La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/05


CHAPITRE V


SUR LE DÉVELOPPEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES ET MORALES
PENDANT LES TEMPS PRIMITIFS ET LES TEMPS CIVILISÉS


Développement des facultés intellectuelles par la sélection naturelle. – Importance de l’imitation. – Facultés sociales et morales. – Leur développement dans les limites d’une même tribu. – Action de la sélection naturelle sur les nations civilisées. – Preuves de l’état antérieur barbare des nations civilisées.


Les questions qui font l’objet de ce chapitre, questions que je ne pourrai traiter que d’une matière très incomplète et par fragments, offrent le plus haut intérêt. M. Wallace, dans un admirable mémoire déjà cité[1], soutient que la sélection naturelle et les autres causes analogues n’ont dû exercer qu’une influence bien secondaire sur les modifications corporelles de l’homme, dès qu’il eut partiellement acquis les qualités intellectuelles et morales qui le distinguent des animaux inférieurs ; ces facultés mentales, en effet, le mettent à même « d’adapter son corps, qui ne change pas, à l’univers, qui se modifie constamment ». L’homme sait admirablement conformer ses habitudes à de nouvelles conditions d’existence. Il invente des armes, des outils et divers engins, à l’aide desquels il se défend et se procure ses aliments. Lorsqu’il va habiter un climat plus froid, il se sert de vêtements, se construit des abris, et fait du feu, qui, outre qu’il le réchauffe, lui sert aussi à faire cuire des aliments qu’il lui serait autrement impossible de digérer. Il rend de nombreux services à ses semblables et prévoit les événements futurs. Il pratiquait déjà une certaine division du travail à une période très reculée.

La conformation corporelle des animaux doit, au contraire, se modifier profondément pour qu’ils puissent subsister dans des conditions très nouvelles. Il faut qu’ils deviennent plus forts, qu’ils s’arment de dents et de griffes plus efficaces pour se défendre contre de nouveaux ennemis, ou bien que leur taille diminue afin de pouvoir échapper plus facilement au danger d’être découverts. Lorsqu’ils vont habiter un climat plus froid, il faut, ou qu’ils revêtent une fourrure plus épaisse, ou que leur constitution se modifie, à défaut de quoi ils cessent d’exister.

Le cas est tout différent, ainsi que le constate avec raison M. Wallace, quand il s’agit des facultés intellectuelles et morales de l’homme. Ces facultés sont variables ; en outre, nous avons toute raison de croire que les variations sont héréditaires. En conséquence, si ces facultés ont eu, autrefois, une grande importance pour l’homme primitif et ses ancêtres simio-humains, la sélection naturelle a dû les développer et les perfectionner. On ne peut mettre en doute la haute importance des facultés intellectuelles, puisque c’est à elles que l’homme doit principalement sa position prééminente dans le monde. Il est facile de comprendre que, dans l’état primitif de la société, les individus les plus sagaces, ceux qui employaient les meilleures armes ou inventaient les meilleurs pièges, ceux qui, en un mot, savaient le mieux se défendre, devaient laisser la plus nombreuse descendance. Les tribus renfermant la plus grande quantité d’hommes ainsi doués devaient augmenter rapidement en nombre et supplanter d’autres tribus. Le nombre des habitants dépend d’abord des moyens de subsistance ; ceux-ci, à leur tour, dépendent en partie de la nature physique du pays, mais, à un bien plus haut degré, des arts qu’on y cultive. Lorsqu’une tribu augmente en nombre et devient conquérante, elle s’accroît souvent encore davantage par l’absorption d’autres tribus[2]. La taille et la force des membres d’une tribu exercent certainement une grande influence sur sa réussite ; or ces conditions dépendent beaucoup de la nature et de l’abondance des aliments dont ils peuvent disposer. Les hommes de la période du bronze, en Europe, firent place à une race plus puissante, et, à en juger d’après les poignées des sabres, à main plus grande[3] ; mais le succès de cette race résulte probablement beaucoup plus de sa supériorité dans les arts.

Tout ce que nous savons des sauvages, tout ce que nous enseigne l’étude de leurs traditions ou de leurs anciens monuments, car les habitants actuels ont complètement perdu le souvenir des faits qui se rattachent à ces traditions et à ces monuments, nous prouve que, dès les époques les plus reculées, certaines tribus ont réussi à en supplanter d’autres. On a découvert dans toutes les régions civilisées du globe, sur les plaines inhabitées de l’Amérique et dans les îles isolées de l’océan Pacifique, des ruines de monuments élevés par des tribus éteintes ou oubliées. Aujourd’hui les nations civilisées remplacent partout les peuples barbares, sauf là où le climat leur oppose une barrière infranchissable ; elles réussissent surtout, quoique pas exclusivement, grâce à leurs arts, produits de leur intelligence. Il est donc très probable que la sélection naturelle a graduellement perfectionné les facultés intellectuelles de l’homme ; conclusion qui suffit au but que nous nous proposons. Il serait, sans doute, très intéressant de retracer le développement de toutes les facultés, de les prendre l’une après l’autre à l’état où elles existent chez les animaux inférieurs et d’étudier les transformations successives par lesquelles elles ont passé pour en arriver à ce qu’elles sont chez l’homme civilisé ; mais c’est là une tentative que ne me permettent ni mes connaissances ni le temps dont je puis disposer.

Dès que les ancêtres de l’homme sont devenus sociables, progrès qui a dû probablement s’accomplir à une époque extrêmement reculée, des causes importantes, dont nous ne trouvons que des traces chez les animaux inférieurs, c’est-à-dire l’imitation, la raison et l’expérience, ont dû faciliter et modifier le développement des facultés intellectuelles de l’homme. Les singes, tout comme les sauvages les plus grossiers, sont très portés à l’imitation ; en outre, nous avons déjà constaté que, au bout de quelque temps, on ne peut plus prendre un animal à la même place avec le même genre de piège, ce qui prouve que les animaux s’instruisent par l’expérience et savent imiter la prudence des autres. Or si, dans une tribu quelconque, un homme plus sagace que les autres vient à inventer un piège ou une arme nouvelle, ou tout autre moyen d’attaque ou de défense, le plus simple intérêt, sans qu’il soit besoin d’un raisonnement bien développé, doit pousser les autres membres de la tribu à l’imiter, et tous profitent ainsi de la découverte. La pratique habituelle de chaque art nouveau doit aussi, dans une certaine mesure, fortifier l’intelligence. Si la nouvelle invention est importante, la tribu augmente en nombre, se répand et supplante d’autres tribus. Une tribu, devenue ainsi plus nombreuse, peut toujours espérer voir naître dans son sein d’autres membres supérieurs en sagacité et à l’esprit inventif. Ceux-ci transmettent à leurs enfants leur supériorité mentale ; chaque jour donc, on peut compter qu’il naîtra un nombre plus considérable d’individus encore plus ingénieux ; en tout cas, les chances sont très certainement plus grandes dans une tribu nombreuse que dans une petite tribu. Dans le cas même où ces individus supérieurs ne laisseraient pas d’enfants, leurs parents restent dans la tribu. Or les éleveurs[4] ont constaté qu’en se servant, comme reproducteurs, des membres de la famille d’un animal qui, abattu, était supérieur comme bête de boucherie, les produits obtenus présentent les caractères désirés.


