Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 82-83).
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Cinquième douzaine

LI. — PETIT MONDE

Dans leur taudis glacé l’homme et la femme sont saouls et endormis, elle sur la chaise dépenaillée, lui par terre. La chandelle prête à s’éteindre, dont la mèche rouge charbonne et qui s’écroule en cascades de suif, éclaire à peine d’une lueur rouge leurs visages déchirés et tachés de sang, car ils se sont battus, comme toujours, avant de tomber assommés par l’eau-de-vie. Assis presque nu sur le bord du grabat sans draps, le pauvre petit de trois ans pleure de faim et de froid. Mais sa grande sœur, qui a six ans, vient, le prend, l’enveloppe dans un fichu à elle où il y a plus de trou que d’étoffe, et n’ayant pas autre chose à lui donner, calme sa faim et le réchauffe, et l’endort dans ses maigres bras, à force de baisers. Et grandie par le céleste amour, cette fillette aux grands yeux d’or et à la chair transparente est déjà belle et sérieuse comme une jeune mère.