La Duchesse de Chevreuse
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 12 (p. 1322-1361).
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LA DUCHESSE


DE CHEVREUSE




DEUXIEME PARTIE


MADAME DE CHEVREUSE ET MAZARIN





I.

Mme de Chevreuse avait alors quarante-trois ans. Sa beauté, éprouvée par les fatigues, se soutenait encore, mais commençait à décliner. Le goût de la galanterie subsistait, mais amorti, et celui des affaires prenait le dessus. Elle avait vu les hommes d’état les plus célèbres de l’Europe ; elle connaissait presque toutes les cours, le fort et le faible des divers gouvernemens, et elle avait acquis une grande expérience. Elle comptait retrouver la reine Anne telle qu’elle l’avait quittée, très disposée à se laisser conduire à ceux pour qui elle avait une affection particulière, et, comme Mme de Chevreuse se croyait la première affection de la reine, elle pensait bien exercer sur elle le double ascendant de l’amitié et de la capacité. Plus ambitieuse pour ses amis que pour elle-même, elle les voyait déjà récompensés de leurs longs sacrifices, remplaçant partout les créatures de Richelieu, et à leur tête, comme premier ministre, celui qui pour elle s’était séparé du cardinal triomphant et avait souffert un emprisonnement de dix années. Elle ne faisait pas grand état de Mazarin, qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais vu, et qui lui paraissait sans appui à la cour et en France, tandis qu’elle se sentait portée par tout ce qu’il y avait d’illustre, de puissant, d’accrédité. Tous ces calculs semblaient certains, toutes ces espérances parfaitement fondées, et Mme de Chevreuse quitta Bruxelles dans la ferme persuasion qu’elle allait rentrer au Louvre en conquérante. Elle se trompait : la reine était changée ou bien près de l’être.

Si le temps est venu de remettre Louis XIII à la place qui lui appartient dans l’histoire, il est juste aussi de relever Anne d’Autriche. Ce n’était pas une personne ordinaire. Belle, ayant besoin d’être aimée, et en même temps vaine et fière, elle avait été blessée des froideurs et des négligences de son mari, et, par esprit de vengeance et aussi de coquetterie, elle s’était complu à faire autour d’elle plus d’une passion, sans franchir jamais les bornes d’une galanterie espagnole plus ou moins vive. Elle avait supporté impatiemment d’être traitée sans conséquence, privée de tout crédit et tenue en une sorte de disgrâce permanente par le roi et par Richelieu ; de là une opposition sourde, mais constante, au gouvernement du cardinal. Elle s’était même engagée dans diverses entreprises qui, comme nous l’avons vu, lui avaient fort mal réussi et l’avaient jetée en d’assez grands dangers. Elle appelait alors à son aide une autre de ses qualités de femme et d’Espagnole, la dissimulation. Le malheur lui avait enseigné vite « cette laide, mais nécessaire vertu, » comme dit Mme de Motteville, et on a pu reconnaître qu’elle y avait fait de rapides progrès. Naturellement paresseuse, elle n’aimait pas les affaires, mais elle était sensée, même courageuse, capable d’entendre et de suivre la raison. Jusque-là elle avait joué un double jeu : se faire en secret des partisans, encourager et pousser les mécontens, tâcher d’échapper au joug du cardinal, et cependant lui faire bonne mine, l’endormir par de fausses démonstrations, s’humilier au besoin, gagner du temps et attendre. Depuis la mort de Richelieu, se sentant plus forte et de ses deux enfans et de la maladie irrémédiable de Louis XIII, elle n’avait eu qu’un seul but, auquel elle avait tout sacrifié : être régente, et elle y était parvenue, grâce à une rare patience, à des ménagemens infinis, à une conduite habile et soutenue, grâce aussi au service inespéré que lui rendit Mazarin, le principal ministre du roi. Anne n’avait rien négligé pour désarmer les ressentimens de son mari ; elle n’avait cessé de l’entourer de soins, passant les jours et les nuits auprès de lui ; elle lui avait protesté avec larmes qu’elle ne lui avait jamais manqué, qu’elle était étrangère au complot de Chalais, et que toutes les accusations dont on l’avait chargée étaient sans fondement. Elle avait fort peu gagné sur l’esprit du roi ; il s’était contenté de dire : « Dans l’état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne suis pas obligé de la croire[1]. » Il l’avait toujours soupçonnée d’être en relation avec l’Espagne et sous l’empire de Mme de Chevreuse. Il voulait l’exclure de la régence ainsi que son frère, le duc d’Orléans, qu’il n’estimait ni n’aimait. Mazarin eut grand’peine à lui faire comprendre qu’il était impossible de priver la reine du titre de régente, et que tout ce qu’on pouvait faire était de lui ôter toute influence, à l’aide d’un conseil fortement constitué dont elle serait obligée de suivre les avis en se conformant à la majorité des voix. Anne subit sans murmure ces dures et humiliantes conditions ; elle reconnut la déclaration royale du 20 avril, qui resserrait son autorité dans des bornes fort étroites, et consacrait l’exil de Châteauneuf et de Mme de Chevreuse. Elle la signa et s’engagea à la maintenir. Après tout, elle était en possession de la régence, et comme elle la devait à la combinaison même qui limitait son pouvoir, loin de savoir mauvais gré de cette combinaison à celui qui en était l’auteur, elle la regarda comme un premier service qui méritait quelque reconnaissance. Voilà ce que n’ont pas vu la plupart des historiens, mais ce qui n’a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, mêlé à toutes les intrigues de ce moment. « Le cardinal Mazarin, dit-il, justifia en quelque sorte cette déclaration injurieuse ; il la fit passer comme un service important qu’il rendoit à la reine, et comme le seul moyen qui pouvoit faire consentir le roi à la régence. Il lui fit voir qu’il lui importoit peu à quelles conditions elle la reçût, pourvu que ce fût du consentement du roi, et qu’elle ne manquerait pas de moyens dans la suite pour affermir son pouvoir et gouverner seule. Ces raisons, appuyées de quelques apparences et de toute l’industrie du cardinal, étoient reçues de la reine avec d’autant plus de facilité, que celui qui les disoit commençoit à ne lui être pas désagréable. »

Mazarin en effet n’avait jamais été pour rien dans les déplaisirs que la reine avait essuyés : elle n’avait donc aucune raison d’être contre lui, sinon qu’il avait été un des amis particuliers de Richelieu ; mais il n’avait aucune des manières du cardinal, il avait pris part au rappel de bien des exilés, et défendu la régence de la reine contre les ombrages du roi. Sa capacité était éprouvée, et Anne, avec sa paresse et son inexpérience, au début d’un règne qu’environnaient de toutes parts, au dedans et au dehors, les plus grandes difficultés, avait besoin de quelqu’un qui lui laissât l’honneur de l’autorité suprême, mais qui se chargera du poids des affaires, et en regardant parmi ses amis elle n’en voyait aucun dont les talens fussent assez certains pour emporter sa confiance. Elle faisait grand cas de l’esprit et des manières de La Rochefoucauld, mais elle ne pouvait songer à un aussi jeune ministre. Les deux hommes qui avec lui étaient le plus près d’elle, le duc de Beaufort, le plus jeune fils du duc de Vendôme, et son grand aumônier, Potier, évêque de Beauvais, lui paraissaient des serviteurs dévoues pour qui elle se proposait de faire beaucoup un jour, mais sans oser leur remettre encore le gouvernement. Attendre un peu lui semblait donc le parti le plus sage. Mazarin eut alors avec la reine plus d’une entrevue secrète. Il s’y montra empressé à la servir, ne répugnant pas à lui sacrifier quelques-uns des anciens ministres de Richelieu qui lui déplaisaient le plus, et à s’entendre avec ceux de ses amis envers lesquels elle se croyait des obligations indispensables. Il eut l’art de se mettre assez bien avec l’évêque de Beauvais, qui gouvernait la conscience de la reine. Il le trompa, il trompa le duc de Beaufort et tout le monde, en affectant un grand désintéressement et en faisant mine d’être tout prêt à s’en aller jouir à Rome, au sein de sa famille et des arts, des avantages et des honneurs du cardinalat[2].

Enfin il est un point délicat que La Rochefoucauld touche à peine, mais que l’histoire ne peut laisser dans l’ombre, à moins de négliger ce qui fit d’abord la force de Mazarin et devint bientôt le nœud et la clef de la situation : Anne d’Autriche était femme, et Mazarin ne lui déplut pas. Nous l’avons dit ailleurs[3] : « Après avoir été longtemps opprimée, l’autorité royale souriait à Anne d’Autriche, et son âme espagnole avait besoin de respects et d’hommages. Mazarin les lui prodigua. Il se mit à ses pieds pour arriver jusqu’à son cœur. Au fond, elle n’était guère touchée de la grande accusation qu’on élevait déjà contre lui, à savoir qu’il était étranger, car elle aussi, elle était étrangère ; peut-être même lui était-ce là un attrait mystérieux, et trouvait-elle un charme particulier à s’entretenir avec son premier ministre dans sa langue maternelle, comme avec un compatriote et un ami. Ajoutez à tout cela les manières et l’esprit de Mazarin : il était souple et insinuant, toujours maître de lui-même, d’une sérénité inaltérable dans les circonstances les plus graves, plein de confiance en sa bonne étoile, et répandant cette confiance autour de lui. Il faut dire aussi que, tout cardinal qu’il était, Mazarin n’était pas prêtre, que, nourrie dans les maximes de la galanterie de son pays, Anne d’Autriche avait toujours aimé à plaire, qu’elle avait quarante et un ans et qu’elle était belle encore ; que son ministre avait le même âge, qu’il était fort bien fait et de la figure la plus agréable, où la finesse s’unissait à une certaine grandeur. Il avait promptement reconnu que sans famille, sans établissement, sans appui en France, environné de rivaux et d’ennemis, toute sa force était dans la reine. Il s’appliqua donc par-dessus toutes choses à pénétrer dans son cœur, comme aussi l’avait tenté Richelieu ; mais il possédait bien d’autres moyens pour y réussir. Le beau et doux cardinal réussit donc. Une fois maître du cœur, il dirigea aisément l’esprit d’Anne d’Autriche, et lui enseigna l’art difficile de poursuivre toujours le même but à l’aide des conduites les plus diverses, selon la diversité des circonstances. »

Mais combien ne fallut-il pas à Mazarin de temps et de soins pour amener là Anne d’Autriche et triompher peu à peu de ses scrupules de toute sorte ! L’histoire des progrès de Mazarin dans le cœur de la reine est l’histoire véritable des trois premiers mois de la régence. Anne commença par se résoudre sans répugnance, le 18 mai 1643, à garder, pour quelque temps au moins, le ministre que lui laissait et lui recommandait Louis XIII. On verra où elle en était arrivée le 2 septembre de la même année.

Il lui était impossible de conserver la disposition de la déclaration royale qui établissait Mazarin premier ministre, chef du conseil sous M. le Prince, puisqu’elle voulait faire casser par le parlement toute cette partie du testament du feu roi, comme limitant, contre tous les usages, l’autorité de la régente. Il fut donc convenu, dans des conciliabules préliminaires, que Mazarin renoncerait à l’espèce de droit que lui donnait la déclaration royale, mais qu’en même temps la régente, dégagée de toute entrave, lui offrirait spontanément à peu près le même rang, en sorte qu’il tiendrait son pouvoir, non de la volonté du roi défunt, mais de la libre faveur de la reine. Tout cela fut arrêté entre eux dans un tel secret que la surprise fut fort grande et générale lorsque, le 18 mai, on vit le parlement investir la régente de l’autorité souveraine, et le même jour le cardinal Mazarin mis à la tête du cabinet. Il y avait eu là une trame habilement ourdie que la reine avait cachée à tous ceux de ses amis qui étaient opposés à Mazarin. Et dès ce jour aussi le cardinal put reconnaître qu’il avait trouvé dans la reine Anne, en fait de dissimulation et de conduite politique, une écolière digne de lui et déjà très avancée.

Mazarin s’établit de bonne heure auprès d’Anne d’Autriche par le double talent d’homme d’état laborieux et infatigable et de courtisan consommé. Il prit sur lui tous les soucis du gouvernement, et lui renvoya l’honneur des succès qui ne se firent pas attendre. Il mit une adresse et une constance merveilleuse à l’éclairer sans jamais la blesser. Son grand art fut de lui persuader qu’il ne voulait du pouvoir que pour la mieux servir ; qu’étranger, sans famille et sans amis, il dépendait entièrement d’elle et voulait tirer d’elle seule tout son appui. Un pareil langage, soutenu d’une capacité de premier ordre, ne pouvait manquer de plaire, et on peut dire avec vérité que la veuve de Louis XIII avait déjà auprès d’elle un autre Richelieu dans les premiers jours de juin 1643, lorsque Mme de Chevreuse quitta Bruxelles.

Disciple et confident de Richelieu et de Louis XIII, Mazarin avait hérité de leur opinion et de leurs sentimens sur Mme de Chevreuse. Sans l’avoir jamais vue, il la connaissait, et il la redoutait profondément, ainsi que son ami Châteauneuf. Une favorite d’un tel esprit, d’un tel caractère, pleine de séduction et de courage, ayant dans sa main un homme ambitieux et capable, déclarée pour la paix, et en secret attachée au duc de Lorraine, à l’Autriche et à l’Espagne, était absolument incompatible avec la faveur à laquelle il aspirait et avec tous ses desseins diplomatiques et militaires. Il sentit qu’il n’y avait pas place, à la fois pour elle et pour lui dans le cœur d’Anne d’Autriche, et il s’apprêta à la combattre, mais à sa manière, doucement et par degrés, selon les occasions.

