Traduction par Jean-Vincent Scheil.
Ernest Leroux (p. 17-21).

LETTRE À L’ÉDITEUR




Monsieur,

Ensemble, l’an passé, nous avons publié avec nos noms en grosses lettres, dans un gros ouvrage, Le Code des Lois de Hammourabi, découvert à Suse par M. de Morgan, déchiffré par votre serviteur.

De longtemps, le marché littéraire n’avait exposé un livre plus digne d’intéresser le monde savant par ce qu’il nous révélait sur l’état de la société, il y a quatre mille ans. Il n’est homme si peu clerc qui n’en ait ouï parler, et qui n’eût voulu le connaître.

Vous me mandiez cependant, Monsieur, à Suse où je passai l’hiver dernier dans les ruines, que pour une diffusion plus large de cet admirable document, il vous fallait, sans tarder, un léger opuscule, quelques feuilles volantes où nos Lois parussent en simple texte français, dans leur expression la plus claire et la plus nette.

C’est de la sorte, dites-vous, qu’on a agi en Allemagne, en Angleterre, etc. Là, plusieurs éditions populaires de ce Code furent lancées d’après notre publication, et sont exploitées par cent auteurs, juristes, théologiens-exégètes, historiens, etc, qui, d’ailleurs, ajoutez-vous, « se taisent de votre nom ».

Il est vrai, Monsieur, que, par tel moyen, la diffusion de ce document a été grande à l’étranger, singulièrement en Allemagne où de savoir s’il favorisait peu ou prou le Biblisme, passionnait les esprits au moins autant que sa valeur spécifique intrinsèque.

Sans trouver chez nous le même engouement, vous compterez encore, que je ne me trompe, assez de moralistes, juristes, historiens, etc., qui vous béniront de leur donner, à bon marché, dans un livret court et substantiel, une des plus belles découvertes qui aient été faites en Orient, depuis qu’on y interroge des ruines.

Quant à l’autre point, souffrez que j’en touche, après vous, discrètement un mot.

Les auteurs de traductions parues hors de France, assyriologues eux-mêmes, et au courant de ce qu’est un tel travail, ne se font faute de rendre justice, le plus honnêtement du monde, au premier interprète. En retour, je n’ai garde de me plaindre qu’ils s’efforcent, par la discussion de quelques paragraphes obscurs (un Gode latin de Jules César aurait ses paragraphes obscurs), de mériter une part de l’honneur d’un premier déchiffrement. Le reste, ou ceux qui étudient de seconde main, citent naturellement la traduction qui est à leur portée, et ne sauraient songer à frustrer qui que ce soit.

Agréez, Monsieur, etc.

V. Scheil.

Paris, août 1903.

Le bloc de diorite qui porte le texte du Code a été découvert, partie en décembre 1901, partie en janvier 1902, par M. de Morgan, dans ses fouilles de Suse. Il mesure : 2m, 25 en hauteur, et 1m, 90 de pourtour à la base. Gravé par Hammourabi, roi de Babylonie, vers 2000 av. J.-C, pour le temple de Sippar (actuellement ruine de Abou Habba, près Bagdad), ce chef-d’œuvre de la pensée humaine fut enlevé comme trophée vers 1120 avant J.-C. par le roi élamite Choutrouk-Nahhounte, et transporté dans sa capitale.

La planche ci-jointe figure le sommet du monument. On y voit Hammourabi recevant du dieu Soleil les présentes Lois.

À partir du § 65, une quarantaine de lois ont été radiées ; j’ai pu en restituer trois (§ a, § b, § c), avec des fragments de tablettes portant des copies du Code. Ces débris précieux avaient été trouvés à Ninive, et sont conservés au Musée Britannique.

Quant à l’époque que j’assigne à Hammourabi (2000 environ avant J.-C), on en trouvera la justification dans les premières pages des Mémoires de la Délégation, etc. Textes élamites-anzanites, deuxième série, Introd., p. xv.