Étudions maintenant les facultés sociales et morales. Les hommes primitifs, ou nos ancêtres simio-humains, n’ont pu devenir sociables qu’après avoir acquis les sentiments instinctifs qui poussent certains autres animaux à vivre en société ; ils possédaient, sans aucun doute, ces mêmes dispositions générales. Ils devaient ressentir quelque chagrin lorsqu’ils étaient séparés de leurs camarades pour lesquels ils avaient de l’affection ; ils devaient s’avertir mutuellement du danger et s’entr’aider en cas d’attaque ou de défense. Ces sentiments impliquent un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage. Personne ne peut contester l’importance qu’ont, pour les animaux inférieurs, ces diverses qualités sociales ; or il est probable que, de même que les animaux, les ancêtres de l’homme en sont redevables à la sélection naturelle jointe à l’habitude héréditaire. Lorsque deux tribus d’hommes primitifs, habitant un même pays, entraient en rivalité, il n’est pas douteux que, toutes autres circonstances étant égales, celle qui renfermait un plus grand nombre de membres courageux, sympathiques et fidèles, toujours prêts à s’avertir du danger, à s’entr’aider et à se défendre mutuellement, ait dû réussir plus complètement et l’emporter sur l’autre. La fidélité et le courage jouent, sans contredit, un rôle important dans les guerres que se font continuellement les sauvages. La supériorité qu’ont les soldats disciplinés sur les hordes qui ne le sont pas résulte surtout de la confiance que chaque homme repose dans ses camarades. L’obéissance, comme l’a démontré M. Bagehot[5], est une qualité importante entre toutes, car une forme de gouvernement, quelle qu’elle soit, vaut mieux que l’anarchie. La cohésion, sans laquelle rien n’est possible, fait défaut aux peuples égoïstes et querelleurs. Une tribu possédant, à un haut degré, les qualités dont nous venons de parler doit s’étendre et l’emporter sur les autres ; mais, à en juger par l’histoire du passé, elle doit, dans la suite des temps, succomber à son tour devant quelque autre tribu encore mieux douée qu’elle. Les qualités sociales et morales tendent ainsi à progresser lentement et à se propager dans le monde.

Mais, on peut se demander comment un grand nombre d’individus, dans le sein d’une même tribu, ont d’abord acquis ces qualités sociales et morales, et comment le niveau de la perfection s’est graduellement élevé ? Il est fort douteux que les descendants des parents les plus sympathiques, les plus bienveillants et les plus fidèles à leurs compagnons, aient surpassé en nombre ceux des membres égoïstes et perfides de la même tribu. L’individu prêt à sacrifier sa vie plutôt que de trahir les siens, comme maint sauvage en a donné l’exemple, ne laisse souvent pas d’enfants pour hériter de sa noble nature. Les hommes les plus braves, les plus ardents à s’exposer aux premiers rangs de la mêlée, et qui risquent volontiers leur vie pour leurs semblables, doivent même, en moyenne, succomber en plus grande quantité que les autres. Il semble donc presque impossible (il faut se rappeler que nous ne parlons pas ici d’une tribu victorieuse sur une autre tribu) que la sélection naturelle, c’est-à-dire la persistance du plus apte, puisse augmenter le nombre des hommes doués de ces vertus, ou le degré de leur perfection.

Bien que les circonstances qui tendent à amener une augmentation constante des hommes éminemment doués dans une même tribu soient trop complexes pour que nous songions à les étudier ici, nous pouvons cependant indiquer quelques-unes des phases probablement parcourues. Et d’abord, à mesure qu’augmentent la raison et la prévoyance des membres de la tribu, chacun apprend bientôt par expérience que, s’il aide ses semblables, ceux-ci l’aideront à leur tour. Ce mobile peu élevé pourrait déjà faire prendre à l’individu l’habitude d’aider ses semblables. Or la pratique habituelle des actes bienveillants fortifie certainement le sentiment de la sympathie, laquelle imprime la première impulsion à la bonne action. En outre, les habitudes observées pendant beaucoup de générations tendent probablement à devenir héréditaires.

Il est, d’ailleurs, une autre cause bien plus puissante encore pour stimuler le développement des vertus sociales, c’est l’approbation et le blâme de nos semblables. L’instinct de la sympathie, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, nous pousse à approuver ou à blâmer les actions de nos semblables ; il nous fait désirer les éloges et redouter le blâme ; or la sélection naturelle a sans doute développé primitivement cet instinct, comme elle a développé tous les autres instincts sociaux. Il est, bien entendu, impossible de dire à quelle antique période du développement de l’espèce humaine la louange ou le blâme exprimé par leurs semblables a pu affecter ou entraîner les ancêtres de l’homme. Mais il paraît que les chiens eux-mêmes sont sensibles à l’encouragement, à l’éloge ou au blâme. Les sauvages les plus grossiers comprennent le sentiment de la gloire, ce que démontrent clairement l’importance qu’ils attachent à la conservation des trophées qui sont le fruit de leurs prouesses, leur extrême jactance et les soins excessifs qu’ils prennent pour embellir et pour décorer leur personne ; en effet, de pareilles habitudes seraient absurdes s’ils ne se souciaient pas de l’opinion de leurs semblables.

Les sauvages éprouvent certainement de la honte lorsqu’ils enfreignent quelques-unes de leurs coutumes, si ridicules qu’elles nous paraissent ; ils éprouvent aussi des remords, comme le prouve l’exemple de cet Australien qui maigrissait à vue d’œil et qui ne pouvait plus prendre aucun repos, parce qu’il avait négligé d’assassiner une autre femme pour apaiser l’esprit de la femme qu’il venait de perdre. Il serait, d’ailleurs, incroyable qu’un sauvage, capable de sacrifier sa vie plutôt que de trahir sa tribu, ou de venir se constituer prisonnier plutôt que de manquer à sa parole[6], n’éprouvât pas du remords au fond de l’âme, s’il a failli à un devoir qu’il considère comme sacré.

Nous pouvons donc conclure que l’homme primitif, dès une période très reculée, devait se laisser influencer par l’éloge ou par le blâme de ses semblables. Il est évident que les membres d’une même tribu devaient approuver la conduite qui leur paraissait favorable au bien général et réprouver celle qui leur semblait contraire à la prospérité de tous. Faire du bien aux autres, — faire aux autres ce qu’on voudrait qu’ils vous fissent, — telle est la base fondamentale de la morale. Il est donc difficile d’exagérer l’importance qu’ont dû avoir, même à des époques très reculées, l’amour de la louange et la crainte du blâme. L’amour de la louange, le désir de la gloire, suffisent souvent à déterminer l’homme qu’un sentiment profond et instinctif n’entraîne pas à sacrifier sa vie pour le bien d’autrui ; or son exemple suffit pour exciter chez ses semblables le même désir de la gloire, et fortifie, par la pratique, le noble sentiment de l’admiration. L’individu peut ainsi rendre plus de services à sa tribu que s’il engendrait des enfants, quelques tendances qu’aient ces derniers à hériter de son noble caractère.