Mazarin avait un secret et puissant allié contre Mme de Chevreuse dans le goût toujours croissant de la reine pour le repos et la vie tranquille. Elle s’était autrefois un peu agitée parce qu’elle souffrait de plus d’une manière ; maintenant, parvenue au pouvoir suprême, heureuse et commençant à s’attacher, elle avait peur des troubles et des aventures, et elle craignait Mme de Chevreuse presque autant qu’elle l’aimait. L’habile cardinal s’appliqua à nourrir ces inquiétudes. Il s’appuya sur la princesse de Condé, alors très en faveur auprès de la reine par son propre mérite, par celui de son mari, M. le Prince, par les éclatans exploits de son fils, le duc d’Enghien, par les services de son gendre, le duc de Longueville, qui avait honorablement commandé les armées en Italie et en Allemagne, et par sa fille, Mme de Longueville, récemment mariée et déjà les délices des salons et de la cour. Mme la Princesse, Charlotte Marguerite de Montmorency, si célèbre autrefois par sa beauté, avait aussi, comme la reine Anne, aimé les hommages ; mais, quoique très belle encore, elle était devenue sérieuse et d’une piété assez vive. Elle n’aimait pas Mme de Chevreuse et elle détestait Châteauneuf, qui, en 1632, à Toulouse, avait présidé au jugement et à la condamnation de son frère Henri. Elle avait donc travaillé, de concert avec Mazarin, à détruire ou du moins à affaiblir Mme de Chevreuse auprès de la reine. On s’était armé de la dernière volonté de Louis XIII, et on était parvenu à faire presque un scrupule à la reine d’y manquer si vite. On lui avait fait entendre que les anciens jours ne pouvaient revenir, que les amusemens et les passions de la première jeunesse étaient « de mauvais accompagnemens[4] » d’un autre âge, qu’elle était avant tout mère et reine ; que Mme de Chevreuse, emportée et dissipée, ne lui convenait plus, qu’elle n’avait porté bonheur à personne, et qu’en la comblant de biens et d’honneurs elle acquitterait suffisamment envers elle la dette de la reconnaissance.

Pour faire honneur à son ancienne amie, la reine envoya La Rochefoucauld au-devant d’elle, mais en le chargeant de l’avertir des nouvelles dispositions où elle la trouverait. Avant son départ, La Rochefoucauld eut avec Anne d’Autriche un sérieux entretien où il fit tout pour la regagner à Mme de Chevreuse. « Je lui parlai, dit-il, avec plus de liberté peut-être que je ne devais. Je lui remis devant les yeux la fidélité de Mme de Chevreuse pour elle, ses longs services, et la dureté des malheurs qu’elle lui avait attirés. Je la suppliai de considérer de quelle légèreté on la croirait capable, et quelle interprétation on donnerait à cette légèreté, si elle préférait le cardinal Mazarin à Mme de Chevreuse. Cette conversation fut longue et agitée ; je vis bien que je l’aigrissais. » Cependant il alla au-devant de la duchesse sur la route de Bruxelles ; il la rencontra à Roye. Montaigu l’y avait devancé. La Rochefoucauld venait au nom de la reine, et Montaigu au nom de Mazarin. Ce n’était plus le brillant Montaigu, l’ami de Holland et de Buckingham, le chevalier passionné de Mme de Chevreuse ; l’âge aussi l’avait changé : il était devenu dévot, et à quelques années de là il entra dans l’église. Il restait encore attaché à l’objet de ses anciennes adorations, mais avant tout il était dévoué à la reine et par conséquent résigné à Mazarin. Il venait mettre le premier ministre aux pieds de Mme de Chevreuse et s’efforcer d’unir l’ancienne favorite et le favori nouveau. La Rochefoucauld, toujours appliqué à se donner le beau rôle et un air de grand politique, assure qu’il supplia Mme de Chevreuse de ne pas prétendre d’abord à gouverner la reine, de s’appliquer uniquement à reprendre dans son esprit et dans son cœur la place qu’on avait essayé de lui ôter, et de se mettre en état de protéger ou de détruire un jour le cardinal, selon les circonstances et selon la conduite qu’il tiendrait lui-même. Mme de Chevreuse avait voulu entendre aussi un autre de ses amis, moins illustre mais plus dévoué, cet Alexandre de Campion qu’elle avait connu à Bruxelles deux ans auparavant, et qui après la mort du comte de Soissons était passé au service des Vendôme avec son frère Henri, officier d’une bravoure éprouvée. Elle avait invité Alexandre de Campion à venir à sa rencontre à Péronne, et il paraît que celui-ci lui parla comme La Rochefoucauld, si on en juge par le billet qu’il lui écrivit à la fin de mai, avant de quitter Paris pour aller la joindre : « Je ne sais, lui dit-il, ce que M. de Montaigu aura négocié avec vous, mais je suis certain qu’il vous offrira de l’argent de la part de M. le cardinal Mazarin pour payer vos dettes, et qu’il a fait espérer qu’il noueroit une étroite amitié entre vous et lui. Je crois qu’il n’aura pas trouvé votre esprit trop disposé à faire cette liaison, tant parce que vos principaux amis de France ne sont pas fort bien avec lui qu’à cause qu’il paroit fini avec la famille de feu M. le cardinal. Pour moi, le conseil que je prends la liberté de vous donner sur ce sujet est que vous ne preniez aucune résolution à fond que vous n’ayez vu la reine, sur les sentimens de qui vous aurez joie de régler votre conduite, à cause du zèle que je sais que vous avez pour elle et de l’amitié qu’elle a pour vous. Je sens bien, de l’humeur dont je vous connois, que j’aurai plus de peine à vous retenir qu’à vous pousser, vu l’amitié que vous m’avez fait l’honneur de me témoigner pour une certaine personne (évidemment Châteauneuf) ; car hors cette considération et celle de beaucoup de gens d’honneur engagés dans le même vaisseau, je ne vois pas qu’il soit nécessaire de perpétuer une haine et de la faire aller par-delà la mort de nos ennemis. Je n’aimois pas M. le cardinal, mais je ne veux mal à aucun de sa race. Après tout, madame, ce que je pourrais vous mander n’est pas la vingtième partie de ce que j’aurai à vous dire, et j’ose vous assurer que dès Péronne vous serez aussi instruite des sentimens de la plupart du monde que si vous étiez à Paris. » Mme de Chevreuse écouta ses trois amis, promit de suivre leurs conseils et les suivit en effet, mais dans la mesure de son caractère et dans celle de l’intérêt du parti qu’elle servait depuis longtemps et qu’elle ne pouvait abandonner. Comme la reine montra beaucoup de joie de la revoir, elle ne remarqua pas de différence dans les sentimens d’Anne d’Autriche, et elle se persuada que sa présence assidue lui rendrait bientôt son ancien empire.


II

La première chose que se proposa Mme de Chevreuse fut le retour de Châteauneuf. La Rochefoucauld nous fait ici de l’ancien garde des sceaux un portrait un peu flatté, sans l’être trop, où il laisse entrevoir quel gouvernement ses amis, les Importans, voulaient donner à la France : c’est celui que rêvèrent plus tard les premiers frondeurs et plus tard encore les amis du duc de Bourgogne, les derniers Importans du XVIIe siècle. « Le bon sens et la longue expérience dans les affaires de M. de Châteauneuf, dit La Rochefoucauld, étoient connus de la reine. Il avoit souffert une rigoureuse prison pour avoir été dans ses intérêts ; il étoit ferme, décisif, il aimoit l’état, et il étoit plus capable que nul autre de rétablir l’ancienne forme du gouvernement que le cardinal de Riehelieu avoit commencé à détruire. Il étoit de plus intimement attaché à Mme de Chevreuse, et elle savoit assez les voies les plus certaines de le gouverner. Elle pressa donc son retour avec beaucoup d’instance. » Déjà Châteauneuf avait obtenu que la dure prison où il avait gémi dix ans fut changée en une sorte de retraite dans quelqu’une de ses maisons. Mme de Chevreuse demanda la fin de cet exil adouci, et qu’elle pût revoir celui qui avait tant souffert pour la reine et pour elle. Mazarin comprit qu’il fallait céder, mais il ne céda que lentement, n’ayant jamais l’air de repousser lui-même Châteauneuf, et mettant toujours en avant, la nécessité de ménager les Condé, surtout Mme la Princesse, qui, comme nous l’avons dit, haïssait en lui le juge de Henri de Montmorency. Châteauneuf fut donc rappelé, mais avec cette réserve accordée aux dernières volontés du roi, qu’il ne paraîtrait pas à la cour, et se tiendrait à sa maison de Montrouge, où ses amis pourraient le visiter.

Il s’agissait de le porter de là au ministère. Châteauneuf était vieux, mais ni son énergie ni son ambition ne l’avaient abandonné, et Mme de Chevreuse se faisait un point d’honneur de le replacer dans ce poste de garde des sceaux qu’il avait occupé autrefois et perdu pour elle, et que tous les anciens amis de la reine voyaient avec indignation entre les mains d’une des créatures les plus décriées de Richelieu, Pierre Séguier. C’était un très habile homme, laborieux, instruit, plein de ressources, sans aucun caractère, que sa souplesse, jointe à sa capacité, rendait fort commode et utile à un premier ministre. Sa conduite dans le procès de De Thou l’avait rendu odieux. Dans cette même affaire, il avait fait subir un interrogatoire à Monsieur, et auparavant, en 1637, il n’avait pas respecté l’asile de la reine au Val-de-Gràce. Il s’était beaucoup enrichi, et sa fortune avait fait faire à ses filles d’illustres mariages. Un cri s’élevait contre lui, et de toutes parts on demandait son renvoi. Deux choses le sauvèrent. D’abord on ne s’entendait pas sur son successeur. Châteauneuf était le candidat des Importans et de Mme de Chevreuse, mais le président Bailleul, surintendant des finances, convoitait, la place pour lui-même ; l’évêque de Beauvais craignait dans le cabinet un collègue aussi puissant que Châteauneuf, et les Condé le repoussaient. Puis Séguier avait une sœur qui était très chère à la reine, la mère Jeanne, supérieure du couvent des carmélites de Pontoise. Les vertus de la sœur plaidaient en faveur du frère, et Montaigu, tout dévoué à la mère Jeanne, défendit le garde des sceaux.

Mme de Chevreuse, reconnaissant qu’il était à peu près impossible de surmonter une si forte opposition, prit un autre chemin pour arriver au même but ; elle se contenta de demander pour son ami le moindre siège dans le cabinet, sachant bien qu’une fois là, l’habile Châteauneuf saurait bien faire le reste et agrandir sa situation. Le président Bailleul, surintendant des finances, n’ayant pas montré une grande capacité, il fallut lui donner un nouvel auxiliaire quand le comte d’Avaux, avec lequel il partageait les finances, s’en alla à Munster. Mme de Chevreuse insinua à la reine qu’elle pouvait bien introduire Châteauneuf dans le conseil en lui donnant la succession de d’Avaux, emploi modeste qui ne pouvait faire ombrage à Mazarin ; mais celui-ci comprit la manœuvre et la déjoua[5]. Il persuada assez aisément à la reine de maintenir Bailleul, qui était chancelier de sa maison et qu’elle aimait, en mettant, auprès de lui, comme contrôleur général, d’Hemery, qui plus tard le remplaça entièrement.

En même temps qu’elle travaillait à tirer de disgrâce l’homme sur qui reposaient toutes ses espérances politiques, l’habile duchesse, n’osant pas attaquer directement Mazarin, minait insensiblement le terrain autour de lui et préparait sa ruine. Son œil exercé lui fit aisément reconnaître quel était le point d’attaque le plus favorable dans l’assaut qu’il s’agissait de livrer à la reine, et le mot d’ordre qu’elle donna fut d’entretenir et de porter à son comble le sentiment général de réprobation que tous les proscrits, en rentrant en France, soulevaient et répandaient contre la mémoire de Richelieu. Ce sentiment était partout, dans les grandes familles décimées ou dépouillées, dans l’église trop fermement conduite pour ne s’être pas crue opprimée, dans les parlemens réduits à leur rôle judiciaire et qui aspiraient à en sortir ; il était vivant encore dans le cœur de la reine, qui ne pouvait avoir oublié les profondes humiliations que Richelieu lui avait fait subir et le sort que peut-être il lui réservait. Cette tactique réussit, et de toutes parts il s’éleva sur les violences, la tyrannie et par contre-coup sûr les créatures de Richelieu une tempête que Mazarin eut bien de la peine à conjurer.

Ainsi Mme de Chevreuse supplia la reine de réparer les longs malheurs des Vendôme en leur donnant ou l’amirauté, à laquelle était attaché un pouvoir immense, ou le gouvernement de Bretagne, que le chef de la famille, César de Vendôme, avait autrefois occupé, qu’il tenait de la main de son père Henri IV, et aussi de l’héritage de son beau-père, le duc de Mercœur. C’était à la fois demander l’élévation d’une maison amie et la ruine des deux familles qui avaient le plus servi Richelieu et pouvaient le mieux soutenir Mazarin. Le maréchal de La Meilleraie, grand-maître de l’artillerie et nouvellement investi du gouvernement de Bretagne, était un homme de guerre plein d’autorité et en possession de plusieurs régimens. Le duc de Brézé, beau-frère de Richelieu, était aussi maréchal, gouverneur d’une grande province, l’Anjou, et son fils, Armand de Brézé, alors à la tête de l’amirauté, passait déjà, malgré sa jeunesse, pour le premier homme de mer de son temps. Mazarin para le coup que lui portait la duchesse à force d’adresse et de patience, ne refusant jamais, éludant toujours, et appelant à son aide le temps, son grand allié, comme il l’appelait. Lui-même, avant le retour de Mme de Chevreuse, il s’était efforcé de gagner les Vendôme et de les mettre dans ses intérêts. À la mort de Richelieu, il avait fort contribué à leur rappel, et depuis il leur avait fait toute sorte d’avances ; mais il avait reconnu assez vite qu’il ne pouvait les satisfaire qu’en se perdant. Le duc César de Vendôme, fils de Henri IV et de la duchesse de Beaufort, avait de bonne heure porté très haut ses prétentions, et s’était montré aussi remuant, aussi factieux qu’un prince légitime. Il avait passé sa vie dans les révoltes et les conspirations, et en 1641 il avait été forcé de s’enfuir en Angleterre sur l’accusation d’avoir tenté d’assassiner Richelieu. Il n’était rentré en France qu’après la mort du cardinal, et, comme on se l’imagine bien, il ne respirait que vengeance. « Il avoit beaucoup d’esprit, dit Mme de Motteville, et c’étoit tout le bien qu’on en disoit. » Contre l’ambition des Vendôme, Mazarin suscita habilement celle des Condé, qui ne souhaitaient pas l’agrandissement d’une maison trop voisine de la leur. Ils se devaient aussi à eux-mêmes de soutenir les Brézé, devenus leurs parens par le mariage de Claire Clémence de Brézé, fille du duc et sœur du jeune et vaillant amiral, avec le duc d’Enghien, en sorte que Mazarin n’eut pas trop de peine à retenir entre des mains fidèles le commandement de la flotte et celui des grandes places maritimes de France ; mais il était bien difficile de conserver la Bretagne à La Meilleraie devant les réclamations d’un fils de Henri IV qui l’avait eue autrefois et la redemandait comme une sorte de propriété de famille. Mazarin se résigna donc à sacrifier La Meilleraie, mais il le fit le moins possible. Il persuada à la reine de s’attribuer à elle-même le gouvernement de Bretagne, et de n’y avoir qu’un lieutenant-général, charge évidemment au-dessous des Vendôme, et qui demeura à La Meilleraie. Celui-ci ne se pouvait offenser d’être le second de la reine, et pour tout arranger et satisfaire entièrement un personnage de cette importance, Mazarin demanda bientôt pour lui le titre de duc que le feu roi lui avait promis, et la survivance de la grande maîtrise de l’artillerie pour son fils, ce même fils auquel un jour il donnera, avec son nom, sa propre nièce, la belle Hortense.

