La Corrèze et Roc-Amadour

La Corrèze et Roc-Amadour

LA CORREZE


ET


ROC-AMADOUR


RÊVERIES A TRAVERS CHAMPS.




Je ne sais ce que le Limousin avait fait à Molière, mais Molière a fait le plus grand tort au Limousin. Nous avons beau nous récrier, nous tous qui sommes nés dans cette verte province ; il faut subir l’arrêt du maître, et nous naissons avec deux péchés originels : nous sommes rusés et violens, on nous croit niais et lourds. On se figure, tranchons le mot, que nous avons été coulés tous dans le moule où l’auteur de Tartufe jeta un beau jour Léonard Pourceaugnac. « Une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin ? Si M. de Pourceaugnac a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens ? Le seul nom de M. de Pourceaugnac m’a mise dans une colère effroyable… » Quel nom en effet ! et toute la cour riait à Chambord, et riait de si grand cœur, que l’on entend encore, que l’on entendra pendant des siècles le bruit cruel de ses applaudissemens. Le mal est qu’on ne se relève pas des arrêts que porte le génie ; ses décisions sont sans appel. En trois lignes, Molière nous a livrés pieds et poings liés aux railleurs de tous les âges. Il faut s’y résigner, et, pour ma part, j’en prendrais aisément mon parti, si la défaveur dont les Limousins sont victimes n’avait rejailli sur leur pays. Il en est ainsi malheureusement. Notre province n’a pas la réputation qu’elle mérite ; on n’ose pas trouver charmante la patrie de M. de Pourceaugnac elle est telle cependant, et pas un observateur sans préjugés, s’il en existait, ne devrait le contester.

Un jour d’automne, je faisais ces réflexions en regardant le soleil se lever au-dessus des bruyères roses qui couvrent une partie du département de la Corrèze. Au début d’une chasse qui s’annonçait mal, nous nous étions arrêtés, mes trois compagnons et moi, sur le haut d’une montagne aride, d’où l’on dominait le pays à dix lieues à la ronde. Au-dessus de nos têtes, le ciel était d’une admirable pureté, et devant nous s’étendait à perte de vue un paysage qui pouvait soutenir toute comparaison. Les landes désertes, les lacs endormis, les cascades de Gimel bondissant dans leurs rochers, les forêts de châtaigniers déjà rougies par l’automne, les troupeaux errans, les lignes accidentées d’un horizon bleuâtre, le calme incomparable de ce paysage austère, tout cela composait un tableau triste et grandiose, qui faisait à la fois rêver aux silencieuses campagnes de l’Attique et aux âpres montagnes de l’Écosse. Une seule chose manquait à notre bonheur ce jour-là, c’était le gibier. Les perdreaux étaient rares, les lièvres introuvables, et l’on perdait sa peine à poursuivre dans un pays aussi découvert des volées de grives qui fuyaient à mille pas. Nous avions remarqué que ces bandes d’oiseaux voyageurs allaient toujours du nord au sud. — Les grives vont aux vendanges, dit l’un de nous. — Pourquoi ne faisons-nous pas comme elles ? ajouta l’autre. — Au fait, dit le troisième, puisqu’il n’y a pas de gibier, faisons un voyage. — C’est convenu, déclara le dernier, nous partons à l’instant à pied, et nous allons par le pays bas[1] jusqu’à Roc-Amadour.

Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Une sorte de paquetage de soldat fut immédiatement organisé dans nos gibecières, et, le jour même, nous partîmes à travers champs, comme les grives.

On a vraiment grand tort de mesurer l’intérêt d’un voyage sur sa durée et celui d’un pays sur son éloignement ; on se trompe en pensant qu’il faut aller loin pour trouver des aventures et naviguer deux ans pour voir des choses curieuses. Un homme s’est rencontré qui a fait autour de sa chambre un voyage plus fécond en péripéties, de tous genres que les traversées sans nombre d’une infinité de marins que je connais, et l’on peut faire, Dieu merci, d’intéressantes tournées sans dépasser « les rives prochaines » dont La Fontaine défend de s’éloigner ; seulement il est moins facile de voyager de cette façon-là que de l’autre : il faut s’y être préparé de longue date. Pour être habile à voir, il faut avoir regardé beaucoup. On ne devient même curieux qu’à la longue, et, chose étrange, la curiosité semble s’accroître à mesure qu’on la satisfait. Quand on sait infiniment, on désire apprendre plus encore, et il est à remarquer que ceux-là seuls ne veulent rien voir qui n’ont jamais rien vu. En outre, il est nécessaire d’avoir contemplé les grands spectacles de la nature pour comprendre et pour aimer ses merveilles moins apparentes, car la nature ne se livre pas au premier venu : c’est une divinité chaste et sévère qui n’admet dans son intimité que ceux qui l’ont mérité par de longues contemplations, par une adoration constante, et je crois fermement qu’il faudrait avoir fait le tour du monde pour faire très agréablement et très utilement le tour de son jardin. Si plusieurs années de jeunesse dépensées à courir sur terre et sur mer donnent quelque autorité en matière de voyages, j’ai bien le droit de dire qu’en aucune de mes courses lointaines je n’ai trouvé plus d’intérêt et de plaisir que dans la petite tournée que je veux conter.