À mesure que se développent l’expérience et la raison, l’homme comprend mieux les conséquences les plus éloignées de ses actes. Il apprécie alors à leur juste valeur et il considère même comme sacrées les vertus personnelles, telles que la tempérance, la chasteté, etc., qui sont, comme nous l’avons vu, entièrement méconnues pendant les premières périodes. Il serait, d’ailleurs, inutile de répéter ce que j’ai dit à ce sujet dans le quatrième chapitre. En un mot, notre sens moral, ou notre conscience, se compose d’un sentiment essentiellement complexe, basé sur les instincts sociaux, encouragé et dirigé par l’approbation de nos semblables, réglé par la raison, par l’intérêt, et, dans des temps plus récents, par de profonds sentiments religieux, renforcés par l’instruction et par l’habitude.

Sans doute, un degré très élevé de moralité ne procure à chaque individu et à ses descendants que peu ou point d’avantages sur les autres membres de la même tribu, mais il n’en est pas moins vrai que le progrès du niveau moyen de la moralité et l’augmentation du nombre des individus bien doués sous ce rapport procurent certainement à une tribu un avantage immense sur une autre tribu. Si une tribu renferme beaucoup de membres qui possèdent à un haut degré l’esprit de patriotisme, de fidélité, d’obéissance, de courage et de sympathie, qui sont toujours prêts, par conséquent, à s’entr’aider et à se sacrifier au bien commun, elle doit évidemment l’emporter sur la plupart des autres tribus ; or c’est là ce qui constitue la sélection naturelle. De tout temps et dans le monde entier, des tribus en ont supplanté d’autres ; or, comme la morale est un des éléments de leur succès, le nombre des hommes chez lesquels son niveau s’élève tend partout à augmenter.

Il est toutefois très difficile d’indiquer pourquoi une tribu quelconque plutôt qu’une autre réussit à s’élever sur l’échelle de la civilisation. Beaucoup de sauvages sont restés ce qu’ils étaient au moment de leur découverte, il y a quelques siècles. Nous sommes disposés, ainsi que l’a fait remarquer M. Bagehot, à considérer le progrès comme la règle normale de la société humaine ; mais l’histoire contredit cette hypothèse. Les anciens n’avaient pas plus l’idée du progrès que ne l’ont, de nos jours, les nations orientales. D’après une autre autorité, sir Henry Maine[7], « la plus grande partie de l’humanité n’a jamais manifesté le moindre désir de voir améliorer ses institutions civiles. » Le progrès semble dépendre du concours d’un grand nombre de conditions favorables, beaucoup trop compliquées pour qu’on puisse les indiquer toutes. Toutefois on a souvent remarqué qu’un climat tempéré, qui favorise le développement de l’industrie et des arts divers, est une condition très favorable, indispensable même au progrès. Les Esquimaux, sous la pression de la dure nécessité, ont réussi à faire plusieurs inventions ingénieuses, mais la rigueur excessive de leur climat a empêché tout progrès continu. Les habitudes nomades de l’homme, tant sur les vastes plaines que dans les forêts épaisses des régions tropicales ou le long des côtes maritimes, lui ont été, dans tous les cas, hautement préjudiciables. Ce fut en observant les barbares habitants de la Terre de Feu que je compris combien la possession de quelques biens, une demeure fixe et l’union de plusieurs familles sous un même chef, sont les éléments nécessaires et indispensables à toute civilisation. Ces habitudes impliquent la culture du sol, et les premiers pas faits dans cette voie doivent probablement, comme je l’ai indiqué ailleurs[8], résulter d’un accident : les graines d’un arbre fruitier, par exemple, tombant sur un tas de fumier et produisant une variété plus belle. Quoi qu’il en soit, il est encore impossible d’indiquer quels ont été les premiers pas des sauvages dans la voie de la civilisation.


La sélection naturelle considérée au point de vue de son action sur les nations civilisées. — Je ne me suis occupé jusqu’à présent que des progrès qu’a dû réaliser l’homme pour passer de sa condition primitive semi-humaine à un état analogue à celui des sauvages actuels. Je crois devoir ajouter ici quelques remarques relatives à l’action de la sélection naturelle sur les nations civilisées. M. W. R. Greg[9], et antérieurement MM. Wallace et Galton[10], ont admirablement discuté ce sujet ; j’emprunterai donc la plupart de mes remarques à ces trois auteurs. Chez les sauvages, les individus faibles de corps ou d’esprit sont promptement éliminés, et les survivants se font ordinairement remarquer par leur vigoureux état de santé. Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, tous nos efforts pour arrêter la marche de l’élimination ; nous construisons des hopitaux pour les idiots, les infirmes et les malades ; nous faisons des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins déploient toute leur science pour prolonger autant que possible la vie de chacun. On a raison de croire que la vaccine a préservé des milliers d’individus qui, faibles de constitution, auraient autrefois succombé à la variole. Les membres débiles des sociétés civilisées peuvent donc se reproduire indéfiniment. Or, quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait, à n’en pas douter, combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine. On est tout surpris de voir combien le manque de soins, ou même des soins mal dirigés, amènent rapidement la dégénérescence d’une race domestique ; en conséquence, à l’exception de l’homme lui-même, personne n’est assez ignorant ni assez maladroit pour permettre aux animaux débiles de reproduire.

Notre instinct de sympathie nous pousse à secourir les malheureux ; la compassion est un des produits accidentels de cet instinct que nous avons acquis dans le principe, au même titre que les autres instincts sociables dont il fait partie. La sympathie, d’ailleurs, pour les causes que nous avons déjà indiquées, tend toujours à devenir plus large et plus universelle. Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fit une loi, sans porter préjudice à la plus noble partie de notre nature. Le chirurgien doit se rendre inaccessible à tout sentiment de pitié au moment où il pratique une opération, parce qu’il sait qu’il agit pour le bien de son malade ; mais si, de propos délibéré, il négligeait les faibles et les infirmes, il ne pourrait avoir en vue qu’un avantage éventuel, au prix d’un mal présent considérable et certain. Nous devons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. Il semble, toutefois, qu’il existe un frein à cette propagation, en ce sens que les membres malsains de la société se marient moins facilement que les membres sains. Ce frein pourrait avoir une efficacité réelle si les faibles de corps et d’esprit s’abstenaient du mariage ; mais c’est là un état de choses qu’il est plus facile de désirer que de réaliser.

Dans tous les pays où existent des armées permanentes, la conscription enlève les plus beaux jeunes gens, qui sont exposés à mourir prématurément en cas de guerre, qui se laissent souvent entraîner au vice, et qui, en tout cas, ne peuvent se marier de bonne heure. Les hommes petits, faibles, à la constitution débile, restent, au contraire, chez eux, et ont, par conséquent, beaucoup plus de chances de se marier et de laisser des enfants[11].