Mazarin était d’autant moins porté à favoriser le duc de Vendôme, qu’il avait alors un rival dangereux auprès de la reine dans son fils cadet, le duc de Beaufort, jeune, brave, ayant tous les dehors de la loyauté et de la chevalerie, et affectant pour Anne d’Autriche un dévouement passionné, qui n’était pas fait pour déplaire. Quelques jours avant la mort du roi, elle avait remis ses enfans à sa garde. Cette marque de confiance lui avait enflé le cœur ; il conçut des espérances qu’il fit trop paraître et qui finirent par offenser la reine, et, pour comble d’inconséquence, il se mit à porter publiquement les chaînes de la belle et décriée duchesse de Montbazon. D’ailleurs Beaufort n’était pas même l’ombre d’un homme d’état : peu d’esprit, nul secret, incapable d’application et d’affaires, et capable seulement de quelque action hardie et violente. La Rochefoucauld nous le peint ainsi : « Le duc de Beaufort étoit celui qui avoit conçu de plus grandes espérances ; il avoit été depuis longtemps particulièrement attaché à la reine. Elle venoit de lui donner une marque publique de son estime en lui confiant M. le dauphin et M. le duc d’Anjou un jour que le roi avoit reçu l’extrême-onction. Le duc de Beaufort, de son côté, se servoit utilement de cette distinction et de ses autres avantages pour rétablir sa faveur par l’opinion qu’il affectoit de donner qu’elle étoit déjà tout établie. Il étoit bien fait de sa personne, grand, adroit aux exercices et infatigable : il avoit de l’audace et de l’élévation, mais il étoit artificieux en tout et peu véritable ; son esprit étoit pesant et mal poli ; il alloit néanmoins assez habilement à ses fins par ses manières grossières ; il avoit beaucoup d’envie et de malignité ; sa valeur étoit grande, mais inégale. » Retz n’accuse point Beaufort d’artifices comme La Rochefoucauld, mais il le représente comme un présomptueux de la dernière incapacité : « M. de Beaufort n’en étoit pas jusqu’à l’idée des grandes affaires, il n’en avoit que l’intention ; il en avoit ouï parler aux Importans, et il avoit un peu retenu de leur jargon, et cela, mêlé avec les expressions qu’il avoit très fidèlement tirées de Mme de Vendôme[6], formoit une langue qui auroit déparé le bon sens de Caton. Le sien étoit court et lourd, et d’autant plus qu’il étoit obscurci par la présomption. Il se croyoit habile, et c’est ce qui le faisoit paraître artificieux, parce que l’on connoissoit d’abord qu’il n’avoit pas assez d’esprit pour cette fin. Il étoit brave de sa personne et plus qu’il n’appartenoit à un fanfaron. » Ce portrait, tout chargé qu’il est, à la façon de ceux de Retz, est assez vrai ; mais au début de la régence, en 1643, les défauts du duc de Beaufort n’étaient pas aussi déclarés, et ils paraissaient moins que ses qualités. La reine ne perdit que peu ç peu son goût pour lui. Dans le commencement, elle lui avait proposé la place de grand-écuyer, vacante depuis la mort de Cinq-Mars, qui l’aurait chaque jour approché de sa personne[7]. Beaufort eut la folie de refuser cette place, espérant davantage ; puis, se ravisant trop tard, il l’avait redemandée, mais alors inutilement. Plus sa faveur diminuait, plus croissait son irritation, et bientôt il se mit à la tête des ennemis du cardinal.

Mme de Chevreuse espéra être plus heureuse en demandant le gouvernement du Havre pour un tout autre personnage, d’un dévouement éprouvé et de l’esprit le plus fin et le plus rare, La Rochefoucauld. Elle eut ainsi récompensé des services rendus à la reine et à elle-même, fortifié et agrandi un des chefs du parti des Importans, et diminué Mazarin en enlevant un commandement considérable à une personne dont il était sûr, la nièce de Richelieu, la duchesse d’Aiguillon. Le cardinal réussit à la sauver sans paraître s’en mêler. « Cette dame, dit Mme de Motteville, qui, par ses belles qualités, surpassoit en beaucoup de choses les femmes ordinaires, sut si bien défendre sa cause, qu’elle persuada à la reine qu’il étoit nécessaire pour son service qu’elle lui laissât cette importante place, lui disant que n’ayant plus en France que des ennemis, elle ne pouvoit trouver de sûreté ni de refuge que dans la protection de sa majesté, qui en seroit toujours la maîtresse ; qu’au contraire celui auquel elle vouloit donner ce gouvernement avoit trop d’esprit, qu’il étoit capable de desseins ambitieux, et pourrait, sur le moindre dégoût, se mettre de quelque parti, et qu’ainsi il étoit important pour le bien de son service qu’elle gardât cette place pour le roi. Les larmes d’une femme qui avoit été autrefois si fière arrêtèrent d’abord la reine, qui, après avoir fait réflexion sur ses raisons, trouva à propos de laisser les choses en l’état où elles étoient. » C’est sans doute Mazarin qui suggéra à la duchesse d’Aiguillon les solides et politiques raisons qui persuadèrent la reine, tant elles s’accordent avec le langage qu’il tient sans cesse à la reine dans ses carnets. Mme de Motteville dit qu’il « la confirma dans l’inclination qu’elle avoit de conserver le Havre à la duchesse d’Aiguillon. » Ici, comme en bien d’autres choses, l’art de Mazarin fut d’avoir l’air de confirmer seulement la reine dans les résolutions qu’il lui inspirait.

Remarquez que ce n’est pas nous qui prêtons ces divers desseins, cette conduite liée et conséquente à Mme de Chevreuse, mais La Rochefoucauld, qui devait être parfaitement informé : il la lui attribue et dans sa propre affaire et dans celle des Vendôme, Mazarin ne s’y trompe pas, et plus d’une fois dans ses notes secrètes on lit ces mots : « Mes plus grands ennemis sont les Vendôme et Mme de Chevreuse, qui les anime. » Il nous apprend aussi qu’elle avait formé le projet de marier sa fille, la belle Charlotte, qui avait déjà seize ans[8], avec le fils aîné du duc de Vendôme, le duc de Mercœur, tandis que son frère Beaufort aurait épousé cette aimable et noble mademoiselle d’Epernon qui, déjouant ces desseins et de bien plus grands, se jeta à vingt-quatre ans dans le couvent des Carmélites. Ces mariages, qui auraient rapproché, uni, fortifié tant de grandes maisons médiocrement attachées à la reine et à son ministre, effrayèrent le successeur de Richelieu ; il engagea la reine à les faire échouer sous main, trouvant que c’était déjà bien assez du mariage de la belle mademoiselle de Vendôme avec le brillant et inquiet duc de Nemours.

Quand on suit avec attention le détail des intrigues contraires de Mme de Chevreuse et de Mazarin, on ne sait trop à qui des deux donner le prix de l’habileté, de la sagacité, de l’adresse. Mazarin sut faire assez de sacrifices pour avoir le droit de n’en pas trop faire, ménageant tout le monde, ne désespérant personne, et entourant Mme de Chevreuse elle-même de soins et d’hommages, sans se faire aucune illusion sur ses sentimens. Elle, de son côté, le payait de la même monnaie. La Rochefoucauld dit que dans ces premiers temps Mme de Chevreuse et Mazarin étaient en coquetterie l’un avec l’autre. Mme de Chevreuse, qui avait toujours mêlé la galanterie à la politique, essaya, à ce qu’il paraît, le pouvoir de ses charmes sur le cardinal. Celui-ci ne manquait pas de lui prodiguer les paroles galantes, et « essayoit même quelquefois de lui faire croire qu’elle lui donnoit de l’amour. » Ce sont les propres termes de La Rochefoucauld. D’autres femmes aussi n’auraient pas été fâchées de plaire un peu au premier ministre, entre autres la princesse de Guyméné, la plus grande beauté de la cour de France, et qui n’était pas d’une humeur farouche. Elle et son mari étaient favorables à Mazarin malgré tous les efforts de Mme de Montbazon sa belle-mère et de Mme de Chevreuse sa belle-sœur. On pense bien que Mazarin soignait fort Mme de Guyméné et ne se faisait pas faute de lui adresser mille complimens comme à Mme de Chevreuse, mais il n’allait pas plus loin, et les deux belles dames ne savaient trop que penser de tant de complimens et de tant de réserve. En badinant, elles se demandaient quelquefois à qui des deux il en voulait, et comme il n’avançait pas, tout en continuant ses protestations galantes, « ces dames, dit Mazarin, en concluent que je suis impuissant[9]. »

Ce jeu dura quelque temps, mais le naturel finit par l’emporter sur la politique. Mme de Chevreuse s’impatienta de n’obtenir que des paroles et presque rien de sérieux et d’effectif. Elle avait eu quelque argent pour elle-même, soit en remboursement de celui qu’autrefois elle avait prêté à la reine, ainsi que nous l’avons vu[10], soit pour l’acquittement des dettes contractés pendant l’exil et dans l’intérêt d’Anne d’Autriche. Dès les premiers jours, elle avait tiré son ami et protégé Alexandre de Campion du service des Vendôme, pour le placer dans la maison de la reine en un rang convenable. On avait remis Châteauneuf dans sa place de chancelier des ordres du roi, et plus tard même on lui rendit son ancien gouvernement de Touraine, après la mort du marquis de Gèvres, tué au mois d’août, devant Thionville ; mais Mme de Chevreuse trouvait que c’était faire bien peu pour un homme tel que Châteauneuf, qui avait joué sa fortune et sa vie et souffert un emprisonnement de dix années. Elle reconnut aisément que les perpétuels retardemens des grâces toujours promises et toujours différées pour les Vendôme et pour La Rochefoucauld étaient autant d’artifices du cardinal, et qu’elle était sa dupe, elle se plaignit et commença à se permettre des mots piquans et moqueurs. C’étaient des armes qu’elle fournissait à Mazarin contre elle-même. Il fit sentir à la reine que Mme de Chevreuse la voulait gouverner, qu’elle avait changé de masque et non de caractère, qu’elle était toujours la personne passionnée et remuante qui, avec tout son esprit et son dévouement, n’avait jamais fait que du mal à la reine, et n’était capable que de perdre les autres et de se perdre elle-même. Peu à peu, de sourde et cachée qu’elle était, la guerre entre eux se déclara de plus en plus. La Rochefoucauld a peint admirablement le commencement et les progrès de cette lutte curieuse. Les carnets de Mazarin l’éclairent d’un jour nouveau, et relèvent infiniment Mme de Chevreuse en faisant voir à quel point Mazarin la redoutait.

Partout il la considère comme le véritable chef du parti des Importans, : « C’est Mme de Chevreuse, dit-il sans cesse, qui les anime tous. » — « Elle s’applique à fortifier les Vendôme ; elle tâche d’acquérir toute la maison de Lorraine ; elle a déjà gagné le duc de Guise, et par lui elle s’efforce de m’enlever le duc d’Elbeuf. » — « Elle voit très clair en toutes choses ; elle a fort bien deviné que c’est moi qui en secret agis auprès de la reine pour l’empêcher de rendre au duc de Vendôme le gouvernement de la Bretagne. Elle l’a dit à son père, le duc de Montbazon, et à Montaigu. » — « Elle se brouille avec Montaigu lui-même, parce qu’il fait obstacle à Châteauneuf en soutenant le garde des sceaux Séguier. » — « Mme de Chevreuse ne se décourage pas. Elle dit que les affaires de Châteauneuf ne sont pas du tout désespérées, et elle ne demande que trois mois pour faire voir ce qu’elle peut. Elle supplie les Vendôme de prendre patience, et les soutient en leur promettant bientôt un changement de scène. » — « Mme de Chevreuse espère toujours me faire renvoyer. La raison qu’elle en donne, c’est que, quand la reine lui a refusé de mettre Châteauneuf à la tête du gouvernement, elle a dit qu’elle ne pouvait le faire présentement, et qu’il fallait avoir égard à moi, d’où Mme de Chevreuse a conclu que la reine avait beaucoup d’estime et d’affection pour Châteauneuf, et que, quand je ne serai plus là, la place est assurée à son ami. De là leurs espérances et les illusions dont ils se nourrissent. » — « L’art de Mme de Chevreuse et des Importans, c’est de faire en sorte que la reine n’entende que des discours favorables à leur parti et dirigés contre moi, et de lui rendre suspect quiconque ne leur appartient pas et me témoigne quelque affection. » — « Mme de Chevreuse et ses amis publient que bientôt la reine appellera Châteauneuf, et par là ils abusent tout le monde et portent ceux qui songent à leur avenir à l’aller voir et à rechercher son amitié. On excuse la reine du retard qu’elle met à lui donner ma place, en disant qu’elle a encore besoin de moi pendant quelque temps. » — « On me dit que Mme de Chevreuse dirige en secret Mme de Vendôme (sainte personne qui avait du crédit sur le parti dévot, les évêques et les couvens), et lui donne des instructions, afin qu’elle ne se trompe pas, et que toutes les machines employées contre moi aillent bien à leur but. »

Ce dernier passage des carnets prouve que Mme de Chevreuse, sans être dévote le moins du monde, savait fort bien se servir du parti dévot, qui était très puissant sur l’esprit de la reine et donnait à Mazarin de grands soucis.