Nous étions donc quatre, tous jeunes, gais, alertes, vêtus en chasseurs, allant droit devant nous, sans parti-pris, sans itinéraire fixé d’avance, marchant à l’aventure dans les landes désertes, respirant en liberté l’âpre senteur des genêts, courant de colline en colline sans autre point de repère que le sommet d’une montagne qui nous indiquait la direction du pays bas. Nous nous aperçûmes, après quatre heures de marche, que cette montagne était encore fort éloignée, et que le soleil s’abaissait vers l’horizon. Déjà nous avions laissé derrière nous la partie la plus sauvage du département de la Corrèze. Aux bois de pins et de bouleaux succédaient de grandes châtaigneraies, des champs cultivés remplaçaient les bruyères stériles, des maisons montraient çà et là leurs toits de chaume, et quelques laboureurs isolés nous regardaient passer avec stupeur. À vrai dire, nous avions l’air passablement patibulaire. Dans cette pauvre contrée, où chacun vit au jour le jour sans quitter son enclos, sans entendre jamais les bruits du dehors, quatre maraudeurs barbus, évitant les routes frayées, marchant à grands pas à travers les chaumes et les halliers, n’étaient pas une ordinaire rencontre. Parmi ces paysans naïfs et qui, malgré leur naïveté, votent effrontément et toujours pour les socialistes, les uns tournaient la tête et s’écartaient de notre route ; les plus braves nous criaient Ount onas, vous ses marris ! (où allez-vous ? vous vous êtes perdus !) Nous passions en riant, et ce fut pour nous une bonne chance de ne point rencontrer la gendarmerie. Les aventures non plus ne se montraient pas, quand heureusement le ciel nous prit en pitié. Les nuages s’amoncelèrent tout à coup, et, pour varier nos émotions, un effroyable orage s’effondra sur nos têtes. Ce fut le premier événement de notre voyage. Transpercés en une minute par une pluie diluvienne, nous nous élançâmes avec une ardeur de soldats montant à l’assaut vers un village perché, comme un nid de pie, sur le sommet de la colline que nous gravissions. Une maison assez grande, de triste apparence et tombant en ruines, s’offrit à nous ; nous y pénétrâmes au pas de charge ; elle était déserte. Auprès du foyer seulement, où fumaient les débris du plus triste feu du monde, un enfant était couché ou plutôt ficelé, selon l’usage du pays, dans son berceau. À l’aide d’une forte lisière, on l’avait emmaillotté comme une momie et dûment scellé aux parois de la petite caisse qui lui servait de lit. Du reste, sa tête était soigneusement tournée vers le feu, de façon à ce que son crâne fut toujours en ébullition ; c’est l’hygiène locale. À la vue de nos figures étrangères, le marmot, qui nous avait un instant contemplés avec ses grands yeux d’émail, se prit bientôt à pousser des cris lamentables. J’agitai son berceau avec la plus paternelle sollicitude sans parvenir à le calmer. Ses plaintes, au contraire, devinrent bientôt tout-à-fait déchirantes ; nous eussions voulu l’étrangler ; qu’il n’eût pas fait plus de tapage. À son appel, une femme entra brusquement dans la maison, et nous considéra d’un air effaré. Il fallut expliquer que nous n’étions pas des croquemitaines, et ce fut assez difficile. La jeune mère nous tenait évidemment pour suspects. Ce n’était cependant pas une simple paysanne ; du moins elle portait, au lieu du petit chapeau de paille bordé de velours noir, qui est la coiffure ordinaire des femmes du pays, un bonnet, ce qui est en Limousin un indice certain de prétentions à la bourgeoisie. En outre, sa robe de deuil, si peu élégante qu’elle fût, avait été taillée à la ville. J’avais remarqué ces choses en un clin d’œil, pendant qu’un de mes compagnons donnait sur nos intentions pacifiques les explications nécessaires. Notre hôtesse feignit de se calmer. Elle éloigna le berceau, jeta dans le feu quelques sarmens pour le raviver, nous invita à nous sécher à sa flamme, et s’assit elle-même d’un air froid et contraint, où je devinai tout à la fois beaucoup d’embarras et une certaine dignité. Jamais je n’avais vu une paysanne limousine oser s’asseoir devant des messieurs, et je venais de faire une autre découverte qui m’intriguait un peu. Le feu, en se rallumant, avait éclairé la plaque du foyer ; elle était en fonte et présentait un grand écusson armorié. Ce luxe m’étonna ; je regardai de nouveau la cuisine enfumée où nous étions : elle était misérable. Le plafond tombait par lambeaux ; le pavé, disjoint et usé, renfermait trois ou quatre mares boueuses, rarement balayées, dont l’humidité était constamment entretenue par l’écoulement continuel d’une douzaine de fromages suspendus dans un long panier d’osier. Deux lits, une grande table et quelques chaises dépareillées composaient le mobilier de cette pièce où régnait une odeur aigre et nauséabonde qui semblait attirer une grosse truie dont le groin venait à tout moment entre-bâiller la porte d’entrée. D’où provenait donc cette plaque de fonte ? J’examinai plus attentivement la jeune femme, et je trouvai à son visage pâle une certaine distinction ; puis je lui demandai où nous étions.