Dans tous les pays civilisés, l’homme accumule des richesses et les transmet à ses enfants. Il en résulte que les riches, indépendamment de toute supériorité corporelle ou mentale, possèdent de grands avantages sur les enfants pauvres quand ils commencent la lutte pour l’existence. D’autre part, les enfants de parents qui meurent jeunes, et qui, par conséquent, ont, en règle générale, une mauvaise santé et peu de vigueur, héritent plus tôt que les autres enfants ; il est probable aussi qu’ils se marient plus tôt et qu’ils laissent un plus grand nombre d’enfants qui héritent de leur faible constitution. Toutefois la transmission de la propriété est loin de constituer un mal absolu, car, sans l’accumulation des capitaux, les arts ne pourraient progresser ; or c’est principalement par l’action des arts que les races civilisées ont étendu et étendent aujourd’hui partout leur domaine, et arrivent ainsi à supplanter les races inférieures. L’accumulation modérée de la fortune ne porte, en outre, aucune atteinte à la marche de la sélection naturelle. Lorsqu’un homme pauvre devient modérément riche, ses enfants s’adonnent à des métiers et à des professions où la lutte est encore assez vive pour que les mieux doués au point de vue du corps et de l’esprit aient plus de chances de réussite. L’existence d’un groupe d’hommes instruits, qui ne sont pas obligés de gagner par le travail matériel leur pain quotidien, a une importance qu’on ne saurait exagérer ; car c’est à eux qu’incombe toute l’œuvre intellectuelle supérieure, origine immédiate des progrès matériels de toute nature, sans parler d’autres avantages d’un ordre plus élevé. La fortune, lorsqu’elle est considérable, tend sans doute à transformer l’homme en un fainéant inutile, mais le nombre de ces fainéants n’est jamais bien grand ; car, là aussi, l’élimination joue un certain rôle. Ne voyons-nous pas chaque jour, en effet, des riches insensés et prodigues dissiper tous leurs biens ?

Le droit de primogéniture avec majorats est un mal plus immédiat, bien qu’il ait pu autrefois être très avantageux, en ce sens qu’il a eu pour résultat la création d’une classe dominante, et que tout gouvernement vaut mieux que l’anarchie. Les fils aînés, qu’ils soient faibles de corps ou d’esprit, se marient ordinairement ; tandis que les cadets, quelque supérieurs qu’ils soient à tous les points de vue, ne se marient pas aussi facilement. Les fils aînés, quel que soit leur peu de valeur, héritant d’un majorat, ne peuvent pas gaspiller leur fortune. Mais, ici encore, comme ailleurs, les relations de la vie civilisée sont si complexes qu’il existe quelques freins compensateurs. Les hommes riches par droit d’aînesse peuvent choisir, de génération en génération, les femmes les plus belles et les plus charmantes, et, ordinairement, ces femmes sont douées d’une bonne constitution physique et d’un esprit supérieur. Les conséquences fâcheuses, quelles qu’elles puissent être, de la conservation continue de la même ligne de descendance, sans aucune sélection, sont atténuées, en ce sens que les hommes de rang élevé cherchent toujours à accroître leur fortune et leur pouvoir, et, pour y parvenir, épousent des héritières. Mais les filles de parents n’ayant eu qu’un enfant sont elles-mêmes, ainsi que l’a prouvé M. Galton[12], sujettes à la stérilité, ce qui, ayant pour effet d’interrompre continuellement la ligne directe des familles nobles, dirige la fortune dans quelques branches latérales. Cette nouvelle branche n’a malheureusement pas à faire preuve d’une supériorité quelconque avant de pouvoir hériter.

Bien que la civilisation s’oppose ainsi, de plusieurs façons, à la libre action de la sélection naturelle, elle favorise évidemment, par l’amélioration de l’alimentation et l’exemption de pénibles fatigues, un meilleur développement du corps. C’est ce qu’on peut conclure du fait que, partout où l’on a comparé les hommes civilisés aux sauvages, on a trouvé les premiers physiquement plus forts[13]. L’homme civilisé paraît supporter également bien la fatigue ; beaucoup d’expéditions aventureuses en ont fourni la preuve. Le grand luxe même du riche ne peut lui être que peu préjudiciable, car la longévité, chez les deux sexes de notre aristocratie, est très peu inférieure à celle des vigoureuses classes de travailleurs[14] de l’Angleterre.

Examinons maintenant les facultés intellectuelles. Si l’on divisait les membres de chaque classe sociale en deux groupes égaux, l’un comprenant ceux qui sont très intelligents, l’autre ceux qui le sont moins, il est très probable qu’on s’apercevrait bientôt que les premiers réussissent mieux dans toutes leurs occupations, et élèvent un plus grand nombre d’enfants. Même dans les situations inférieures, l’adresse et le talent doivent procurer un avantage bien que, dans beaucoup de professions, cet avantage soit très minime par suite de la grande division du travail. Il existe donc, chez les nations civilisées, une certaine tendance à l’accroissement numérique et à l’élévation du niveau de ceux qui sont intellectuellement les plus capables. Je n’entends pas affirmer par là que d’autres circonstances, telles que la multiplication des insouciants et des imprévoyants ne puissent contre-balancer cette tendance ; mais le talent doit aussi procurer quelques avantages à ces derniers.

On a soulevé de graves objections contre ces hypothèses ; on a soutenu, en effet, que les hommes les plus éminents qui aient jamais vécu n’ont pas laissé de descendants. M. Galton[15] dit à ce sujet : « Je regrette de ne pouvoir résoudre une question bien simple : les hommes et les femmes de génie sont-ils stériles, et jusqu’à quel point le sont-ils ? J’ai toutefois démontré que tel n’est point le cas pour les hommes éminents. » Les grands législateurs, les fondateurs de religions bienfaisantes, les grands philosophes et les grands savants contribuent bien davantage par leurs œuvres aux progrès de l’humanité, qu’ils ne le feraient en laissant après eux une nombreuse progéniture. Quant à la conformation physique, c’est la sélection des individus un peu mieux doués et l’élimination de ceux qui le sont un peu moins, et non la conservation d’anomalies rares et prononcées, qui détermine l’amélioration d’une espèce[16]. Il en est de même pour les facultés intellectuelles ; les hommes les plus capables, dans chaque rang de la société, réussissent mieux que ceux qui le sont moins, et, s’il n’y a pas d’autres obstacles, ils tendent, par conséquent, à augmenter en nombre. Lorsque, chez un peuple, le niveau intellectuel s’est élevé et que le nombre des hommes instruits a augmenté, on peut s’attendre, en vertu du principe de la déviation de la moyenne, ainsi que l’a démontré M. Galton, à voir apparaître, plus souvent qu’auparavant, des hommes au génie transcendant.

