La Pensée religieuse de Joseph de Maistre/02

Georges Goyau
La Pensée religieuse de Joseph de Maistre
Revue des Deux Mondes7e période, tome 2 (p. 585-624).
LA PENSÉE RELIGIEUSE
DE
JOSEPH DE MAISTRE
D’APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

II [1]
1792-1821

A la date du 22 septembre 1792, on lit au Journal de Maistre [2] :


Samedi, invasion des Français ; pluie horrible, fuite infâme de la troupe, trahison ou bêtise des généraux, déroute incroyable et même un peu mystérieuse, suivant quelques personnes. C’est la honte éternelle du gouvernement et peut-être l’anéantissement de l’état militaire.


Maistre émigre, puis rentre quelques semaines en Savoie. Il note, le 15 février 1793 : « Naissance du schisme, défense aux prêtres de confesser ; » et puis, le 16 : « Serment civique de dix-sept prêtres. » Suspect et menacé, il garde assez de liberté d’esprit pour achever, le 21, « la lecture de l’Homme nouveau par M. le Saint-Martin. » Et le 22, le Journal porte : « Je pars de Chambéry avec MM. les chanoines Bain et Chevalier. »

Dans la vie de Maistre, une nouvelle période s’inaugure ; elle s’ouvre sur des ruines. Détruit, l’établissement religieux qu’encadrait correctement l’Etat sarde, et qui représentait en face du philosophisme la révélation chrétienne. Détruites ou dispersées, ces sociétés d’illuminés qui se flattaient de dévoiler aux amateurs de mystères d’autres avances de la générosité divine. Maistre s’en allait avec deux chanoines, comme lui déracinés : ce cortège était un symbole.

Sur ces mêmes routes où il commençait de vagabonder, et dont Aoste, Genève, Lausanne, allaient être les étapes, flottaient, en quête d’un abri, les épaves de deux Eglises : épaves de l’Eglise de France, qui, naguère réfugiées en Savoie, s’effaçaient devant les armées révolutionnaires ; épaves de l’Eglise de Savoie, qui préféraient l’exil à la nécessité de prêter serment. Du seul « diocèse de Genève, » dont Annecy était le centre, six cent trente-deux prêtres émigraient en Piémont [3]. Et sous les regards de Maistre ambulant, deux Eglises sans terre promenaient elles-mêmes leur virile détresse.


I. — LE SÉJOUR DE LAUSANNE : UN APPRENTISSAGE POUR L’AVOCAT DE LA PAPAUTÉ, UNE « ILLUMINATION » POUR L’AVOCAT DE LA PROVIDENCE

Lausanne fixa Maistre, pour un temps. Sa plume s’acérait, pour lancer au delà des Alpes les Lettres savoisiennes. Discrètement, il organisait un service de renseignements sur les faits et gestes des révolutionnaires en Savoie, puis entrait en relations avec les insurgés lyonnais. Les agents de la Révolution le surveillaient, et l’un d’eux, Venet, dans une railleuse dépêche, montrait Maistre « faisant gravement subir des inter- rogatoires, dans sa salle d’audience qui est en même temps la cuisine, » aux émigrés qui sollicitaient des passeports pour le Piémont [4]. Nombreux étaient les prêtres qui savaient le chemin de cette « cuisine : » ils trouvaient, auprès de Maistre, des secrétaires-prêtres, Noirot, Saunier. Les uns apportaient des nouvelles, d’autres demandaient des secours, d’autres venaient causer. La vie douloureuse de Maistre se mêlait désormais, quotidiennement, à la vie douloureuse de l’Église. « Il se charge de faire des collectes pour les prêtres déportés, » écrivait Venet.

On a calculé que, de 1794 à 1797, parmi les 1 212 émigrés blottis à Lausanne, il y avait 128 prêtres, dont 67 venaient de France et 61 de Savoie [5] : trois d’entre eux, Thiollaz, Besson, Bigex, devaient plus tard porter la mitre. Pour la première fois depuis la Réforme, la messe se célébrait au grand jour, dans l’oratoire de la baronne d’Holca : la Révolution française, là-bas, réintégrait le catholicisme. Dans ce terroir calviniste, Maistre était comme environné d’une vaste colonie sacerdotale que le malheur même des temps rendait fervente. L’abbé de Thiollaz y jouait le rôle d’un éveilleur d’âmes : il organisait des retraites pour « évangéliser les nobles victimes de l’honneur qui avaient préféré la terre étrangère à la trahison. » Vainement, Albitte, le proconsul révolutionnaire, se flattait-il de déchristianiser la Savoie : Thiollaz faisait école de missionnaires qui s’en iraient furtivement, en terre savoyarde, confesser, prêcher, trancher les cas de conscience créés par les lois de la Convention, immoler Dieu et peut-être s’immoler. Maistre admirait cette campagne de zèle : « Depuis quinze siècles, écrivait-il, on ne demandait que la sainteté à cette classe d’hommes ; aujourd’hui, l’héroïsme qui fait braver la mort est encore leur apanage, comme au siècle de Dèce et de Dioclétien. » [6] L’Église savoyarde, qui n’avait plus d’autre force que ses vertus mêmes de prosélytisme, semblait plus riche de sève, plus allègre en son élan, qu’au temps où pesait sur elle la protectrice hégémonie de la dynastie et du Sénat. Et ce spectacle attachait Maistre à l’âme apostolique de Thiollaz.

Au surplus, leurs intelligences devaient se comprendre. Un jour que Vuarin, futur curé de Genève, demandait si l’Église ne devrait pas suivre, à l’égard de la Révolution, la même politique que jadis à l’égard des Barbares, Thiollaz ripostait : « Il y a une nature et tôt ou tard elle revient à son but... Il y a des lois invariables qui règlent le sort des sociétés... Je n’ai pas le plus léger doute sur le terme de la Révolution, sur la réintégration de ce que les ignorants présomptueux de la fin de ce siècle ont regardé comme des préjugés et des erreurs [7]. »

Ces lignes, qui sont du 27 août 1793, pourraient être signées Maistre. Or ce prêtre, dans une heure tragique, avait proclamé, au nom du chapitre d’Annecy, que le Christ lui-même avait institué la hiérarchie, et que le Pape avait, de droit divin, une primauté de juridiction [8] : Maistre savait que ce confesseur de ce qu’on appelait alors l’ultramontanisme avait failli en devenir le martyr. Dans son contact avec Thiollaz, Maistre apprit à connaître cette Rome dont plus tard il écrira dans son Journal : « Il faut faire un livre sur Rome ou n’en pas parler [9]. » L’élève bientôt dépassera le maître : lorsque Thiollaz, en 1796, rédigera l’acte de rétractation qui devait être signé par l’évêque constitutionnel Panisset, Maistre trouvera que « ce n’est pas assez fort, » et libellera la formule en termes plus durs [10] ; et lorsque en 1820 s’imprimera le livre du Pape, un lecteur surgira, pour « attribuer aux conciles le pouvoir de déclarer le Pape hérétique, s’il y échoit, » et cette proposition, sur laquelle Maistre aura « de grands doutes, » [11] sera signée Thiollaz.

Lausanne fut une école, non seulement pour le futur avocat de la Papauté, mais pour l’apologiste de la Providence. Car au début de son séjour, dans les Lettres Savoisiennes, il ne considérait encore la Révolution que comme une sorte de conjuration politique et ne visait qu’à soustraire au « tintamarre révolutionnaire » le « ci-devant bon sens » des Savoyards. Mais cinq ans plus tard il brûlera le manuscrit de ces Lettres, en notant, dans son Journal, qu’il les a « prises en aversion comme le fruit de l’ignorance, » et qu’au moment où il les avait écrites, il n’avait pas « la moindre illumination sur la révolution française ou, pour mieux dire, européenne [12]. »

L’ « illumination, » — pour reprendre le mot de Maistre, — s’accomplit à Lausanne, dans l’été de 1794. La marquise de Costa venait de perdre son fils. Maistre adressait à cette mère un Discours de consolation, dont beaucoup d’exemplaires, — le Journal nous en est témoin, — furent distribués à ses amis et aux libraires ; et dans ce discours on lisait que la Révolution « n’était pas un événement, mais une époque, et que « mille fois heureux étaient les hommes qui n’étaient appelés à contempler que dans l’histoire les grandes révolutions. »

Maistre, destiné à vivre parmi les convulsions, se refusait à récriminer contre « l’Être très-bon et très-grand... Tous les maux dont nous sommes les témoins et les victimes, déclarait-il, ne peuvent être que des actes de justice, ou des moyens de régénération également nécessaires. N’est-ce pas Lui qui a dit, par la bouche d’un de ses envoyés : je vous aime d’un amour éternel ? Cette parole doit nous servir de solution générale pour toutes les énigmes qui pourraient scandaliser notre ignorance. Attachés à un point de l’espace et du temps, nous avons la manie de rapporter tout à ce point ; nous sommes tout à la fois ridicules et coupables [13]. »

Ces deux textes décisifs, qui pourraient servir d’exergue aux prochaines Considérations sur la France et aux lointaines Soirées de Saint-Pétersbourg, témoignent que Maistre, dès 1794, insérait la Révolution française dans le plan divin, et qu’il adhérait à toutes les rigueurs de ce plan, comme à tous ses mystères. Saint-Martin, en 1795, dans sa Lettre à un ami, dira de la Révolution qu’elle est « un événement surnaturel et universel ; » et Adolphe Franck, de s’écrier plus tard : Voilà où Maistre a puisé la doctrine de ses Considérations ! Mais cette doctrine, elle pointait déjà dans le Discours à Madame de Costa. Et le manuscrit de Maistre : Etude sur la souveraineté, qui remonte aussi à 1794, précède de trois ans l’Eclair sur l’association humaine, où Saint-Martin expliquera que la souveraineté des peuples est leur impuissance, et qu’elle consiste à laisser faire la Providence. Le penseur catholique et l’illuminé philosophe n’avaient point à se faire l’un à l’autre des emprunts : une certaine atmosphère commune continuait de les imprégner, à travers laquelle ils observaient ciel et terre, et la communauté du prisme amenait l’analogie des conclusions.

Une époque donc commençait : c’est en plongeant son regard dans les conseils de l’Éternel que Maistre interprétait les cinq dernières années vécues par l’humanité. Elles n’étaient pas un accident ; elles étaient un prologue, une préparation, le sanguinaire avènement de quelque chose d’inconnu, de lointain. À l’arrière-plan de l’attentat commis par l’Homme révolutionnaire contre Dieu son souverain, Maistre pressentait des fins providentielles, inconnues de cet Homme, et pour lesquelles, sans le vouloir, cet Homme travaillait ; et le caractère « satanique » de la Révolution n’en excluait nullement la prédestination divine, puisque Dieu, pour une échéance incertaine, faisait de Satan, — de Satan vaincu d’avance, — son involontaire collaborateur. Il est libre, ce Satan, et l’Homme aussi est libre ; et cependant le Dieu de Maistre demeure le Tout-Puissant, et connaît et concerte les fins suprêmes que réalisera, sans le savoir, l’humaine folie. Maistre, dès 1793, avait écrit à Mme de Costa : « La sottise et la scélératesse humaines sont deux immenses aveugles dont Madame la Providence se sert pour arriver à ses fins, comme l’artiste se sert d’un outil pour exécuter ses ouvrages. La lime sait-elle qu’elle fait une clef[14] ? »

Dans les Considérations, qui se seraient intitulées, si l’éditeur n’eût pas « craint de scandaliser le xviiie siècle[15], » Considérations religieuses sur la France, Maistre diagnostiquera : « Si la Providence efface, c’est sans doute pour écrire. » Bossuet, lui, avait lu dans le passé, pour montrer la Providence « effaçant » les Empires, et puis écrivant ; et cette écriture, c’était l’Evangile s’inscrivant dans les âmes des gentils, et le monogramme du Christ se dessinant sur les drapeaux de Constantin. Maistre osera davantage : après ce « délire indéfinissable et surnaturel qui s’était emparé de l’Assemblée à l’époque du jugement de Louis XVI, » il entreprendra, lui, dans les Considérations, puis dans sa Correspondance, si fourmillante d’idées, si prodigieuse de vie, une sorte d’histoire contemporaine de la Providence, une histoire qui dira, comment les efforts des hommes « pour atteindre un objet, » — en l’espèce, « la destruction du christianisme et de la monarchie, » — sont précisément « les moyens » qu’emploie Dieu a pour les en éloigner [16]. »

De journée en journée, Maistre avait vu la Providence punir tous les révolutionnaires « comme un tribunal humain, en faisant tomber les grands coupables sous les coups de leurs complices ; » il l’avait vue, par leur bras criminel, châtier un sacerdoce qui avait « besoin. d’être régénéré, » et châtier « la dégradation morale de la noblesse. » « Il est doux, disait-il, au milieu du renversement général, de pressentir les plans de la Divinité [17], » Et durant le quart de siècle qui lui restait à vivre, cette douceur allait atténuer les amertumes de sa vie.