— Monsieur se moque de moi, sans doute, répondit-elle assez vivement. Je l’assurai que je n’avais garde de me moquer d’elle et que j’ignorais le nom du village.

— Ce n’est pas un village, monsieur, reprit-elle, c’est un bourg ; vous êtes au Puy d’Arnac, canton de Beaulieu.

Un Marseillais ne vous aurait pas nommé la Canebière avec plus de satisfaction. Je savais que le Puy d’Arnac donnait son nom à un cru renommé de la Corrèze, et je crus comprendre l’accent orgueilleux de la réponse. Tout à coup un de mes compagnons, que nous appelions le brocanteur, parce qu’il furetait en tous lieux et cherchait avec une amusante persévérance des objets d’art, de curiosité, jusque dans les chaumières, me toucha le coude, et me demanda si j’avais vu le tableau qui était à demi caché sous les rideaux de serge d’un des lits. Je ne l’avais pas encore aperçu, et je m’en approchai. C’était le portrait d’un officier-général sous Louis XV. Il me parut assez bon, sans trop différer pourtant de l’inépuisable famille des portraits poudrés qui ont le privilège de tapisser depuis cent ans, en se renouvelant sans cesse, la salle des commissaires-priseurs. Le cadre, sculpté et doré, me frappa davantage ; il était beau. — C’est une trouvaille, me dit mon ami. Je demandai à la jeune femme d’où venait ce portrait.

— D’où il vient ! me répondit-elle avec hauteur ; c’est le portrait de mon grand-père, monsieur.

— Ah !… nous écriâmes-nous tous les quatre en nous retournant avec surprise. D’une main, notre hôtesse tisonnait avec une indifférence évidemment simulée, et de l’autre elle agitait la petite boîte où dormait son enfant.

— Oserai-je vous demander le nom de monsieur votre grand-père ? dis-je en me rapprochant.

C’était le comte d’Anteroches, répondit-elle.

— Comment ! le comte d’Anteroches, qui commandait les gardes françaises à Fontenoy ?

— Vous en avez entendu parler ? reprit en souriant la paysanne.

Mon ami le brocanteur était resté stupéfait devant le tableau. Tout à coup il se retourna, et, ôtant gravement sa casquette, il répéta d’un air théâtral les paroles célèbres de M. d’Anteroches

« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. Nous sommes Français, nous vous faisons les honneurs ! »

Ce mot est, je pense, le plus charmant, le mieux frappé à l’image de son siècle, dont il soit fait mention dans l’histoire. À l’égard de ces mots célèbres jetés dans les combats, je suis, je l’avoue, fort sceptique. Si peu militaire que je sois, j’imagine qu’il n’en va pas dans les batailles comme au Cirque Olympique, et qu’au milieu, du feu, de la fumée, de la mitraille, les généraux ont autre chose à faire qu’à dire de jolis mots, que nul sténographe d’ailleurs ne songerait à recueillir. Je sais que Cambronne se fâchait quand on lui rappelait son cri superbe à Waterloo : « La garde meurt et ne se rend pas ! »,cri d’autant plus bête, disait-il, que je ne suis pas mort et que je me suis rendu. J’ai même découvert que ce mot a été inventé par un membre de l’Institut pour la plus grande satisfaction des lecteurs du Nain jaune, où il écrivait, en 1815, avec Benjamin Constant et beaucoup d’autres mécontens célèbres. Les allocutions de Léonidas ne me trouvent pas plus crédule ; mais, d’où qu’ils viennent, j’adore ces mots, qui résument toute une époque, qui la gravent en un seul trait dans la mémoire… On peut défier l’historien qui voudrait raconter la fin du dernier siècle et la première moitié de celui-ci de trouver deux épigraphes, plus frappantes que les paroles attribuées à d’Anteroches et à Cambronne, à deux officiers français, l’un commandant les gardes françaises, L’autre la vieille garde, tous les deux combattant pour leur pays, à soixante dix ans d’intervalle, les mêmes ennemis et sur le même terrain ; car, rapprochement bizarre, Fontenoy et Waterloo sont peu éloignés : le ciel a voulu, que l’on jouât dans les mêmes champs la partie et la revanche, « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » n’est-ce pas Ie mot de cette noblesse insouciante et adorable, ironique et blasée, qui poussa jusqu’à la folie le mépris de la vie et le culte de la courtoisie et de l’honneur jusqu’au sublime, qui dota son pays d’un tel renom d’élégance, de bonne grace et de vaillance, que les saturnales démagogiques n’ont pas pu et ne pourront jamais l’effacer ; noblesse insensée si l’on veut, mais charmante à coup sûr et bien française, qui traversa gaiement la vie sans jamais faire au lendemain l’honneur de songer à lui, et qui, voyant un jour le terrain manquer sous ses pieds, regarda l’abîme sans sourciller, sans s’étonner, sans se démentir, et mourut « toute vivante, » tout entière, dédaignant de se défendre. et sans peur, sinon sans reproche.

