Librairie d’Action Canadienne-Française Ltée (p. 63-72).

V

LA SURPRENANTE DÉCOUVERTE
DU DOCTEUR GUSTAV OHMS


Le Dr Gustav Ohms, de Suède, perclus de tous ses membres à la suite d’expériences décisives pratiquées sur lui touchant l’accumulation de l’énergie musculaire dans le corps humain, fit savoir à Herbert Stinson, qu’il avait mis à jour un formidable secret, secret si étonnant que le vieux philosophe de Stockholm fut effrayé de la si vaste étendue du génie humain et de la conception si osée de son propre cerveau.

Parti le matin de Dove Castle, dans la soirée du même jour le Dr Stinson salua Gustav Ohms dans les laboratoires de la Faculté de l’énergitique à l’Université de Stockholm. Le parcours avait été très mouvementé et la vie du président de l’Union des Peuples mise en danger. Un trouble des plus imprévisibles s’étant produit au navire de l’air qui le transportait en Suède.

Au cours de l’avant-midi les moteurs de l’aérobus cessèrent soudain de fonctionner comme si les ondes hertziennes avaient manqué aux puissants générateurs de l’immense appareil.

Un ordre bref et les préposés aux machines de fabrication d’hélium ouvrirent les soupapes des réservoirs où ce gaz était emmagasiné. En quelques secondes, les énormes ballons latéraux, pliés et renfermés dans leurs boîtes se gonflèrent, assurant ainsi la stabilité de l’avion.

Il était temps, car dans un immense vol plané descendant, le navire aérien avait frôlé l’écume de l’océan démonté. Maintenant, on entendait la clameur incessante de la mer, son bourdonnement étrange. Le commandant ordonna de lester le bâtiment et les réservoirs à eau de l’arrière et de l’avant furent vidés. L’avion bondit à mille mètres, s’éloignant ainsi de la mer qui continuait de se tordre au-dessous dans l’immense cuvette où la tourmente succédait à la tourmente.

Un message fut envoyé à l’aide d’accumulateurs d’urgence qui ne servaient qu’en cas d’épuisement complet des accumulateurs généraux, lesquels vu l’énorme quantité d’électricité dépensée par les moteurs, se déchargeaient presque instantanément advenant une rupture de courant, qui ne pouvait être causée que par les différentes usines distributrices des ondes de Hertz dirigées. Le mécanisme ordinaire pour la fabrication de la glace, les ventilateurs, la fabrication de l’hélium, etc., était mue par des moteurs à air comprimé situés dans la chambre des machines propulsives de l’avion. Le K-1000 était pourvu de 12 moteurs Creusot activant autant d’hélices à quatre ailes. La chambre des machines était située au centre de l’avion, au premier plancher. Un seul homme dirigeait le mécanisme compliqué des moteurs, cependant qu’une trentaine de mécaniciens et électriciens étaient à sa disposition en tout temps. Un grand tableau de contrôle présentait les différents cadrans indicateurs : il y en avait pour l’altitude, la vitesse de l’avion et celle du vent, la pression atmosphérique, le volume de l’hélium quand les aérostats étaient en fonction, pour l’intensité des ondes, les troubles de moteurs et jusque pour indiquer la quantité d’eau des réservoirs à ballast. La cabine de l’opérateur de téléphonie sans-fil était juchée tout au haut de l’aérobus, au-dessus c’était l’antenne circulaire de la radio et les énormes tubes isolés, gros comme les cheminées des anciens navires, qui recueillaient les ondes électriques. De vibrants qu’ils étaient auparavant, ils étaient devenus silencieux et sombres. La nuit ces tubes que l’intensité des ondes rendait violets, donnaient à l’aérobus l’apparence de quelque bolide dévorant les espaces.

Vers midi, les ondes revinrent et il fut annoncé à Stinson que l’usine qui fournissait les ondes dirigées au K-1000 venait d’être engloutie par une rupture du fond marin où elle opérait au large des îles Shetland. C’est que l’usine du golfe de Biscaye l’avait ravitaillé pour le reste du voyage.

Le chirurgien français Ambroise de Ré, professeur de vivisection humaine au Collège des Condamnés, de Paris, et Hermann Stack, titulaire de la chaire de synthétisme du célèbre Institut de la catalyse, de Berlin, où les plus illustres chimistes du monde expérimentaient, avaient précédé le président de l’Union des peuples auprès du grand savant suédois.

La mentalité du temps voulait qu’une découverte devenait immédiatement propriété universelle, ce qui explique la venue immédiate en Suède d’Ambroise de Ré et d’Hermann Stack.