II. — LA PRATIQUE RELIGIEUSE DE MAISTRE ÉMIGRÉ

Mais ces amertumes trouvaient un autre apaisement dans sa pratique religieuse. Ceux-là mêmes qui se refuseraient à sentir que les pages des Soirées sur la prière émanent d’une âme qui priait, doivent désormais s’incliner devant le Journal inédit.

« J’apprends que mon fils est arrivé sain et sauf à Genève, y lisons-nous à la date du 9 mai 1793 : j’en rends de vives et humbles actions de gracies à Dieu. » A certaines étapes de ses déplacements, — 13 juillet 1794, 17 mai 1798, 1er janvier 1799, — Maistre note les endroits où il entendit la messe. La première confession de son fils (12 février 1797), la première communion de sa fille et de son fils (21 décembre 1798, 25 mars 1801), sont mentionnées. De temps à autre, dans les pages consacrées au séjour en Russie, de mystérieuses petites croix s’ajoutent à la mention de certaines fêtes : elles commémorent vraisemblablement des communions. Xavier de Maistre, à son arrivée à Pétersbourg, fut tellement prêché et pressé par Joseph, qu’il finit par grouper sur une grande feuille de papier, « en têtes de colonnes, » comme il disait, ses péchés fondamentaux et par s’en aller à confesse, après de longues années de négligence [18].

Sur la première et la dernière Pâques que célébra Maistre en Russie, nous avons deux textes curieux. En 1804, il note :

Pâques dans ce pays : j’ai communié de la main du général des Jésuites. Qui m’eût prédit cela il y a vingt ans m’aurait un peu surpris.

En 1816, le voilà mis en demeure de choisir, pour le matin de Pâques, entre Sa Majesté Dieu, dont sa conscience avait préparé l’audience, et Sa Majesté le Tsar, qui l’appelait à une revue. Allait-il, pour le Tsar, remettre un rendez-vous avec Dieu ? Voici dans quels termes Maistre fit connaître son option : « Le ministre de Sardaigne, qui ne pouvait prévoir l’honneur qui lui est annoncé par le billet de Son Excellence M. le grand-maître des cérémonies, écrit aujourd’hui, se trouve avoir tout disposé pour remplir demain (jour de Pâques) des devoirs qui ne sauraient s’accorder avec le plus grand plaisir dont il puisse jouir dans cette capitale, — celui de voir Sa Majesté Impériale à la tête de ses braves, fidèles et brillantes troupes. Il prie donc Son Excellence M. le grand-maître des cérémonies de vouloir bien se charger de ses excuses, et il attend de la religieuse bonté de Sa Majesté Impériale qu’elle daignera les agréer [19]. »

Ainsi s’encadre entre deux témoignages de dévotion pascale le séjour de Maistre à la Cour de Russie. Il était le contemporain de cette religiosité romantique dont nous avons dans l’Allemagne de Mme de Staël une description si vivante, et qui, plus éprise de sons que de vérités, croyait, en s’abandonnant au vague bercement des musiques d’Eglise, rendre hommage au divin ; la piété de Maistre, esprit assez indépendant pour oser confesser que la musique l’ « assassinait [20], » ne pouvait avoir rien de commun avec cette religiosité-là. Elle était, en son principe, l’hommage lige d’une pensée, l’adhésion féale d’une conscience : c’est en chevalier que cet homme s’agenouillait. Mme Swetchine a écrit de lui : « La foi était tellement devenue la propre nature de son esprit, que hors d’elle il ne pouvait consciencieusement admettre qu’ignorance, limites étroites, mauvais vouloir ou mystérieux châtiment. L’idée en lui réglait tout, et soumettait son cœur plus honnête et plus droit que naturellement pieux [21]. »

Une intelligence et une volonté fermement attachées au service personnel de Dieu ; et puis, à l’arrière-plan, un cœur ardent, mais rigidement discipliné ; spontané, mais se défiant de ses élans ; également prompt à s’épanouir et à se surveiller ; un cœur qui, lorsqu‘il songe aux siens, ne se gonfle de tendresse que pour la mortifier : un cœur qui lorsqu’il monte vers Dieu se laisse trop tenir en respect par la vision de l’incommensurable distance, pour s’abandonner pleinement à la mystique jouissance du contact divin : tel nous apparaît Maistre devant la table eucharistique. Il s’y présente pour « remplir des devoirs. » Nul pharisaïsme, d’ailleurs, dans cette inféodation de tout son être : l’étiquette une fois observée, sa conscience ne se croit pas quitte, et la voici qui se met à nu, dans une lettre au jésuite Rosaven, comme une conscience de publicain : « Je ne vois jamais mourir nos véritables prêtres sans être tenté de désespérer de la canaille mondaine, et quorum pars magna fui. Ainsi, mon Révérend Père, je me recommande fortement à vos bonnes prières, pour cette bienheureuse fin [22]. »

Nulle aridité, non plus, dans cette religion : croyons-en Xavier, écrivant en 1810 : « Rien ne détourne jamais mon frère de ses habitudes religieuses, non plus que de ses heures de travail. Cela va comme un chronomètre le plus parfait. Cet ordre et cette règle paraîtraient devoir entraîner de la sécheresse. Mais non, son cœur et son esprit ont toute leur fraîcheur [23]. » Constance fait écho, lorsque, après la mort de son père, elle écrit à Guy de Place : « Tout ce qui était beau, noble, naturel, religieux, l’attendrissait et l’exaltait ; il y avait tels psaumes, tels chapitres de l’Evangile, qu’il ne pouvait lire sans pleurer d’admiration [24]. »

Devant un tel faisceau de témoignages, pourrait-on ne voir en Maistre qu’un gentilhomme policé, qui multiplie devant Dieu les révérences de civilité, et qui veut, par système politique, les imposer aux peuples ? Le portrait d’une âme devient une offense, lorsqu’il se transforme en caricature.


III. — UN QUESTIONNAIRE AUX CONFESSIONS CHRÉTIENNES SUR LA RÉVOLUTION : LES RÉFLEXIONS SUR LE PROTESTANTISME

A Genève, puis à Lausanne, Maistre avait eu l’occasion d’observer le protestantisme et de méditer, mais les événements du jour l’obsédaient ; en étudiant la Réforme, c’est à la Révolution qu’il songeait. Le 18 septembre 1797, il notait dans son Journal :


Il s’est fait en moi un changement extraordinaire : d’anciens goûts se fortifient, des idées vagues prennent de l’assise, des conjectures se tournent en certitudes. Aujourd’hui 18 septembre, je commence un ouvrage dont je ne connais pas encore le titre. Il me semble que je commence à entrevoir ma vocation.


Nous avons eu sous les yeux un attachant témoignage de cette vocation : c’est le volume : Religion E, dont les 810 pages manuscrites s’intitulent : Fragments sur la religion, ou recueil d’extraits et de réflexions relatives à un ouvrage projeté, où le système catholique serait envisagé sous un point de vue nouveau. 1798-18... » Maistre caressait donc dès 1798 l’idée d’une œuvre d’apologétique dont le « point de vue » serait « nouveau. » C’était le moment où nos armées contraignaient Charles-Emmanuel à l’abdication ; c’était l’heure de crise dont Maistre écrira : « Dans le vrai, je suis mort en 1798, les funérailles seules sont retardées [25]. » Mais non, il n’était pas mort ; l’activité de sa pensée religieuse lui devenait garante d’une Vita nuova.

Les pages commencées en septembre 1797 furent probablement ces Réflexions sur le protestantisme dans son rapport avec la souveraineté, qui portent la date : « Turin, 1798. » Maistre interpellait sur le chaos révolutionnaire les deux confessions chrétiennes. Or il lui semblait que Rome répondait : La révolte n’est jamais permise, et que la nature même du catholicisme le rendait « l’ami, le conservateur, le défenseur le plus ardent, de tous les gouvernements. » Mais tout au contraire, il considérait que la Réforme, « née rebelle, était l’ennemie mortelle de toute espèce de souveraineté, » qu’elle cousinait avec le jacobinisme, et qu’elle n’était que « le sans-culottisme de la religion [26]. »

M. Ernest Seillière définit la philosophie politique de Maistre « un mysticisme aristocratico-monarchique [27], « et cette définition répond bien à la doctrine qu’esquissait dès 1794 l’Étude sur la souveraineté : puisque la souveraineté politique, comme la souveraineté ecclésiastique, est un fait d’origine religieuse et d’ordre religieux, un système logique s’édifiait dans la pensée de Maistre, d’après lequel l’une et l’autre devaient trouver les mêmes défenseurs et redouter les mêmes détracteurs ; et plus tard il pronostiquera que si les princes du XVIe siècle avaient « établi le protestantisme pour voler l’Eglise, » on verrait ceux du XIXe rétablir l’Église pour u raffermir leurs trônes, mis en l’air par les principes protestants, » et que la conversion des protestants commencerait par les princes [28].

Imaginez un diptyque : d’une part, un pape, dressant devant les trônes sa silhouette protectrice ; d’autre part, derrière Luther et Calvin qui prêchent, des trônes effondrés, des couronnes gisantes. Maistre s’éprend de ce parallèle, il s’y complaira toujours. Eh bien oui ! proclame depuis cent ans une certaine apologétique protestante, la Réforme fut effectivement la mère légitime des libertés modernes. Et cette apologétique cite Théodore de Bèze, et Jurieu, et les Genevois du XVIIIe siècle ; elle arbore le pavillon du Mayflower portant jusqu’en Amérique des âmes dites rebelles parce que libres ; et puis, acceptant ainsi comme un honneur ce que Maistre alléguait comme une flétrissure, elle se retourne contre le catholicisme pour dénoncer en lui l’auxiliaire systématique des tyrannies.

Mais voilà retentir, en plein XIIIe siècle catholique, dans un livre qui n’est rien de moins que la Somme, la voix de saint Thomas d’Aquin, proclamant tyrannique, le gouvernement qui sert les intérêts du chef au détriment de la nation, et déclarant que renverser un tel gouvernement n’est pas une sédition, à moins que de cette révolution faite à contretemps ou mal conduite il ne résulte plus de mal que de bien pour la nation. Le Jésuite Suarez, au début du XVIIe siècle, autorise la nation à déposer et à chasser, « sur l’avis conforme des cités et des grands, » le Roi légitime qui gouverne tyranniquement : car le droit naturel, explique-t-il, permet de repousser la violence par la violence ; et puis le cas de résistance légitime, indispensable au salut de la société, est toujours inclus dans le contrat par lequel la nation a transféré son pouvoir au Roi [29].

Or en face de ce Jésuite un théologien se dressa, pour représenter dans sa plus abrupte rigueur la doctrine de l’absolutisme royal : c’était un fils spirituel de la Réforme, le roi d’Angleterre Jacques Ier. Et l’on se tromperait en prêtant à tout le protestantisme français du XVIIe siècle les doctrines d’un Jurieu sur la souveraineté du peuple : ce serait oublier les déclarations théologiques sur le droit divin des rois, faites en 1659 au synode national de Loudun, et le Traité du pouvoir absolu des souverains, que publiait, l’année même de la Révocation de l’édit de Nantes, le pasteur Merlat [30].

Au demeurant, par une construction de l’esprit, analogue à celle que sous nos regards Maistre édifie, on pourrait soutenir, au rebours de Maistre, que les réformateurs du XVIe siècle, ayant trop souvent favorisé la dictature des princes sur leurs Églises, laissèrent ainsi s’éclipser la distinction même entre César et Dieu, apportée dans le monde par le christianisme, et que sur les ruines de cette distinction devaient nécessairement s’épanouir des absolutismes religieux tels que celui de la vieille cité genevoise, des absolutismes politiques tels que celui des Hohenzollern. Et dans ces conclusions, comme dans celles de Maistre, il y aurait une part de vérité, mais rien qu’une part. Car les exactes nuances de l’histoire ne s’asservissent pas forcément aux conclusions du raisonnement ; elle ne serait pas ondoyante et diverse, comme l’homme lui-même, si le jeu des libres volontés y était passivement gouverné par le jeu de la dialectique, tel le corollaire qu’un théorème commande.

Maistre cite parfois Suarez et souvent Bellarmin [31] ; mais par son insistance à présenter le catholicisme comme le champion systématique de la souveraineté politique, il s’apparente sans le vouloir aux théologiens gallicans qui soutinrent le droit divin des rois. Une familiarité plus intime avec l’institution de la Papauté l’amènera, dans le livre du Pape, à glorifier la Papauté du moyen âge comme faisant équilibre aux souverainetés temporelles et leur servant de « frein [32] ; » il aimera marquer les limites imposées à l’absolutisme humain par ce vicariat de l’absolutisme divin. Mais tout en même temps il continuera de vouloir arc-bouter contre l’édifice séculaire de l’Eglise la fragilité branlante des trônes : « Il faut que la religion refasse la monarchie, écrira-t-il à Bonald, et c’est ce qui arrivera, malgré toutes les apparences contraires [33]. » Passer outre aux « apparences contraires, » ce sera, d’un bout à l’autre du XIXe siècle, l’erreur des ultras.

