Le Courrier Fédéral Ltée (p. 37-39).

CHAPITRE XV

À bord du bateau de ravitaillement

À trois heures précises, le bateau de ravitaillement quitta le port de B. pour ses différentes destinations. Il y avait à bord, à part le Commandant et l’équipage, les gardiens des différents phares que le bateau allait ravitailler. Les gardiens des phares étaient traités comme s’ils eussent été des passagers à bord d’un paquebot. Ils avaient chacun une cabine confortable et prenaient leurs repas avec le Commandant.

Le bateau de ravitaillement arrêtait aux différents phares, où l’on déposait les provisions de bouche, le charbon, les habits, les armes, etc., puis au bout d’un an, de deux ans, selon la distance du phare, le bateau revenait renouveler les approvisionnements.

Le « Phare des glaces » venait d’être construit et, comme il était situé — nous l’avons dit déjà — au-delà du 65ème parallèle nord, ceux qui s’y rendaient devaient être résignés à y demeurer trois ans, sans secours du dehors.

Ce « Phare des glaces » devait rendre d’inappréciables services, avait pensé le Gouvernement, à la Cie de la Baie d’Hudson, sans compter les hardis explorateurs qui, déjà, à l’époque où se passent les péripéties de ce récit, étaient nombreux dans les régions hyperboréennes.

Claire prit possession de sa cabine et ne la quitta pas avant l’heure du souper. Quand la cloche du bord appela les gardiens à table, Claire se rendit à la salle à manger et s’assit sur le siège fixe qu’on lui désigna. Ce siège était à l’une des extrémités de la table, en face de celui du Commandant.

La porte s’ouvre et le Commandant entre. Il salue les passagers et échange quelques mots avec chacun. Arrivé à Claire, il fait un mouvement de surprise, qui, d’ailleurs, passe inaperçu. Mais Claire !… Elle a reconnu dans le Commandant du bateau de ravitaillement, Hervé d’Arles, celui qui, un jour, lui avait sauvé la vie.

On présenta Claire au commandant :

« Jean Clerc, le compagnon du gardien du « phare des glaces ».

Souvent, pendant ce repas, les yeux de Claire rencontrèrent ceux du Commandant ; mais elle était bien certaine qu’il ne l’avait pas reconnue, déguisée comme elle l’était.

Après souper, la jeune fille se retira dans sa cabine qu’elle ne quitta qu’à l’heure du déjeuner, le lendemain.

Après le déjeuner, Claire monte sur le pont et bientôt son attention est attirée par une conversation animée entre les gardiens des phares — excepté celui du « phare des glaces », le vieillard ayant repris sa taciturnité — et les matelots du bord. Un frisson secoue la jeune fille de la tête aux pieds, car on discute le meurtre de Madame Dumond et l’évasion de la criminelle.

« On offre deux mille dollars de récompense à qui donnera des informations sur la dite Claire d’Ivery ! » s’écrie un matelot. « Deux mille dollars, ce n’est pas bête à prendre ! »

— « Bah !… Avec les renseignements, ou plutôt le signalement que donne les journaux, ce n’est pas facile d’arriver » répliqua un autre matelot : « Taille un peu au-dessus de la moyenne, cheveux blonds abondants, yeux bleus… Toutes les femmes blondes peuvent répondre à cette description. »

Instinctivement, Claire abaisse son béret sur son front puis, ayant levé les yeux, elle aperçoit le Commandant qui semble la regarder avec attention. Elle saisit le premier prétexte venu pour retourner à sa cabine et ce n’est que le soir, quand le pont est désert, qu’elle ose aller respirer l’air un peu.

Après s’être promenée longtemps, Claire s’assied et, appuyée au bastingage, elle regarde la mer. Quel triste sort que le sien !… Obligée de fuir ses semblables pour trouver la sécurité… Mais elle bénit Dieu ce soir d’avoir mis ce vieillard sur sa route : au « phare des glaces » seulement trouvera-t-elle un asile assuré.

Une main se pose sur son bras en ce moment et une voix murmure tout bas :

« Claire ! »

Claire lève les yeux et elle aperçoit, penché sur elle et la regardant avec tendresse, le Commandant Hervé d’Arles.