La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 11

Chapitre XI.


Prétendus fossiles humains.


Avant que d’aborder l’étude des débris fossiles appartenant à d’autres espèces, il convient que nous examinions si les couches dont se compose l’écorce du globe renferment des traces qu’y ait laissées l’espèce humaine.

Or tous les témoignages que l’on a pu recueillir sur ce point sont négatifs, et de toutes les conclusions auxquelles la science s’est élevée il n’en est pas de mieux établie que ce fait important que, dans la série tout entière des formations géologiques, il y a absence totale de vestiges appartenant à l’espèce humaine[1]. S’il en était autrement, il eût été difficile de concilier les périodes si éloignées et si vastes qui ont fourni a l’existence des diverses races animales éteintes avec la chronologie telle que nous l’admettons ; mais au contraire ce fait qu’aucun reste humain ne s’est montré conjointement avec les débris d’espèces perdues peut être cité comme une confirmation de l’hypothèse que ces diverses espèces ont vécu à la surface du globe et en ont disparu avant que l’homme eût été créé.

Cependant il est arrivé que l’on ait rencontré des ossemens humains et des ouvrages d’art à quelques pieds plus bas que la surface de certaines couches ; mais il n’y a rien là qui prouve d’une manière irrécusable que de tels restes aient égalé en antiquité le terrain même où ils reposaient. La pratique universelle d’enterrer les morts, et l’habitude assez répandue de placer autour d’eux des instrumens et des ustensiles divers, suffit à rendre compte de la présence de débris provenant de l’homme sur certains points qui ont pu servir de lieu de sépulture.

Le cas le plus remarquable, et le seul bien authentique d’un squelette humain renfermé dans une roche calcaire solide, c’est celui que l’on a trouvé sur la côte de la Guadeloupe[2]. Néanmoins rien n’autorise à considérer ces ossemens comme remontant à une époque fort reculée. La roche dont il s’agit est d’une formation très récente, et se compose de fragmens agglutinés de coquilles et de polypiers des eaux d’alentour. On voit de semblables roches se former, en quelques années, de matériaux analogues dans les bancs de sable qui bordent les mers intertropicales.

Souvent aussi l’on a rencontré des ossemens humains et des ouvrages d’art grossiers dans des cavernes naturelles, quelquefois enfermés dans des stalactites, d’autres fois dans des couches terreuses où ils se trouvaient dispersés parmi les ossemens d’espèces éteintes de quadrupèdes. Ces cas peuvent s’expliquer par l’habitude qu’ont eue les hommes à toutes les époques de choisir de semblables lieux pour leur sépulture ; et cette circonstance accidentelle que dans plusieurs cavernes les restes d’espèces éteintes se montrent dans le même sol où, à des époques subséquentes, des cadavres appartenant à l’espèce humaine ont pu être ensevelis, ne nous apprend rien sur l’époque où a eu lieu le dépôt de ces derniers.

Un grand nombre de ces cavernes ont été habitées par des tribus sauvages ; et celles-ci, pour s’y arranger une demeure commode, ont fréquemment remué les points du sol qui recouvraient les restes de ceux qui les avaient précédés. Ces mouvemens expliquent comment des fragmens de squelettes humains sont parfois mêlés, en même temps que des restes de quadrupèdes modernes, avec des ossemens d’espèces éteintes, bien que celles-ci y aient été déposées à des époques de beaucoup antérieures, et par des causes naturelles.

Quelques notices ont été publiées dans ces dernières années sur des restes humains découverts dans des cavernes, en France et dans la province de Liège, et on leur attribue la même antiquité qu’aux ossemens d’hyènes et d’autres quadrupèdes éteints dont ils sont entourés. Mais, suivant toute probabilité, ils doivent pour la plupart leur origine à quelqu’une des causes que nous venons d’énumérer. Et, quant aux cavernes qui servent de lit à quelque rivière souterraine, ou qui sont exposées à être remplies par des inondations accidentelles, si l’on y rencontre des ossemens humains confondus avec des restes d’animaux d’une époque plus reculée, on s’en rend aisément compte par les mouvemens qu’occasionnent dans le sol les eaux courantes.



  1. Voyez M. Lyell, Principles of geology, vol. 4, p. 155 et 159, première édition, 1830.
  2. Un de ces squelettes est conservé dans le Musée britannique, et a été décrit par M. Kœnig, dans les Transactions philosophiques de 1814, vol. 104, p. 101. Suivant le général Ernouf (Transactions linnéennes, 1818, vol. 12, p. 53), la roche dans laquelle on rencontre à la Guadeloupe des ossemens humains est composée de sable consolidé, et renferme en même temps des coquilles d’espèces qui habitent encore aujourd’hui les mers et les terres environnantes, des fragmens de poterie, des flèches et des haches de pierre. Ces ossemens sont le plus souvent dispersés. Un squelette, que l’on a trouvé entier, était dans la position où l’on place d’ordinaire ceux que l’on enterre, et un autre, enfermé dans un grès plus mou, paraissait avoir été enseveli dans la position assise, ainsi que cela se pratiquait parmi les Caraïbes ; et ces deux corps ainsi inhumés suivant des rites divers paraissent avoir appartenu à des tri luis différentes. Le général Ernouf explique la rencontre des ossemens dispersés par une tradition qui rapporte que, vers l’an 1710, une tribu de Gallibis fut vaincue et massacrée sur ce point là même par les Caraïbes : leurs restes disséminés auront probablement été recouverts par les eaux d’une couche de sable qui bientôt se sera convertie en une roche solide.

    Sur la côte ouest de l’Irlande, près de Killery-ttarbour, on voit un banc de sable que la mer entoure dans les marées hautes, et où les habitans ont en ce moment même la coutume d’aller enterrer leurs morts.