Entre le mot de d’Anteroches de celui de Cambronne il y a bien loin, on sent que la révolution a passé par là. Le gentilhomme raffiné jusqu’à l’exagération a disparu, et c’est déjà le rude langage de la démocratie. « La garde meurt et ne se rend pas ! » voilà sans nul doute de l’héroïsme, mais de l’héroïsme d’un autre genre. Jamais le chauvinisme, de ce temps-ci ne trouvera une devise plus cornélienne ; mais n’y sentez-vous pas l’affectation théâtrale, l’emphase mélodramatique d’une race nouvelle ? Qu’il n’avait pas peur de la mort et ne songeait pas à se rendre, le gentilhomme de Fontenoy ne pensait pas à le dire, on devait le savoir ; ses pareils l’avaient prouvé depuis des siècles. Etre brave, ce n’était rien pour lui, il fallait être élégant au combat comme au bal ; qu’importait la mort à cette race incomparable qui fit plus tard des madrigaux à la Conciergerie et monta sur l’échafaud en souriant, d’un pied léger, la main dans la poche de la veste, le chapeau sous le bras et une rose à la bouche ? Cette époque se personnifiait à mes yeux dans la belle et douce figure du comte d’Anteroches. Que les morts vont vite ! Après moins de cent ans, je retrouvais par hasard, moi, voyageur obscur, dans une chaumière inconnue et misérable ou sa petite-fille vivait au milieu des hôtes de sa basse-cour, le portrait de ce brillant officier au nom duquel s’attachera toujours une élégante et charmante gloire ; car si, comme Cambronne, d’Anteroches n’a pas prononcé les paroles qu’on lui attribue, on les lui a prêtées, et, si on les lui a prêtées, c’est qu’on avait ses raisons.

Après ces réflexions trop longues, je me retournai vers la paysanne, qui m’inspirait maintenant une commisération si profonde. Elle continuait de bercer son marmot ficelé, qui était bel et bien le comte d’Anterocbes. Je lui demandai ce que faisait son mari.

— Il est mort, me dit-elle. J’étais plus heureuse de son temps. Il était gendarme, monsieur.

— Gendarme ! répétai-je avec surprise.

— Oui, monsieur, reprit Mme d’Anteroches, qui ne comprit pas la cause de mon étonnement ; il était même passé brigadier dans les dernières années : nous faisions bien nos petites affaires.

Il était brigadier de gendarmerie, content de l’être, il faisait bien ses petites affaires, et son grand-père, ainsi que je le trouve dans l’État militaire de la France[2], avait été nommé maréchal-de-camp le 25 juillet 1762, en même temps que M. le marquis de Boufflers et M. le duc de Mazarin ! La canaille de Paris ne ferait-elle pas bien de s’informer avant de crier si fort contre les privilèges de l’aristocratie ? Il me semble encore que le gouvernement de France ne devrait pas permettre que les petits-fils du comte d’Anteroches fussent voués, comme ils le sont, à une excessive misère. Apocryphe ou non, le mot de Fontenoy devrait valoir au moins du pain à tous ceux qui portent ce nom. Beaucoup de gens ont des pensions et sont nourris par la France qui auraient grand’peine à alléguer de pareils titres, et la république nouvelle agirait sagement en réparant, quand l’occasion s’en présente, les injustices de son aînée.

Cependant il fallait partir. Il était évident que nous gênions notre hôtesse, et, depuis que nous savions son nom, elle nous gênait nous-mêmes. Je ne m’habituais pas à sa robe de bure, à sa cuisine boueuse, à sa truie familière. Il y aurait eu cruauté à lui demander l’hospitalité, et comment payer notre écot ? Nous savions d’ailleurs qu’un riche propriétaire de notre connaissance habitait auprès du Puy d’Arnac ; nous prîmes donc congé de la noble paysanne avec beaucoup d’excuses et de remerciemens. Au moment de passer la porte, je jetai sur le portrait un dernier coup d’œil. Le feu l’éclairait en ce moment d’une si étrange manière qu’il semblait animé. Le regard de M. d’Anteroches vivait, et il me sembla que ce bel officier regardait tristement, du haut de son cadre doré, la misère de sa famille. — Oh ! décadence ! décadence française ! m’écriai-je, et je sortis bravement au milieu des torrens de pluie qui tombaient au dehors.

La nuit était venue, et nous ne trouvâmes pas sans peine la route de R… Heureusement la gaieté ne nous quittait guère : nous savions, grace à elle, narguer le vent et rire de l’orage. L’un de nous, en traversant un pré, tomba dans un réservoir ; il en ressortit luisant et joyeux comme un triton. Enfin une maison sombre et triste se montra ; nous débouchâmes dans la cour, nous tenant par le bras et chantant à tue-tête, par cette nuit orageuse et noire, cet air de circonstance :

Amis, la matinée est belle,
Sur le rivage assemblons-nous.