Que pouvait être le secret du Dr Gustav Ohms ? Herbert Stinson se l’était demandé au cours de son voyage à travers les nues livides où les cataclysmes les plus redoutables semblaient se préparer. Il avait bien vu au-dessous de l’immense navire aérien qui le portait, la vague monstrueuse s’élever à mille pieds dans les airs, secouée par l’incessant labour de l’affreux bouleversement universel. Les embruns de cette mer démontée fouettaient presque la fantastique carapace d’aluminium du monstre de l’air qui fuyait vers la Suède comme un oiseau d’apocalypse. Stinson savait que le Dr Ohms était un des plus grands savants de son siècle et qu’il était un peu la cause de la surpopulation du globe. Il avait pu prolonger la vie humaine de cinquante ans au moyen de l’énergie électrique, le rayon K, répandu sur la terre à l’égal des ondes de Hertz que connaissaient les Anciens. Ce rayon ralentissait la dégénérescence de la cellule animale et conservait la jeunesse aux tissus humains.

Dans ces siècles éloignés, les savants des nations d’alors s’étaient attaqués à ce grand problème de la prolongation de la vie humaine. Le Dr Voronoff qui vivait vers 1915, à une époque de tâtonnements et de haine était parvenu à greffer, la belle affaire ! des glandes de singe aux hommes et à les leurrer d’un vain espoir de jeunesse nouvelle.

Gustav Ohms, Herbert Stinson, Ambroise de Ré et Hermann Stack prirent place autour de la table de vieux chêne, relique de l’époque déjà lointaine où d’épaisses forêts subsistaient encore en Afrique et dans le Nouveau-Monde. Le Dr Ohms ajusta l’instrument distributeur des sons qui devaient révéler son secret à toutes les sociétés savantes de l’Univers. Au même moment, l’usine électrique située au large de l’île Gotland, au sud-est, en pleine mer Baltique, fut avertie par radio de fournir les ondes nécessaires à la diffusion de la nouvelle de la découverte du savant suédois.

Il faut dire ici que l’énergie électrique était dirigée par sans-fil de la station marine de la Baltique à toutes les villes de la Suède. Cette station était l’une des merveilles du génie de l’homme. Les ingénieurs, au moyen de pompes pneumatiques, avaient refoulé les eaux de la mer sur une très grande étendue et installé au fond de ce trou dans l’océan de puissantes dynamos.

Si les hommes qui vivaient sur la terre il y a quatre ou cinq siècles avaient pu entrevoir l’étrange installation dans ce fond sous-marin ils n’en auraient certes pu concevoir la destination. Mais les hommes modernes étaient des cerveaux puissants et de la conception à l’exécution il n’y avait jamais de délai. L’idée de tirer de l’énergie des flots de la mer n’était pas neuve, mais le principe appliqué était différent. Un Français, un ouvrier celui-là, Paul Chénard, imagina de faire servir la résistance effroyable des eaux de la mer opposée à la muraille d’air de la machine pneumatique. Ces machines étaient toutes munies de moteurs mus par les ondes de Hertz, moteurs très économiques, il va sans dire. Les dynamos de la Baltique fournissaient des milliards de volts à l’industrie et à la vie économique de la Suède. De semblables usines avaient été installées dans les mers où la perturbation universelle n’avait pas trop bouleversé les grands fonds.

Le Dr Gustav Ohms fut le premier à rompre le silence relatif qui régnait dans la salle, car à tout instant le cliquetis des différents instruments électriques coupait court à toute velléité de paroles :

— Messieurs, la fin approche, ce n’est plus qu’une question de temps. La terre est usée comme une vieille femme dont les membres s’arcboutent et que la paralysie étreint déjà. Tous les pays du globe sont rongés par d’affreux ulcères ; la nécrose s’est emparée du sol ; l’ossature du globe se disloque comme rongée de tuberculose. Il est impossible de traiter la planète. Le médecin des Mondes, l’Esculape des immensités est sans doute au chevet de quelque astre moribond aux confins de l’univers ; il n’a pas le temps de s’occuper de notre terre où grouille la vermine humaine.

Stinson reprit :

— Il ne faut pas accuser Dieu, le maître de tout. Sans être fataliste je crois en la prédestination. Il a sans doute frappé la terre de la lèpre hideuse qui rongera les mondes au cours des millénaires, mais n’a-t-il pas permis à l’homme de prolonger son existence, de guérir presque toutes ses maladies ? C’est un signe que l’humanité ne doit pas finir avec la croûte qui la porte.

— J’ai un moyen, annonça Ohms, de faire parvenir l’humanité à destination en peu d’heures…

Les savants présents se regardèrent surpris.

Ohms continua :

— La matière humaine telle qu’elle nous apparaît est trop volumineuse pour être transportée à Mars en peu de temps, et la terre tient encore par je ne sais quel miracle, demain il sera peut-être trop tard.

J’ai trouvé le moyen de réduire les corps à leur forme atomique. L’esprit étant immatériel accompagnerait son corps atomique jusqu’à Mars où, par ma formule, les atomes d’hydrogène et d’oxygène existant sur cette planète reconstitueraient chaque corps !

Stinson se leva et sortit.

Le docteur Gustav Ohms était devenu fou.