La Promenade du Cours (1653)


La Promenade du Cours, à Paris, en 1653.

1653



La Promenade du Cours, à Paris, en 16531.

Prince2, qui fustes jadis
Un des saincts du paradis
Du petit Dieu d’amourettes,
Merveille des beaux esprits,
Et dont le cœur fut espris
De mille flammes distrètes,

Escoutez donc ce discours
Concerté dedans le Cours
Et dans ces objets grotesques
Dont les jeunes favoris
Bannissent les vieux maris
À barbes pantalonesques3.

Or pour le moins, s’ils y sont,
Les pauvres viellards s’en vont
Dès les cinq heures sonnées ;
Le serein est dangereux
Et les rendroit catherreux
En l’hyver de leurs années.

Aussitost qu’ils sont partis,
Les galants sont advertis
Que les vieillards font retraite.
À l’approche des amis,
Les masques et les mimis4
Se donnent à la soubrette.

Lors, d’un pas doux et coulant
Les carrosses vont branlant
Portière contre portière5 ;
Et si le Cours est poudreux6,
Les larmes de l’amoureux
Raffermissent la poussière.

Là s’apprennent tous les maux
Des domestiques deffauts,
Par l’envie des coquettes,
Qu’une telle est du mestier,
Qu’un autre est banqueroutier,
Qu’un tel porte des cliquettes7.

Les braves à l’œil froncé
D’un air demy courroucé
Font flotter leurs grands panaches,
Aux portières s’avançant,
Et guignent tous les passants
Au travers de six moustaches8.

Le mariolet9 plus huppé
Fait monstre du point couppé,
N’osant dire ce qu’il pense,
Car il voit le fanfaron
Menacer de l’esperon
Au premier pas qu’il s’avance.

Les visages peinturés
Sont des amants adorés ;
La vieille fait la folastre,
Couverte d’huile de talq,
Et, se tenant à l’escart,
Montre un visage de plastre.

Les barbes des vieux Gaulois,
Malgré les sévères lois
De l’aage qui tout consomme,
Noircissent tous les matins,
Et sans faveur des destins
On voit rajeunir un homme.

Les mignons délicieux
Viennent faire les doux yeux
Aux desseins qui les attendent,
Et tient-on pour vérité
Que d’un ou d’autre costé
Messieurs ont ce qu’ils prétendent.

Le bourgeois passe riottant
Et promène en s’esbattant
Cinq enfants et deux nourrices
Qui ont plein leurs devanteaux
De craquelins, de gasteaux,
De guignons, de pain d’espice10.

La soubrette a son dessein
Et se fait gonfler le sein
Plus dure qu’un cuir de botte,
Et veut charmer de cela
Les yeux de son Quinola11,
Qui lui promet une cotte.

Les discrettes dans le Cours
Font les doux yeux sans discours,
Droites comme des pouppées,
Et leurs amants ajustés
Ressemblent, à leurs costés,
Marmots de pommeaux d’espées.

Les nobles de cent couleurs,
Estendus parmy les fleurs12,
Se paillardent sur la soye,
Laissant dans le désespoir
Le commis vestu de noir
Qui n’a que la petite oye.

Un farouche vient au trot
Et s’en va, sans dire mot,
Guetter le monde à la porte12 ;
Je crois que le plus souvent
Il n’y cherche que du vent,
Et c’est ce qu’il en remporte.

Quelques braves vont contant
Quel bruit font en s’escartant
Les grains mortels des grenades,
Si bien qu’un bourgeois peureux
Baisse la teste auprès d’eux
Comme au bruit des mousquetades.

L’on y void à certains jours,
Sans rideaux et sans velours,
Un vieil coche de la foire
Où l’on void fort librement
Qu’il a l’air assurément
D’un bordel ambulatoire14.

Il y vient certains censeurs
Blasmer le siècle et les mœurs,
Et le luxe des étoffes,
Qui font aller leurs chevaux
À pas gravement esgaux,
Pour marcher en philosophes.

Si bien que Fontainebleau
N’a point de si vif tableau,
Encore qu’il en abonde,
Et de guerres et d’amours,
Comme on en void dans le Cours
De la cabale du monde.