Aussitôt trois chiens aboyèrent, une lumière courut de fenêtre en fenêtre, enfin une porte s’ouvrit, et une vieille servante, armée d’un grand chandelier, parut tout effarée. Depuis un demi-siècle, cette maison solitaire n’avait certainement pas reçu à pareille heure quatre visiteurs aussi bruyans. Nous ne devions pas rencontrer là de surprises comparables à celle que nous avions trouvée dans la maison en ruines du Puy d’Arnac. Les bonnes fortunes de ce genre ne se présentent pas deux fois par jour ; même en Limousin, où elles sont plus communes qu’ailleurs. Nous savions au contraire à merveille ce que nous allions voir, car tous les petits fiefs de province se ressemblent à l’intérieur, et l’existence qu’on y mène est invariable. Cette vie des champs, on l’a beaucoup vantée, et on a eu raison. On a commenté mille fois le fameux vers de Virgile et chanté sur tous les tons les joies bucoliques. Dans ces derniers temps surtout, où les fantaisies démagogiques ont pu faire croire à une nouvelle invasion des barbares, beaucoup d’imaginations parisiennes ont rêvé, comme un pis-aller, à tout prendre, assez doux, une villégiature ignorée, une chaumière au fond d’un bois perdue et le repos des champs. Que de jeunes femmes j’ai entendues qui organisaient à l’avance le chalet de leurs rêves et leur poétique pauvreté ! « Vous croyez que j’ai besoin de luxe et d’argent, disaient-elles, que vous vous trompez ! Une simple maison tapissée de plantes grimpantes, couverte en chaume, doublée en sapin, mais bien luisante et bien chaude ; des rideaux blancs tout unis, une robe de toile à 20 sous l’aune, le matin ; le soir, une touffe de bruyère dans les cheveux ; quelques bons livres, un vert gazon, un beau soleil, des amis, j’aimerais cela tout autant que mon hôtel, mes chevaux et mes diamans. ». Bref, sauf l’accompagnement de l’orchestre, c’était un véritable couplet d’opéra-comique. En effet, c’est au théâtre seulement que M. Scribe et ses élèves ont pu réaliser des chaumières sur ce modèle, après avoir inventé, pour le bon plaisir des badauds, une armée française de fantaisie. Dans ce monde, cet agréable mélange de recherche et d’indigence est tout bonnement impossible. Si l’on est riche, on vit à la campagne comme à Paris, avec le grand air de plus, les belles promenades et les frais ombrages ; si l’on est pauvre, la misère s’incarne en vous aux champs comme à la ville, vous rend bientôt insensible aux jouissances de l’esprit et vous fait paysan. Ces réflexions me venaient en tête dans le salon du propriétaire dont j’ai parlé. Encore n’était-il pas pauvre. Il avait au contraire une honnête aisance, de l’esprit passablement et autant de savoir qu’il en avait pu acquérir en faisant avec nous ses études à Paris. Or, voici comment il passait ses soirées : figurez-vous une grande chambre très nue, très sombre ; sur les murs, un papier éraillé et graisseux représentant une longue enfilade de colonnes d’ordre corinthien, alternativement en porphyre et en vert antique. Sur ce papier, quatre lithographies déplorables où l’on entrevoyait, à travers la gaze qui les protégeait contre les injures des mouches, ici, Bonaparte chaussé de petites bottes à revers, et faisant, pour passer le pont d’Arcole, des enjambées impossibles ; là, Murat donnant la chasse à des mamelouks pareils aux conducteurs du bœuf gras. Au-dessous, des sujets moins dramatiques apparaissaient dans des cadres de proportions plus modestes ; c’était le lever de la mariée, son coucher, les portraits de la belle Polonaise, de la belle Espagnole ; etc. Autour de la chambre, deux rangs de siéges étaient en bataille ; la première ligne se composait de chaises de paille dont on se servait, la seconde de fauteuils en drap dont on ne s’était jamais servi, pour une bonne raison ; les sœurs de notre ami, encore au couvent, avaient pris soin d’y broder en chenilles de gros chats en demi-relief ou des caniches avec des yeux de verre sur lesquels il eût été aussi dangereux de s’asseoir que malaisé de se maintenir. Je ne dois pas oublier une table couverte d’un tapis de pied sur laquelle brûlait en fumant une chandelle qui attendait depuis une heure le secours des mouchettes. Sur la cheminée, deux perroquets de faïence, deux oranges et deux bougies luxueusement entières, comme le disait Mme Lafarge, la célèbre héroïne de la Corrèze, dans un mauvais livre où elle a eu entre autres torts celui de créer une infinité d’adverbes. Auprès de la table, notre ami s’était endormi profondément en lisant le Journal des Villes et des Campagnes ; dans un autre coin, deux vieilles dames tricotaient en silence dans une obscurité presque complète. Telle est, à huit heures du soir, la vie pastorale prise sur le fait, elle est la même, ou à peu près en tout pays. Je suis loin d’en contester les paisibles jouissances que j’apprécie autant qu’un autre, mais je crois fermement que l’homme qui, après avoir été élevé à Paris, se trouve renfermé pour toujours à la campagne, loin du bruit et des villes, sans agitation et sans inquiétudes, arrive le plus souvent, après quelques années d’un honnête ennui, à une certaine tranquillité d’esprit ou plutôt à une grande indolence morale qui le préserve de toute sensation violente, sans le rendre pour cela plus heureux. Ne rêvez pas pour lui ce calme complet, cette inaltérable sérénité que les poètes chantent, mais qui ne se rencontré ni dans le monde ni même au cloître. Il a, comme le moine, ses tracas, ses craintes, ses jalousies, et, comme l’homme des villes, son ambition et son envie. Ses pensées ont une autre source et d’autres mobiles ; elles ne sont ni plus pures ni très différentes. Replié sur lui-même, resserrant sa vie entre les quatre haies de son champ et l’univers dans son horizon, son imagination s’éteint peu à peu ; son esprit se rétrécit avec le cercle où il se renferme, se confine dans les infiniment petits, et parvient enfin à trouver un vif intérêt à de mesquines convoitises. Il ne faut pas se figurer davantage que cette existence exclusivement solitaire, qui appauvrit l’intelligence, soit saine pour le corps. Quand on dit que la vie active, le les travaux de l’esprit, la lutte des passions, les émotions ardentes usent bientôt un homme, on se trompe ; c’est le contraire qui est vrai. L’honnête, comme le fer se rouille plus vite qu’il ne s’use. Ce qui mine, ce qui éteint, ce qui abat, ce qui tue, c’est le sommeil de l’imagination et de l’ame ; c’est le manque d’aspirations fécondes et de passions entraînantes. Pensando s’invecchia, dit-on en Italie, dans ce pays de la vie en plein air, du soleil et des amours ; oui sans doute on se vieillit en pensant sans agir, mais on s’abrutit plus vite encore et l’on meurt en ne pensant pas. Voyez ce que l’ennui de sa villégiature a fait en peu d’années de tel de vos amis dont vous connaissiez les facultés brillantes ? Voyez surtout quelle vieillesse précoce surprend les femmes de province au milieu de leur existence si saine en apparence et si paisible ? Je me disais ces choses en remarquant l’obésité prématurée de notre ami. Il pesait au moins cent kilogrammes ; il souffrait, disait-il, de rhumatismes, et il redoutait la goutte. Depuis sa sortie du collége, il n’avait cependant pas quitté le fief paternel, sa vie était une éternelle églogue, et nous le retrouvions impotent et vieux, tandis que nous nous sentions, nous, ses camarades, pleins de jeunesse et d’ardeur, après avoir pourtant dépensé, sans trop y regarder notre verve en tous pays.