Un jour Léon XIII constatera que par leur prolongation, par leur constante récidive, ces « apparences contraires » ont pris l’éclat d’évidences ; et l’archaïsme politique qui voulait lier la religion et la « légitimité » sera définitivement disgracié. Mais la pensée de Maistre avait une telle richesse de nuances, une telle ampleur d’horizons, que ces ultras mêmes qui le citaient comme leur père intellectuel eussent pu prévoir, en le lisant, l’échec de leurs illusions. N’avait-il pas écrit en 1809 : « Tous nos projets nous échappent comme des songes... J’ai conservé, tant que j’ai pu, l’espoir que les fidèles seraient appelés à rebâtir l’édifice, mais il me semble que de nouveaux ouvriers s’avancent dans la profonde obscurité de l’avenir, et que S. M. la Providence dit : Ecce nova facto omnia [34]. » Et si Dieu se montrait plus novateur que Maistre, comment Maistre, à l’avance, n’eût-il pas été soumis ?


IV. — COMMENT PIE VII RÉVOLTA MAISTRE ET COMMENT LES JÉSUITES L’APAISÈRENT

Maistre, en 1804, eut une atroce secousse. On annonçait que Pie VII allait sacrer Napoléon ; on concluait que religion et légitimité divorçaient ; l’Eglise, protectrice des souverainetés, allait couronner celui qui les bousculait toutes. Une lettre latine, partie de Pétersbourg avec l’approbation du Tsar, représentait au Pape que sa résistance aux avances de Bonaparte serait avantageuse, en Russie, à l’Église catholique : elle était signée, nous dit Maistre, de « l’homme du monde catholique qui était le plus dévoué au Pape par son serment, » — apparemment le Père Gruber, général des Jésuites. L’auteur de cette épitre n’en reçut aucunes nouvelles et ne sut que plus tard qu’elle n’était point parvenue à destination [35]. Cependant les échos de Rome, ceux de Paris soulevaient dans l’âme de Maistre des colères que certainement il croyait saintes. « Je souhaite au Pape de tout mon cœur la mort, de la même manière et par la même raison que je la souhaiterais aujourd’hui à mon père, s’il devait se déshonorer demain. » Les « forfaits d’un Alexandre VI » lui paraissaient « moins révoltants que cette hideuse apostasie de son faible successeur. » Il parlait de l’ « ivresse » du Pape ; et « de tout son cœur » il eût voulu, — c’est au roi de Sardaigne qu’il l’écrivait, — « que le malheureux pontife s’en allât à Saint-Domingue pour sacrer Dessalines, et qu’il « se dégradât jusqu’à n’être plus qu’un polichinelle sans conséquence [36]. »

Mais dans une lettre de 1806 les sévérités s’atténuaient ; et lorsque en 1808 résonnait partout cette grande phrase : « Le Pape fera tout ce que Bonaparte voudra, » Maistre déclarait « penser bien autrement, » et croire le Pape « inébranlable. » Le détracteur de Pie VII était devenu son avocat ; l’avocat, en 1809, devint un admirateur, qui célébrait « l’intrépide conduite » du pontife. Quelle audace avaient eue les Anglais, de traiter Pie VII de marionnette ! Maistre protestait, oubliant son propre mot de polichinelle. Quant au sacre, il ne cachait plus désormais qu’à cet égard même il commençait d’excuser Pie VII comme le faisaient « les janissaires du Saint-Père [37]. »

Ces « janissaires, » c’étaient les Jésuites, maîtres de son adolescence, amis de son exil. « Eux seuls, avait-il écrit dès 1794, auraient pu empêcher la Révolution. » Et les voyant survivre à la ruine de leur ordre et fournir vingt et une victimes aux massacres de septembre, il les avait comparés à « ces animaux vivaces dont les membres, divisés par le couteau du physiologiste, semblent se partager la vie qu’ils possédaient en commun, et présentent encore à l’œil étonné les phénomènes de la nature vivante [38]. »

Or voilà qu’il retrouvait les Jésuites, et qu’il les retrouvait associés, dans le seul point du monde où grâce à Catherine II et à Paul Ier ils eussent pu survivre comme membres d’un corps organisé : la Russie. Et ceux-ci « faisaient pour lui l’impossible, » lui prodiguaient toute « politesse imaginable, » et souvent il prenait « le caffé » avec leur général [39]. »

« Mon grand-père les aimait, mon père les aimait, ma sublime mère les aimait, je les aime, mon fils les aime, son fils les aimera, si le Roi lui permet d’en avoir un. » Ainsi Maistre parlait-il des Jésuites à son beau-frère Saint-Réal, qui, lui, ne les aimait pas [40]. « Sans cette dame qui est là à côté de moi, dira-t-il plaisamment en 1818 à l’abbé Vuarin, je me ferais Jésuite, mais elle ne veut pas se faire religieuse [41]. » Une autre fois, se rappelant apparemment ses complaisances de jeunesse pour la pensée de Rousseau, il écrivait : « Je dois aux Jésuites de n’avoir point été un orateur de l’Assemblée constituante [42]. » Et dans l’Essai sur le principe générateur, qui est de 1809, Maistre rêvait d’une statue de saint Ignace, dressée « dans quelque ville opulente assise sur une antique savane, » et libellait l’inscription du piédestal : A l’Osiris chrétien [43].

Pouvait-il mieux témoigner à ces Jésuites sa déférence intellectuelle, qu’en adhérant finalement à toutes les nuances de leur jugement sur le sacre de 1804, sur ce geste papal qui avait offusqué, à vif, toutes les susceptibilités de Maistre, comme si tout un pan de sa doctrine politique s’était senti sapé ?


V. — MAISTRE EN CHASSE DE DOCUMENTS : L’APPEL INÉDIT DE 1805 AU CHEVALIER DE H...

Au demeurant, même en ses heures de grande colère contre le Pape, Maistre n’avait nullement abdiqué ses desseins d’apologiste. Le volume : Religion E, en 1805, nous le montre, préoccupé de battre les protestants avec leurs propres armes, c’est-à-dire avec des citations de leurs auteurs. Nous y trouvons un Mémoire que le 7 décembre 1805 Maistre remit à « M. le chevalier de H... » en vue de ce travail. Il sollicitait l’aide d’un catholique allemand, pour obtenir des citations de textes allemands ; il voulait des originaux « fidèlement transcrits, » et que le titre de l’ouvrage, le format, le chapitre et la page fussent cités avec une « exactitude superstitieuse ; » et ces exigences dénotent, chez l’auteur du Pape, une sévère méthode [44]. Il lui fallait, d’abord, des textes protestants favorables au catholicisme, et puis des textes « montrant l’embarras où se trouvent les Églises protestantes, faute d’avoir un point fixe. » Une autre série de citations devait avoir trait aux conséquences du protestantisme. Que devenait, en pays de Réforme, l’éducation ? Maistre réclamait des détails sur l’état de la moralité dans les universités ; et certains passages de ses écrits sur la Russie attestent qu’il les obtint [45]. Que devenait, en pays de Réforme, l’unité de la société civile ? Maistre ici, construisant une théorie, demandait des preuves empiriques :


L’effort inévitable du système protestant est de faire diverger l’opinion, et par conséquent de s’opposer à l’unité nationale, même dans les lettres et la philosophie. Dans un pays livré à ce système, on dira le pour et le contre sur des objets qui réunissent ailleurs les opinions. Les principes seront dans une fluctuation sensible ; un auteur, porté aux nues il y a vingt ans, aujourd’hui sera oublié, etc., etc. Si l’effet existe on doit s’en apercevoir, et si l’on s’en aperçoit on doit s’en plaindre. Il faudrait voir sur les lieux mêmes si cette mine mérite d’être creusée.


Et Maistre, enfin, voulait faire interpeller, sur les bords de la Sprée, philosophes et théologiens.


Les philosophes de l’Allemagne protestante ayant ouvertement attaqué le christianisme dans ces derniers temps, on désirerait dans ce genre une collection des traits les plus frappants. On désirerait surtout mettre dans tout son jour la secte de Kant et n’avoir à citer que les écrivains les plus marquants.

Mais les théologiens protestants sont bien autrement importants que les philosophes. On peut dire de ceux-ci qu’ils ont suivi l’impulsion générale de leur siècle, et que ceux de France ou d’Angleterre ont tout aussi mal fait. Il n’en est pas de même des théologiens dont les erreurs sont une suite naturelle et prédite du système protestant. Il faut donc montrer la corruption de la théologie protestante devenue tout à fait socinienne et déiste. Il faut signaler ces exégèses allemandes qui font disparaître entièrement l’inspiration des Livres saints et mesurent tout au compas écrit de la raison humaine. Un théologien allemand a fait un livre intitulé : Mythologie hébraïque de l’Ancien et du Nouveau Testament, comparée à celle des autres peuples. C’est un étrange livre de la part d’un théologien, et peut-être il fournirait quelques lignes brillantes. On recommande par-dessus tout Herder, et parmi ses ouvrages les Lettres orientales.


Le regard inquisiteur que, dans cette lettre, Maistre jetait sur la pensée germanique, ne devait plus s’en détacher. Il y avait un coin d’Allemagne vers lequel s’envolait volontiers son imagination curieuse : c’était cette bibliothèque de Hanovre qui conservait, — Maistre le savait depuis 1796, — un manuscrit de Leibnitz, où s’exprimait l’adhésion du philosophe à la notion catholique de l’Eucharistie. Maistre, en 1810, essayait, vainement d’ailleurs, de se le faire communiquer, et se berçait de l’espoir que ces pages du « plus grand des protestants » rapprocheraient peut-être du catholicisme l’orthodoxie luthérienne [46].


VI. — L’ÉVOLUTION DES JUGEMENTS DE MAISTRE AU SUJET DE L’ILLUMINISME

L’influence des Jésuites et sa familiarité croissante avec les courants intellectuels de l’Allemagne modifièrent les jugements de Maistre sur l’illuminisme. Lorsqu’étaient parus les Mémoires de l’ancien Jésuite Barruel pour servir à L’histoire du Jacobinisme, Maistre, à Cagliari, les avait lus : un manuscrit de six grandes pages, très denses, nous le montre, en 1801, courbé sur ce livre, en copiant certaines phrases qui lui déplaisent, et débridant sa mauvaise humeur. Barruel insinuant que les maçons avaient raison de se réclamer des Templiers puisqu’ils étaient « leurs pareils par l’impiété, leurs pareils par les complots, » Maistre évoquait le souvenir de tant de maçons « exilés et ruinés pour le Roi ». Barruel accusant le « maçon martiniste » de « copier Manès et les Albigeois, » Maistre commentait :


Jamais un homme d’esprit n’a rien écrit de plus sot : tout ce que l’auteur dit de M. de Saint-Martin est si faux, si calomnieux, qu’on a droit d’en être étonné. Quant à l’accusation de manichéisme, faite à cet écrivain, elle cesse d’être calomnieuse à force d’être ridicule.


Barruel imputant à la maçonnerie et à l’illuminisme les crimes des révolutionnaires, Maistre, dans les Mélanges B, se déclarait d’accord avec tous ceux qui avaient écrit contre ces « coquins ; » mais c’est parce que révolutionnaires, et non parce qu’illuministes, qu’il les réputait malfaisants, et il continuait de nier que l’esprit révolutionnaire fût fils de l’illuminisme.


Le germe des maladies morales est dans l’âme comme celui des maux physiques dans le corps, sans se montrer. A voir un malheureux couvert d’une petite vérole confluente, on a peine à croire que ce soit le même homme qu’on a vu quelques jours auparavant brillant de santé. Quand on voit les exploits de Robespierre ou de Carrier, on dit : il faut que ces âmes aient été préparées de loin dans les loges secrètes. Point du tout : c’est la petite vérole.


Enfin, non sans quelque dédain, Maistre écartait certaines suspicions de Barruel :


Si ces gens étaient si redoutables avec leur aqua tophana, comment le docteur Zimmermann, comment Barruel et tant d’autres ont-ils pu écrire impunément contre ces Messieurs ?