Mais quand le soleil, penchant
Sur les rives du couchant,
Replie ses tresses blondes,
Dont le vermeil nous reluit,
Et prend son bonnet de nuit
Pour dormir dessous les ondes,

Retirons-nous, il est tard ;
Allons prendre nostre part
Des biens que la terre nous donne,
Et cherchons en lieu secret
La bonté d’un vin clairet,
Car le jour nous abandonne.

Recevez bien ce récit,
Pardonnez si je n’ay dit
Tout ce qui se pouvoit dire :
Car j’ay craint qu’il n’arrivast
Que sa lecture ennuyast
Comme il m’ennuye à l’escrire.

Ce tableau laborieux
Est discret et curieux,
Et fait pourtant bien connoistre
Aux bons esprits que celuy
Qui blasme si bien autruy
Sçauroit bien louer son maistre.




1. Cette pièce se trouve dans le manuscrit 4725 du supplément françois, à la Bibliothèque Impériale, fol. 328 et suiv. Bien qu’elle ait été publiée deux fois dans ces deniers temps, d’abord par M. Édouard de Barthélemy dans le Bulletin du Bibliophile, mai 1860, p. 1184–1189, ensuite par M. Anatole de Montaiglon dans l’Annuaire général du département de la Seine pour l’année 1860, col. 810–813, nous n’hésitons pas à la donner ici. Elle est, en effet, le complément de celle que nous avons reproduite dans notre t. IX, p. 125-135, sous le même titre. C’est un tableau pareil, à vingt-trois ans de distance. La première pièce est de 1630, la seconde est de 1653. M. de Montaiglon pense qu’il est question, dans celle-ci, non pas du Cours de la porte Saint-Antoine, mais du Cours la Reine, tandis que M. Éd. de Barthélemy pense le contraire. C’est son avis que nous partageons.

Le Cours décrit ici est bien, suivant nous, celui de la porte Saint-Antoine, décrit déjà dans la pièce de 1630. S’il s’agissoit de l’autre, le Cours la Reine, il y seroit certainement parlé de la Seine, qui, par son voisinage, en étoit le principal ornement. Or, il n’en est pas dit un mot, tandis que dans une autre pièce, le Cours de la Reyne, ou le grand promenoir des Parisiens, Paris, 1649, in-4º, reproduite aussi par M. de Montaiglon dans l’Annuaire tout à l’heure cité, col. 802–810, on ne manque pas de faire valoir l’agrément que ce voisinage du fleuve donnoit à la promenade. D’autres détails, que nous indiquerons au passage, sont encore favorables à notre opinion.

2. Je ne sais à quel prince l’anonyme s’adresse ici. Peut-être est-ce Gaston ?

3. On sait que Pantalon étoit, ainsi que Cassandre, un des vieillards de la comédie italienne. On peut juger de sa barbe vénérable, mais peu vénérée, sur la figure que M. Maurice Sand a donnée de lui au t. II, pl. I, de ses Masques et Bouffons.

4. C’est le demi-masque, importé de la comédie italienne, ou pour mieux dire des mimes italiens, dans le monde, et nommé pour cela mimi. En 1632, il étoit à la mode déjà. Dans l’étrange tragi-comédie du sieur de Richemond, l’Espérance glorieuse, publiée cette année-là, nous lisons :

On la voit à l’église avec un tour de teste
Regarder si Phillane a pris garde à son teste,
Et dit, en souriant, à travers le mimy :
« Que j’aime ces beaux nez d’un empan et demy ! »

Plus tard, les mimis faillirent l’emporter sur les masques, et peu s’en fallut qu’il n’y eût querelle entre celles qui préféroient les uns et celles qui tenoient pour les autres : « Les mimis ont failli de se brouiller avec les masques, » lit-on dans les Jeux de l’Inconnu, Rouen, 1645, in-8º, p. 165. Le mimi s’appela ensuite un loup, « parce que d’abord, dit Furetière en son Dictionnaire, il faisoit peur aux petits enfants. » Il ne s’attachoit pas ; on le tenoit dans la bouche avec un bouton. C’est ce qu’on avoit appelé d’abord un touret de nez. V. l’Heptaméron, 1er janvier, 20e Nouvelle.