La plus grande difficulté du premier ministre était de faire comprendre à la reine Anne, sœur du roi d’Espagne, et d’une dévotion tout espagnole, qu’il fallait, malgré tous les engagemens qu’elle avait tant de fois contractés, malgré toutes les instances de la cour de Rome et malgré celles des chefs de l’épiscopat, continuer l’alliance avec les protestants d’Allemagne et avec la Hollande, et persister à ne vouloir qu’une paix générale où nos alliés trouveraient leur compte aussi bien que nous, tandis qu’on répétait continuellement à la reine qu’on pouvait faire une paix particulière, et traiter séparément avec l’Espagne à des conditions très convenables, que par là on ferait cesser le scandale d’une guerre impie entre le roi très chrétien et le roi catholique, et qu’on procurerait à la France un soulagement dont elle avait grand besoin. C’était là la politique de l’ancien parti de la reine. Elle était au moins spécieuse, et comptait de nombreux partisans parmi les hommes les plus éclairés et les plus attachés à l’intérêt de leur pays. Mazarin, disciple et héritier de Richelieu, avait des pensées plus hautes, mais qu’il n’était pas aisé de faire entrer dans l’esprit d’Anne d’Autriche. Il y parvint peu à peu, grâce à des efforts sans cesse renouvelés et ménagés avec un art infini, grâce surtout aux victoires du duc d’Enghien, car en toutes choses c’est un avocat bien éloquent et bien persuasif que le succès. Cependant la reine demeura assez longtemps indécise, et on voit, dans les carnets de Mazarin, pendant la fin de mai, tout le mois de juin et celui de juillet, que le principal objet du cardinal est de porter la régente à ne point abandonner ses alliés et à soutenir fortement la guerre. Mme de Chevreuse, avec Châteauneuf, défendait la vieille politique du parti, et s’efforçait d’y ramener Anne d’Autriche : « Mme de Chevreuse, dit Mazarin, fait dire de tous côtés à la reine que je ne veux pas la paix, que j’ai les mêmes maximes que le cardinal de Richelieu, qu’il est nécessaire et qu’il est facile de faire une paix particulière. » Il s’élève plusieurs fois contre les dangers d’un pareil arrangement, qui eût rendu inutiles les sacrifices de la France pendant tant d’années : « Mme de Chevreuse, s’écrie-t-il, veut ruiner la France ! » Il savait que, liée intimement avec Monsieur, son ancien complice dans toutes les conspirations ourdies contre Richelieu, elle l’avait séduit à l’idée d’une paix particulière en lui faisant espérer pour sa fille, Mme de Montpensier, un mariage avec l’archiduc, qui lui aurait apporté le gouvernement des Pays-Bas. Il savait qu’elle avait gardé tout son crédit sur le duc de Lorraine, et le maréchal de l’Hôpital, qui commandait de ce côté, lui faisait dire de se défier de toutes les protestations du duc Charles, parce qu’il appartenait entièrement à Mme de Chevreuse. Il savait enfin qu’elle se vantait de pouvoir faire promptement la paix au moyen de la reine d’Espagne, dont elle disposait. Aussi supplie-t-il la reine Anne de repousser avec fermeté toutes les propositions de Mme de Chevreuse, et de lui dire nettement qu’elle ne veut entendre à aucun arrangement particulier, qu’elle est décidée à ne pas se séparer de ses alliés, qu’elle souhaite une paix générale, que c’est pour cela qu’elle a envoyé à Munster des ministres qui traitent cette grande affaire, et qu’il est superflu de lui en parler davantage.


III

Battue sur ces différens points, Mme de Chevreuse ne se tint pas pour vaincue. Voyant qu’elle avait inutilement employé l’insinuation, la flatterie, la ruse et toutes les intrigues ordinaires des cours, cette âme hardie ne recula pas devant l’idée de recourir à d’autres moyens de succès. Elle continua de faire agir les dévots et les évêques, elle suivit ses trames politiques avec les chefs des Importans, et en même temps elle se rapprocha de cette petite cabale, qui formait en quelque sorte l’avant-garde du parti, composée d’hommes nourris dans les anciens complots, habitués et toujours prêts à des coups de main, qui jadis s’étaient embarqués dans plus d’une entreprise désespérée contre Richelieu, et que, dans un cas extrême, on pouvait lancer aussi contre Mazarin. Les mémoires du temps, et particulièrement ceux de Retz et de La Rochefoucauld, les font assez connaître. C’étaient le comte de Montrésor, le comte de Fontrailles, le comte de Brion, le comte de Fiesque, le comte d’Aubijoux, le comte de Beaupuis, le comte de Saint-Ybar, Barrière, Varicarville, bien d’autres encore, esprits absurdes, cœurs intrépides, d’une fidélité sans bornes à leur cause et à leurs amis, professant les maximes les plus outrées et une sorte de culte pour le malheureux De Thou, invoquant sans cesse la vieille Rome et Brutus, mêlant à tout cela des intrigues galantes, et s’exaltant dans leurs chimères par le désir de plaire aux dames. C’étaient eux qui s’étaient fait donner le nom d’Importans par leurs grands airs d’importance, par leur affectation de capacité et de profondeur, et par leurs discours ténébreux. Leur chef favori était le duc de Beaufort, que nous connaissons, personnage à peu près de la même étoffe, composé à la fois d’extravagant et d’artificieux, mais d’une grande apparence de loyauté et de bravoure, et se donnant pour un homme d’exécution, d’ailleurs absolument gouverné par Mme Montbazon, la jeune belle-mère de Mme de Chevreuse. L’ancienne maîtresse de Chalais n’eut pas de peine à acquérir cette petite faction ; elle la caressa habilement, et, avec l’art d’une conspiratrice exercée, elle fomenta tout ce qu’il y avait en eux de faux honneur, de dévouement quintessencié et de courage extravagant. Mazarin, qui, comme Richelieu, avait une admirable police, averti des démarches de Mme de Chevreuse, comprit le danger qu’il allait courir. Il savait bien qu’elle ne se liait pas sans dessein avec des hommes comme ceux-là. Il était parfaitement instruit de tout ce qui se passait et se disait dans leurs conciliabules : « Ils ne parlent entre eux, dit-il dans les notes qu’il écrit pour la reine et pour lui-même, que de générosité et de dévouement ; ils répètent sans cesse qu’il faut savoir se perdre, et c’est Mme de Chevreuse qui les entretient et les unit dans ces maximes si funestes à l’état. » — « Saint-Ybar (un de ceux qui, avec Montrésor et Varicarville, avaient proposé à Monsieur et au comte de Soissons de les défaire de Richelieu) est vanté par Mme de Chevreuse comme un héros. » — « Campion, serviteur dévoué de la dame, est arrivé à Paris. » — « Mme de Chevreuse les anime tous. Elle dit que, si on ne prend pas la résolution de se défaire de moi, les affaires n’iront pas bien, que les grands seigneurs seront tout aussi asservis qu’auparavant, que mon pouvoir auprès de la reine s’accroîtra toujours, et qu’il faut se hâter avant que le duc d’Enghien ne revienne de l’armée. »

On ne pouvait être mieux informé, et le plan de Mme de Chevreuse et des chefs des Importans se dessinait clairement aux yeux de Mazarin : ou bien, par leurs intrigues incessantes et habilement concertées auprès de la reine, lui faire abandonner un ministre pour lequel elle ne s’était pas encore hautement déclarée, ou traiter ce ministre comme de Luynes avait fait le maréchal d’Ancre, comme Montrésor, Barrière, Saint-Ybar, avaient voulu traiter Richelieu. La première partie du plan ne réussissant pas, on commençait à penser sérieusement à la seconde, et Mme de Chevreuse, la forte tête du parti, proposait avec raison d’agir avant le retour du duc d’Enghien, car le duc à Paris couvrait Mazarin : il fallait donc profiter de son absence pour frapper le coup décisif. Le succès paraissait certain et même assez facile. On était sûr d’avoir pour soi le peuple, qui, épuisé par une longue guerre et gémissant sous le poids des impôts, devait accueillir avec joie l’espérance de la paix. On comptait sur l’appui déclaré des parlemens, brûlant de reprendre dans l’état l’importance que Richelieu leur avait enlevée et que leur disputait Mazarin. On avait toutes les sympathies secrètes et même publiques de l’épiscopat, qui, avec Rome, détestait l’alliance protestante, et réclamait l’alliance espagnole. On ne pouvait douter du concours empressé de l’aristocratie, qui regrettait toujours sa vieille et turbulente indépendance, et dont les représentans les plus illustres, les Vendôme, les Guise, les Bouillon, les La Rochefoucauld, étaient ouvertement contraires à la domination d’un favori étranger, sans fortune, sans famille, et encore sans gloire. Les princes du sang eux-mêmes se résignaient à Mazarin plutôt qu’ils ne l’aimaient ; Monsieur ne se piquait pas d’une grande fidélité à ses amis, et le politique prince de Condé y regarderait à deux fois avant de se brouiller avec les victorieux. Il caressait tous les partis et n’était attaché qu’à ses intérêts. Son fils ferait comme son père, et on le gagnerait en le comblant d’honneurs. Le lendemain, nulle résistance, et le jour même presque aucun obstacle. Les régimens italiens de Mazarin étaient à l’armée ; il n’y avait guère de troupes à Paris que les régimens des gardes, dont presque tous les chefs, Chandenier, Tréville, La Châtre, étaient dévoués au parti. La reine elle-même n’avait pas encore renoncé à ses anciennes amitiés. Sa prudence même était mal interprétée. Comme elle voulait tout ménager et tout adoucir, elle donnait de bonnes paroles à tout le monde, et ces bonnes paroles étaient prises comme des encouragemens tacites. Elle n’avait pas jusque-là montré une grande fermeté de caractère ; on lui croyait bien quelque goût pour le cardinal ; on ne soupçonnait pas la force toujours croissante, d’un attachement de quelques mois.

De son côté, Mazarin ne se faisait aucune illusion. Il n’était donc pas maître encore du cœur d’Anne d’Autriche, puisqu’il ce moment, c’est-à-dire pendant le mois de juillet 1643, dans ses notes les plus intimes, il montre une extrême inquiétude. La dissimulation dont tout le monde accusait la reine l’épouvante lui-même, et on le voit passer par toutes les alternatives de la crainte et de l’espérance. Il est curieux de saisir et de suivre tous les mouvemens contraires de son âme. Dans ses lettres officielles aux ambassadeurs et aux généraux[11], il affecte une sécurité qu’il n’a point. Avec ses amis particuliers, il laisse échapper quelque chose de ses perplexités douloureuses ; elles paraissent à nu dans ses carnets. On y voit ses troubles intérieurs et ses instances passionnées pour que la reine se déclare. Il feint avec elle le plus entier désintéressement : il ne demande qu’à faire place à Châteauneuf, si elle a pour Châteauneuf quelque secrète préférence. La conduite ambiguë d’Anne d’Autriche le désole, et il la conjure ou de lui permettre de se retirer, ou de se prononcer fermement pour lui.

Rien n’était changé à la fin de juillet et dans les premiers jours du mois d’août 1643, ou plutôt tout s’était aggravé ; la violence des Importans croissait chaque jour ; la reine défendait son ministre, mais elle ménageait aussi ses ennemis ; elle hésitait à prendre l’attitude décidée que lui demandait Mazarin, non-seulement dans son intérêt particulier, mais dans celui du gouvernement. Tout à coup un incident, fort insignifiant en apparence, mais qui grandit peu à peu, précipita la crise inévitable, força la reine à se déclarer et Mme de Chevreuse à s’enfoncer davantage dans l’entreprise funeste qui déjà était entrée dans sa pensée : nous voulons parler de la querelle de Mme de Montbazon et de Mme de Longueville.

Nous avons autrefois, ici même[12], raconté en détail cette querelle, et l’on connaît l’une et l’autre dame. Rappelons seulement que la duchesse de Montbazon, par son mariage avec le père de Mme de Chevreuse, se trouvait sa belle-mère, quoiqu’elle fût plus jeune qu’elle, que le duc de Beaufort lui était publiquement une sorte de cavalier servant, que le duc de Guise lui faisait une cour très bien accueillie, et qu’ainsi de tous côtés elle appartenait aux Importans. Parmi ses nombreux amans, elle avait compté le duc de Longueville, qu’elle aurait bien voulu retenir, et qui venait de lui échapper en épousant Mlle de Bourbon. Ce mariage avait fort irrité la vaine et intéressée duchesse ; elle détestait Mme de Longueville, et saisit avec une ardeur aveugle l’occasion qui se présenta d’essayer de porter le trouble dans le nouveau ménage. Un soir, dans son salon de la rue de Béthizy, elle ramassa une ou deux lettres écrites par une femme, qu’un imprudent venait de laisser tomber. Elle en amusa toute la compagnie. Ces lettres n’étaient que trop claires. On chercha de qui elles pouvaient venir. La duchesse de Montbazon osa les attribuer à Mme de Longueville. Le bruit injurieux se répandit vite. On comprend quelle fut l’indignation de l’hôtel de Condé. Mme la Princesse vint demander hautement justice à la reine : une réparation fut exigée et convenue. La duchesse de Montbazon, forcée d’y consentir, s’exécuta d’assez mauvaise grâce. Quelques jours après, la reine s’étant rendue avec Mme la Princesse au jardin de Renard, à une collation que lui donnait Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon s’y était trouvée, et quand la reine l’avait fait prier de prendre quelque prétexte pour se retirer et éviter de se rencontrer avec Mme la Princesse, l’insolente duchesse avait refusé d’obéir. Cette offense, faite à la reine elle-même, ne pouvait demeurer impunie, et Mme de Montbazon reçut l’ordre de quitter la cour et de s’en aller dans une de ses terres près de Rochefort. Les amis et amans de la dame jetèrent les hauts cris ; tout le parti des Importans s’émut, et l’affaire changea de face : de particulière qu’elle était, elle devint générale, comme souvent à la guerre un engagement particulier, une manœuvre précipitée entraîne toute l’armée et détermine une bataille.