Mais huit ans se passaient, et dans le onzième entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg, dont le premier jet parait remonter à 1809, Maistre parlait de « ces hommes coupables qui osèrent de nos jours concevoir et même organiser en Allemagne, par la plus criminelle association, l’affreux projet d’éteindre en Europe le christianisme et la souveraineté. » « L’illuminisme d’Allemagne n’est pas autre que le calvinisme conséquent [47], » redisait-il en 1810 ; et puis, en 1811, dans les Quatre chapitres sur la Russie, c’est vers le gouvernement même du Tsar que montait sa voix, pour dénoncer, à l’écart de la maçonnerie anglaise, à l’écart du martinisme, « une troisième classe d’illuminés, très mauvaise, très dangereuse, très active, et sur laquelle ou ne saurait trop appeler l’attention des gouvernements, » secte « beaucoup plus féroce en Allemagne qu’ailleurs, parce que le venin protestant a son principal foyer dans ces contrées. » Insistant sur l’illuminisme bavarois, il expliquait :


Son chef est connu, ses crimes, ses projets, ses complices et ses premiers succès le sont aussi ; les règlements de la secte ont été saisis, publiés par le gouvernement, et imprimés de nouveau par l’abbé Barruel dans son intéressante Histoire du Jacobinisme.


Et tout comme Barruel, Maistre accusait maintenant cet illuminisme d’avoir « déclaré une guerre à mort à tout ce que nous avons cru et respecté jusqu’à présent, » et lui imputait « certains crimes commis depuis quelque temps[48]. »

À Cagliari, tout en se rendant compte, — comme l’avouait dès 1793 son mémoire à Vignet des Etoles, — qu’il « ignorait » les « sociétés mystérieuses » de l’Allemagne, Maistre avait dédaigné les renseignements de Barruel ; à Pétersbourg, il leur accordait créance. Parmi les 284 Jésuites qu’abritait en 1805 la Russie, un certain nombre étaient d’origine allemande[49] : ils purent raconter à Maistre le procès qui s’était déroulé, en 1786, contre l’illuminisme bavarois, et dont Weishaupt avait alors accusé les « anciens Jésuites » d’être les instigateurs[50] ; ils le persuadèrent, sur le tard, du crédit mérité par Barruel.

Mais à l’égard même du martinisme, le Maistre qui dans les dizième et onzième entretien des Soirées « fait entrer un cours complet d’illuminisme moderne[51] » diffère notablement de celui qu’un premier article nous a fait connaître. Le profès de la loge de Chambéry, l’interlocuteur et lecteur de Saint-Martin, s’était longtemps figuré pouvoir, dans la maçonnerie même, apprendre quelque chose sur le christianisme. Il pensait alors, comme le Sénateur des Soirées, que les obscurités de l’Écriture invitent l’illuminisme à creuser ces abimes de la grâce et de la bonté divine, et que l’attente d’un événement extraordinaire, dans laquelle vit le monde, suscite tout naturellement l’esprit prophétique. Il n’aurait pas protesté en entendant le Chevalier observer que « l’homme semble de nos jours ne pouvoir plus respirer dans le cercle antique des facultés humaines, » en l’entendant demander pourquoi dès lors l’objet le plus important pour l’homme demeurerait interdit à l’audace de sa pensée. Mais le Maistre de l’an 1809 s’incarne personnellement dans un troisième interlocuteur : le Comte.

Au Chevalier qui, pour cesser de balancer entre illuminisme et scepticisme, veut « une règle, » le Comte répond :

« Vous ressemblez à un homme plongé dans l’eau, qui demanderait à boire. Cette règle existe, elle vous touche, elle est universelle. Sans elle, impossible de marcher ferme, à égale distance de l’illuminisme et du scepticisme. » Et puisque cette règle existe, le Comte s’élève contre toute « recherche téméraire, capable de produire des maux infinis. » C’est ce qui m’a, continue-t-il, « rendu toujours suspects et même odieux, je l’avoue, tous les élans spirituels des illuminés... » Mais à mesure que parle le Sénateur, à mesure qu’il parle comme jadis avait pensé Maistre, le Comte à son tour, apparemment remué par ses propres souvenirs, devient moins sévère qu’au commencement de la causerie ; et le voici qui relève, dans les écrits martinistes, des « choses vraies, raisonnables et touchantes, » et qui rappelle l’instruction, et la sagesse, et l’élégance de Saint-Martin, et puis il confesse : « Ces hommes, parmi lesquels j’ai eu des amis, m’ont souvent édifié ; souvent ils m’ont amusé, et souvent aussi... Mais je ne veux point me rappeler certaines choses. Je cherche au contraire à ne voir que les côtés favorables. »

D’un quart d’heure à l’autre, l’accent du Comte a changé. Il peut se passer, lui, de l’illuminisme, et volontiers dirait-il qu’étant catholique il sait sur l’au-delà tout ce qu’on doit savoir. « Tandis que les pieux disciples de Saint-Martin, dirigés, suivant la doctrine de leur maître, par les véritables principes, entreprennent de traverser les flots à la nage, je dormirai en paix dans cette barque qui cingle heureusement à travers les écueils et les tempêtes depuis mille huit cent neuf ans. »

Mais songeant à tous ceux qui n’étaient pas les passagers de cette barque, il ajoute :

« Cette secte peut être utile dans les pays séparés de l’Église, parce qu’elle maintient le sentiment religieux, accoutume l’esprit au dogme, le soustrait à l’action délétère de la Réforme, qui n’a plus de bornes, et le prépare pour la réunion. »

Ainsi se formulait, au sujet de l’illuminisme, le jugement final de Maistre. « En pays non catholiques, redisait-il dans son quatrième Chapitre sur la Russie, l’illuminisme préserve les hommes d’une sorte de matérialisme pratique très remarquable à l’époque où nous vivons, et de la glace protestante, qui ne tend à rien moins qu’à geler le cœur humain. » — « Les sociétés secrètes, expliquait-il en 1815 au comte de Bray, sont détestables chez nous, parce qu’elles attaquent notre principe fondamental de l’autorité ; mais chez toutes les nations séparées, je les tiens pour infiniment utiles, parce qu’elles maintiennent la fibre religieuse de l’homme dans toute sa fraîcheur, et qu’elles tiennent l’esprit en garde contre le riénisme protestant. » [52]

Maistre parlait des « nations séparées. » Mais l’humanité du XVIIIe siècle ne s’était-elle pas comportée, en face de l’Église, comme une humanité « séparée ? » De Bayle à d’Holbach, les négations religieuses avaient familiarisé les âmes, même en terres catholiques, avec un certain « matérialisme pratique, » avec un certain « riénisme. » Le martinisme, dès lors, n’avait-il pu exercer sur elles une influence heureuse ? On avait d’ailleurs entendu, aux alentours de 1780, certaines voix maçonniques dénoncer le rite écossais comme servant d’instrument à des jésuites déguisés [53]. Sans adhérer à cette bouffonne hypothèse, Maistre avait du moins le droit de penser qu’à un certain moment du siècle, les illuminés martinistes avaient pu rendre à la génération que les philosophes avaient voulu éloigner du christianisme les mêmes services que, sous d’autres latitudes, l’illuminisme rendait aux chrétiens détachés de Rome.

Il se ressouvenait, en fait, de sa propre histoire intellectuelle. « J’en suis demeuré à l’Eglise catholique romaine, écrira-t-il en 1816, non cependant sans avoir acquis « dans l’illuminisme) une foule d’idées dont j’ai fait mon profit. » [54] Il savait toujours gré au martinisme d’avoir contribué à le mettre en garde contre le pyrrhonisme du XVIIIe siècle ; mais on ne discernait plus, en lui, ces élans de curiosité qui jadis cherchaient en marge de l’Église, en dehors d’elle, un surcroît de lumières sur l’âme et sur Dieu ; il avait cessé de croire que la gnose illuministe, même élaborée par des adversaires du sacerdoce, pouvait ajouter au Credo quelques richesses.

Une évolution s’était faite, dont le point de départ pourrait bien être cette ligne que nous avons relevée dans les Mélanges B : « Le premier caractère d’une religion vraie est de reposer sur l’autorité, » ligne datée du 15 juillet 1798, c’est-à-dire d’une année qui fut, l’on s’en souvient, décisive pour Maistre. Douze ans plus tard, il confiait à une dame russe que, s’il était permis d’établir des degrés d’importance parmi les choses d’institution divine, il placerait la hiérarchie avant le dogme, tant elle est indispensable au maintien de la foi [55]. » La hiérarchie avant le dogme ! Donc, à plus forte raison, la hiérarchie avant l’illuminisme ! Le souci des droits de l’autorité avait définitivement mortifié le long attrait de Maistre pour la spéculation religieuse. Pour accroître de quelques rayons cette lumière naturelle qui éclaire tout homme venant en ce monde, Maistre ne recourait plus qu’à l’Evangile souverainement interprété par l’Église. Et toutes ses aspirations catholiques, celle qui de tout temps l’avait porté vers la réunion des Églises, et celle qui s’attachait, maintenant, à l’affermissement du Siège de Pierre, allaient s’exalter dans le spectacle de la Russie, de ses misères spirituelles, de ses germes apparents de renouveau.


VII. — UN COUP d’ŒIL DE MAISTRE SUR LA RUSSIE RELIGIEUSE

L’horizon russe, dès 1803, lui fut éclairé par un « homme véritablement extraordinaire, théologien, médecin, chimiste, mécanicien, opticien, etc., homme d’État de plus, et fait pour être le ministre d’un grand prince [56], » le Père Gruber, général des Jésuites. Paul Ier pour arrêter le flot de l’impiété, de l’illuminisme et du jacobinisme, » avait, à l’automne de 1800, installé Gruber et ses confrères à l’université de Vilna. « Je suis catholique de cœur, lui avait-il dit, tâchez par vos discours de persuader mes évêques. » Mais au moment même où Pie VII, parlant au diplomate russe Lizakewicz, se déclarait prêt à se rendre lui-même à Saint-Pétersbourg pour conférer avec le Tsar, Paul Ier n’était plus qu’un cadavre déchiqueté [57].

Que fùt-il advenu s’il eût vécu ? On a peine à se représenter sous les traits d’un néophyte de Rome ce tyranneau libertin qui avait un jour eu la lubie de vouloir lui-même célébrer la messe et « se croyait sûr de s’établir le confesseur de sa famille et de ses ministres [58]. » Mais en écoutant Gruber, en écoutant Serracapriola, le ministre du roi de Naples, qui avait été mêlé, lui aussi, aux négociations entre le Tsar et Rome [59], en écoutant l’ambassadeur papal Arezzo [60], Maistre devait garder l’impression qu’il y avait eu, sur le trône de Russie, un catholique de désir, et que dans la société russe, même dans le clergé, certains regards se portaient vers Rome. Et tous ces interlocuteurs de Maistre ignoraient d’ailleurs que le ministre de Russie à Rome, Boutourline, dans une dépêche à son gouvernement, raillait « le chimérique de la réunion des deux Églises » et cherchait le moyen de tirer parti de « cette marotte du Saint-Siège » pour obtenir du Pape des concessions [61].

Maistre, en 1797, avait écrit, dans les Considérations, que tout vrai philosophe, suivant le parti qu’il aurait pris sur la vérité du christianisme, devrait « opter entre ces deux hypothèses, ou qu’il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire [62]. »

Ayant opté, lui, pour la seconde supposition, et cherchant dès lors les symptômes d’un « rajeunissement » chrétien, cause finale de la Révolution, il lui plaisait d’entendre dire que, sans l’assassinat d’un Tsar, le siècle naissant aurait peut-être, déjà, restitué l’âme russe au bercail romain. Était-ce là l’épisode « extraordinaire » que tôt ou tard Dieu montrerait au monde ? Il était, à son arrivée à Pétersbourg, politiquement découragé, écrivant à l’évêque La Fare qu’il n’y avait « plus moyen de se fier même à une espérance déterminée, » que « pour bâtir il fallait des pierres et qu’il n’y en avait plus [63]. » Mais le catholique, en Maistre, allait consoler les déceptions du légitimiste : Maistre allait prêter aide à Dieu, pour accélérer ainsi la clôture providentielle de l’ « époque » révolutionnaire.

Quel chaos que cette Russie ! A la tête de onze millions de catholiques romains, un métropolitain qui depuis trente ans trompait le Pape, Siestrzencewicz : il déduisait de certains textes de saint Paul la suprématie du Tsar sur toutes les Eglises de son empire, et s’accordait à merveille avec l’esprit joséphiste de la haute chancellerie impériale. Maistre, en face de l’établissement catholique, apercevait une vaste « tribu de Lévi, un peu moins considérée que l’ancienne, fils d’esclaves ou fils de prêtres. » C’était le clergé de l’Eglise orthodoxe, — de l’Église photienne, comme il aimait à dire, pour que cette Eglise, « continuellement rappelée à son origine, y lût constamment sa nullité. » Sur l’ignorance de ces prêtres, sur leur ébriété, sur les sacrements bâclés ou profanés, sur les railleries, parfois accompagnées de corrections, qu’infligeaient à ce clergé les fidèles des hautes classes, Maistre collectionnait les anecdotes. En façade, l’État se targuait d’être chrétien ; en fait, Maistre constatait que les soldats, le jour de Pâques, étaient, au nombre de trente mille, écartés de la messe par des parades militaires, et qu’on les traînait ivres, quelque autre jour, vers la table eucharistique. Faute de courage ou de foi, les métropolitains toléraient ce laisser-aller : celui de Pétersbourg, Ambroise, faisait l’effet à Maistre d’être homme à « donner les quatre Évangiles pour un dîner chez l’Empereur [64]. » A mesure qu’il observait la Russie religieuse, « la plus mystérieuse des nations [65], » Maistre se pénétrait de cette idée que « le principe chrétien y était trop faible, trop défiguré, pour avoir pu pénétrer la pâte asiatique, » et que le « caractère européen, résultant du mélange de la chevalerie avec le christianisme, n’avait jamais traversé la Dwina [66]. » Cette Russie l’effrayait : elle était l’œuvre de Pierre le Grand, donc une improvisation humaine. Où donc était son Coran, où donc son Confucius ? Elle se trouvait être la seule nation dont l’éducation n’eût pas commencé dans les temples [67].