5. Ils alloient ainsi côte à côte, sur une longue file très serrée, ce qui porta malheur au musicien Chambonnière. « Il avoit, lit-on dans le Segraisiana, p. 79, un carrosse traîné par deux méchants chevaux, avec un page en effigie et rempli de foin, attaché sur le derrière. Étant au Cours avec ce carrosse, où les carrosses se suivent en marchant lentement, suivant la coutume, les chevaux du carrosse qui suivoient le sien, sentant le foin devant eux, se mirent à prendre le page par les jambes. Quelqu’un, qui s’en aperçut, cria au cocher : « Prenez garde à vos chevaux, ils mangent le page de monsieur. » Chambonnière logeoit dans ce quartier, et comme ces chevaux n’eussent pu faire le voyage du Cours-la-Reine, il ne les menoit qu’au Cours de la porte Saint-Antoine. C’est tout près, sur le rempart du Marais, aujourd’hui le boulevard Saint-Antoine, qu’il les envoyoit paître. « Je vous laisse à penser, dit Tallemant, en quel estat ils estoient. Des escorcheurs les prirent pour des chevaux condamnés, et, un beau matin, ils les écorchèrent tous les deux. » Historiettes, édit. P. Paris, t. VII, p. 387.

6. Il l’étoit en effet dans les jours de sécheresse autant que boueux dans les jours de pluie. Richelieu avoit eu l’intention de le faire paver, mais n’avoit pas, malheureusement, mis ce projet à exécution. Tallemant, édit. in-12, t. VI, p. 77.

7. Comme les ladres, forcés de cliqueter ainsi pour avertir qu’on ne les approchât pas. Les gens à cliquettes, en devenant plus nombreux, formèrent ce qu’on appelle encore une clique. Le mot quiquelique, qu’employoient les écoliers au moyen âge, avoit déjà un sens injurieux. Bataille des Sept arts, édit. Jubinal, p. 22 et suiv.

8. La moustache étoit la boucle de cheveux pendant sur les yeux et sur les joues.

9. C’étoit le nom donné depuis Henri IV aux jeunes beaux de Paris. Sully, Œconomies royalles, 1re édit., t. II, p. 107. Ce mot se prenoit aussi alors dans le sens d’entremetteur. C’étoit le mezzano italien. V. Guzman d’Alpharache, traduct. de Chapelain, 1re part., liv. I, ch. 8.

10. Les petits marchands de ces friandises ne manquoient pas sur le Cours ; mais, pour les avoir bonnes, il falloit s’en fournir rue Saint-Antoine, près Saint-Paul, chez Flechmer, l’illustre pâtissier qui, suivant Marigny en son poëme du Pain béni, avoit le monopole des pains bénits de la paroisse : « Le sieur Flechmer, lit-on dans le Livre commode des Adresses, fait un grand débit de fines brioches, que les dames prennent chez lui en allant au Cours de Vincennes. »

11. C’est le valet de cœur au reversis, et par suite en bien d’autres jeux : « La jeune Iris, » dit S. Pavin en des stances à Mlle de Sévigné, que M. Montmerqué publia le premier (Lettres de Mme de Sévigné, édit. Blaise, 1818, in-12, t. I, p. 195) :

La jeune Iris n’a de souci
Que pour le jeu de reversi ;
De son cœur il s’est rendu maître ;
À voir tout le plaisir qu’elle a
Quand elle tient un Quinola,
Heureux celui qui pourroit l’être !

12. C’est-à-dire dans le jardin voisin du Cours, dont parle plus longuement la pièce que celle-ci complète (V. t. IX, p. 126. V. aussi t. VII, p. 201-202, note). Ce détail, qui ne peut s’appliquer au Cours la Reine, suffiroit pour prouver qu’il s’agit ici de celui de la porte Saint-Antoine.

13. Porte Saint-Antoine.

14. C’est le nom qu’on donna plus tard aux fiacres, et qu’ils ont pour la plupart mérité de garder. « Ces carrosses, dit Leroux, font ordinairement beaucoup de bruit en roulant ; ils n’ont point de glaces ni devant ni aux portières… Les fiacres (cochers) qui mènent ces carrosses sont la plupart des maquereaux, qui connoissent tous les lieux de débauche de Paris… » Dict. comique, 1718, in-8º, p. 66.