte galante ajuſtée par tout ce qu’on peut imaginer de plus gracieux, enfin ornée par les mains de l’Amour, devoit ſervir de Chambre nuptiale.

On eut toute ſorte de divertiſſemens, & une Comedie qui repreſentoit l’Hiſtoire de Venus. Le ſoupé fut auſſi beau que celuy de nôces de Thetis : & s’il n’y eut pas de fatale pomme, on y vit un objet plus précieux, & qui devoit apporter autant de bien à l’univers que la pomme y cauſa de mal.

Comme on n’étoit occupé que du plaiſir de la bonne chere, on entendit un coup de tonnerre, on vit de brillans éclairs ; & les Cieux s’ouvrant ; il en deſcendit une petite Dame d’environ onze à douze ans, formée avec la derniere perſection. Elle étoit ſoûtenuë par une femme, dont la mine étoit douce & relevée. Cet objet étoit ſi plein de majeſté, qu’on n’en pouvoit preſque ſoûtenir l’éclat.

L’Amour en parut tout étonné ; il fut ſaiſi d’un ſi grand reſpect accompagné de tant de crainte, que dans un inſtant il ſe retira dans ſa grotte avec toute ſa ſuite.

Pourquoy cette prompte retraite, luy dit Lantine ? Je ne vois rien de plus agréable que cette petite Dame, & celle qui la ſoûtient, dites-moy qui ce peut-être.

C’eſt la Fille du Ciel, réprit l’Amour, que la vertu gouverne ; elle eſt donnée à la terre pour faire ſa felicité. Mais pourquoy la fuyez vous, répliqua Lantine ? qui a-t-il d’incompatible entre vous deux ? Je ſuis un enfant gâté, répartit-il, je ne ſuis pas en état de me montrer devant des regards ſi purs.

    Je fuiray toûjours ſa preſence ;
Déreglé, libertin, vivant en inſenſé,
    Perfide, injuſte, intereſſé,
    Cruel, & rempli d’inconſtance,
Puis-je de cet objet ſoûtenir l’excellence ?

    Elle, dont le cœur eſt formé
    Par la Pudeur, par la Nobleſſe,
    Dont l’eſprit eſt tout animé
Des divines leçons qu’inſpire la Sageſſe ?
La Prudence conduit ſes pas, ſes actions.
    Sans connoître les paſſions,
Elle a tout ce qu’il faut pour dompter leurs caprices.
    Haïſſant, deteſtant les vices,
Cheriſſant le merite, aimant les vertueux,
L’innocence des mœurs eſt ſon partage heureux.

C’eſt donc une Fille toute divine, s’écria la Princeſſe de l’Arabie heureuſe, & vous n’étes qu’un ſcelerat. C’eſt une grande merveille, que vous ne nous ayez pas conduits à nôtre perte Panpan & moy. Je vois bien qu’il y a un grand hazard aux choſes dont vous vous mêlez ; & quoyque je me trouve bien d’être legitimement au Prince de Sabée, il auroit mieux valu que cette affaire ſe fût faite ſans vôtre moyen.

Depuis que je vois cette Fille du Ciel, j’ay des lumieres qui ne s’étoient jamais preſentées à mon eſprit, & je ne conſeilleray jamais perſonne de ſe mettre ſous vôtre conduite.

Pour un heureux Amour ſous vôtre empire,
     On en voit mille malheureux ;
     On devroit abhorrer vos feux,
Ne les ſentir jamais, encore moins le dire,
Ils gâtent les eſprits, ils corrompent les mœurs :
On ne ſauroit ſentir de tranquilles bonheurs,
    Tant qu’on eſt chargé de vos chaînes.

Que l’on ſoit ſatisfait au gré de ſes deſirs,
    On trouvera que les plaiſirs
    Sont moins ſenſibles que les peines.