On devine quel effroi causait aux ménagères notre arrivée subite. Toute la maison fut bientôt à l’envers ; nous entendions du côté de la cuisine le bruit d’un branle-bas général. Par malheur, les munitions manquaient, et une des vieilles dames me conta, avec un chagrin risible, que nous étions mal tombés. C’était à la fois samedi, et quatre-temps. Le beurre et les oeufs étaient interdits aussi, bien que le rôti. Il fallait se résigner aux sauces à l’huile, aux légumes à l’eau. Les servantes étaient dans une véritable consternation, notre ami se fâchait ; il se permettait, au sujet du maigre, des observations voltairiennes qui désolaient les bonnes vieilles. Il fallut toute notre bonne humeur pour ramener la concorde, et surtout notre promesse de rester le lendemain. Je compris que, pour nous dédommager de notre abstinence, on complotait pour le jour suivant un repas homérique. Je ne me trompais pas : le festin eut lieu, et nous eûmes quelque peine à y survivre.

Le soleil, qui se leva radieux le lendemain, nous montra un pays tout différent de celui que nous avions parcouru la veille, car le département de la Corrèze a cela de particulier, qu’il renferme dans son étendue les aspects les plus opposés. On élève, dans les cantons du sud, les vers à soie, tandis que dans ceux du nord végètent uniquement des bouleaux et des hêtres, ces arbres de la Sibérie. Sans aucune exagération, on peut affirmer qu’entre les landes d’où nous étions partis vingt-quatre heures auparavant et la vallée où nous nous trouvions, la différence de climat n’est pas moindre qu’entre l’Écosse et la Catalogne. Autour de nous, des coteaux couverts de vignes et d’arbres à fruits, aussi rians que ceux de la Limagne, étaient baignés dans une lumière toute méridionale. Les vignerons en habits de fête, les jeunes filles avec leurs tabliers rouges, passaient en chantant au milieu de la verdure et des fleurs. En dépit du socialisme, la joie et la prospérité, éclataient partout dans ce paysage. Notre premier soin fut de visiter avec notre gros ami le jardin et le verger qui entouraient son habitation. À ma grande surprise, verger et jardin étaient mal tenus et comme à l’abandon. Les travaux des champs, l’amour des fleurs, les rafraîchissantes récréations qu’offre la campagne à ceux que le séjour des villes a lassés, rien de tout cela n’avait de charme pour notre camarade. On ne jouit que par comparaison, et le pauvre diable, condamné, aux mêmes plaisirs à perpétuité, ne se contentait pas de les trouver monotones, il les appelait des ennuis. Il nommait un martyre le bonheur après lequel soupirent, non sans raison, les habitans de Paris. Hélas ! le contraste est nécessaire à toutes choses en ce monde ; à la lumière il faut l’ombre, il faut la peine à côté du bonheur, et l’agitation auprès de la tranquillité. Cela rappelle l’apologue que le vieux, Plutarque net dans la bouche de Thémistocle : « Le jour de fête eut dispute avec son lendemain. Celui-ci se plaignit qu’il n’avait pas un moment de loisir et qu’il était accablé de travail, tandis que le jour de fête n’avait d’autre soin que de faire jouir tout le monde à son aise des biens qu’on avait amassés les autres jours. — Tu as raison, répondit le jour de fête, mais si je n’avais pas été, tu ne serais pas. » Enfin, pour revenir à nous, si notre ami n’eût pas été aussi lourd, aussi abruti, nous n’aurions pas autant apprécié ce jour-là les chances heureuses de notre vie active. Dans l’après-midi, nous abandonnâmes le gros campagnard à sa torpeur, et, après avoir suivi, par une belle soirée, les bords de la Dordogne et la magnifique vallée qu’elle arrose, nous arrivâmes le soir à Bretenoux sur les confins du Lot, au pied du château de Castelnau, que nous comptions visiter.

