La Mystification fatale/Deuxième Partie/XIV


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 168-171).
§ XIV. — Hormisdas et Didyme d’Alexandrie.


Le célèbre théologien romain Perrone parlant de la croyance de l’Église d’Orient à la procession dyadique dit : « Il n’est pas moins incontestable que telle fut toujours la croyance de l’Église orientale elle-même. Celle-ci connaissait exactement la croyance de l’Église occidentale sur ce point ; car elle n’ignorait pas la lettre du pape Hormisdas à l’empereur Justinien, en 521, où il est dit entre autres : « On sait que la particularité (proprium) du Père, d’engendrer le Fils ; celle du Fils, d’être engendré par le Père égal à lui ; celle du Saint-Esprit, de procéder du Père et du Fils avec la même essence de divinité. » Et pourtant personne parmi les Grecs, ajoute Perrone, ne fit la moindre protestation… et le pape Hormisdas n’aurait jamais écrit : « On sait… » s’il n’eût pas été convaincu que les deux Églises avaient alors la même croyance. » Mais nous demandons pourquoi l’érudit d’Occident n’a pas tenu compte d’une remarque fort importante de Mansi, autre érudit d’Occident, qui après avoir collationné sur les manuscrits le passage en question de la lettre d’Hormisdas, s’exprime ainsi : « La main primitive a écrit ce passage comme suit : On sait également en quoi consiste la particularité du Saint-Esprit… » Et à cette leçon une autre main ancienne et presque semblable a substitué celle-ci : « On sait que la particularité du Saint-Esprit, c’est de procéder du Père et du Fils. Primigenia manus ita hunc textum ferebat : Notum etiam quod sit proprium Spiritus Sancti… proprium autem Filii Dei, ut juxta, id, etc. Quam lectionem ita reformat manus antiqua et fera æqualis ; Notum etiam quod sit Spiritus Sancti ut de Patre et Filio procederet ! » (Mansi in Collect. Conciliorum amplissima, t. VIII, p. 521, sub textu.) Pourquoi ce même savant a-t-il également négligé le témoignage de Zernicavius, qui, de ses propres yeux, a vu dans l’un des codes de la bibliothèque d’Hambourg, la même restauration du texte primitif de ce passage, faite sur les originaux et antérieurement à Mansi ! En deux mots pourquoi ce savant cite-t-il un passage dont l’altération lui est déjà si bien démontrée !…

Le même théologien cite ces paroles tirées des écrits de Didyme d’Alexandrie sur le Saint-Esprit : « Le Sauveur a dit : Il (le Saint-Esprit) ne parlera pas de lui-même, c’est-à-dire sans moi, sans mon consentement et celui de mon Père, parce qu’Il n’est pas séparé de ma volonté, ni de celle de mon Père ; parce qu’Il est non de lui-même, mais du Père et de moi ; car tout ce qu’Il est et tout ce qu’Il dit, Il le tient du Père et de moi. » Mais il est notoire que Ratramus, moine de Corbie qui, au neuvième siècle, écrivit contre les Grecs par ordre du pape Nicolas I, cite ce même passage de Didyme d’une manière toute différente : « Salvator dit : Non enim loquitur a semetipso, hoc est sine me et sine meo et Patris arbitrio, quia inseparabilis a mea et Patris est voluntate ; hoc enim ipsum, quod substitit et loquitur, ego veritas loquor, siquidem Spiritus veritatis est. » (Ratrammus, Opuscul. contra Graecos, lib. II, cap. 5, in Dacherii Spicileg. veter. Scriptor., t. I, p. 78, éd. Paris, 1723). Comme on le voit, Ratrammus, dans cette citation omet de répéter par deux fois les paroles : du Père et moi… quoiqu’elles fussent bien nécessaires à son but et qu’il n’eût pu les omettre à dessein : preuve qu’au neuvième siecle ces paroles ne se trouvaient point encore dans les manuscrits des œuvres de Didyme. On sait également que ces mêmes paroles manquent dans certaines éditions de la composition du même auteur sur le Saint-Esprit, sortie des mains de savants occidentaux du seizième siècle, c’est-à-dire que, même au seizième siècle, il y avait encore des manuscrits dans lesquels ces paroles n’avaient pas été intercalées. Peut-on bien considérer ce passage comme exempt d’altération.