Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 37-40).

VI.

La Cour du Lion.



SA Majeſté Lionne un jour voulut connoiſtre,
De quelles nations le Ciel l’avait fait maiſtre.
Il manda donc par deputez

Ses vaſſaux de toute nature,
Envoyant de tous les coſtez
Une circulaire écriture,
Avec ſon ſceau. L’écrit portoit
Qu’un mois durant le Roy tiendroit
Cour pleniere, dont l’ouverture
Devoit eſtre un fort grand feſtin,
Suivy des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ſes ſujets étaloit ſa puiſſance.
En ſon Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vray charnier, dont l’odeur ſe porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha ſa narine :
Il ſe fuſt bien paſſé de faire cette mine,
Sa grimace dépleut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette ſeverité ;

Et flatteur exceſſif il loüa la colere
Et la griffe du Prince, & l’antre, & cette odeur :
Il n’eſtoit ambre, il n’eſtoit fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa ſotte flaterie
Eut un mauvais ſuccés, & fut encor punie.
Ce Monſeigneur du Lion là,
Fut parent de Caligula.
Le Renard eſtant proche : Or ça, luy dit le Sire,
Que ſens-tu ? diſ-le-moy : Parle ſans déguiſer.
L’autre auſſi-toſt de s’excuſer,
Alleguant un grand rume : il ne pouvoit que dire
Sans odorat ; bref il s’en tire.
Cecy vous ſert d’enſeignement.
Ne ſoyez à la Cour, ſi vous voulez y plaire,

Ny fade adulateur, ny parleur trop ſincere ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normant.