Le Courrier Fédéral Ltée (p. 59-61).

CHAPITRE XXIV

Zilumah.

Dire que Claire était heureuse d’avoir une compagne, ce serait mal exprimer ce qu’elle ressentait. Ce n’était pas seulement du bonheur, c’était du soulagement. Elle ne serait plus seule avec ce vieillard qui ne lui adressait pas une parole par semaine.

Cependant, il y avait une ombre au tableau : elle ne pouvait converser avec sa nouvelle compagne. Claire ne parlait pas l’esquimau. Zilumah ne parlait pas le français.

Claire s’occupa donc à donner quelques leçons à Zilumah ; elle nommait les objets et l’Esquimale répétait après elle, puis, quand elle comprit ce que voulait dire poêle, chaise, table, vaisselle, charbon, etc., etc., la jeune institutrice lui apprit à lier les mots ensemble pour former des phrases. Ce fut long et difficile mais Zilumah était très intelligente et sa mémoire semblait prodigieuse. Au bout d’un certain temps, l’Esquimale put dire à peu près tout ce qu’elle voulait, en français. Elle n’aurait pu soutenir une conversation ; mais elle se faisait bien comprendre et surtout, elle comprenait parfaitement tout ce que Claire lui disait. Encouragée, celle-ci lui apprit ses lettres, lui montra à lire et ensuite à écrire.

Tout cela occupa la plus grande partie de l’hiver. Il avait fallu à Claire une grande patience, sans doute ; mais lorsqu’à la fin de février, elle put s’entretenir avec Zilumah comme avec une personne de sa propre race, elle ne regretta pas les heures accordées à sa tâche.

Mais Ziliiniah ne se bornait pas à prendre des leçons de français, croyez-le ; elle se rendait utile. Dès le premier jour de sa descente dans la salle commune, elle s’était montrée pleine d’attention pour Claire et bientôt, ce fut Zilumah qui faisait le ménage, lavait la vaisselle, faisait la lessive, et entretenait les poêles. Claire se trouvant ainsi déchargée de ces besognes qui ne lui avaient jamais plu.

Claire avait voulu protester, mais Zilumah, en gestes expressifs, lui avait fait comprendre qu’elle entendait faire ces ouvrages elle-même et que la jeune fille, dorénavant, devait se contenter de faire la cuisine.

Et, pendant ce temps, que devenait le gardien du phare ? Il ne quittait pas son lit et bien qu’il ne parut pas empirer, il ne semblait pas prendre de mieux non plus. Les deux femmes le soignaient de leur mieux ; mais il était évident qu’il achevait sa course en ce monde.

Vers la fin de février, son état devint alarmant. Claire et Zilumah ne le quittaient plus la nuit. L’une ou l’autre, à tour de rôle, passait la nuit sur un canapé dans la salle commune. Dans les premiers jours de mars, le malade paraissait bien plus mal ; il passait d’un frisson à un autre, d’un accès de fièvre à un autre et sa toux devint continuelle. Le 6 mars, dans la soirée, le vieillard s’évanouit, puis, dans la nuit, il appela Claire ; la jeune fille accourut au chevet de son lit.

« Je me meurs, Jean Clerc, » murmura le vieillard, « je ne verrai pas l’aurore. »

« Non. non, » s’écria Claire, « ne parlez pas ainsi, je vous en prie !! »

« C’est toi qui seras le véritable gardien du « phare des glaces, » reprit-il. » Je suis content que l’Esquimale soit avec toi, bien content. »

Une sévère quinte de toux interrompit le malade. Claire appela Zilumah, croyant que le vieux gardien allait mourir ; mais bientôt, il reprit :

« Quand j’aurai cessé de vivre, vous mettrez mon corps dans un sac d’emballage et le jetterez à la mer. Ensuite… Tiens, cette clef, Jean ; elle ouvre une cassette en ébène… Dans cette cassette, il y a une lettre pour toi ; mais, n’ouvre cette lettre qu’après mes funérailles. »

Le vieillard remit à Claire une petite clef en or ciselé, du plus curieux travail. La jeune fille promit de se conformer à ses dernières volontés.

« Laisse-moi maintenant, je vais dormir. »

Claire revint auprès de Zilumah. Le gardien semblait reposer paisiblement. Tout était silencieux au « phare des glaces, » les jeunes infirmières étaient épuisées de fatigue et bientôt elles cédèrent au besoin de dormir.