Quant aux qualités morales, il importe de constater qu’il se produit toujours, même chez les nations les plus civilisées, une certaine élimination des individus moins bien doués. On exécute les malfaiteurs ou on les emprisonne pendant de longues périodes, de façon qu’ils ne puissent transmettre facilement leurs vices. Les hypochondriaques et les aliénés sont enfermés ou se suicident. Les hommes querelleurs et emportés meurent fréquemment de mort violente ; ceux qui sont trop remuants pour s’adonner à des occupations suivies, — et ce reste de barbarie est un grand obstacle à la civilisation[17], — émigrent dans de nouveaux pays, où ils se transforment en utiles pionniers. L’intempérance entraîne des conséquences si désastreuses que, à l’âge de trente ans, par exemple, la probabilité de vie des intempérants n’est que de 13,8 années ; tandis que, pour le paysan anglais, au même âge, elle s’élève à 40,59 ans[18]. Les femmes ayant des mœurs dissolues ont peu d’enfants, les hommes dans le même cas se marient rarement ; les uns et les autres sont épuisés par les maladies. Quand il s’agit des animaux domestiques, l’élimination des individus, d’ailleurs peu nombreux, qui sont évidemment inférieurs, n’en constitue pas moins un élément de succès fort important. Ceci est surtout vrai pour les caractères nuisibles qui tendent à réapparaître par retour, tels que la couleur noire chez le mouton ; dans l’humanité, il se peut que les mauvaises dispositions qui, à l’occasion et sans cause explicable, reparaissent dans les familles, soient peut-être des cas de retour vers un état sauvage, dont nous ne sommes pas séparés par un nombre bien grand de générations. L’expression populaire qui nomme ces mauvais sujets les « moutons noirs » de la famille semble basée sur cette hypothèse.

La sélection naturelle semble n’exercer qu’une influence bien secondaire sur les nations civilisées, en tant qu’il ne s’agit que de la production d’un niveau de moralité plus élevé et d’un nombre plus considérable d’hommes bien doués ; nous lui devons, toutefois, l’acquisition originelle des instincts sociaux. Je me suis, d’ailleurs, assez longuement étendu, en traitant des races inférieures, sur les causes qui déterminent les progrès de la morale, c’est-à-dire : l’approbation de nos semblables, — l’augmentation de nos sympathies par l’habitude, — l’exemple et l’imitation, — la raison, — l’expérience et même l’intérêt individuel, — l’instruction pendant la jeunesse, et les sentiments religieux, pour n’avoir pas à y revenir ici.

M. Greg et M. Galton[19] ont vivement insisté sur un important obstacle qui s’oppose à l’augmentation du nombre des hommes supérieurs dans les sociétés civilisées, à savoir que les pauvres et les insouciants, souvent dégradés par le vice, se marient invariablement de bonne heure, tandis que les gens prudents et économes se marient tard, afin de pouvoir convenablement s’entretenir eux et leurs enfants. Ceux qui se marient jeunes produisent, dans une période donnée, non seulement un plus grand nombre de générations, mais encore, ainsi que l’a établi le docteur Duncan[20], beaucoup plus d’enfants. En outre, les enfants, nés de mères dans la fleur de l’âge, sont plus gros et plus pesants, et, en conséquence, probablement plus vigoureux que ceux nés à d’autres périodes. Il en résulte que les membres insouciants, dégradés et souvent vicieux de la société, tendent à s’accroître dans une proportion plus rapide que ceux qui sont plus prudents et ordinairement plus sages. Voici ce que dit à ce sujet M. Greg : « L’Irlandais, malpropre, sans ambition, insouciant, multiplie comme le lapin ; l’Écossais, frugal, prévoyant, plein de respect pour lui-même, ambitieux, moraliste rigide, spiritualiste, sagace et très intelligent, passe ses plus belles années dans la lutte et dans le célibat, se marie tard et ne laisse que peu de descendants. Étant donné un pays primitivement peuplé de mille Saxons et de mille Celtes, — au bout d’une douzaine de générations, les cinq sixièmes de la population seront Celtes, mais le dernier sixième, composé de Saxons, possédera les cinq sixièmes des biens, du pouvoir et de l’intelligence. Dans l’éternelle lutte pour l’existence, c’est la race inférieure et la moins favorisée qui aura prévalu, — et cela, non en vertu de ses bonnes qualités, mais en vertu de ses défauts. »

Cette tendance vers une marche rétrograde rencontre cependant quelques obstacles. Nous avons vu que l’intempérance entraîne un chiffre élevé de mortalité, et que le dérèglement des mœurs nuit à la propagation. Les classes les plus pauvres s’entassent dans les villes, et le docteur Stark, se basant sur les statistiques de dix années en Écosse[21] a pu démontrer qu’à tous les âges la mortalité est plus considérable dans les villes que dans les districts ruraux, « et que, pendant les cinq premières années de la vie, le chiffre de la mortalité urbaine est presque exactement le double de celui des campagnes. » Ces relevés comprenant le riche comme le pauvre, il n’est pas douteux qu’il faille un nombre double de naissances pour maintenir le chiffre des habitants pauvres des villes à la hauteur de celui des campagnes. Le mariage à un âge trop précoce est très nuisible aux femmes, car on a prouvé qu’en France, « il meurt dans l’année deux fois plus de femmes mariées au-dessous de vingt ans que de femmes célibataires. » La mortalité des maris au-dessous de vingt ans est aussi considérable[22], mais la cause de ce fait paraît douteuse. Enfin, si les hommes qui retardent prudemment le mariage jusqu’à ce qu’ils puissent élever convenablement leur famille, choisissaient, comme ils le font souvent, des femmes dans la fleur de l’âge, la proportion d’accroissement dans la classe élevée ne serait que légèrement diminuée.

Un ensemble énorme de documents statistiques, relevés en France en 1853, ont permis de démontrer que, dans ce pays, les célibataires, compris entre vingt et quatre-vingts ans, sont sujets à une mortalité beaucoup plus considérable que les hommes mariés ; par exemple, la proportion des célibataires mourant entre vingt et trente ans était annuellement de 11,3 sur 1,000 ; la mortalité n’étant chez les hommes mariés que de 6,5 sur 1,000[23]. La même loi s’est appliquée en Écosse pendant les années 1863 et 1864 pour toute la population au-dessus de vingt ans. Ainsi, la mortalité des célibataires entre vingt et trente ans a été annuellement de 14,97 sur 1,000, tandis qu’elle ne s’est trouvée chez les hommes mariés que de 7,24 sur 1,000, soit moins de la moitié[24]. Le docteur Stark remarque à ce sujet : « Le célibat est plus préjudiciable à la vie que les métiers les plus malsains, ou qu’une résidence dans une maison ou dans un district insalubre où on n’aurait jamais fait la moindre tentative d’assainissement. » Il considère que la diminution de la mortalité est le résultat direct du « mariage et des habitudes domestiques plus régulières qui accompagnent cet état. » Il admet, toutefois, que les hommes intempérants, dissolus et criminels, qui vivent peu longtemps, ne se marient ordinairement pas ; il faut également admettre que les hommes à constitution faible, à mauvaise santé, ou ayant une infirmité grave de corps ou d’esprit, ne cherchent guère à se marier ou n’y réussissent pas. Le docteur Stark paraît conclure que le mariage est, en lui-même, une cause de longévité ; cette conclusion résulte de ce que les hommes mariés âgés ont un avantage marqué sur les célibataires aussi âgés ; mais chacun a connu des jeunes gens à la constitution faible qui ne se sont pas mariés, et qui ont pourtant atteint un âge avancé, quoiqu’ils soient toujours restés faibles et qu’ils aient eu, par conséquent, une moindre chance de vie. Une autre circonstance remarquable, qui paraît venir à l’appui de la conclusion du docteur Stark, est que, en France, les veufs et les veuves, comparés aux gens mariés, subissent une mortalité considérable ; mais le docteur Farr attribue cette mortalité à la pauvreté, aux habitudes fâcheuses qui peuvent résulter de la rupture de la famille et au chagrin. En résumé, nous pouvons conclure, avec le docteur Farr, que la mortalité moindre des gens mariés, comparée à celle des célibataires, ce qui paraît être une loi générale, « est principalement due à l’élimination constante des types imparfaits, à la sélection habile des plus beaux individus dans chaque génération successive ; » la sélection ne se rattachant qu’à l’état de mariage, et agissant sur toutes les qualités corporelles, intellectuelles et morales[25]. Nous pouvons donc en conclure que les hommes sains et valides, qui, par prudence, restent pour un temps célibataires, ne sont pas exposés à un taux de mortalité plus élevé.