Luthéranisme et philosophisme avaient su, eux, traverser la Dwina. Maistre retrouvait, à Pétersbourg, « la lèpre du XVIIIe siècle, rongeant les âmes. » Et puis un « serpent » s’y glissait, que les gouvernants « prenaient tout au plus pour une anguille, » le protestantisme germanique. Maistre détestait ces immigrants dont au moins 99 pour 100 étaient des « acquisitions funestes, » « balayures de l’Europe [68]. » Il connut le programme élaboré pour le séminaire de Newsky par le Hongrois Fessier, un ancien capucin, disait-on, devenu plus tard protestant, et qui maintenant se donnait pour catholique : christianisme, platonisme, kantisme, voisinaient dans cette tète nomade. « C’est le mal allemand, criait Maistre ; il faut le traiter d’abord par le mercure parisien, autrement nommé le ridicule. » Le clergé russe, alarmé, songeait à un jésuite pour occuper la chaire de Fessier ; et puis on s’adressait, finalement, à un protestant allemand nommé Horn [69]. Un livre latin de l’archevêque Méthode : Des choses accomplies dans la primitive Église, apportait à Maistre une nouvelle preuve des infiltrations protestantes dans l’Église russe : il rédigeait en latin, contre ce livre, les Réflexions critiques d’un chrétien dévoué à la Russie [70] . Et ces coquetteries du clergé russe à l’endroit du clergé luthérien révélaient à Maistre leur accord « sur deux grands dogmes : l’amour des femmes et la haine du Pape [71]. »

Mais qu’adviendrait-il du dialogue avec Rome, ébauché sous Paul Ier, si Pétersbourg devenait une colonie intellectuelle du luthéranisme ? Maistre, un jour de 1807, devisait de la réunion des Eglises avec trois hauts personnages de l’Empire, Soltykof, Tatitscheff, Pierre Tolstoï. « Tout ce que Pierre le Grand en faisait, disait le premier, n’était que pour plaire à la cour de France ; il n’était pas capable de songer sérieusement à quelque chose d’aussi impolitique. » Et le second dogmatisait : « La seule idée de célébrer la Pâque avec les Latins serait capable d’exciter un soulèvement général. » Mais Tolstoï laissait tomber ces mots : « L’Empereur peut tout ce qu’il veut [72]. »


VIII. — UN PLAN DE MAISTRE : L’ALLIANCE ENTRE ALEXANDRE Ier ET LE CATHOLICISME RUSSE. — MAISTRE ET LE MOUVEMENT DE CONVERSIONS.

Que voulait donc l’omnipotence d’Alexandre ? Elle avait une limite dans son impuissance de vouloir. « Chez lui, raillera Metternich, une idée met deux ans à se développer, passe à l’état de système pendant la troisième année, est altérée durant la quatrième et mise en pièces au cours de la cinquième [73]. »

Maistre, sans prétendre convertir à sa philosophie politique ce « républicain » couronné, ce disciple impénitent du révolutionnaire Laharpe, voulait cependant l’aider à sauvegarder cette suprême assise de l’édifice russe qu’il appelait le dogme national. « Pour le maintien de cette religion, disait-il, le plus fidèle et le plus puissant allié de Sa Majesté Impériale, c’est l’action et la fraternité de l’Église catholique dans ses États. » Écrivant aux ministres du Tsar en 1811, parlant au Tsar lui-même en 1812, il précisait que « le véritable ennemi de l’exécrable illuminé, c’est le Jésuite ; qu’une secte ne peut être combattue avantageusement que par un corps ; » et qu’il n’en connaissait « pas de meilleur que celui-là [74]. » Le dogme national comprenait tous les articles du Credo romain, moins un ou deux, et les mettait sous la garde de ce « bras de chair » [75] dont avait besoin, aux yeux de Maistre, toute religion « qui n’était pas la religion vraie. » Pour défendre ces articles, pour aider ce bras, Maistre faisait appel aux Jésuites : il escomptait que leur action théologique amènerait l’âme russe à maintenir l’intégrité du Credo, et que leur influence d’éducateurs dissiperait dans la haute société certaines idées préconçues, barrière traditionnelle entre Rome et l’âme slave.

Il fallait donc que la Russie les employât comme pédagogues : en plusieurs écrits, il le demandait formellement, et la permission qui leur fut donnée, en 1812, d’ouvrir à Polotsk une Académie, fut une victoire pour Maistre, et une défaite pour le protestantisme allemand, représenté dans le conseil des ministres par le baron de Campenhausen [76]. Il rêvait que Polotsk devint un grand centre de publications, d’où sortiraient « les grands in-folios de Petau, de Bellarmin et des autres héros de la même école [77]. » Il fallait, aussi, se servir d’eux comme missionnaires. Ils évangélisaient depuis 1803 les catholiques des colonies allemandes de Saratow, et, bientôt après, la ville d’Astrakhan. En 1809, c’est en Sibérie qu’on les appelait, pour organiser trois postes ; et Maistre était en tiers dans les colloques préparatoires entre le gouverneur et le général des Jésuites [78]. En 1811, la Crimée, Odessa, s’ouvraient à la Compagnie : « En tout cela, triomphait Maistre, il y a un grand et remarquable changement d’opinion, qui a une cause comme tout le reste [79]. » De Tiflis, Xavier écrivait qu’il était question d’installer les Jésuites dans la région dj Vladicaucase : on se disait « que leur action pourrait donner à la religion et à l’Empire une quantité innombrable d’hommes courageux et industrieux qui jusque-là étaient des ennemis ; que les prêtres grecs n’avaient jamais augmenté le nombre des chrétiens ; et qu’il valait encore mieux avoir des catholiques Dour sujets que des musulmans ou des idolâtres [80]. »

Ainsi travaillait sur les bords de la Neva, pour l’Eglise d’un Pape alors captif, ce ministre d’un roi détrôné. Ce n’était plus à la maçonnerie, c’était aux Jésuites qu’il songeait, pour préparer le rapprochement entre l’Orient et l’Occident. Pas de hâte, d’ailleurs ; pas de coups d’Etat dans le domaine des âmes ! Maistre continuait de détester toute brusquerie, s’agit-il, même, de l’avènement du règne de Dieu :

« La réunion brusque et solennelle, telle qu’on l’a annoncée dans les papiers, serait un moyen sur de renverser la Russie... Les meilleurs apôtres pour la réunion seraient une douzaine de dames de qualité qui la désirent vivement. [81] »

C’est en 1808 que Maistre émettait ce diagnostic : en cette même année mourait à Pétersbourg le chevalier d’Augard, ancien bibliothécaire de Catherine II, qui, depuis de longues années, familiarisait avec la foi romaine, — jusqu’à la conversion inclusivement, — plusieurs femmes de la haute société [82]. Maistre, qui, la veille même de sa mort, avait eu un entretien avec lui [83], lui succéda dans cet office d’apôtre. On colporta dans Pétersbourg, en 1809 et 1810, une Lettre à une dame protestante sur la maxime qu’un honnête homme ne change jamais de religion, et une Lettre à une dame russe — la comtesse Tolstoï — sur la nature et les effets du schisme et sur l’unité catholique : l’épistolier s’appelait Maistre. Ces deux écrits, joints à deux lettres du Jésuite Rozaven, formeront plus tard un petit bréviaire manuscrit, dont certaines converties se serviront pour amener de nouvelles recrues à leur nouveau bercail [84]. Et lorsque en 1844, à Chambéry, le futur Père Martinow passera de l’Église russe à l’Église romaine, Mme Swetchine écrira qu’à cette « admirable solennité, » elle avait « pensé au comte de Maistre, » ce « grand semeur. »

Semeur aux gestes discrets, hostile aux « publicités inutiles et dangereuses [85]. » Tout ce qu’il souhaitait de la dame protestante, c’était qu’elle se fit catholique en secret ; et l’idée qu’ « on doit quelque chose à l’autorité politique » amenait Maistre à ne pas trop presser la dame russe. Il lui rappelait l’histoire de Naaman, général du roi de Syrie, disant à Elisée qui venait de le convertir : « Jamais je ne sacrifierai à un autre Dieu que le vôtre, mais lorsque le Roi mon Seigneur entre dans le Temple de Remmon pour adorer en s’appuyant sur mon bras, si je m’incline lorsqu’il s’inclinera lui-même, que le Seigneur me pardonne ! » — « Allez en paix, » avait répondu Elisée. Maistre estimait que ce prophète avait été très sage, et qu’en « se donnant en spectacle » les dames russes converties à Rome risqueraient d’ « affaiblir une opinion dont elles avaient besoin [86]. »

Ainsi comptait-il sur elles et sur. les Jésuites pour modifier l’opinion, et puis sur le Tsar pour tirer un jour les conclusions, d’accord avec le Pape...


IX. — LES ESPOIRS DE 1812 ET LES DÉCEPTIONS DE 1815 ; L’ÉLOIGNEMENT DE MAISTRE

Vers 1812, une brève période s’ouvrit, qui parut autoriser beaucoup d’espoirs. Alexandre lisait la Bible et des livres de piété ; et si nous en jugeons par son petit écrit : De la littérature mystique, adressé à sa sœur Catherine Paulowna, il rangeait saint François de Sales et sainte Thérèse, l’Imitation et Tauler, à côté d’ouvrages illuministes, parmi les livres « les plus dignes de confiance et les plus sûrs. » Théologiquement même, — Maistre le sut-il ? — le Tsar admettait, dans une lettre datant de 1813, que le Saint-Esprit procédait du Fils aussi bien que du Père [87] : il n’était pas sans importance que les sentiments intimes du chef de l’Eglise russe abolissent ainsi la divergence séculaire entre l’Orient et l’Occident.

Mais il apparut bientôt que Mme de Krudner et autres illuminés poussaient Alexandre, non point vers le catholicisme, mais vers une sorte de syncrétisme religieux qui, sous le nom de christianisme universel, distinguait arbitrairement entre dogmes fondamentaux et non fondamentaux : la convention de la Sainte-Alliance exprima cette tendance. Maistre l’épluchait, diagnostiquait que l’esprit qui l’avait dictée était « aussi bon dans les communions séparées que mauvais dans la confession catholique, » et finissait par croire que cette promiscuité profiterait au catholicisme, puisque aucune autre confession chrétienne n’avait une pareille force de prosélytisme [88].

Or, à ce même moment, avec ses Bibles et ses livres sterling, la succursale ouverte à Pétersbourg, en 1811, par la Société biblique de Londres, visait à la conquête spirituelle de la Russie, et même du catholique duché de Varsovie [89]. C’est une machine socinienne, disait Maistre [90] ; et les prohibitions papales étaient formelles. Alexandre voulait enrôler les Jésuites dans la Société biblique. Ils durent refuser. Maistre, alors, sentit leur prestige pâlir ; bien qu’ils n’eussent jamais tenté d’insinuer à leurs élèves, — nous en avons pour témoin l’historien Viazemski [91], — « que l’Eglise romaine fut plus élevée et plus propice au salut de l’âme que l’Église orthodoxe, » la conversion d’un jeune Galitzin fut imputée à leur influence [92] ; et cette Société de Jésus que Pie VII venait de rétablir dans le reste du monde était, en décembre 1815, expulsée de Saint-Pétersbourg, et quatre ans plus tard, de tout l’Empire.

Maistre, endolori, méditait. L’entente des trois Mages, — ainsi désignait-il les augustes signataires de la Sainte-Alliance, — cette entente, qui s’opérait par-dessus la tête du Pape, acheminait-elle la chrétienté vers l’union, ou bien vers la confusion ? Que signifiait l’impertinent parallèle du métropolitain Philarète entre l’Eglise orientale, « vraie et pure, » et l’Eglise romaine, « vraie et mélangée [93] ? » Pourquoi la Russie, en préférant la Société biblique aux Jésuites, » bataillon renvoyé pour cause de valeur, » préférait-elle le protestantisme, « qui renversait presque tous les dogmes nationaux, au catholicisme, qui les maintenait tous en proposant seulement d’y en ajouter un ? » Maistre regardait le culte catholique « comme suspendu et même comme supprimé, » et gémissait : « Il y a longtemps que le philosophisme n’aura pas remporté une si grande victoire sur la religion [94]. »

Et puis il se rassérénait un peu, en songeant que les Jésuites n’eussent pas été frappés si l’on n’avait pas senti se dessiner un mouvement de conversion vers la grande unité.

