Librairie Hachette et Cie (p. 396-401).


XXIX

HEUREUSE INFLUENCE DE MINA.


Les visites de Mina furent productives pour les pauvres ; ils furent tous pourvus du nécessaire en attendant mieux. Le lendemain, elle passa l’après-midi chez sa belle-mère. En rentrant, elle eut l’agréable surprise d’avoir une lettre de Gaspard. Après bien des tendresses, il lui écrivait :

« Tes prières et ton exemple nous ont déjà fait un peu de bien, ma chère petite femme bien-aimée. Nous avons pensé aux pauvres à secourir et aux églises à réparer. Nous comptons établir partout des sœurs de charité, des salles d’asile, des écoles ; nous nous entendrons avec les curés pour faire régner l’aisance et la religion dans toutes nos propriétés. Ta prière dans la chambre de mon père nous a touchés plus que je puis te dire ; tu m’as fait faire des réflexions que je n’avais jamais faites. L’esprit de charité que tu as demandé pour nous commence à germer dans nos cœurs ; le mien, rempli d’amour pour toi, le sera bientôt, j’espère, de l’amour du Dieu bon qui m’a donné ma Mina chérie ; tu continueras ton œuvre, et tu feras de moi un vrai et bon chrétien. L’indifférent, l’égoïste, l’ambitieux Gaspard fera place au chrétien repentant… Adieu, ma bien-aimée ; jamais je ne pourrai te dire combien je t’aime, et combien j’éprouve de reconnaissance pour le bon Dieu et pour toi. Ce que c’est que d’épouser, par dévouement pour son bienfaiteur, une grosse rousse, bête et maussade ! Dans six jours je serai près de toi ; avec quel bonheur je serrerai contre mon cœur la chère petite enchanteresse qui y règne sans partage ! etc. »

Mina fut enchantée de cette lettre, qu’elle baisa mille fois et qu’elle voulut porter sur son cœur. Les huit jours de séparation finirent enfin. Mina dut retourner en ville.

On la vit partir avec un vif chagrin. La mère Thomas la regretta et pleura même, tant elle avait gagné son affection par ses qualités attachantes. Le curé lui demanda instamment de revenir souvent. Elle le promit et retourna à la ville peu d’instants avant M. Féréor et Gaspard ; elle les attendait à la fenêtre. Quand elle les vit entrer dans la cour de l’hôtel, elle sauta plutôt qu’elle ne descendit l’escalier et se trouva dans les bras de Gaspard avant d’avoir franchi le perron. M. Féréor, plus lent dans ses mouvements, ne la rejoignit que lorsqu’elle eut été embrassée dix fois par son mari. Elle avait tant de choses à leur raconter, que le pauvre M. Féréor demanda grâce et alla se reposer dans son cabinet, où l’attendaient une multitude d’affaires ; c’était son repos et son occupation favorite. Ils se rejoignirent à l’heure du dîner. Le calme, le repos, le bon air de la campagne avaient rendu à Mina la fraîcheur de son teint, que tant de secousses, de douleurs et de larmes avaient légèrement altéré. M. Féréor lui en fit compliment ; elle lui rendit compte de ses générosités, de l’emploi de son temps ; elle lui parla avec tant de feu du bon résultat de ses charités, que M. Féréor en fut touché et lui demanda de les continuer en son nom. Elle l’embrassa, se loua beaucoup des soins et des attentions qu’avaient eus pour elle tous les gens des usines et du village, et particulièrement André. Gaspard ne la quittait pas des yeux ; il était en extase devant elle. Quand elle remonta le soir dans sa chambre et qu’elle se dirigea avec Gaspard vers la petite table devant laquelle ils faisaient leurs prières, elle poussa une exclamation joyeuse en apercevant un joli meuble formant chapelle, contenant un magnifique crucifix, une charmante statue de la Sainte Vierge, un bénitier, des flambeaux. Tout le meuble était en sculptures représentant des scènes de la vie de N.-S. Jésus-Christ.

« Oh ! Gaspard, que tu es bon et aimable ! » s’écria Mina en l’embrassant tendrement.