Si les divers obstacles que nous venons de signaler dans les deux derniers paragraphes, et d’autres encore peut-être inconnus, n’empêchent pas les membres insouciants, vicieux et autrement inférieurs de la société d’augmenter dans une proportion plus rapide que les hommes supérieurs, la nation doit rétrograder, comme il y en a, d’ailleurs, tant d’exemples dans l’histoire du monde. Nous devons nous souvenir que le progrès n’est pas une règle invariable. Il est très difficile d’indiquer pourquoi une nation civilisée s’élève, devient plus puissante et s’étend davantage qu’une autre ; ou pourquoi une même nation progresse davantage à une époque qu’à une autre. Nous devons nous borner à dire que le fait dépend d’un accroissement du chiffre de la population, du nombre des hommes doués de hautes facultés intellectuelles ou morales, aussi bien que de leur état de perfection. La conformation corporelle, en dehors du rapport inévitable entre la vigueur du corps et celle de l’esprit, paraît n’avoir qu’une influence secondaire.

Chacun admet que les hautes aptitudes intellectuelles sont avantageuses à une nation ; certains écrivains en ont conclu que les anciens Grecs, qui se sont, à quelques égards, élevés intellectuellement plus haut qu’aucune autre race[26], auraient dû, si la puissance de la sélection naturelle est réelle, s’élever encore plus haut sur l’échelle, augmenter en nombre et peupler toute l’Europe. Cette assertion découle de la supposition tacite si souvent faite à propos des conformations corporelles, c’est-à-dire de la prétendue tendance innée au développement continu de l’esprit et du corps. Mais toute espèce d’évolution progressive dépend du concours d’un grand nombre de circonstances favorables. La sélection naturelle n’agit jamais que d’une façon expérimentale. Certains individus, certaines races ont pu acquérir des avantages incontestables, et, cependant, périr faute de posséder certains autres caractères. Le manque de cohésion entre leurs nombreux petits États, le peu d’étendue de leur pays entier, la pratique de l’esclavage ou leur excessive sensualité, ont pu faire rétrograder les Grecs, qui n’ont succombé qu’après « s’être énervés et s’être corrompus jusqu’à la moelle[27]. » Les nations de l’Europe occidentale, qui actuellement dépassent si considérablement leurs ancêtres sauvages et se trouvent à la tête de la civilisation, ne doivent point leur supériorité à l’héritage direct des anciens Grecs, bien qu’ils doivent beaucoup aux œuvres écrites de ce peuple remarquable.

Qui peut dire positivement pourquoi la nation espagnole, si prépondérante autrefois, a été distancée dans la course ? Le réveil des nations européennes, au sortir du moyen âge, constitue un problème encore plus embarrassant à résoudre. Pendant le moyen âge, ainsi que le fait remarquer M. Galton[28], presque tous les hommes distingués, tous ceux qui se livraient à la culture de l’esprit, n’avaient d’autre refuge que l’Église, laquelle, exigeant le célibat, exerçait ainsi une influence funeste sur chaque génération successive. Pendant cette même période, l’Inquisition recherchait, avec un soin extrême, pour les enfermer ou pour les brûler, les hommes les plus indépendants et les plus hardis. En Espagne, par exemple, les hommes constituant l’élite de la nation, — ceux qui doutaient et interrogeaient, car sans le doute il n’y a pas de progrès, — furent éliminés pendant trois siècles à raison d’un millier par an. L’Église catholique a ainsi causé un mal incalculable, bien que ce mal ait été, sans doute, contre-balancé, jusqu’à un certain point, peut-être même dans une grande mesure, par certains autres avantages. L’Europe n’en a pas moins progressé avec une rapidité incroyable.

La supériorité remarquable qu’ont eue, sur d’autres nations européennes, les Anglais comme colonisateurs, supériorité attestée par la comparaison des progrès réalisés par les Canadiens d’origine anglaise et ceux d’origine française, a été attribuée à leur « énergie persistante et à leur audace » ; mais qui peut dire comment les Anglais ont acquis cette énergie ? Il y a certainement beaucoup de vrai dans l’hypothèse qui attribue à la sélection naturelle les merveilleux progrès des États-Unis, ainsi que le caractère de son peuple ; les hommes les plus courageux, les plus énergiques et les plus entreprenants de toutes les parties de l’Europe ont, en effet, émigré pendant les dix ou douze dernières générations pour aller peupler ce grand pays et y ont prospéré[29]. Si on jette les yeux sur l’avenir, je ne crois pas que le Rév. M. Zincke émette une opinion exagérée lorsqu’il dit[30] : « Toutes les autres séries d’événements, — comme celles qui ont produit la culture intellectuelle en Grèce, et celles qui ont eu pour résultat la fondation de l’empire romain, — ne paraissent avoir de but et de valeur que lorsqu’on les rattache, ou plutôt qu’on les regarde comme subsidiaires au… grand courant d’émigration anglo-saxon dirigé vers l’Ouest. » Quelque obscur que soit le problème du progrès de la civilisation, nous pouvons au moins comprendre qu’une nation qui, pendant une longue période, produit le plus grand nombre d’hommes intelligents, énergiques, braves, patriotes et bienveillants, doit, en règle générale, l’emporter sur les nations moins bien favorisées.