Le 6 février 1816, Alexandre recevait Maistre. Le Tsar parlait des différentes confessions chrétiennes ; et peu à peu, « élevant la main et la promenant en rond, comme s’il avait bâti le dôme de l’Eglise universelle, » il disait à son visiteur : « Il y a dans le christianisme quelque chose de plus grand que tout cela : voilà l’essentiel. Commençons par attaquer l’incrédulité ; c’est là le grand mal dont il faut s’occuper. Pratiquons l’Evangile : c’est un assez grand point. Je crois bien que toutes les communions se réuniront un jour. Je le tiens pour sûr, mais le moment n’est pas venu. Quant à ceux qui changent de religion, j’avoue que je ne puis les estimer [95]. »

Maistre sentait que les actes de propagande catholique devenaient odieux au Tsar, et que « les catholiques qui avaient des liaisons même de simple estime avec les Jésuites » étaient « une espèce de caste suspecte. » « Je ne voudrais pas jurer, écrivait- il en février 1816, qu’il n’y eût encore un peu de mécontentement sur le tapis [96]. » Il aurait eu tort de jurer, car, quelques mois plus tard, Alexandre en personne, invitant son ambassadeur à Turin à réclamer de la Cour sarde le rappel de Maistre, s’élevait « en plaintes amères contre le zèle de prosélytisme du comte, contre son langage au sujet des Jésuites, contre sa partialité et son acharnement à l’endroit des idées libérales du siècle. » Un « orateur de salon, » voilà tout ce qu’était Maistre, en cette heure de crise, pour le tsar Alexandre ; et la plume impériale ajoutait : « Sa réputation de talent est usurpée en grande partie, et il la doit plus à sa mémoire et à sa loyauté qu’à la profondeur de ses vues [97]. »

Cependant, sur les ruines de la Société de Jésus, Maistre voyait la Société biblique triompher. Il notait, à la fin de 1816, que le métropolitain catholique en personne, Siestrzencewicz, avait osé, presque nonagénaire, se traîner à l’une de ses séances, bravant les condamnations portées par le Pape ; il le voyait supporter allègrement l’accusation très grave d’avoir falsifie les lettres pontificales, falsifié les décrets du Concile de Trente. « C’est un félon, un protestant masqué, disait Maistre ; s’il fallait absolument toucher la main à cet homme, je mettrais un gant de buffle... Les plus terribles ennemis de la religion sont à la tête des choses [98]. »

Mais il semble que le propos jadis tenu par Pierre Tolstoï : « Le Tsar peut tout ce qu’il veut, » retentissait toujours aux oreilles de Maistre, et derechef, au début de 1817, dans une lettre au comte de Vallaise, il s’abandonnait à l’espérance, « persuadé qu’il ne tiendrait qu’à l’Empereur de Russie de réunir les deux Églises... Il peut tout ce qu’il veut, insistait-il. La suprématie du souverain l’ayant débarrassé de l’ignorante pédanterie des patriarches orientaux, c’est déjà un grand obstacle de moins. Ce ne serait pas sans doute l’affaire d’un jour ; mais l’Empereur n’a que trente-neuf ans, il a beau jeu ; il suffirait de traiter la chose dans le centre. Si après avoir gagné la bataille de Leipsig et signé la Paix des Nations à Paris, l’Empereur venait encore à signer celle des Églises, quel nom dans l’histoire serait comparable au sien ? » [99].

Maistre apprenait, bientôt, qu’Alexandre envoyait à Rome le jeune comte Léon Potocki, « catholique, homme distingué, mais manquant d’instruction sur le fond des plus grandes questions. » Maistre s’inquiétait, et puis constatait que c’était là, du moins, une « relation directe » entre le Tsar et le Saint-Siège. Il aimait mieux « ne pas se presser de juger [100] » que de porter un jugement qui contristerait ses tenaces désirs.

Mais ce jugement pourrait-il toujours être ajourné ? On annonçait, depuis u mois, l’imminente publication d’un livre signé d’un jeune Moldave, Stourdza, et intitulé : Considérations sur la doctrine et l’esprit de l’Église orthodoxe. Une « agression » était « ouvertement dirigée contre la religion de l’État. » Stourdza ripostait. Il glorifiait l’orthodoxie russe pour « la parfaite conformité qui la rapprochait de sa céleste origine, » et pour sa fidélité à cette vertu chrétienne, politique et sociale, qui s’appelait la tolérance [101] ; elle apparaissait plus jalousement proche du vieux passé chrétien, et plus largement ouverte aux maximes modernes, que ne l’était l’Église de Rome. Stourdza s’emportait contre cette Église, contre ses missionnaires, qu’il nommait les satellites de la papauté et qu’il disait être « en horreur dans toute la Grèce. » Imprégné d’un certain illuminisme, il lui semblait que la séparation de la « chrétienneté » (sic) n’était que le prolongement de la crucifixion perpétuelle du Rédempteur, et qu’elle rentrait, dès lors, dans le plan divin ; mais il rejetait sur l’obstination, sur la mauvaise foi de l’Eglise de Rome, et sur la façon dont sans honte elle profanait les dons inamovibles de Dieu, la responsabilité du schisme. En face de cette Eglise coupable, Stourdza dressait l’Eglise russe, miraculeusement préservée de la persécution ottomane par la même Providence impénétrable. On devait conclure, en fermant le volume, que Dieu, dans l’histoire, s’était prononcé contre l’Église romaine, et que les projets d’union entre l’Eglise grecque et Rome étaient contraires au vouloir même de Dieu.

« Chef-d’œuvre d’ignorance, de mauvaise foi et même de mauvais ton, » pensait Maistre. Mais pour faire imprimer ce « chef-d’œuvre » où se déchainait une « colère de professeur irrité [102], » le Tsar, sur sa cassette, avait donné vingt mille roubles. Et Maistre, quittant la Russie en mai 1817, emportait avec lui, comme une déception cuisante, le souvenir de ces roubles dépensés par Alexandre, dépensés contre Rome.


X. — LE « POINT DE VUE NOUVEAU » DU LIVRE DU PAPE

Le contact de Maistre avec l’âme russe a laissé son empreinte dans le livre du Pape. Maistre y visait, surtout, la France de Louis XVIII [103] ; mais c’est en Russie que le livre fut conçu. Il plaisait à Maistre de le jeter, comme un cartel, à la face de Stourdza, et de donner ainsi le spectacle de « deux athlètes laïques, l’un ministre et l’autre chambellan, l’un Moldave et l’autre Allobroge, luttant à la face de l’Europe, en français [104]. » Pierre le Grand, autrefois, avait été invité, par les docteurs de Sorbonne, à une façon de réunion des Églises qui n’aurait pas tenu compte des prérogatives de Rome : Maistre savait cela, il savait même qu’en 1808 l’abbé Grégoire s’était mis à l’affût de cette histoire [105] ; ce même Grégoire faisait imprimer, en 1819, une lettre de Siestrzencewicz, où s’esquissait la possibilité d’un rapprochement entre l’Église russe et les fractions gallicanes de la catholicité romaine [106]. A l’encontre de ces velléités, le livre du Pape nous apparaît comme la consécration de la forme définitive qu’avait prise, en terre russe, l’aspiration de Maistre vers la réunion des Eglises ; c’est l’hommage à cette cime souveraine à laquelle les Eglises devaient s’unir, de plus en plus étroitement, en vue même de leur unité.

L’hommage était rendu « sous un point de vue nouveau : » les exigences de la primauté pontificale se révélaient conformes aux données universelles de l’expérience sociale et politique. Quelques années auparavant, Maistre avait écrit : « La nature Et l’essence du pouvoir sont les mêmes dans les deux sociétés [107]. » Halte-là ! auraient sans doute interrompu Suarez et Bellarmin, qui avaient au contraire établi la distinction de nature et d’essence des deux pouvoirs [108]. Maistre en continuant les eût rassurés : « Dans l’une comme dans l’autre (de ces deux sociétés), le pouvoir ne peut cesser d’être un sans cesser d’exister... Si telle ou telle Église particulière a le droit d’accuser d’erreur ou d’innovation le chef de l’Église, pourquoi le gouverneur de Twer ou d’Astrakan n’aurait-il pas aussi le droit d’accuser l’Empereur ? »

Dès lors que Maistre ne visait à rien de plus qu’à faire ressortir l’absurdité de l’idée de schisme en la transplantant par hypothèse dans le domaine politique, Suarez et Ballarmin eussent renoncé à le chicaner. Le livre du Pape, poursuivant le parallèle entre les deux sociétés, confrontait l’infaillibilité de la Souveraineté politique, « humainement supposée, » et l’infaillibilité du Souverain spirituel, « divinement promise. » [109] A Rome, un théologien anonyme s’étonna, s’inquiéta [110]. Maistre ne visait pas les théologiens romains, pour qui les promesses divines fondaient l’infaillibilité ; il écrivait pour les dissidents, et puis pour ces demi-dissidents qui s’appelaient les gallicans, et il leur disait : Puisque les actes de toute souveraineté, pour qu’elle demeure vraiment une souveraineté, doivent être réputés sans appel, c’est là, pratiquement, la réputer infaillible : il y a là un postulat de la vie sociale, une loi du monde ; pourquoi donc contester, dans la société religieuse, l’infaillibilité du souverain spirituel, résultat logique de cette même loi du monde ? Le plaidoyer pour le Pape infaillible n’était qu’un épisode du grand ouvrage de controverse dont l’idée le hantait, et qui eût montré, dans le catholicisme, « des lois du monde divinisées, » et qui eût exposé « l’analogie des dogmes et des usages catholiques avec les croyances, les traditions et les pratiques de tout l’univers » [111]. En dernière analyse, Maistre, en prouvant la conformité de la constitution surnaturelle de l’Église avec les principes qui d’après lui régissent la souveraineté politique, illuminait l’harmonie même du surnaturel avec le naturel. Pour lui, il n’y avait pas de dogme, pas d’usage disciplinaire, « qui n’eût ses racines dans les dernières profondeurs de la nature humaine, et par conséquent dans quelque opinion universelle plus ou moins altérée. » [112] Direz-vous cela, lui demandait le théologien romain, du dogme de la Trinité ? Je le dirai, répondait Maistre, et même je le montrerai ; et c’est ce qui fut fait, effectivement, dans une page des Soirées [113].

Un point d’interrogation, posé par Maistre, alarmait également son pointilleux éplucheur. « Saint Pierre, disait l’auteur du Pape, avait-il une connaissance distincte de l’étendue de sa prérogative ? Agissait-il avec ou en vertu d’une telle connaissance, ou n’agissait-il que par un mouvement intérieur séparé de toute contemplation rationnelle ? » Maistre avait répondu : « J’ignore. » [114] En fait, il pensait que « tout pouvoir constitué immédiatement dans toute la plénitude de ses forces et de ses attributs est, par cela même, faux, éphémère et ridicule ; » que « le christianisme avait été, comme toutes les grandes choses du monde, soumis à la loi universelle du développement, » mais que ce développement même n’était que l’épanouissement d’un germe primitif, et qu’ « il n’y a rien de nouveau dans l’Église, » et que « jamais elle ne croira que ce qu’elle a toujours cru. » [115]. Et précisant sa pensée, Maistre expliquait au théologien romain qu’il n’y avait pas, dans l’Église, « des nouveautés, c’est-à-dire des dogmes promulgués sans antécédents, » mais « des développements, c’est-à-dire des éclaircissements et des décisions sur des points d’abord incertains, ou que l’on n’avait pas étudiés, » et que sans doute « le pape Anaclet n’avait pas été, dans l’opinion générale et dans la sienne, le même personnage que Léon X ou Benoit XIV, » mais que la puissance pontificale avait été « établie par Jésus-Christ lui-même, » et qu’elle « fut toujours la même : César, au berceau, n’était-il pas, par hasard, le même qui vainquit à Pharsale ? [116] »

Maistre aimait ces comparaisons, qui assimilaient la croissance de l’Église à la croissance même de l’être humain. Les croyances de la primitive Église, exprimées ou implicites, lui apparaissaient comme le germe d’où sortiraient plus tard, au gré des besoins des âmes et sous les assauts de l’hérésie, les formules dogmatiques. Et voilà que se dessinait une nouvelle ressemblance entre les phénomènes de la société religieuse et les phénomènes de la société politique : Maistre n’avait-il pas indiqué, dès 1793, dans son Étude sur la souveraineté, que les dogmes écrits et les constitutions écrites succédaient à des périodes où ni les âmes pour croire ni les sociétés pour vivre n’avaient eu besoin que leur croyance fût « déclarée » ou leurs lois fondamentales rédigées ? Et pour établir qu’à mesure qu’une institution est parfaite, elle écrit moins, n’avait-il pas, en 1809, dans son Essai sur le principe générateur, allégué que le Christ n’avait pas laissé un seul écrit à ses apôtres, et que, si jamais la foi chrétienne n’avait été attaquée, jamais elle n’aurait écrit pour fixer le dogme ? Derechef, dès le début du livre du Pape, il expliquait comment l’hérésie provoquait au cours des siècles la rédaction de la formule d’orthodoxie, et comment « il faut bien se garder de prendre le commencement d’une erreur pour le commencement d’un dogme [117]. »

Le catholicisme, tel que le présentait Maistre, n’avait pas l’aspect d’un absolutisme imposant aux passivités humaines un joug tout extérieur, forgé une fois pour toutes. Les formules dogmatiques résultaient d’un mouvement de défensive de l’humanité religieuse, sanctionné par l’organisme spirituel ; le fonctionnement même de cet organisme apparaissait comme une sorte d’application surnaturelle et comme une divinisation des lois mêmes de la société. Et c’était Maistre tout entier, avec toute sa philosophie politique et sociale, avec toute son expérience humaine, qui, pour « aider à casser le cou au protestantisme [118], » se mettait au service de la Papauté, et qui montrait le dogme, la hiérarchie, comme des phénomènes de vie.