Il était difficile de se mettre sur un plus mauvais terrain. D’abord la duchesse de Montbazon était aussi décriée pour ses mœurs et son caractère que célèbre par sa beauté, et elle attaquait une jeune femme qui commençait à peine à paraître et déjà était l’objet de l’admiration universelle, d’une beauté à la fois éblouissante et gracieuse qui la faisait comparer à un ange, d’un esprit merveilleux, du cœur le plus noble, et la personne du monde que les Importans auraient dû le plus ménager, car sa générosité naturelle ne la portait pas du côté de la cour et donnait même quelque ombrage au premier ministre. Mme de Longueville n’était alors occupée que de bel esprit, d’innocente galanterie, et surtout de la gloire de son frère le duc d’Enghien. Il y avait même en elle, il faut l’avouer, quelques germes d’une Importante, que plus tard sut trop bien développer La Rochefoucauld. L’injure qui lui était faite, et dont les honteux motifs étaient visibles, révolta tous les cœurs honnêtes. D’ailleurs tout l’effort de Mme de Chevreuse, le véritable chef du parti, était d’ôter à Mazarin tous ses appuis, et elle excitait contre lui et faisait agir auprès de la reine les dévots et les dévotes ; or Mme de Longueville n’était pas moins l’idole des carmélites et du parti des saints que de l’hôtel de Rambouillet. Enfin le duc d’Enghien, déjà couvert des lauriers de Rocroy et tout prêt à y ajouter ceux de Thionville, était si évidemment l’arbitre de la situation, que Mme de Chevreuse insistait avec force pour qu’on se défit de Mazarin pendant que le jeune duc était occupé au loin, et avant qu’il ne revint de l’armée. Le blesser dans une sœur qu’il adorait, le mettre contre soi sans aucune nécessité et hâter son retour était une vraie extravagance ; aussi La Rochefoucauld, La Châtre, Alexandre Campion et tout ce qu’il y avait d’un peu sensé parmi les Importans s’étaient empressés d’apaiser et de terminer cette déplorable affaire, et Mme de Chevreuse, attentive à faire sa cour à la reine, en même temps qu’elle conspirait contre son ministre, lui avait préparé chez Renard une petite fête, destinée à dissiper les derniers effets de ce qui s’était passé ; mais toute sa politique avait échoué devant la sotte fierté d’une femme sans esprit comme sans cœur.

Cependant Mazarin avait mis à profit les fautes de ses ennemis. D’assez bonne heure il avait vu avec joie et il avait accru avec art l’inimitié des maisons de Condé et de Vendôme. À mesure que les Vendôme se déclaraient plus ouvertement contre lui, il ménageait d’autant plus les Condé. Il s’était posé à lui-même cette question : Que faudra-t-il faire si les Vendôme et les Condé en viennent à un éclat, bien entendu en supposant que l’intérêt de l’état ne soit pas engagé dans leur querelle ? La question avait été fort aisément résolue, car l’intérêt de l’état et celui du cardinal s’étaient réunis pour le jeter du côté des Condé. Pendant que Mme de Montbazon et Beaufort faisaient cette insulte à Mme de Longueville, on apprenait à Paris que le vainqueur de Rocroy venait de terminer le siège difficile de Thionville et d’ouvrir à la France une des portes de l’Allemagne. L’épée du jeune duc semblait porter partout la victoire avec elle. Le marquis de Gèvres, qui donnait de si grandes espérances, avait été tué ; Gassion était grièvement blessé ; Turenne et Praslin étaient occupés en Italie ; Guébriant, serré de près par Mercy, venait de repasser le Rhin. Le duc d’Enghien, avec son audace et sa popularité toujours croissante, pouvait seul exercer assez d’ascendant sur l’armée pour la ramener en Allemagne, et dissiper l’épouvante qu’avait laissée le souvenir de la défaite de Nortlingen. Dans le conseil, M. le Prince prêtait à Mazarin un appui intéressé et incertain, mais nécessaire et utile. Mme la Princesse était la meilleure amie de la reine ; elle était déclarée pour le cardinal et contre son rival Châteauneuf. Servir les Condé, c’était donc servir l’état et se servir lui-même. Le choix de Mazarin ne pouvait pas être douteux, et, loin d’apaiser la reine, il l’anima.

Dans cette critique circonstance, que restait-il à faire à Mme de Chevreuse ? Elle s’était efforcée de contenir Mme de Montbazon, mais elle ne pouvait l’abandonner ni s’abandonner elle-même. Elle résolut donc de suivre avec énergie le tragique projet devenu la dernière espérance, la suprême ressource du parti. Déjà elle avait ouvert l’avis de se défaire de Mazarin. Par Mme de Montbazon, elle avait entraîné Beaufort. Celui-ci avait rassemblé les hommes d’action dont nous avons parlé, et qui lui étaient entièrement dévoués. Un complot avait été formé et toutes les mesures concertées pour surprendre et tuer le cardinal.


IV.

Ne nous étonnons pas trop d’une semblable entreprise de la part de deux femmes et d’un petit-fils d’Henri IV. À cette grande époque de notre histoire, entre la ligue et la fronde, l’énergie et la force étaient les traits distinctifs de l’aristocratie française. La vie de cour et une molle opulence ne l’avaient pas encore énervée. Tout alors était extrême, le vice comme la vertu. On attaquait et l’on se défendait avec les mêmes armes. On avait massacré le maréchal d’Ancre ; plus d’une fois on avait, voulu assassiner Richelieu ; lui, de son côté, ne se faisait pas faute de dresser des échafauds. Mme de Chevreuse était depuis longtemps accoutumée aux conspirations : elle était audacieuse et sans scrupule ; elle ne s’était pas entourée de Beaupuis, de Saint-Ybar, de Varicarville, de Campion, pour passer son temps en discours inutiles. Elle n’était pas restée étrangère aux desseins qu’ils avaient autrefois tramés contre Richelieu ; en 1643, elle fomenta, comme nous l’avons dit, leur exaltation et leur dévouement, et c’est avec raison, selon nous, que Mazarin lui attribue la première pensée du projet que devait exécuter Beaufort.

Bien entendu, les Importans et leurs héritiers les frondeurs nient ce projet et le donnent pour une invention du cardinal. La Rochefoucauld, sans avoir partagé les folles espérances de ses amis et mis la main dans leur téméraire entreprise, se fait un point d’honneur de les défendre après leur déroute et s’applique à couvrir la retraite. Il affecte de douter si le complot qui fit alors tant de bruit était véritable ou supposé. Selon lui, le plus vraisemblable est que le duc de Beaufort, par une fausse finesse, tenta de faire prendre l’alarme au cardinal, croyant qu’il suffisait de lui faire peur pour l’obliger à sortir de France, et que ce fut dans cette vue qu’il fit des assemblées secrètes et leur donna un air de conjuration. La Rochefoucauld se fait surtout le chevalier de l’innocence de me de Chevreuse, et il se déclare très persuadé qu’elle ignorait les desseins du duc de Beaufort. Après l’historien des Importans, celui des frondeurs tient à peu près le même langage, domine La Rochefoucauld, Retz n’a qu’un but dans ses mémoires : c’est de se donner un air capable et de faire une grande figure en tout genre, en mal comme en bien. Il est souvent plus véridique, parce qu’il a encore moins de ménagemens pour les autres, et qu’il est plus disposé à sacrifier tout le monde, lui seul excepté. Nous ne concevons pas ici sa retenue ou son incrédulité. Il savait fort bien que la plupart des gens accusés d’avoir pris part à cette affaire avaient déjà trempé dans plus d’une affaire semblable. Lui-même nous apprend qu’il avait blâmé le comte de Soissons de n’avoir pas frappé Richelieu à Amiens, et qu’avec La Rochepot, lui, abbé de Retz, avait formé le dessein de l’assassiner aux Tuileries pendant la cérémonie du baptême de Mademoiselle. La coadjutorerie de l’archevêché de Paris, que la régente venait de lui accorder, en considération de son père, l’avait adouci, il est vrai ; mais ses anciens complices, qui n’avaient pas été aussi bien traités que lui, étaient demeurés fidèles à leur cause, à leurs desseins, à leurs habitudes. Retz est-il sincère quand il refuse de croire qu’ils aient tenté contre Mazarin ce qu’il leur avait vu entreprendre, et ce qu’il avait lui-même entrepris contre Richelieu ? Dans sa haine aveugle, il rejette tout sur Mazarin : il prétend qu’il eut peur ou qu’il feignit d’avoir peur.

Écartons cette supposition, que Mazarin ait eu peur légèrement, ou qu’il ait feint d’avoir peur d’un simulacre de conspiration. Sur le courage de Mazarin, nous en appelons à La Rochefoucauld lui-même. « Au contraire du cardinal de Richelieu, qui avoit l’esprit hardi et le cœur timide, le cardinal Mazarin, dit-il, avoit plus de hardiesse dans le cœur que dans l’esprit. » Mazarin avait commencé par être militaire ; il avait donné plus d’une preuve d’intrépidité, particulièrement à Casal, où il se jeta entre deux années toutes prêtes à en venir aux mains. Sans doute il s’appliquait à conjurer les périls : mais quand il n’avait pu les prévenir, il savait y faire face avec fermeté. Mazarin n’était donc pas homme à prendre l’épouvante sur de vaines apparences, et d’un autre côté il n’avait pas besoin de feindre des alarmes imaginaires, car le danger était certain, et dans le progrès toujours croissant de son crédit auprès de la reine, quelle ressource, encore une fois, restait aux Importans, sinon l’entreprise qu’ils avaient autrefois tentée contre Richelieu, et qu’ils pouvaient aisément renouveler contre son successeur ? Mazarin n’avait pas encore de gardes, et il connaissait assez Mme de Chevreuse pour avoir pris fort au sérieux la proposition qu’elle avait faite dans les conciliabules de l’hôtel de Vendôme. Pesez bien cette considération nouvelle : dans ses carnets, Mazarin n’est pas sur un théâtre ; il n’écrit pas pour le public ; il montre ses sentimens vrais, et là on le voit, non pas intimidé, mais ému. Il se sent environné d’assassins, et il est convaincu que c’est Mme de Chevreuse qui les dirige. Il suit tous leurs mouvemens ; il recueille tous leurs propos ; il rassemble les moindres indices ; il compte et il nomme les chefs et les soldats.

Mais toute incertitude disparaît devant l’aveu plein et entier d’un des principaux conjurés, qui nous livre le plan et tous les détails de l’affaire dans des mémoires trop tard connus, mais dont l’authenticité ne peut être contestée ; nous voulons parler des précieux mémoires d’Henri de Campion[13], frère de l’ami de Mme de Chevreuse, que celui-ci avait fait entrer avec lui au service du duc de Vendôme et particulièrement du duc de Beanfort. Henri avait accompagné le duc dans sa fuite en Angleterre après la conspiration de Cinq-Mars, et il en était revenu avec lui ; il possédait toute sa confiance, et il ne raconte rien où il n’ait pris lui-même une part considérable. Henri était d’un caractère bien différent de son frère Alexandre. C’était un homme instruit, plein d’honneur et de bravoure, sans jactance aucune, éloigné de toute intrigue, et né pour faire son chemin par les routes les plus droites dans la carrière des armes. Il a écrit ses mémoires dans la solitude, où après la perte de sa fille et de sa femme il était venu attendre la mort au milieu des exercices d’une solide piété. Ce n’est pas en cet état qu’on est disposé à inventer des fables, et il n’y a pas de milieu : ce qu’il dit est ici qu’il le faut croire absolument, ou, si l’on doute qu’il dise la vérité, il le faut considérer comme le dernier des scélérats. Aucun intérêt n’a pu conduire sa plume, car il a composé ses mémoires, ou du moins il les a achevés, un peu après la mort de Mazarin, ne songeant donc pas à lui faire sa cour par de bien tardives révélations, et deux ans à peine avant que lui-même, s’éteignit, en 1663. Il écrit véritablement devant Dieu et sous la seule inspiration de sa conscience.

Or, ouvrez ses mémoires, vous y verrez de point en point confirmés tous les renseignemens qui remplissent les carnets de Mazarin. Rien n’y manque, tout se rapporte, tout correspond merveilleusement. Il semble en vérité que Mazarin, en écrivant ses notes, ait eu sous les yeux les mémoires d’Henri de Campion, ou que Henri de Campion, en écrivant ses mémoires, ait eu sous les yeux les carnets de Mazarin : il les complète à la fois et il les résume.

Il déclare nettement qu’il y eut un projet de se défaire de Mazarin, et que ce projet fut conçu, non par Beaufort, mais par Mme de Chevreuse de concert avec Mme de Montbazon. Beaufort, une fois séduit, séduisit son intime ami, le fils du comte de Maillé, le comte de Beaupuis, enseigne de la garde à cheval de la reine. Mme de Chevreuse leur adjoignit Alexandre de Campion, le frère aîné de Henri, avec lequel nous avons fait connaissance. « Elle l’aimoit beaucoup, » dit Henri de Campion, d’une façon qui, s’ajoutant aux paroles ambiguës d’Alexandre, que nous avons rapportées[14], fortifie le soupçon si celui-ci n’était pas alors en effet un des nombreux successeurs de Chalais. Beaupuis et Alexandre de Campion approuvèrent le complot qui leur fut communiqué, « le premier, dit Henri, croyant que c’était pour lui le chemin d’arriver à de plus grandes charges, et mon frère y voyant l’avantage de Mme de Chevreuse et par conséquent le sien. »

Tels furent les deux premiers complices de Beaufort. Un peu plus tard, il s’ouvrit à Henri de Campion, un de ses principaux gentilshommes, à Lié, capitaine de ses gardes, et à Brillet, son écuyer. Là s’arrêta la conspiration. Bien d’autres gentilshommes de la maison de Vendôme devaient participer à l’action, mais ne reçurent aucune confidence ; de ce nombre étaient deux officiers, alors sans importance, Vaumorin et Ganseville, qui depuis pendant la fronde ont très bien pu dire à Retz, comme celui-ci le rapporte, qu’il n’y avait pas eu de complot, car ils l’ignoraient entièrement. L’affaire était bien conçue et digne de Mme de Chevreuse. Il y avait à peine cinq ou six conjurés, très capables de garder le secret, et qui le gardèrent. Au-dessous d’eux, des hommes d’action qui ne savaient pas ce qu’ils devaient faire, et par derrière, les hommes du lendemain, sur lesquels on comptait pour applaudir au coup, quand il aurait été fait, sans qu’on eût jugé à propos de les avertir.

Le plan était d’attaquer le cardinal dans la rue, pendant qu’il faisait des visites en voiture, n’ayant d’ordinaire avec lui que quelques ecclésiastiques, avec cinq ou six laquais. On devait se présenter en force et à l’improviste, faire arrêter le carrosse et frapper Mazarin. Pour cela, il fallait qu’un certain nombre de domestiques de la maison de Vendôme, qui n’étaient pas dans la confidence, se trouvassent tous les jours, dès le matin, dans des cabarets autour de la demeure du cardinal, qui était alors à l’hôtel de Clèves, près du Louvre. On donnait ce prétexte que, les Condé se proposant de faire affront à Mme de Montbazon, le duc de Beaufort, pour s’y opposer, voulait avoir sous la main une troupe de gentilshommes à cheval et armés. Les rôles étaient d’avance distribués. Ceux-ci devaient arrêter le cocher du cardinal, ceux-là devaient ouvrir les deux portières et le frapper, pendant que le duc serait là à cheval, avec Beaupuis, Henri de Campion et d’autres pour combattre et dissiper ceux qui tenteraient de résister. Alexandre de Campion resta auprès de la duchesse de Chevreuse et à ses ordres, et elle-même devait plus que jamais être assidue auprès de la reine pour préparer les voies à ses amis, et, en cas de succès, entraîner la régente du côté des victorieux.