La sélection naturelle résulte de la lutte pour l’existence, et celle-ci de la rapidité de la multiplication. Il est impossible de ne pas déplorer amèrement, — à part la question de savoir si c’est avec raison, — la rapidité avec laquelle l’homme tend à s’accroître ; cette augmentation rapide entraîne, en effet, chez les tribus barbares la pratique de l’infanticide et beaucoup d’autres maux, et, chez les nations civilisées, occasionne la pauvreté, le célibat, et le mariage tardif des gens prévoyants. L’homme subit les mêmes maux physiques que les autres animaux, il n’a donc aucun droit à l’immunité contre ceux qui résultent de la lutte pour l’existence. S’il n’avait pas été soumis à la sélection naturelle pendant les temps primitifs, l’homme n’aurait certainement jamais atteint le rang qu’il occupe aujourd’hui. Lorsque nous voyons, dans bien des parties du monde, des régions entières extrêmement fertiles, peuplées de quelques sauvages errants, alors qu’elles pourraient nourrir de nombreux ménages prospères, nous sommes disposés à penser que la lutte pour l’existence n’a pas été suffisamment rude pour forcer l’homme à atteindre son état le plus élevé. À en juger d’après tout ce que nous savons de l’homme et des animaux inférieurs, les facultés intellectuelles et morales ont toujours présenté une variabilité assez grande pour que la sélection naturelle pût déterminer leur perfectionnement continu. Ce développement réclame sans doute le concours simultané de nombreuses circonstances favorables ; mais on peut douter que les circonstances suffisent, si elles ne sont pas accompagnées d’une très rapide multiplication et de l’excessive rigueur de la lutte pour l’existence qui en est la conséquence. L’état de la population dans certains pays, dans l’Amérique méridionale par exemple, semble même prouver qu’un peuple qui a atteint à la civilisation, tel que les Espagnols, est susceptible de se livrer à l’indolence et de rétrograder, quand les conditions d’existence deviennent très faciles. Chez les nations très civilisées, la continuation du progrès dépend, dans une certaine mesure, de la sélection naturelle, car ces nations ne cherchent pas à se supplanter et à s’exterminer les unes les autres, comme le font les tribus sauvages. Toutefois les membres les plus intelligents finissent par l’emporter dans le cours des temps sur les membres inférieurs de la même communauté, et laissent des descendants plus nombreux ; or c’est là une forme de la sélection naturelle. Une bonne éducation pendant la jeunesse, alors que l’esprit est très impressionnable, et un haut degré d’excellence, pratiqué par les hommes les plus distingués, incorporé dans les lois, les coutumes et les traditions de la nation et exigé par l’opinion publique, semblent constituer les causes les plus efficaces du progrès. Mais il faut toujours se rappeler que la puissance de l’opinion publique dépend du cas que nous faisons de l’approbation ou du blâme exprimé par nos semblables, ce qui dépend de notre sympathie que, l’on n’en peut guère douter, la sélection naturelle a primitivement développée, car elle constitue un des éléments les plus importants des instincts sociaux[31].


Toutes les nations civilisées ont été autrefois barbares. — Sir J. Lubbock[32], M. Tylor, M’Lennan et autres, ont traité cette question d’une façon si complète et si remarquable que je puis me borner ici à résumer leurs conclusions. Le duc d’Argyll[33], et, avant lui, l’archevêque Whately, ont cherché à démontrer que l’homme a paru sur la terre à l’état d’être civilisé, et que tous les sauvages ont depuis éprouvé une dégradation, mais leurs arguments me paraissent bien faibles comparativement à ceux que leur oppose la partie adverse. Bien des nations ont sans doute rétrogradé au point de vue de la civilisation ; il se peut même que quelques-unes soient retombées dans une barbarie complète ; cependant je n’en ai nulle part trouvé la preuve. Les Fuégiens, forcés probablement par d’autres hordes conquérantes à s’établir dans leur pays inhospitalier, peuvent, comme conséquence, s’y être un peu plus dégradés ; mais il serait difficile de prouver qu’ils sont tombés beaucoup plus bas que les Botocudos, qui habitent les plus belles parties du Brésil.

Toutes les nations civilisées descendent de peuples barbares ; c’est ce que prouvent, d’une part, les traces évidentes de leur ancienne condition inférieure qui existent encore dans leurs coutumes, leurs croyances, leur langage, etc. ; et, d’autre part, le fait que les sauvages peuvent s’élever par eux-mêmes de quelques degrés sur l’échelle de la civilisation. Les preuves à l’appui de la première hypothèse sont très curieuses, mais je ne puis les indiquer ici : je veux parler, par exemple, de la numération, qui, ainsi que le prouve clairement M. Tylor, par les mots encore usités dans quelques pays, a pris son origine en comptant les doigts d’une main d’abord, puis de la seconde, et enfin ceux des pieds. Nous en trouvons des traces dans notre propre système décimal, et dans les chiffres romains, qui, arrivés à v, signe que l’on est disposé à considérer comme l’image abrégée de la main humaine, passent à vi, ce qui indique sans doute l’emploi de l’autre main. De même, lorsque nous employons les locutions dont la vingtaine est l’unité (score en anglais), « nous comptons d’après le système vigésimal, chaque vingtaine ainsi idéalement représentée, comptant pour 20, — c’est-à-dire un homme, comme dirait un Mexicain ou un Caraïbe[34] ». D’après une grande école de philologues, école dont le nombre va croissant, chaque langage porte les marques de son évolution lente et graduelle. Il en est de même de l’écriture, car les lettres ne sont que des rudiments d’hiéroglyphes. On ne peut lire l’ouvrage de M. M’Lennan[35] sans admettre que presque toutes les nations civilisées ont conservé quelques traces de certaines habitudes barbares, telles que le rapt des femmes par exemple. Peut-on citer une seule nation ancienne, se demande le même auteur, qui, dans le principe, ait pratiqué la monogamie ? L’idée primitive de la justice, c’est-à-dire la loi du combat et les autres coutumes dont il subsiste encore des traces, était également très grossière. Un grand nombre de nos superstitions représentent les restes d’anciennes croyances religieuses erronées. La forme religieuse la plus élevée, — l’idée d’un Dieu abhorrant le péché et aimant la justice, — était inconnue dans les temps primitifs.

Passons à un autre genre de preuves : sir J. Lubbock a démontré que quelques sauvages ont récemment réalisé certains progrès dans quelques-uns de leurs simples arts. L’exposé très curieux qu’il fait des armes, des outils employés et des arts pratiqués par les sauvages dans les diverses parties du monde, tend à prouver que presque toutes les découvertes ont été indépendantes, sauf peut-être l’art de faire le feu[36]. Le boomerang australien est un excellent exemple d’une découverte indépendante. Les Tahitiens, lorsqu’on les visita pour la première fois, étaient déjà, sous plusieurs rapports, plus avancés que les habitants de la plupart des autres îles Polynésiennes. Il n’y a pas de raisons pour croire que la haute culture des Péruviens et des Mexicains indigènes dût provenir d’une source étrangère[37] ; ces peuples cultivaient, en effet, plusieurs plantes indigènes et avaient réduit en domesticité quelques animaux du pays. Un équipage venant d’un pays à demi civilisé, naufragé sur les côtes de l’Amérique, n’aurait pas, si on en juge d’après le peu d’influence qu’exercent la plupart des missionnaires, produit d’effet marqué sur les indigènes, à moins que ceux-ci ne fussent déjà quelque peu civilisés. Si nous remontons à une période très reculée de l’histoire du monde, nous trouvons, pour nous servir des expressions si bien connues de sir J. Lubbock, une période paléolithique et une période néolithique ; or personne ne saurait prétendre que l’art de polir les outils grossiers en silex taillé ne soit une découverte indépendante. Dans toutes les parties de l’Europe jusqu’en Grèce, en Palestine, dans l’Inde, au Japon, dans la Nouvelle-Zélande et en Afrique, l’Égypte comprise, on a découvert de nombreux instruments en silex et les habitants actuels n’ont conservé aucune tradition à cet égard. Les Chinois et les anciens Juifs ont aussi employé autrefois ces instruments en silex. On peut donc en conclure que les habitants de ces nombreux pays, qui comprennent presque tout le monde civilisé, ont été autrefois dans un état de barbarie. Croire que l’homme, primitivement civilisé, a ensuite éprouvé, dans tant de régions différentes, une dégradation complète, c’est se faire une pauvre opinion de la nature humaine. Combien n’est-elle pas plus vraie et plus consolante, cette opinion qui veut que le progrès ait été plus général que la rétrogradation ; et qui enseigne que l’homme, parti d’un état inférieur, s’est avancé, à pas lents et interrompus, il est vrai, jusqu’au degré le plus élevé qu’il ait encore atteint en science, en morale et en religion !


  1. Anthropological Review, May, 1864, p. clviii.
  2. Les individus ou les tribus qui sont absorbés dans une autre tribu prétendent à la longue, ainsi que l’a fait remarquer M. Maine (Ancient Law, 1861, p. 131), qu’ils sont les co-descendants des mêmes ancêtres.
  3. Morlot, Soc. vaudoise des Sc. naturelles, 1860, p. 294.
  4. J’ai donné des exemples dans la Variation, etc., II, p. 208.
  5. Voir une remarquable série d’articles sur la Physique et la Politique dans Fortnightly Review, nov. 1867, avril 1868, juillet 1869.
  6. M. Wallace cite plusieurs exemples : Contributions to the Theory of Natural Selection, 1870, p. 354.
  7. Ancient Law, 1861, p. 22. Pour les remarques de M. Bagehot, Fortnightly Review, avril 1868, p. 452.
  8. La Variation des Animaux, etc., vol. I, p. 329.
  9. Fraser’s Magazine, sept. 1868, p. 353. Cet article paraît avoir frappé beaucoup de personnes, et a donné lieu à deux mémoires remarquables et à une réplique dans le Spectator, 3 et 17 oct. 1868. Il a été aussi discuté dans le Quarterly Journ. of Science, 1869, p. 152, et par M. Lawson Tait, dans le Dublin Quarterly Journ. of Medical Science, févr. 1869 ; et par M. E. Ray Lankester, dans sa Comparative Longevity, 1870, p. 128. Des opinions semblables ont été émises dans l’Australasian, 13 juil. 1867. J’ai emprunté des arguments à plusieurs de ces auteurs.
  10. Pour M. Wallace, voir Anthropological Review, déjà cité ; M. Galton, Macmillan’s Magazine, août 1865, p. 318, et son grand ouvrage, Hereditary Genius, 1870.
  11. Le professeur H. Fick a fait d’excellentes remarques à ce sujet et d’autres points analogues, Einfluss der Naturwissenschaft auf das Recht, juin 1872.
  12. Hereditary Genius, 1870, pp. 132-149.
  13. Quatrefages, Revue des cours scientifiques, 1867-68, p. 659.
  14. Voir les cinquième et sixième colonnes dressées d’après les autorités compétentes, dans le tableau donné par M. E. R. Lankester, dans sa Comparative Longevity, 1870, p. 115.
  15. Hereditary Genius, p. 330.
  16. Origine des espèces, p. 96.
  17. Hereditary, etc., p. 347.
  18. E. Ray Lankester, Comparative Longevity, 1870, p. 115. Le tableau des intempérants est dressé d’après les Vital Statistics, de Neison. En ce qui concerne la débauche, voir Dr Farr, Influence of Marriage on mortality, Nat. Assoc. for the Promotion of Social Science, 1858.
  19. Fraser’s Magazine, sept. 1868, p. 353. Macmillan’s Magazine, août 1865, p. 318. – Le Rév. F. W. Farrar (Fraser’s Mag., août 1870, p. 264), soutient une opinion différente.
  20. Sur les Lois de la fécondité des femmes, dans Transactions Royal Soc. Edinburgh, vol. XXIV, p. 287, publié séparément depuis sous le titre, Fecundity, Fertitily and Sterility, 1871. Voir aussi M. Galton, Hereditary Genius pp. 352-337, pour des observations sur le même sujet.
  21. Dixième Rapport annuel des naissances, morts, etc., en Écosse, 1867, p. xxix.
  22. Ces citations sont empruntées à notre plus haute autorité sur ces questions, le travail du Dr Farr, sur l’Influence du mariage sur la mortalité du peuple français, lu devant la National Association for the Promotion of Social Science, 1858.
  23. Dr Farr, ibid. Les citations suivantes sont toutes tirées du même travail.
  24. J’ai pris la moyenne des moyennes quinquennales données dans le Dixième rapport annuel des naissances, décès, etc., en Écosse, pour 1867. La citation du Dr Stark est tirée d’un article du Daily News, du 17 oct. 1868, que le Dr Farr considère comme très complet.
  25. Le Dr Duncan (Fecundity, Fertility, etc., 1871, p. 334) fait remarquer à cet égard : « À chaque âge les célibataires les plus sains et les plus beaux se marient, et seuls les gens maladifs ou malheureux restent célibataires. »
  26. Voir à cet égard le raisonnement ingénieux et original de M. Galton, Hereditary Genius, p. 340-342.
  27. M. Greg, Fraser’s Magazine, sept. 1868, p. 357.
  28. Hereditary Genius, pp. 357-359. Le Rév. F.-H. Farrar (Fraser’s Mag., août 1870, p. 257) soutient une thèse contraire. Sir C. Lyell avait déjà (Principles of Geology, vol. II, 1868, p. 489), dans un passage frappant, appelé l’attention sur l’influence fâcheuse qu’a exercée la Sainte Inquisition en abaissant, par sélection, le niveau général de l’intelligence en Europe.
  29. M. Galton, Macmillan’s Magazine, août 1865, p. 325. Voir aussi, On Darwinism and national Life ; Nature, déc, 1869, p. 184.
  30. Last Winter in the United States, 1868, p. 29.
  31. Broca, les Sélections, Revue d’anthropologie, 1872.
  32. On the Origin of Civilisation, Proc. Ethnological Soc., 26 nov. 1867.
  33. Primeval Man, 1869.
  34. Royal Institution of Great Britain, 15 mars 1867. Aussi, Researches into the Early History of Mankind, 1865.
  35. Primitive Marriage, 1865, Voir aussi un article évidemment du même auteur, dans North British Review, juillet 1869. M.-L.-H. Morgan, A Conjectural solution of the origin of the class. system of Relationship ; Proceed. American Acad. of Sciences, vol. VII, fév. 1868. Le professeur Schaaffhausen (Anthropological Review, oct. 1869, p. 373), fait des remarques sur les « traces de sacrifices humains qu’on trouve tant dans Homère que dans l’Ancien Testament. »
  36. Sir J. Lubbock, Prehistoric Times, 2e édit., 1869, chap. xv et xvi et passim, Voir aussi Tylor, Early History of Mankind, chap. ix.
  37. Le Dr F. Müller a fait quelques excellentes remarques à ce sujet dans le Voyage de la Novara, partie Anthropologique, partie III, 1868, p. 127.