Castelnau est l’un des plus grandioses de ces châteaux en ruines qui couronnent toutes les montagnes dans cette partie de la France et donnent une si frappante idée de la puissance féodale dont ils restent les imposans témoignages. En aucune province, je crois, on ne trouve des traces aussi surprenantes et aussi multipliées du moyen-âge. Dans le Limousin et dans le Quercy, dont Castelnau défend la frontière, on rencontre à chaque pas, non point des châteaux de cette importance, mais des fiefs à tourelles, des fortins aristocratiques qui rappellent tous des noms illustres de la chevalerie française. Chose remarquable, dans la vicomté de Turenne où nous étions, ce ne sont point les pierres seules qui survivent, les familles elles-mêmes sont demeurées fidèles à leur foyer, et dans la plupart de ces châteaux, dont la révolution a décapité les tours, vous trouvez sous l’habit d’un paysan, au milieu de son troupeau, le descendant incontestable d’un croisé dont l’écusson figure à Versailles. J’ai cité d’Anteroches, j’aurais pu rappeler mille autres noms, s’il ne me semblait hors de propos de causer aussi long-temps blason en ces jours de république démocratique. Je veux pourtant faire connaître un fait, à mon sens très touchant, qui s’est produit, il y a quelques années, quand le roi Louis-Philippe eut l’idée peu bourgeoise de ce musée des croisades dont je parlais tout à l’heure. On sait que chaque nom a été inscrit sur les murs de ces salles en vertu de pièces justificatives. Ces titres ont été trouvés, à ce qu’on présume, en partie à Livourne, à Gênes, à Venise. C’étaient ordinairement d’humbles quittances fournies, en terre sainte, par les chevaliers aux usuriers italiens qui leur prêtaient leurs livres tournois. Eh bien ? les titres de noblesse des familles du Limousin et du Quercy se sont retrouvés le plus souvent ensemble, dans la même caisse, collés les uns aux autres. Ces enfans d’un même pays combattaient apparemment sous la même bannière, et, après cinq ou six siècles, aux lieux d’où ils étaient partis, on voit encore, à peu de distance les uns des autres, leurs donjons démantelés, on y retrouve leurs descendans pauvres, il est vrai, déclins, mais fidèles à leurs murailles, et unis comme autrefois. « Leurs pères avaient été ensemble à la peine, ils ont été à l’honneur ensemble, » cela est juste ; les fils n’ont rien fait pour la gloire, pour leur pays pour eux-mêmes, ils sont misérables et oubliés, c’est juste encore. Ils ne se sont pas même doutés du tapage amusant que fit à Paris, dans un certain monde, l’apparition des aristocratiques écussons sur les murs de Versailles. Jamais on n’avait vu un plus terrible déchaînement de colères, de jalousies, de récriminations, de mécontentemens et de dédains. Il a fallu toute la fermeté du roi et toute l’impartialité sévère des deux savans compilateurs chargés de ce travail pour tenir tête à l’orage. Le plus divertissant de la chose, c’est que la bourgeoisie, qui semblait souveraine alors, ne se plaignit pas contre toute attente, et le peuple approuva. Ce fut la noblesse de création récente qui jeta les hauts cris, qui tenta, pour faire ses preuves, d’impossibles tours de force, et se vengea par ses observations dédaigneuses de ceux qui avaient l’insigne honneur de porter le nom d’un chevalier convaincu d’avoir emprunté quatre francs à un juif en Palestine. Pendant que l’on se disputait si aigrement à Paris autour de la Bibliothèque royale, on gravait en lettres d’or le nom des insoucieux paysans dont j’ai parlé. Ils l’ignoraient ou n’y tenaient guère. Comme les bergers de Virgile, ils ne connaissaient pas leur bonheur, et leur indifférence faisait bien en regard de la sourde envie et du dédain mal joué des grands personnages à qui ces lauriers semblaient trop verts. Je suis de ceux qui trouvent fort ridicules, au siècle où nous vivons, les passions généalogiques. Il me paraît triste de voir la noblesse de France s’attarder ainsi dans ces querelles de préséance, comme si l’heure n’avait pas sonné de laisser là, tout en respectant le passé, ces irritantes distinctions. J’admire chaque jour davantage cette aristocratie anglaise qui est si puissante et si jeune par son libéralisme, tandis que la nôtre est si débile et si caduque, grace à la rigueur de son code, et je trouve qu’au lieu de fouiller dans la poudre des bibliothèques pour établir qu’un de ses ancêtres a montré bravement dans les batailles la couronne de son cimier, mieux vaudrait chercher à se faire soi-même une place au soleil et prouver avant tout qu’on n’a pas dégénéré. Cette disposition à considérer comme un mérite personnel et suffisant le mérite de ses pères, à se contenter pour toute gloire d’un écusson gagné par d’autres, est un des vices de notre époque, et je pensais autrefois avec chagrin qu’une seule caste avait en France le monopole de ces vanités puériles ; mais 1848 m’a détrompé. J’ai vu les démocrates de février, je les ai entendus parler de leurs ancêtres ; j’ai admiré dans l’appartement d’un montagnard dont le nom plébéien semblait exclure toute prétention de ce genre des armoiries peintes sur tous les murs, sur tous les meubles, avec cette profusion significative d’un homme mal sûr de son fait. Je sais maintenant que cette inexplicable maladie est générale, et je reviens, mais sans enthousiasme, au passé. Mieux vaut, à tout prendre, l’original que la copie, et l’excuse de ceux dont les prétentions semblaient trop exclusives a été fournie par ces.grotesques plagiaires gonflés d’envie, de fiel et de sottise.