Plusieurs occasions favorables d’exécuter ce plan se présentèrent. Une première fois, Henri de Campion, étant avec son monde dans la petite rue du Champ-Fleuri, dont une extrémité donne dans la rue Saint-Honoré et l’autre près du Louvre, vit le cardinal sortir de l’hôtel de Clèves, en carrosse, avec l’abbé de Bentivoglio, le neveu du célèbre cardinal de ce nom, quelques ecclésiastiques et quelques valets. Campion demanda à l’un d’eux où le cardinal allait, on lui répondit : chez le maréchal d’Estrées. « Je vis, dit Campion, que si je voulois donner cet avis, sa mort étoit infaillible ; mais je crus que je serois si coupable devant Dieu et devant les hommes, que je n’eus point la tentation de le faire. »

Le lendemain, on sut que le cardinal devait aller faire collation chez Mme du Vigean, dans sa charmante maison de La Barre, à l’entrée de la vallée de Montmorency, où était Mme de Longueville et où devait aussi se trouver la reine, qui était déjà partie. Le cardinal s’y rendait de son côté, et n’avait avec lui dans son carrosse « [ne le comte d’Harcourt. Beaufort commanda à Campion d’assembler sa troupe et de courir après ; mais Campion lui représenta que si on attaquait le cardinal en compagnie du comte d’Harcourt, il fallait se décider à les tuer tous deux, d’Harcourt étant trop généreux pour voir frapper Mazarin sous ses yeux sans le défendre, et que le meurtre de d’Harcourt soulèverait contre eux toute la maison de Lorraine.

Quelques jours après, on eut avis que le cardinal devait aller dîner à Maisons, chez le maréchal d’Estrées, ainsi que le duc d’Orléans. « Je fis consentir le duc, dit Campion, que si le ministre étoit dans le carrosse de son altesse royale, le dessein ne s’exécuterait pas ; mais il dit que s’il étoit seul, il falloit qu’il mourût. Je fus, ajoute Campion, dans l’inquiétude que l’on peut penser, jusqu’à ce que, voyant passer le carrosse du duc d’Orléans, j’aperçus le cardinal dans le fond avec lui. »

Enfin, l’irritation de Beaufort ayant été portée à son comble par l’exil de Mme de Montbazon, qui est certainement du 22 août, le duc, aiguillonné par Mme de Chevreuse, par la passion et par un faux honneur, devint impatient d’agir. Voyant que le jour il se rencontrait sans cesse des obstacles dont il ne soupçonnait pas la cause, il résolut d’exécuter le coup pendant la nuit, et dressa une embuscade dont le succès semblait assuré. Le cardinal allait tous les soirs chez la reine, et s’en revenait assez tard. On l’attaquerait à son retour entre le Louvre et l’hôtel de Clèves. On aurait des chevaux tout prêts dans quelque hôtellerie voisine. Le duc lui-même s’y tiendrait avec Beaupuis et Campion, pendant que le ministre serait chez la reine, et sitôt qu’il sortirait, ils s’avanceraient tous les trois et feraient venir les autres qui, en attendant, se tiendraient à cheval, sur le quai le long de la rivière, tout auprès du Louvre.

Songez que celui qui fournit ces détails si précis est un des principaux conjurés, qu’il écrit à une assez grande distance, de l’événement, en sûreté, et encore une fois sans nul intérêt, ne craignant plus rien de Mazarin, qui vient de mourir, et n’en attendant rien ; songez qu’en parlant comme il le fait, il accuse son propre frère, que sans doute il s’attribue de louables intentions et même quelques bonnes actions, mais qu’il confesse être entré dans le complot, et que si l’exécution avait eu lieu, il y aurait pris part en combattant à côté de Beaufort. Le procès déféré au parlement n’ayant pas abouti faute de preuves. Campion n’imaginait pas que Mazarin eût jamais su « les circonstances du complot, ni ceux qui en savaient le fond et qui y étaient employés. » Il dit aussi « qu’à présent que le cardinal est mort, il n’y a plus à craindre de nuire à personne en disant les choses comme elles sont. » Il ne se défend donc pas, il se croit à l’abri de toute recherche, il écrit seulement pour soulager sa conscience. Et ce qu’il dit, c’est précisément, sans qu’il s’en doute, ce que Mazarin, de son côté, avait tiré de ses diverses informations.

N’en est-ce pas assez pour réduire à néant les doutes intéressés de La Rochefoucauld et les dénégations passionnées du très spirituel, mais très peu véridique cardinal de Retz, le plus ardent et le plus opiniâtre des ennemis de Mazarin ? Quant à nous, nous tenons comme un point absolument démontré qu’il y eut un projet arrêté de tuer Mazarin, que ce projet a été conçu par Mme de Chevreuse, en quelque sorte imposé par elle à Beaufort à l’aide de Mme de Montbazon, que pendant la dernière moitié du mois d’août, il y a eu diverses tentatives sérieuses d’exécution, particulièrement une dernière après l’exil de Mme de Montbazon, le dernier août ou plutôt le 1er septembre, et que cette tentative-là n’a manqué que par des circonstances tout à fait indépendantes de la volonté des conspirateurs.


V

Comment cette dernière tentative a-t-elle échoué ? Ici, sans nous arrêter à discuter les conjectures de Henri de Campion, bornons-nous à dire que Mazarin, qui était sur ses gardes, prévint le coup qui lui était destiné en n’allant pas chez la reine le soir où on devait le frapper, lorsqu’il reviendrait du Louvre. Le lendemain, la scène était changée. Le bruit s’était répandu que le premier ministre avait pensé être assassiné par le duc de Beaufort et ses amis, mais qu’il avait échappé, et que la fortune se déclarait en sa faveur. Un projet d’assassinat, surtout lorsqu’il est manqué, excite toujours une extrême indignation, et celui qui est sorti d’un grand danger et parait destiné a l’emporter trouve aisément des défenseurs. Une foule de gens, qui eussent peut-être appuyé Beaufort victorieux, vinrent offrir leurs services et leurs épées au cardinal, et dans la matinée il se rendit au Louvre escorté de trois cents gentilshommes.

Depuis quelques jours, Mazarin avait compris qu’il lui fallait à tout prix éclaircir la situation, et que le moment était venu de forcer Anne d’Autriche à prendre un parti. L’occasion était décisive. Si le péril qu’il venait de courir, et qui n’était que suspendu sur sa tête, ne suffisait pas à tirer la reine de ses incertitudes, c’est qu’elle ne l’aimait point, et Mazarin savait bien qu’au milieu des dangers qui l’entouraient, sa force était dans l’affection de la reine, et que de là dépendaient et son salut présent et tout son avenir. Aussi, soit politique, soit passion sincère, c’est toujours au cœur d’Anne d’Autriche qu’il s’adressait, et au début de la crise il s’était dit à lui-même : « Si je croyois que la reine se sert de moi par nécessité, sans avoir d’inclination pour ma personne, je ne resterais pas ici trois jours. » Mais, nous l’avons assez fait entendre, Anne d’Autriche aimait Mazarin. Chaque jour, en le comparant à ses rivaux, elle l’appréciait davantage. Elle admirait la justesse et la lucidité de son esprit, sa finesse et sa pénétration, cette puissance de travail qui lui faisait porter le poids du gouvernement avec une aisance merveilleuse, son coup d’œil si sûr, sa profonde prudence et en même temps la judicieuse vigueur de ses résolutions. Elle voyait les affaires de la France partout prospérer entre ses mains fermes et habiles. Le cardinal n’était pour rien, il est vrai, dans l’immortelle bataille qui venait d’inaugurer avec tant d’éclat le nouveau règne ; mais il était pour beaucoup dans les succès qui avaient suivi et montré à l’Europe étonnée que la journée de Rocroy n’était pas un heureux hasard. Quand tout le monde dans le conseil s’était opposé au siège de Thionville, quand M. le Prince lui-même y était contraire, quand Turenne consulté n’osait pas se déclarer, c’est Mazarin qui avait insisté avec une énergie extraordinaire pour qu’on profitât de la victoire de Rocroy et qu’on rapprochât la France du Rhin. La première proposition venait sans doute du jeune vainqueur, mais Mazarin avait eu le mérite de la comprendre, de la soutenir et de la faire triompher. Si jamais premier ministre n’avait été servi par un tel général, jamais aussi général n’avait été servi par un tel ministre, et, grâce à tous les deux, le 11 du mois d’août, pendant que messieurs les Importans mettaient leur génie à faire un indigne affront à la noble sœur du héros qui venait de sauver la France et qui allait l’agrandir, pendant qu’ils déployaient leur éloquence dans les salons ou aiguisaient leurs poignards dans de ténébreux conciliabules, Thionville, alors une des premières places de l’empire, se rendait après une défense opiniâtre ; nous pouvions marcher au secours du maréchal de Guébriant, couvrir l’Alsace, passer le Rhin et aller faire tête à Mercy. La régence d’Anne d’Autriche s’ouvrait sous les plus brillans auspices. Et en même temps le ministre auquel la reine devait tant, au lieu de s’imposer à elle et de prétendre à la gouverner, était à ses pieds et lui prodiguait des soins, des respects, des tendresses qu’elle n’avait jamais connus. Loin qu’il lui parût ressembler à l’impérieux et triste Richelieu, elle pouvait se rappeler avec une émotion agréable les paroles de Louis XIII, lorsque pour la première fois il lui présenta Mazarin, en 1639 ou 1630 : « Il vous plaira, madame, parce qu’il ressemble à Buckingham. » Mais c’était Buckingham avec un bien autre génie. Elle dut frémir quand Mazarin mit sous ses yeux tous les indices de l’odieuse entreprise formée contre lui. Il y eut là entre eux de suprêmes explications. Plus que jamais il dut la presser de lever le masque, de sacrifier à une nécessité manifeste les ménagemens qu’elle s’étudiait à garder, de braver un peu plus les discours de quelques dévots et de quelques dévotes, et de lui permettre enfin de défendre sa vie. Jusque-là Anne d’Autriche hésitait par des raisons qui se comprennent. L’insolence de Mme de Montbazon l’avait déjà fort irritée ; la conviction qu’elle acquit des nombreuses tentatives d’assassinat qui avaient échoué par hasard et pouvaient se renouveler la décida, et c’est dans les derniers jours du mois d’août qu’il faut placer la date certaine de l’ascendant déclaré, public et sans rival, de Mazarin sur Anne d’Autriche. Il ne lui avait jamais déplu ; il commença à lui agréer dans le mois qui précéda la mort de Louis XIII ; elle le nomma premier ministre au milieu de mai, un peu par goût et beaucoup par politique, Peu à peu le goût s’accrut et devint assez fort pour résister à toutes les attaques. Ces attaques, en passant aux dernières extrémités et en lui faisant craindre pour la vie même de Mazarin, précipitèrent la victoire de l’heureux cardinal, et le lendemain du guet-apens nocturne où il devait périr, Mazarin était le maître absolu du cœur de la reine, et plus puissant que ne l’avait été Richelieu après la journée des dupes.

Mme de Motteville était de service auprès de la reine Anne, lorsqu’au bruit de l’assassinat qui n’avait pas réussi, les courtisans s’empressèrent de venir au Louvre protester de leur dévouement. La reine, tout émue, lui dit : « Vous verrez devant deux fois vingt-quatre heures comme je me vengerai des tours que ces méchans amis me font. »  » Jamais, dit Mme de Motteville, le souvenir de ce peu de mots ne s’effacera de mon esprit. Je vis en ce moment, par le feu qui brilloit dans les yeux de la reine, et par les choses qui en effet arrivèrent le lendemain et le soir même, ce que c’est qu’une personne souveraine, quand elle est en colère et qu’elle peut tout ce qu’elle veut. » Si la fidèle dame d’honneur eût été moins discrète, elle eût pu ajouter : surtout quand cette personne souveraine est une femme et qu’elle aime.

Ce qui pressait le plus et ne pouvait être différé, c’était de se mettre à l’abri de tout nouvel assassinat, et de profiter du premier mouvement de l’indignation publique contre l’auteur du complot et ceux qui y avaient pris part. Or l’auteur du complot, c’était le duc de Beaufort, aidé de ses principaux officiers et de quelques gentilshommes de la maison de Vendôme. Il fallait donc arrêter Beaufort et lui faire son procès. La reine y consentit. On peut juger par là de l’autorité que Mazarin avait prise, et jusqu’où Anne d’Autriche pourrait aller un jour pour défendre un ministre qui lui était cher. Le duc de Beaufort était, avant la mort de Louis XIII, l’homme en qui la reine avait le plus de confiance, et pendant quelque temps on l’avait cru destiné au rôle de favori. Depuis, il avait bien gâté ses affaires par ses airs avantageux et par son évidente incapacité, surtout par sa liaison publique avec Mme de Montbazon ; mais la reine avait une assez grande faiblesse pour lui, et au bout de trois mois signer l’ordre de son arrestation était un grand pas, nécessaire, il est vrai, mais extrême, et qui était le signe manifeste d’un entier changement dans le cœur et les relations intimes d’Anne d’Autriche. La dissimulation même qu’elle mit dans cette affaire marque la fermeté réfléchie de sa résolution.

La journée du 2 septembre 1643 est vraiment solennelle dans l’histoire de Mazarin, et nous pourrions dire dans celle de la France, car elle a vu le raffermissement de la royauté, ébranlée par la mort de Richelieu et de Louis XIII, et la ruine du parti des Importans. Ils ne s’en relevèrent qu’au bout de cinq ans, en 1648, à la fronde, où ils reparurent toujours les mêmes, avec les mêmes desseins et la même politique au dedans et au dehors, et, après avoir soulevé de sanglans et stériles orages, vinrent de nouveau se briser contre le génie de Mazarin et l’invincible fidélité d’Anne d’Autriche.

Le 2 septembre au matin, Paris et la cour retentissaient du bruit de l’embuscade tendue la veille à Mazarin entre le Louvre et l’hôtel de Clèves. Les cinq conspirateurs qui, avec Beaufort, y avaient mis la main, à savoir le comte de Beaupuis, Alexandre et Henri de Campion, Brillet et Lié, avaient pris la fuite et s’étaient mis en sûreté. Beaufort et Mme de Chevreuse ne pouvaient les imiter ; fuir, pour eux, c’eût été se dénoncer eux-mêmes. L’intrépide duchesse n’avait donc pas hésité à paraître à la cour, et elle était auprès de la reine dans la soirée, avec une autre personne, étrangère à ces trames ténébreuses et même incapable d’y ajouter foi, une bien différente ennemie de Mazarin, la pieuse et noble Mme de Hautefort. Pour le duc, insouciant et brave, il était allé le matin à la chasse, et à son retour il alla, selon sa coutume, présenter ses hommages à la reine. En entrant au Louvre, il rencontra sa mère, Mme de Vendôme, et sa sœur, la duchesse de Nemours, qui avaient tout le jour accompagné la reine et remarqué son émotion. Elles firent tout ce qu’elles purent pour l’empêcher de monter, et le conjurèrent de s’éloigner quelque temps. Lui, sans se troubler, leur répondit comme autrefois le duc de Guise : on n’oserait, et il entra chez la reine. Il la trouva dans son grand cabinet, qui le reçut de la meilleure grâce du monde et lui fit toute sorte de questions sur sa chasse, « comme si, dit Mme de Motteville, elle n’avoit eu que cette pensée dans l’esprit. Le cardinal étant arrivé sur cette douceur, la reine se leva et lui dit de la suivre. Il parut qu’elle vouloit aller tenir conseil dans sa chambre. Elle y passa suivie seulement de son ministre. En même temps le duc de Beaufort, voulant sortir, trouva Guitaut, capitaine des gardes, qui l’arrêta et lui fit commandement de le suivre au nom du roi et de la reine. Le prince, sans s’étonner, après l’avoir considéré fixement, lui dit : Oui, je le veux ; mais cela, je l’avoue, est assez étrange. Puis, se tournant du côté de Mme de Chevreuse et de Hautefort, qui étoient là et causoient ensemble, il leur dit : Mesdames, vous voyez, la reine me fait arrêter. Le lendemain, continue Mme de Motteville, pendant qu’on peignoit la reine, elle nous fit l’honneur de nous dire, à deux de ses femmes et à moi, que deux ou trois jours auparavant, étant allée se promener à Vincennes, où M. de Chavigny lui avoit donné une magnifique collation, elle avoit vu le duc de Beaufort fort enjoué, et qu’alors il lui vint dans l’esprit de le plaindre, disant en elle-même : Hélas ! ce pauvre garçon dans trois jours sera peut-être ici, où il ne rira pas. Et la demoiselle Filandre, première femme de chambre, me jura que la reine pleura ce soir-là en se couchant. « La bonne dame d’honneur, toujours attentive à taire ou à nier ce qui pourrait nuire à sa maîtresse, et à relever ce qui lui est favorable, se complaît ici à célébrer sa douceur et son humanité. Nous voyons surtout dans la conduite d’Anne d’Autriche une dissimulation merveilleuse, comme Mme de Motteville ne peut s’empêcher de le remarquer : il est évident que tout était concerté d’avance entre la reine et Mazarin, et si les larmes qu’elle répandit en cette circonstance montrent ce qu’il lui en coûta de faire mettre en prison un ancien ami, elles prouvent aussi, et encore bien plus, à quel point l’ami nouveau lui devait être cher pour en avoir obtenu un ici sacrifice.

Le lendemain matin, le duc de Beaufort fut conduit à ce même château de Vincennes où, quelques jours auparavant, il avait été se promener et faire collation avec la reine. Le peuple de Paris, toujours ami des résolutions hardies quand elles réussissent, ne s’émut nullement de la disgrâce de celui qu’un jour il devait adorer, et en voyant passer sur le chemin de Vincennes le futur roi des faubourgs et des halles, il avait applaudi, à ce qu’assure Mazarin, et s’était écrié avec joie : « Voilà celui qui voulait troubler notre repos ! » Les plus dangereux des Importans reçurent l’ordre de s’éloigner de Paris. Montrésor, Béthune, Saint-Ybar, Varicarville et quelques autres furent confinés en province sous une exacte surveillance, ou même quittèrent la France. On commanda aux Vendôme de se retirer à Anet, et le château d’Anet étant bientôt devenu ce qu’avait été à Paris l’hôtel de Vendôme, l’asile des conspirateurs, Mazarin les réclama du duc César, qui se garda bien de les livrer. Le cardinal fut presque réduit à assiéger en règle le château. Il menaça d’y pénétrer de vive force pour y saisir les complices de Beaufort ; ne supportant pas ce scandale d’un prince qui bravait impunément la justice et les lois, il songeait à en avoir raison, et il allait prendre une résolution énergique, quand le duc de Vendôme se décida lui-même à quitter la France, et s’en alla en Italie attendre la chute de Mazarin, comme autrefois il avait attendu en Angleterre celle de Richelieu.

L’arrestation de Beaufort, la dispersion de ses complices, de ses amis, de sa famille, était la première, l’indispensable mesure que devait prendre Mazarin pour faire face au danger le plus pressant. Mais que lui eût-il servi de frapper le bras s’il eût laissé subsister la tête, si Mme de Chevreuse était restée là, toujours empressée à entourer la reine de soins et d’hommages, assidue à la cour, retenant ainsi et ménageant les dernières apparences de son ancienne faveur pour soutenir et encourager dans l’ombre les mécontens, leur souffler son audace, et susciter de nouveaux complots ? Elle avait encore dans sa main les fils mal rompus de la conspiration, et à côté d’elle était un homme trop expérimenté pour se laisser compromettre en de pareilles menées, mais tout prêt à en profiter, et que Mme de Chevreuse s’était appliquée à faire paraître à la reine, à la France et à l’Europe, comme très capable de conduire les affaires. Mazarin n’hésita donc pas, et le lendemain même de l’arrestation de Beaufort, le 3 septembre, Châteauneuf était invité à venir saluer la reine, et à se rendre ensuite dans son gouvernement de Touraine. L’ancien garde des sceaux de Richelieu trouva que c’était déjà quelque chose d’être sorti ouvertement de disgrâce, d’avoir repris le rang éminent qu’il avait jadis occupé dans les ordres du roi et le gouvernement d’une grande province. Son ambition allait bien plus haut ; il la garda et l’ajourna, obéit à la reine, se ménagea habilement avec elle, et se maintint fort bien avec son ministre, en attendant qu’il le pût remplacer. Il attendit longtemps encore, mais enfin il ne mourut pas sans avoir revu, un moment du moins, le pouvoir qu’un amour insensé lui avait fait perdre, et qu’une amitié fidèle et infatigable lui rendit[15].

Mme de Chevreuse n’eut pas la sagesse de Châteauneuf. Elle ne sut pas faire bonne mine à mauvais jeu, ou elle était trop engagée pour quitter si tôt la partie. La Châtre, qui était un de ses amis les plus particuliers et qui la voyait tous les jours, raconte que le soir même où Beaufort fut arrêté au Louvre, « sa majesté lui dit qu’elle la croyoit innocente des desseins du prisonnier, mais que néanmoins elle jugeoit à propos que sans éclat elle se retirât à Dampierre, et qu’après y avoir fait quelque séjour elle se retirât en Touraine. » Mme de Chevreuse fut bien forcée d’aller à Dampierre ; mais là, au lieu de se tenir tranquille, elle remua ciel et terre pour sauver ceux qui s’étaient compromis pour elle. Elle recueillit chez elle Alexandre de Campion[16], et lui fournit l’argent et tout ce qui lui était nécessaire pour se dérober sûrement aux poursuites du cardinal. Intrépide pour elle-même, accoutumée aux tempêtes, elle s’inquiétait par-dessus tout du sort de ses amis, et en sachant plusieurs à Anet elle y envoyait sans cesse. Elle commença même à renouer de nouvelles trames, et trouva moyen de faire parvenir une lettre à la reine. On lui adressait message sur message pour hâter son départ. Elle différait sous divers prétextes. Nous avons vu qu’en allant au-devant d’elle, à son retour de Bruxelles, Montaigu lui avait offert, de la part de la reine et de Mazarin, de lui payer les dettes qu’elle avait contractées pendant tant d’années d’exil ; elle avait déjà reçu de grosses sommes ; elle ne voulait partir qu’après que la reine aurait accompli toutes ses promesses[17]. Elle quitta la cour et Paris la douleur dans l’âme et en frémissant, comme Annibal en quittant l’Italie. Elle sentait que la cour et Paris et l’intérieur de la reine étaient le vrai champ de bataille, et que s’éloigner, c’était abandonner la victoire à l’ennemi. Sa retraite fut un deuil à tout le parti catholique, aux amis de la paix et de l’alliance espagnole, et au contraire une joie publique pour les amis de l’alliance protestante. Le comte d’Estrade vint au Louvre de la part du prince d’Orange, auprès duquel il était accrédité, en remercier officiellement la régente[18].

Mme de Chevreuse se rendit à sa terre du Verger, entre Tours et Angers. La profonde solitude qui se fit autour d’elle lui rendit plus amer le sentiment de sa défaite. Elle rencontra Montrésor, qui s’était aussi retiré en Touraine, et elle eut avec lui quelques entrevues. Elle écrivit à Paris au duc de Guise pour savoir s’il était vrai qu’il désapprouvât sa conduite et tenter sa chevalerie. Elle correspondait avec sa belle-mère, Mme de Montbazon, reléguée à Rochefort, et les deux exilées s’excitaient l’une l’autre à tout entreprendre pour renverser leur ennemi commun. Vaincue au dedans, Mme de Chevreuse reporta toutes ses espérances du côté de l’étranger. Elle ranima les intelligences qu’elle n’avait jamais cessé d’entretenir avec l’Angleterre, l’Espagne et les Pays-Bas. Son principal appui, le centre et l’intermédiaire de ses intrigues, était lord Gorin, ambassadeur d’Angleterre auprès de la cour de France, qui, comme son maître et surtout comme sa maîtresse, appartenait au parti espagnol. Craft, le gentilhomme anglais que nous avons presque toujours rencontré à la suite de Mme de Chevreuse, s’agitait bruyamment pour elle, comme le chevalier de Jars intriguait sourdement pour Châteauneuf. Sous le manteau de l’ambassade d’Angleterre, une vaste correspondance s’était établie entre Mme de Chevreuse, Vendôme, Bouillon et tous les mécontens. Mazarin connaissait et surveillait toutes ces manœuvres. Au milieu de 1644, il fit saisir à Paris le contrôleur de la maison de Mme de Chevreuse, et même quelque temps après son médecin, dans le carrosse même de sa fille. La duchesse se plaignit vivement d’un tel procédé dans une lettre qu’elle trouva le secret de faire arriver jusqu’à la reine. Elle prétend qu’on fit descendre Mme de Chevreuse de voiture, « deux archers lui tenant le pistolet à la gorge, et criant sans cesse : tue, tue, et autant aux femmes qui étoient avec elle[19]. » Elle ne manque pas de protester de son innocence et d’en appeler de l’inimitié de Mazarin à la justice d’Anne d’Autriche ; mais le médecin qu’on avait arrêté, conduit à la Bastille, fit des aveux qui mirent sur la trace de choses fort graves, et un exempt des gardes du roi alla porter à Mme de Chevreuse l’ordre de se retirer à Angoulême : l’exempt était même chargé de l’y conduire. Il y avait à Angoulême un château-fort servant de prison d’état, où son ami Châteauneuf avait été détenu pour elle pendant dix années. Ce souvenir, toujours présent à l’imagination de Mme de Chevreuse, l’épouvanta ; elle craignit que ce ne fût la retraite où on la voulait mener, et, préférant toutes les extrémités à la prison, elle se décida à se rengager dans les aventures qu’elle avait affrontées en 1637, et à reprendre pour la troisième Ibis le chemin de l’exil.

VI

Mais combien les circonstances étaient changées autour d’elle, et qu’elle-même était changée ! Sa première sortie de France, en 1626, avait été un continuel triomphe : jeune, belle, partout adorée, elle n’avait quitté la ville de Nancy et le duc de Lorraine, à jamais soumis à l’empire de ses charmes, que pour revenir à Paris troubler le cœur de Richelieu. En 1637, sa fuite en Espagne lui avait été déjà une épreuve plus sévère ; il lui avait fallu traverser déguisée toute la France, braver plus d’un péril, endurer bien des souffrances, pour trouver au bout de tout cela cinq longues années d’agitations impuissantes. Du moins elle était encore soutenue par la jeunesse et par le sentiment de cette beauté irrésistible qui lui faisait en tout lieu des serviteurs, jusque sur les trônes. Elle avait foi aussi dans l’amitié de la reine, et elle comptait bien qu’un jour cette amitié lui paierait le prix de tous ses dévouemens. Maintenant l’âge commençait à se faire sentir ; sa beauté, penchant vers son déclin, ne lui promettait plus que de rares conquêtes. Elle comprenait qu’en perdant le cœur de la reine, elle avait perdu la plus grande partie de son prestige en France et en Europe. La fuite du duc de Vendôme, que celle du duc de Bouillon allait bientôt suivre, laissait les Importans sans aucun chef considérable. Elle avait reconnu que Mazarin était un ennemi tout aussi habile et tout aussi redoutable que Richelieu. La victoire semblait d’intelligence avec lui ; le propre frère de Bouillon, Turenne, sollicitait l’honneur de le servir, et le duc d’Enghien lui gagnait bataille sur bataille. Elle savait aussi que le cardinal avait entre les mains de quoi la faire condamner et la tenir enfermée toute sa vie. Quand tout l’abandonnait, cette femme extraordinaire ne s’abandonna point. Dès que l’exempt Riquetti lui eut signifié l’ordre dont il était porteur, elle prit son parti avec sa promptitude accoutumée, et accompagnée de sa fille Charlotte, qui était venue la joindre et ne voulut pas la quitter, elle gagna par des chemins de traverse les bocages de la Vendée et les solitudes de la Bretagne, et elle vint, à quelques lieues de Saint-Malo, demander un asile au marquis de Coetquen. Le noble et généreux Breton lui donna l’hospitalité qu’il devait à une femme et au malheur. Elle n’en abusa point, et après avoir déposé ses pierreries entre ses mains, comme autrefois entre celles de La Rochefoucaud, elle s’embarqua avec sa fille, au cœur de l’hiver, à Saint-Malo, sur un petit bâtiment qui devait la conduire à Darmouth, en Angleterre, d’où elle comptait passer à Dunkerque et en Flandre ; mais des navires de guerre du parti du parlement croisaient dans ces parages : ils rencontrèrent et prirent la misérable barque et la menèrent à l’île de Wight. Là Mme de Chevreuse fut reconnue, et comme on la savait l’amie de la reine d’Angleterre, les parlementaires n’étaient pas éloignés de lui faire un assez mauvais traitement et de la livrer à Mazarin. Heureusement elle rencontra comme gouverneur à l’île de Wight le comte de Pembrock, qu’elle avait autrefois connu. Elle s’adressa à sa courtoisie[20], et, grâce à son intervention, elle obtint à grand’peine des passeports[21] qui lui permirent de gagner Dunkerque et de là les Pays-Bas espagnols.

Elle s’établit quelque temps à Liège, s’appliquant à maintenir et à resserrer de plus en plus entre le duc de Lorraine, l’Autriche et l’Espagne, une alliance qui était la dernière ressource des Importans et le dernier fondement de son propre crédit. Cependant Mazarin avait repris tous les desseins de Richelieu, et comme lui il s’efforçait de détacher le duc de Lorraine de ses deux alliés. Le duc était alors éperduement épris de la belle Béatrix de Cusance, princesse de Cantecroix. Mazarin travailla à gagner la dame, et il proposa à l’ambitieux et entreprenant Charles IV de rompre avec l’Espagne et d’entrer en Franche-Comté avec le secours de la France, lui promettant de lui laisser tout ce qu’il aurait conquis. Il parvint à mettre dans ses intérêts la sœur même du duc Charles, l’ancienne maîtresse de Puylaurens, la princesse de Phalzbourg, alors bien déchue, et qui lui rendait un compte secret et fidèle de tout ce qui se passait autour de son frère. Mazarin lui demandait surtout de le tenir au courant des moindres mouvemens de Mme de Chevreuse ; il savait qu’elle était en correspondance avec le duc de Bouillon, qu’elle disposait du général impérial Piccolomini par son amie Mme de Strozzi, et même qu’elle avait gardé tout son crédit sur le duc de Lorraine, malgré les charmes de la belle Béatrix. À l’aide de la princesse de Phalzbourg, il suit toutes ses démarches, et lui dispute pied à pied l’incertain Charles IV, quelquefois vainqueur, fort souvent battu dans cette lutte mystérieuse[22].

L’avantage demeura à Mme de Chevreuse. Son ascendant sur Charles IV, né de l’amour, mais lui survivant, et plus fort que toutes les nouvelles amours de ce prince inconstant, le retint au service de l’Espagne, et fit échouer les projets de Mazarin. Peu à peu elle redevint l’âme de toutes les intrigues ourdies contre le gouvernement français. Elle ne le combattait pas seulement au dehors ; elle lui suscitait au dedans des difficultés sans cesse renaissantes. Entourée de quelques émigrés ardens et opiniâtres, entre autres du comte de Saint-Ybar, un des hommes les plus résolus du parti, elle soutenait en France les restes des Importans, et partout attisait le feu de la sédition. Passionnée et maîtresse d’elle-même, elle gardait un front serein au milieu des orages, en même temps qu’elle déployait une activité infatigable pour surprendre les côtés faibles de l’ennemi. Se servant également du parti protestant et du parti catholique, tantôt elle méditait une révolte en Languedoc, ou un débarquement en Bretagne ; tantôt, au moindre symptôme de mécontentement que laissait échapper quelque personnage considérable, elle travaillait à l’enlever à Mazarin. En 1647, son œil perçant discerna au sein même du congrès de Munster des signes de mésintelligence entre l’ambassadeur français, le duc de Longueville, et le premier ministre, qui en effet ne s’entendaient guère, et elle a la triste gloire d’avoir dès lors fondé de trop justes espérances sur l’ambition mal réglée et l’humeur mobile du duc d’Enghien, tout récemment devenu prince de Condé[23].

Le temps fait un pas, la fronde éclate ; l’ardente duchesse s’élance de nouveau de Bruxelles en 1649, et vient apporter à ses amis l’appui de l’Espagne et de son expérience. Elle avait près de cinquante ans. Les années et les chagrins avaient triomphé de sa beauté, mais elle était encore pleine d’agrémens, et son ferme coup d’œil, sa décision, son audace, son génie étaient entiers. Elle avait trouvé un dernier ami dans le marquis de Laignes, capitaine des gardes du duc d’Orléans, homme d’esprit et de résolution, qu’elle aima jusqu’à la fin, et qu’après la mort de M. de Chevreuse, en 1657, elle unit peut-être à sa destinée par un de ces mariages de conscience alors assez à la mode. On n’attend point que nous la suivions pas à pas et nous engagions nous-même dans le dédale des intrigues de la fronde. Disons seulement qu’elle y joua un des premiers rôles. Attachée au fond du parti et à ses intérêts essentiels, elle le conduisit à travers tous les écueils avec une adresse et une vigueur incomparables. Après s’être si longtemps appuyée sur l’Espagne, elle sut s’en séparer à propos. Elle garda une grande influence sur le duc de Lorraine, et il n’est pas difficile de reconnaître sa main cachée derrière les mouvemens divers et souvent contraires de Charles IV. Elle a pris la principale part aux trois grandes résolutions qui expriment et résument l’histoire entière de la fronde depuis la guerre de Paris : en 1650, elle fut d’avis de préférer Mazarin à Condé, et elle osa conseiller de mettre la main sur le vainqueur de Rocroy et de Lens ; en 1651, un moment d’incertitude de Mazarin, qui faillit se perdre dans ses propres finesses et dans une conduite trop compliquée, un grand intérêt, l’espoir fondé de marier sa fille Charlotte avec le prince de Conti, la ramenèrent à Condé, et de là la délivrance des princes ; en 1652, les fautes accumulées de Condé la rendirent pour toujours à la reine et à Mazarin. Elle n’eut pas la folie de Retz, d’imaginer un tiers parti en temps de révolution et de rêver un gouvernement entre Condé et Mazarin, sans autre fondement qu’un parlement fatigué et l’incertain duc d’Orléans. Son instinct politique lui fit comprendre qu’après tant d’agitations un pouvoir solide et durable était le plus grand besoin de la France. Mazarin, qui, comme Richelieu, ne l’avait jamais combattue qu’à regret, rechercha et fut souvent très heureux de suivre ses conseils[24]. Elle passa hautement du côté de la royauté ; elle la servit, et elle s’en servit à son tour. Elle obtint aisément tout ce qu’elle voulut pour elle et pour les siens ; elle parvint au comble du crédit et de la considération, et, ainsi que ses deux illustres émules, Mme de Longueville et la princesse Palatine, elle acheva dans une paix profonde une des carrières les plus agitées du XVIIe siècle.

On dit qu’elle aussi, sur la fin de ses jours, elle ressentit l’impression de la grâce, et tourna vers le ciel ses yeux fatigués de la mobilité des choses de la terre. Successivement elle avait vu tomber autour d’elle tout ce qu’elle avait aimé et haï, Richelieu et Mazarin, Louis XIII et Anne d’Autriche, la reine d’Angleterre et sa fille l’aimable Henriette, Châteauneuf et le duc de Lorraine. Sa fille bien-aimée s’était éteinte entre ses bras au milieu de la fronde. Celui qui le premier l’avait détournée du devoir, le beau et frivole Holland, était monté sur l’échafaud de Charles Ier, et son dernier ami, bien plus jeune qu’elle, le marquis de Laigues, l’avait précédée dans la tombe. Elle reconnut qu’elle avait donné son âme à des chimères, et, se voulant mortifier dans le sentiment même qui l’avait perdue, l’altière duchesse devint la plus humble des femmes ; elle renonça à toute grandeur ; elle quitta son magnifique hôtel du faubourg Saint-Germain, bâti par Le Muet, et se retira à la campagne, non pas à Dampierre, qui lui eut trop rappelé les jours brillans de sa vie passée, mais dans une modeste maison, à Gagny, près de Chelles. C’est là qu’elle attendit sa dernière heure, loin des regards du monde, et qu’elle mourut sans bruit, à l’âge de soixante-dix-neuf ans, la même année que le cardinal de Retz et Mme de Longueville. Elle ne voulut ni solennelles funérailles ni oraison funèbre. Elle défendit qu’on lui donnât aucun des titres qu’elle avait appris à mépriser. Elle souhaita être obscurément enterrée dans la petite et vieille église de Gagny. Là, dans l’aile méridionale, près la chapelle de la Vierge, une main fidèle et ignorée a mis sur un marbre noir cette épitaphe[25] :

« Cy gist Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, fille d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Elle avait épousé en premières noces Charles d’Albert, duc de Luynes, pair et connectable de France, et en secondes noces Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. L’humilité ayant fait mourir dans son cœur toute la grandeur du siècle, elle défendit que l’on fit revivre à sa mort la moindre marque de cette grandeur, qu’elle voulut achever d’ensevelir sous la simplicité de cette tombe, ayant ordonné qu’on l’enterrât dans la paroisse de Gagny, où elle est morte à l’âge de soixante-dix-neuf ans, le 12 aoust 1679. »


VICTOR COUSIN.

  1. La Rochefoucauld, Mémoires, p.369.
  2. Voyez, sur ces commencemens de Mazarin, La Rochefoucauld, Mme de Motteville. La Châtre, l’un et l’autre Brienne.
  3. La Jeunesse de madame de Longutville,3e édit., ch. III, p. 217.
  4. Ce sont les expressions mêmes de Mme de Motteville, t. Ier, p. 162.
  5. Carnets autographes de Mazarin, conservés à la Bibliothèque nationale, armoire de Baluze, IIe carnet, p. 16.
  6. Mme de Vendôme était une personne de la plus haute dévotion et qui en avait le langage.
  7. C’est Mazarin lui-même qui nous donne ce renseignement jusqu’alors ignoré. IIe carnet, p. 72 et 73.
  8. Charlotte-Marie de Lorraine était née en 1627.
  9. IIIe carnet, p. 39 : « Si esamina la mia vita e si conclude elle io sia impotente. »
  10. Voyez la livraison du 1er décembre.
  11. Voyez la précieuse collection de lettres italiennes et françaises de Mazarin, 5 vol. in-folio, provenant de Colbert, qui sont aujourd’hui à la bibliothèque Mazarine.
  12. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juillet 1852.
  13. Mémoires de Henri de Campion, etc., 1807, à Paris, chez Treuttel et Würtz, in-8o. Petitot en a donné seulement un extrait à la suite des Mémoires de La Châtre, t. LI de sa collection.
  14. Voyez la livraison du 1er décembre.
  15. Châteauneuf eut les sceaux en mars 1650, quand Mazarin s’exila lui-même, jusqu’en avril 1651. Il mourut en 1653, âgé de soixante-treize ans. On voyait autrefois son tombeau dans la cathédrale de Bourges ; il ne reste plus aujourd’hui que sa statue en marine, avec celle de son père Claude de l’Aubespine et de sa mère Marie de La Châtre, de la main de Philippe de Buister.
  16. Recueil, etc., p. 133 : « Je ne pouvais désirer une plus grande consolation dans mes malheurs que la permission que vous me donnez d’aller à Dampierre ; la crainte que vous me témoignez avoir qu’on me surprenne sur les chemins est très obligeante, mais je prendrai si bien garde à moi que ce malheur ne m’arrivera pas. Je ne marcherai point de jour, et les nuits sont si obscures que je ne serai vu de personne. »
  17. IIIe et IVe carnets ; Mémoires de La Châtre, et le Journal d’Olivier d’Ormesson, sous la date du 19 septembre.
  18. Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CV, lettre de Gaudin à Servien, du 31 octobre 1643.
  19. Lettre inédite de Mme de Chevreuse à la reine, de Tours, 20 novembre 1644.
  20. Archives des affines étrangères, FRANCE, t. CVI, p. 162. Lettre de Mme de Chevreuse à M. le comte de Pembroc, de l’Ile d’Ouit, du 29 avril 1645.
  21. Archives des affaires étrangères, t. CIX, Gandin à Servien, 20 mai 1645 : « L’on écrit d’Angleterre que Mme de Chevreuse est encore à l’île de Wick, que messieurs du parlement ne lui ont voulu vailler navire ni passeport pour passera Dunkerque, etc. » — Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin. folio 415, 22 juillet 1645 : « On peut juger, dit Mazarin., si on a une grande haine pour Mme de Chevreuse, puisque, lorsqu’elle était au pouvoir des parlementaires d’Angleterre, ils ont offert de la remettre entre nos mains, et on ne s’en est pas soucié. »
  22. Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin à Mme la princesse de Phalzbourg.
  23. Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin, lettre du 28 septembre 1645 à l’abbé de La Rivière, folio 453. — Mais une pièce de la dernière importance et qui jette un grand jour sur toutes les intrigues de Mme de Chevreuse en 1646 et 1647, et aussi sur l’état des esprits en France à la veille de la fronde, et sur l’ambition inquiète qui avait pénétré dans la maison de Condé, c’est un mémoire d’un agent espagnol, que nous avons déjà rencontré dans l’affaire du comte de Soissons, l’abbé de Mercy, mémoire adressé au gouvernement des Pays-Bas, et où l’abbé de Mercy montre tout ce que pourraient contre Mazarin Saint-Ybar et surtout Mme de Chevreuse, s’ils étaient mieux soutenus. Cette pièce est intitulée : Mémoire sur ce qui s’est négocié et traité au voyage de l’abbé de Mercy en Hollande entre lui, le comte de Saint-Ybar et madame la duchesse de Chevreuse. La pièce est datée du 27 septembre 1647, et signée P. Ernest de Mercy. Elle fait partie des papiers de la secrétairerie d’état espagnole qui se trouvent dans les archives générales du royaume de Belgique à Bruxelles ; nous en devons la communication à l’obligeance du savant archiviste, M. Gachard.
  24. Voyez à la Bibliothèque Nationale, fonds Gaignière, n° 2799, un recueil inédit de lettres autographes et chiffrées de Mazarin à l’abbé Fouquet, le frère du futur surintendant, où Mazarin demande sans cesse l’opinion et les bons offices de Mme de Chevreuse.
  25. l’abbé Le Beuf, Histoire du Diocèse de Paris, t. VI, p. 133, etc.