XI. — DERNIERS REGARDS DE MAISTRE SUR L’EUROPE RELIGIEUSE, ET DERNIERS GESTES RELIGIEUX D’UN MORIBOND

La Lettre sur l’état du christianisme en Europe, écrite à Turin en 1819, fut un gémissement. « Nul souverain dans l’univers, écrivait Maistre, n’a pu rendre (encore aujourd’hui) autant de services à la religion, et bien peu de souverains lui font autant de mal, que l’empereur de Russie. » Il notait avec amertume le « mouvement intérieur qui écarte Alexandre des catholiques. » Il ajoutait, faisant peut-être retour sur lui-même : « Une grande tête catholique ne l’a jamais approché, et par conséquent il ne l’a jamais recherchée. Quand on se demande par quels organes la vérité peut arriver jusqu’à l’empereur de Russie, on ne sait en imaginer que deux parmi les créatures : un ange ou une dame. [119]. »

D’autres spectacles consolaient Maistre de ses déceptions russes. Il apercevait évoluer dans Genève les surplis et les bonnets carrés des prêtres catholiques [120] ; il regardait fraterniser luthériens et calvinistes, à la faveur d’un indifférentisme absolu sur la question de dogme, et se demandait si la réunion des protestants entre eux ne faciliterait pas leur réunion à l’Eglise romaine ; dans cette Angleterre que nos prêtres émigrés avaient familiarisée avec le catholicisme, il voyait, vingt ans avant le mouvement d’Oxford, « un grand œuvre se préparer, » et le « catholicisme lever déjà un pied respectueux pour franchir le seuil du Parlement ; » et du jour où l’Église anglicane, « la plus raisonnable parmi celles qui n’ont pas raison, » s’unirait avec l’Eglise de France dans la profession du même Credo romain, Maistre augurait des merveilles [121]. Lamennais, lui aussi, interrogeait l’horizon du monde, mais c’était pour sonner la trompette du jugement dernier : « Tout se prépare pour la grande et dernière catastrophe... Il n’y aura plus de milieu entre la foi et le néant... Plus de demeure mitoyenne, plus de terre ! ... Oh ! Monsieur, que le spectacle que nous avons sous les yeux est grand [122] ! »

Maistre, plus optimiste, persistait à demander à la terre les symptômes du prochain règne terrestre de Dieu ; et tandis que Lamennais semblait refaire l’Apocalypse, Maistre rêvait d’un Virgile refaisant une Quatrième Eglogue [123].Bonald un jour lui écrivait : « Les hommes qui par leurs sentiments appartiennent au passé, et par leurs pensées à l’avenir, trouvent difficilement leur place dans le présent [124]. » On ne pouvait mieux définir en son douloureux mystère la destinée de Maistre, qui achevait alors de traverser la terre sans y avoir jamais été installé. Mais philosophiquement, au jour le jour, Maistre s’était accommodé de sa perpétuelle instabilité, en pronostiquant, avec une magnifique fixité de regard, le « mouvement divin, la grande révolution religieuse inévitable en Europe, » et en y coopérant [125].

A la fin de 1820, la maladie commença de prévenir Maistre que bientôt il n’aurait plus à chercher « sa place dans le présent. » Il avait, pour la Noël, communié, et de nouveau communia le 29 janvier [126]. On lui lisait, chaque jour, l’Évangile de saint Jean, l’Imitation. Un jour Constance l’entendit « répéter avec enthousiasme ce passage de l’Apocalypse : « A celui qui m’aura confessé devant les hommes, je lui ouvrirai une porte que nul ne pourra fermer ; » et, en disant cela, ses yeux brillaient d’un feu qui n’était plus de la terre ; il savait qu’il parlait pour lui [127].

Le Registre des lettres porte, au 5 février 1821, l’indication que voici : « Au comte de Balbe pour l’établissement des Jésuites à Chambéry : confidentielle [128]. » Le 24 février, Maistre consignait encore, de sa propre main : « A M. l’abbé de Lamennais, chez M. de Saint-Victor, rue du Cherche-Midi, numéro 15. » Au-dessous de cette mention, une main, — peut-être la sienne, — tirait à l’avance, sur le feuillet blanc du registre, trois ou quatre traits, en vue des mentions ultérieures ; mais ces lignes devaient demeurer vides.

Cette lettre à Lamennais, — la dernière lettre qu’ait écrite Maistre, — ne figure pas dans les Œuvres ; mais elle se trouve publiée, sans date, dans le volume du regretté Clément de Paillette : Livres d’hier et d’autrefois. Le second tome de l’Essai sur l’indifférence était récemment paru, et Maistre, en le lisant, s’était souvenu, non sans inquiétude, qu’autrefois les détracteurs de l’évêque Huet, pour affaiblir l’autorité de sa Démonstration évangélique, avaient tiré parti d’un autre de ses livres, sur la Faiblesse de l’esprit humain [129]. Sur son lit d’agonie, Maistre revenait à la charge, en écrivant à Lamennais : « Vous voulez saisir la raison sur son trône et la forcer de faire une belle révérence, mais avec quelle main saisirons-nous cette insolente ? Avec celle de l’autorité sans doute, je n’en connais pas d’autre que nous puissions employer : nous voilà donc à Rome, réduits au système romain et à ces mêmes arguments qui ne vous semblent plus rien... Prenez garde, monsieur l’abbé, allons doucement, j’ai peur, et c’est tout ce que je puis dire [130]. » L’acte suprême de la pensée religieuse de Maistre fut cet élan d’anxiété au sujet du traditionalisme de Lamennais, que, treize ans plus tard, Rome condamnera.

Maistre avait encore quarante-huit heures à vivre ; et ses mains affaiblies continuaient de manier la plume. Car il avait des signatures à mettre au bas de quelques mandements d’évêques. « N’ayant pu obtenir, raconte sa fille Constance, que ces sortes d’écrits fussent exempts de la censure, il ne permettait pas du moins que les pasteurs de l’Eglise y vissent le nom d’un reviseur subalterne [131]. » Ce fut là le dernier geste religieux de Maistre, la veille même de sa mort. De par ses fonctions administratives, qui lui imposaient une besogne de magistrat gallican, il devait veiller à ce que l’estampille de l’Etat sarde fût apposée sur les écrits pastoraux. Il lui répugnait de laisser à des fonctionnaires inférieurs le soin d’attester par leurs visas, par leur censure, cette indiscrète insolence de l’Etat, contre laquelle les livres du Pape et de l’Église gallicane inauguraient une réaction décisive. Il sentait que le nom de Maistre avait désormais une vertu, et qu’au bas des documents épiscopaux, la signature de ce moribond : Maistre, au lieu d’apparaître aux hommes d’Eglise comme le sceau d’une servitude, leur rappellerait les livres émancipateurs auxquels cette même signature devait une gloire. Et les évêques sardes apprirent bientôt que l’archaïque gallicanisme sarde, fortuitement incarné dans Maistre, avait délicatement paraphé leurs mandements, et que, tout de suite après, le grand apologiste de l’Église libre et de la Papauté souveraine était mort.


GEORGES GOYAU.

  1. Voyez la Revue du 1er mars.
  2. En renouvelant mes remerciements à M. le commandant R. de Maistre, pour les documents inédits dont je lui dois la très obligeante communication, je tiens, sur sa demande, à faire une rectification : le titre de « comte de Maistre, » que je lui donnais dans mon premier article, n’appartient qu’à son cousin-germain, chef de la famille, qui habite en Savoie où « il maintient le nom et les traditions Maistre. »
  3. Victor Pierre, Revue des Questions historiques, 1er juillet 1898, p. 123 et 134.
  4. Vermale, Annales révolutionnaires, septembre-octobre 1920, p. 383-388 — Descostes, Joseph de Maistre pendant la Révolution, p. 471-490. — Mandoul, Joseph de Maistre et la politique de la maison de Savoie, p. 39, n. 4 « Paris, Alcan, 1899).
  5. Descostes, Joseph de Maistre pendant la Révolution, p. 821.
  6. Œuvres, VII, p. 216. — Nestor Albert, Vie de Mgr de Thiollaz, I. p. 127 ; 185-193, 214 (Paris, Champion. 1907). — Nous sommes très redevables, pour l’étude de ce séjour de Lausanne, à un travail inédit de M. Vermale.
  7. Martin et Fleury, Histoire de M. Vuarin, I, p. 43 (Genève, 1861).
  8. Albert, op. cit. I, p. 125 (déclaration du 25 février 1793).
  9. Journal inédit, 2 mars 1803.
  10. Œuvres, XIV, p. 203. — Latreille, Joseph de Maistre et la papauté, p. 101 (Paris, Hachette, 1906.) — Albert, op. cit., I, p. 210-211.
  11. Œuvres, XIV, p. 203.
  12. Œuvres, VII, p. 118. — Journal inédit, février 1798.
  13. Œuvres, VII, p. 273-275. — Voir, dans le même ordre d’idées, au sujet du fonctionnement de la justice divine, le curieux morceau anonyme : Vision dans une nuit du mois de mai, publié en 1794 dans le Journal littéraire de Lausanne, et que M. Baldensperger reproduit dans la Revue de littérature comparée, janvier-mars 1921, p. 142-150, comme étant peut-être une page inédite de Maistre.
  14. Œuvres, IX, p. 37.
  15. Ce détail a été révélé par une lettre de Maistre à d’Avaray, qu’a publiée M. Ernest Daudet (Joseph de Maistre et le comte de Blacas, p. 21-22).
  16. Œuvres, I, p. 24 ; I, p. 143 ; I, p. 117.
  17. Œuvres, I, p. 13-15, 21, 148 et 40.
  18. Voir à ce sujet dans Descostes, Joseph de Maistre avant la Révolution, II, p. 319-321, le curieux récit de l’humoriste genevois Petit-Senn.
  19. Correspondance diplomatique, éd. Blanc, II, p. 358.
  20. Descostes, op. cit.. Il, p. 183.
  21. Falloux, Mme Swetchine, I, p. 400.
  22. Œuvres, XIV, p. 86.
  23. Klein, Correspondant, 10 décembre 1902, p. 918.
  24. Constance à De Place, 28 mai 1821 (publié par M. Latreille, dans la Quinzaine, 16 juillet 1905, p. 156.)
  25. Œuvres, X, p. 415.
  26. Œuvres, VIII, p. 90-97.
  27. Lecture à l’Académie des sciences morales et politiques, 1920.
  28. Œuvres, XIII, p. 189, et II, p. 525.
  29. Voir les textes dans Féret, Le pouvoir civil devant l’enseignement catholique (Paris, Perrin, 1888), et l’épilogue de notre livre : Une ville Église : Genève, (Paris, Perrin, 1919). Dès le onzième siècle, le théologien alsacien Manegold, commentateur de la pensée de Grégoire VII, frappe de déchéance le roi qui devient tyran (Fliche, Saint Grégoire VII, p. 105-107. Paris, Gabalda, 1921).
  30. Frank Puaux, Les défenseurs de la souveraineté du peuple sous le règne de Louis XIV, p. 13-14 et 23-25 (Paris, Fischbacher, 1917).
  31. Bellarmin est déjà cité dans l’Étude sur la souveraineté (Œuvres, I, p. 389), et dans une lettre à Blacas, au début de 1812, Maistre dit de lui qu’il « n’a point de supérieur, pas même Bossuet. » (Daudet, Joseph de Maistre et Blacas, p. 154.) Pour Suarès, voir Œuvres, VIII, p. 216.
  32. Œuvres, II, p. 253-257.
  33. Œuvres, XIV, p. III, cf. XII, p. 433.
  34. Œuvres, X, p. 405-406.
  35. Œuvres, IX, p. 346.
  36. Œuvres, IX, p. 250, 290-291, 328-329.
  37. Œuvres, X, p. 193 ; XI, p. 44 et 283-285.
  38. Œuvres, l, p. 392-393.
  39. Œuvres, XII, p. 138. — Descostes, Correspondant, 25 juillet 1899, p. 249.
  40. Œuvres, XIII, p. 426. De fait, Rodolphe de Maistre, dont l’éducation religieuse avait jadis été confiée par Maistre à un ancien Jésuite (Journal, 23 janvier 1800), aima beaucoup les Jésuites à son tour, puisqu’une manifestation qu’il risqua dans la presse en leur faveur le fit révoquer, en 1848, de ses fonctions de gouverneur de Nice (Margerie, Joseph de Maistre, p. 422-425).
  41. Œuvres, XIV, p. 124.
  42. Œuvres, XIII, p. 204.
  43. Œuvres, 1, p. 272.
  44. Voir à ce sujet Dudon, Études, 20 octobre 1906, p. 147-150.
  45. Œuvres, VIII, p. 192 et 271.
  46. Œuvres, XII, p. 474 et 486 ; XIII, p. 27 ; XIV, p. 115. Sur ce manuscrit, qui faillit un instant être publié par Bonald et qui fut finalement publié par les Sulpiciens, voir Méric, Histoire de M. Emery, II, p, 367-369 (Paris, Poussielgue, 1895).
  47. Œuvres, V, p. 229, et VIII, p. 215.
  48. Œuvres, VIII, p. 330-332.
  49. Zalenski, Les Jésuites de la Russie Blanche, trad. Vivier, I, p. 423 et II p. 449-416 (Paris, Letouzey)
  50. Sur l’autorité de Barruel, voir, à l’encontre des critiques de M. Le Forestier, les Illuminés de Bavière, p. 488. les observations du P. Dudon, Études. 20 janvier 1919. p. 178-195. Dès 1786, notre ministre en Bavière et son secrétaire divergeaient d’avis au sujet de la portée politique de l’luminisme.
  51. Maistre à De Place, 11 déc. 1820 « Latreille, Revue Bleue, 30 mars 1912, p, 696),
  52. Œuvres, VIII, p. 330 ; XIII, p. 28 et 291.
  53. Le Forestier, op. cit., p. 186. On retrouvera cette allégation, en 1797, dans le livre du maçon anglais Robison. « Le Forestier, op. cit., p. 678.)
  54. Margerie, Le comte Joseph de Maistre, p. 431.
  55. Œuvres, VIII, p. 142.
  56. Œuvres, XIII, p. 337. Pour l’intelligence des écrits de Maistre au sujet de la Russie, le tome V de la grande œuvre historique du P. Pierling : la Russie et le Saint-Siège (Paris, Plon, 1912), rend les plus précieux services.
  57. Pierling, op. cit., V, p. 289-334.
  58. Comte Fédor Golovkine, La Cour et le règne de Paul Ier, p. 149 (Paris, Plon, 1905). — Gagarin, Religion et mœurs des Russes : Anecdotes recueillies par le comte Joseph de Maistre et le P. Grivel, S. J., p. 99 (Paris, Leroux, 1879).
  59. Pierling, op. cit., V, p. 188 et suiv.
  60. Pierling, op. cit., V, p. 319 (note d’Arezzo, qui trouvait Maistre « plein de connaissances, mais plein aussi de vanité et d’idées fausses. » V. p. 364).
  61. Pierling, op. cit., V, p. 398.
  62. Œuvres, I, p. 61,
  63. Lettre du 20 juillet/2 août 1803, publiée par M. Louis Arnould dans son livre : La Providence et le bonheur d’après Bossuet et Joseph de Maistre, p. 192-193 Société française d’imprimerie, 1917), qui est une excellente interprétation du « providentialisme » de Maistre.
  64. Religion et mœurs des Russes, p. 12 et 21-27 ; Œuvres, II, p. 464 et XI, p. 236.
  65. Note supprimée dans le livre du Pape (Latreille, op. cit., p. 78).
  66. Maistre, Correspondance diplomatique, I, p. 12 ; et Œuvres, XI, p. 514.
  67. Œuvres, XI, p. 519, et VIII, p. 290-291.
  68. Œuvres, IX, p. 247 ; XIII, p. 170 ; VIII, p. 170-171.
  69. Œuvres, XI, p. 521-523 et VIII, p. 263-263.
  70. Œuvres, VIII, p. 363-450.
  71. Œuvres, VIII, p. 314-315.
  72. Religion et mœurs des Russes : anecdotes, p. 38-40.
  73. Metternich, Mémoires, I, p. 315-319.
  74. Œuvres, VIII, p. 491.
  75. Œuvres, XIII, p. 208 et 204.
  76. Journal inédit, 1/12 novembre 1811. Il est curieux de constater, dans le Journal, qu’en octobre 1805, après avoir assisté à deux examens au collège des Jésuites, Maistre avait eu, tout d’abord, une impression médiocre, « ne retrouvant plus le talent inné de cet ordre pour l’éducation de la jeunesse. »
  77. Correspondance entre Maistre et le P. Brzozowski, général des Jésuite » (janvier 1814), publiée par Margerie, op. cit., pp. 53-55.
  78. Œuvres, XI, p. 349.
  79. Maistre, Correspondance diplomatique, I, p. 18.
  80. Correspondant, 10 décembre 1902, p. 925.
  81. Œuvres, XI, p. 44-45.
  82. Gagarin, Contemporain, octobre 1877, p. 583-591.
  83. Journal, 27 octobre/ 8 novembre 1808.
  84. Rozaven, L’Église russe et l’Église catholique, éd. Gagarin. Paris, 1876.
  85. Œuvres, VIII, p. 136.
  86. Œuvres, VIII, p. 156-157.
  87. Pierling, Alexandre Ier est-il mort catholique ? « Paris, Beauchesne, 1913.)
  88. Œuvres, XIII, pp. 162-163 et 222-223, et II, pp. 319-337.
  89. Latreille, op. cit., pp. 23-26.
  90. Œuvres, XIII, p. 149.
  91. Pierling, Revue pratique d’apologétique, 1er août 1920, pp. 399-415.
  92. Maistre, Correspondance diplomatique, II, pp. 57 et suiv. — Burnichon, La Compagnie de Jésus en France, I, pp. 183-192. (Paris, Beauchesne, 1914.)
  93. Entretiens d’un sceptique et d’un croyant sur l’orthodoxie de l’Église orientale, par Mgr Philarète, trad. Soudakoff. (Paris, 1862.)
  94. Œuvres, XIII, pp. 216, 166, 203-204.
  95. Œuvres, XIII, p. 282.
  96. Œuvres, XIII, pp. 294 et 444.
  97. Dépêche de Gabriac, chargé d’affaires de France, dans Mandoul, op. cit., pp. 96-98. D’ailleurs Gahriac notera, lors du départ de Maistre, les « expressions d’estime particulière » pour Maistre que contenait une lettre du Tsar au roi de Sardaigne et qui « sortaient même du langage accoutumé dans ces sortes de lettres. »
  98. Œuvres, XIII, pp. 466 467 ; XIV, p. 5 ; Corresp. diplomatique, II, p. 305.
  99. Œuvres, XIV, p. 6.
  100. Œuvres, XIV, p. 57 et 72.
  101. En fait, comme le rappellera plus tard le Père Rozaven, si les étrangers pouvaient en Russie exercer leur culte, il existait des lois très sévères contre tout Russe qui voudrait professer un des cultes tolérés en Russie ; et le premier dimanche du carême, du haut des chaires russes, l’anathème était brandi contre ces cultes. (Rozaven, De la réunion de l’Église russe avec l’Eglise catholique, p. 257 et 281. Paris, 1864.)
  102. Falloux, -Mme Swetchine, I. p. 199. — Œuvres, XIV, p. 82.
  103. La précieuse publication de la correspondance entre Maistre et Blacas par M. Ernest Daudet a montré comment il faut chercher dans cette correspondance la première ébauche du livre du Pape. Voir Germain Breton, Bulletin de littérature ecclésiastique, mars-avril 1920, p. 81-111.
  104. Œuvres, XIV, p. 58-59.
  105. Œuvres, XI, p. 44. Voir Pierling, La Russie et le Saint-Siège, IV, p. 250,
  106. Pierling, op. cit., V, p. 449.
  107. Œuvres, VIII, p. 411.
  108. Féret, op. cit., p. 86, 96 et 97.
  109. Œuvres, II. p. 157.
  110. Amica collatio ou échange d’observations sur le livre français intitulé : Du Pape (manuscrit de Maistre publié dans les Études, 5 octobre 1897, p. 5-32, par le P. Dominique de Maistre).
  111. Œuvres, II, p. X et XII (préface de 1820 à la seconde édition du Pape). — Cf. Germain Breton, loc. cit., juillet-octobre 1920, p. 242-268.
  112. Œuvres, II, p. 348.
  113. Amica collatio, p. 20. — Œuvres, V, p. 97.
  114. Œuvres, II, p. 106.
  115. Œuvres, II, p. 274 et 12. — Amica collatio, p. 14.
  116. Amica collatio, p. 15-16 — Cf. Œuvres, ! , p. 260 : « Cherchez-vous donc, dans un enfant au maillot, les véritables dimensions de l’homme fait ? C’est une pitié de voir d’excellents esprits se tuer à vouloir prouver par l’enfance que la virilité est un abus.
  117. Œuvres, I, p. 374 ; I, p. 249-252 et 257-258 ; II, p. 11.
  118. Maistre à De Place, 10 mai 1819 (Latreille, Revue Bleue, 16 mars 1912, p. 528). M. Latreille a étudié, avec une grande richesse de détails, l’accueil qui fut fait au livre du Pape par l’opinion européenne ; quant aux dispositions du Saint-Siège à l’endroit du livre, la question ne sera complètement élucidée que lorsqu’on aura fouillé les archives mêmes du Vatican. Les réserves informées qu’a faites le P. Dudon (Études, 20 novembre 1910, p. 507) au sujet de certaines suppositions de la duchesse de Laval-Montmorency doivent dès maintenant être retenues.
  119. Œuvres, VIII, p. 317-519 ; cf. XIV, p. 342. Sera-ce un ange, sera-ce une dame, qui déterminera, six ans plus tard, une mystérieuse démarche d’Alexandre ? Sera-ce peut-être le souvenir même de ces pages de Maistre, dont des extrait ? (voir Latreille, op. cit., p. 289) furent remis au Tsar à l’instigation de l’abbé Vuarin ? A l’automne de 1823, un compatriote de Maistre, le savoyard Michaud de Beauretour, viendra dire au Pape la volonté du Tsar de ramener ses peuples à l’Église romaine et demander l’envoi à Pétersbourg d’un théologien romain ; et sur ces entrefaites Alexandre mourra. Voir Pierling, Alexandre Ier est-il mort catholique ? Les recherches faites aux Archives vaticanes ont confirmé la réalité de la mission de Michaud.
  120. Œuvres, XIV, p. 232.
  121. Œuvres, VIII, p. 477-481 ; II, p. 398-399 ; IV, p. 125 ; XIV, p. 232 ; VIII, p. 481 ; IV, p. 361 ; XIV, p. 157 et II, p. 521.
  122. Œuvres, XIV, p. 371-372 « Lamennais à Maistre, 2 janvier 1821).
  123. Œuvres, XIII, p. 469.
  124. Œuvres, XIV, p. 315 (Bonald à Maistre, 22 mars 1817).
  125. Daudet, op. cit., p. 125-126 ; Œuvres, VIII, p. 442 ; XIII, p. 27.
  126. Constance à M. l’abbé Rey, 21 janvier 1821 (lettre inédite communiquée par le P. Dom. de Maistre). — Constance à M. l’abbé Rey, 29 janvier 1821 (publiée par M. Latreille, Quinzaine, 16 juillet 1905, pp. 151-153).
  127. Constance à De Place, 28 mai 1821 « Latreille, loc. cit., p. 158).
  128. Il s’agissait de l’affectation de la somme laissée par le général de Boigne pour fonder un collège à Chambéry ; voir une lettre de la duchesse de Laval-Montmorency (Constance) du 2 mars 1881 (Études, 20 novembre 1910, p. 506).
  129. Œuvres, XIV. p. 236.
  130. Clément de Paillette, Livres d’hier et d’autrefois, p. 324.
  131. Constance à De Place, 28 mai 1821 « Latreille, loc. cit., p. 158). — Sur les derniers jours de Joseph de Maistre, voir l’article du comte Rodolphe de Maistre, Revue universelle, 15 février 1921, p. 413-419.