Gaspard ne manqua pas aux promesses qu’il avait faites à Mina ; il devint de plus en plus religieux et charitable. Il chercha à réparer le tort qu’il avait fait jadis à quelques ouvriers intelligents que ses rapports trop sévères avaient empêchés d’avancer. Il protégea particulièrement André, qui obtint de M. Féréor le poste de confiance, très avantageux, qu’avait jadis occupé Gaspard. M. Féréor, amélioré par l’exemple et la tendresse de son fils et de sa fille, devint la providence du pays après en avoir été l’oppresseur. Mina obtint sans peine que les ouvriers eussent leur dimanche entièrement libre. Ils n’en travaillèrent que mieux, et reçurent souvent des gratifications qu’ils méritaient et dont ils furent reconnaissants. Tout le pays changea d’aspect ; les cafés se fermèrent faute de pratiques ; l’église devint trop petite pour la population qui s’y pressait. On ne trouvait plus dans la commune un seul individu qui ne fît pas ses Pâques et qui ne sût lire. Gaspard établit, par le conseil de Mina, pour l’usine et le village, une bibliothèque considérable et composée de livres instructifs, intéressants et amusants. Les autres propriétés de Gaspard jouirent des mêmes avantages ; la misère y était inconnue. Gaspard devint aussi un bon fils et un bon frère ; Mina resta toujours la fille et la sœur bien-aimée de la mère Thomas et de Lucas, qu’elle visitait souvent, et qu’elle continua à aider dans les soins du ménage. Celui de Mina s’augmenta de deux garçons ; le premier a quatre ans, le second en a deux ; M. Féréor les aime tendrement ; il est le meilleur des grands-pères, comme il avait toujours été pour Gaspard le meilleur des pères. Il a quatre-vingt-quatre ans, et il a le cœur plus jeune qu’il ne l’avait eu dans sa jeunesse ; il se trouve réellement heureux depuis qu’il a compris l’amour pour son prochain et pour son Dieu. Il répète souvent qu’il doit à Gaspard sa première affection, et à Mina le développement des sentiments de son cœur. Mina et Gaspard s’aiment comme aux premiers jours de leur union. Les affaires de M. Féréor et de Gaspard prospèrent plus que jamais. Gaspard jouit maintenant de son bonheur sans aucune réserve : ses pensées d’ambition ne viennent plus, comme par le passé, jeter l’amertume au milieu de ses joies et de ses succès. Depuis le changement qu’a subi son cœur, il sent que la richesse et les honneurs ne procurent de véritables jouissances qu’autant qu’on les emploie à faire le bien.

Lucas s’est marié il y a deux ans ; sa femme est une bonne, grosse, forte fille, pieuse, active, d’une gaieté constante : ils font un excellent ménage, et ils ont un gros garçon dont Mina a demandé à être la marraine :

« Vous aurez le second, ma mère, disait-elle à la mère Thomas qui revendiquait ses droits ; donnez-moi ce premier enfant de Lucas. N’est-ce pas, mon bon Lucas, que vous voulez bien ? Dites oui, cher frère ; vous m’avez dit tant de fois que vous ne pouvez rien me refuser.

— Ma mère, me permettez-vous de donner mon consentement, dit Lucas à sa mère en riant. Voyez comme notre chère Mina vous regarde d’un air suppliant.

La mère.

Fais comme veut Mina, mon ami. Qui peut lui résister ?

— Chère mère, que vous êtes bonne ! dit Mina en l’embrassant à plusieurs reprises. Merci, mon excellent frère, ajouta-t-elle en embrassant Lucas. Je serai donc la marraine de mon petit Georges, c’est le nom de mon beau-père et de mon fils aîné, ce sera celui de mon filleul. »

Gaspard riait, et fut très content de cette conclusion.

« Pourquoi ne l’as-tu pas appelé Gaspard, chère enfant ?

— Parce qu’il n’y a qu’un Gaspard pour moi dans le monde ; et il n’y en aura jamais deux. »

M. Frölichein est mort depuis longtemps. Deux mois après le mariage de sa fille, il fut tué par une explosion en faisant des expériences chimiques absurdes. Personne chez lui ne le regretta ; Mina pria beaucoup pour lui, fit dire beaucoup de messes pour le salut de son âme, pour laquelle on conserve de justes inquiétudes, car il mourut comme il avait vécu, mauvais riche.


FIN.