Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 161-162).
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Neuvième douzaine

CV. — CONFESSION

Vers deux heures du matin, chez Hill’s, Séraphine Disse est assise à une table, toute seule, expressément seule. Elle mange des India pickles à la moutarde pareils à des pieuvres rouges, et de temps en temps une écrevisse, qu’elle broie tout entière de ses petites dents de chien, avec la carapace, le tout mêlé de quelques cigarettes, qu’elle pose allumées sur le bord de son assiette. Et elle boit un breuvage effrayant, pareil à l’eau noire du Cocyte, mélangé selon ses instructions, et qui brûle le verre.

— « Je vous trouve enfin ! dit le jeune Émile Pommera, qui est entré, pâle comme un linge, et s’est assis près de la jeune femme. Ô Séraphine ! aimez-moi, et aimez-moi fidèlement, car si je ne vous possède pas à moi seul, je mourrai désespéré, ayant dans ma poitrine tous les enfers ! »

Séraphine est blonde, jolie, charnue, avec un teint de Hollandaise, impudemment rose ; ses prunelles grises et vertes sont d’une couleur céruléenne, et sa voix musicale résonne avec une abominable justesse.

— « Tenez, dit-elle, vous m’intéressez, à la fin. Je vais vous montrer mon cœur tel qu’il est, — si c’est un cœur ! J’aime le mal, sans passion, car je n’éprouve aucune passion, mais avec une apathie obstinée. Je trahis pour trahir ; je ne sais ni ne veux dire un mot qui ne soit pas un mensonge ; deux frères, qui étaient mes amants, se sont entre-tués pour l’amour de moi, et ça ne m’a pas même ennuyée. Je m’éveille en me demandant ce que je pourrais faire de cruel et d’absurde, et je le fais, sans joie ! avec une froideur glaciale, uniquement par dépravation. Et voilà, cher ami, la jolie petite femme que vous désirez.