Puisque nous en, sommes aux gentilshommes limousins, parlons-en tout à notre aise comme disait Montesquieu d’Alexandre. Aussi bien ne voyage-t-on pas pour décrire uniquement des pierres et des ruisseaux ; l’homme est quelque chose dans la nature, et l’on peut bien consacrer une page aux habitans d’un pays qui a vu naître le cardinal Dubois, le maréchal Brune, et où Mirabeau[3] passa sa jeunesse : Je disais tout à l’heure que l’on rencontrait à chaque pas, dans ce département des paysans vêtus de bure, et aussi ignorans que pauvres, qui peuvent tirer de leur armoire de noyer, à la première sommation, les lettres patentes qui anoblirent leurs familles au XVe ou même au XIVe siècle. Ces hobereaux, qui sont presque tous la proie des usuriers, qui tout au plus peuvent envoyer leurs enfans à l’école communale, savent très bien que leurs pères, non pas dans le moyen-âge, mais il y a moins de cent ans, avaient de hauts grades dans l’armée et faisaient bonne figure à la cour. Ce qui est surprenant, c’est que leurs aïeux n’étaient pas plus riches qu’eux-mêmes et qu’ils trouvaient, de quoi devenir des courtisans poudrés et chamans là où la génération actuelle à peine à se fournir de pain et de sabots. Quand on regarde ces tableaux pailletés et chatoyans où la cour de Versailles nous apparaît au milieu des flots de dentelles, de velours, et de broderies, quand on lit les mémoires si galamment écrits de ces époques élégantes, on ne se doute guère de la misère profonde que dissimulait ce luxe de mise en scène. Il faut, pour s’en bien convaincre, faire dans les provinces l’inventaire de ces jeunes ; seigneurs si insoucians et si généreux ; on s’aperçoit alors que la plupart d’entre eux jouaient contre la fortune le dernier écu de leur famille, et tel de ces officiers, pleins de grace et de désinvolture ne pouvait pas impunément crever son cheval ou tacher son habit. En Limousin surtout, où la misère a toujours été grande les gentilshommes faisaient au dernier siècle de véritables tours de force pour maintenir leur rang. Nous avons vu d’où était parti le comte d’Auteroches et je rencontre par hasard dans un vieux livre de comptes quelques pages écrites à la même époque par un autre officier limousin, son compagnon d’armes. Ces lignes familières, que nul ne devait lire, donnent, à mon sens, un aperçu frappant de la gêne où vivait alors la noblesse des provinces. Il est bon quelquefois de jeter un coup d’œil dans les coulisses de l’histoire ; écoutons la confession intime de ce gentilhomme qui représentait une des plus anciennes familles du pays.

« Nous étions sept frères, quand mon père mourut le 18 avril 1747. Il avait fait son testament. On fit l’inventaire du mobilier qui consistait en quatre mauvais lits, un peu de vaisselle d’étain, quatre couverts d’argent que ma mère réclamait et très I eu de linge, plus deux vieux habits de mon père, sa montre d’argent et cinquante louis en or. Nous étions, mes frères et moi, dans un état attendrissant, manquant de tout, à peine vêtus, mangeant ce que nous pouvions, et par bonheur ayant trouvé, à défaut de précepteur, quelques ressources dans notre oncle de Chalusset. »

Voilà le point de départ : Croyez-vous que ce jeune homme ainsi élevé sera : un ignorant, — vous vous tromperiez, — et qu’il se contentera de cultiver au fond de sa province son champ ou son jardin : — il n’y pense même pas. Continuons : « Le comte de Laqueille, colonel du régiment de Nice, proche parent du marquis d’Ambrugeac, notre oncle cherchait des gens de qualité, Il ne s’embarrassait pas de la fortune. