La Prière du matin

La Prière du matin
La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 40-42).




LA PRIÈRE DU MATIN



Quand j’erre par la ville, imaginant en paix
Tous les Des buissons rougis d’azeroles,
Mon oreille à travers les murs les plus épais
Tous les Perçoit de hideuses paroles.

Tous les jours, en passant le long de cent maisons
Tous les Pareilles à toutes les autres,
J’entends, ô juste Dieu, j’entends les oraisons
Tous les Matinales des bons apôtres :

« Seigneur, fais qu’aujourd’hui je vole avec succès
Tous les « Mes voisins, les voleurs d’en face ;
« Contre eux qu’au tribunal je gagne mes procès,
Tous les « Quelque faux serment que je fasse.

« Permets-moi d’extirper d’une veuve aux abois
Tous les « Les deniers d’une usure infâme :
« J’en ai besoin, Seigneur, pour payer, tu le vois,
Tous les « Les derniers bijoux de ma femme.

« J’ai des ennemis. Qui n’en a pas ? Tu fus bien
Tous les « Vendu dans un baiser de larmes !
« Selon ton équité qu’un magistrat de bien
Tous les « Livre mes Judas aux gendarmes.

« Et mieux encor : s’il se peut faire sans danger,
Tous les « Loin d’une police chagrine,
« Tu sais qu’il suffirait. Seigneur, pour me venger,
Tous les « De quelques grammes de strychnine.

« Enfin, sur un beau corps, ni trop gras ni trop sec,
Tous les « Salace à toute turpitude,
« Doux Christ ! accorde-moi de forniquer avec
Tous les « Plus de plaisir que d’habitude.

« Mais surtout qu’à la Bourse, au cercle, aux boulevards
Tous les « Au théâtre, au billard, à table,
« On ne soupçonne rien de mes petits écarts :
Tous les « Moi, je suis un homme honorable !

« Donnant, donnant, veux-tu ? Pour prix de ces bienfaits,
Tous les « Où j’atteindrais bien seul, peut-être !
« À mon chevet, au jour de ma mort, je promets
Tous les « D’appeler en secret un prêtre. »

— Ainsi de chaque toit de l’énorme cité,
Tous les Comme une pestilence immonde
Monte au ciel, où sourit l’éternelle Bonté,
Tous les La prière de tout le monde.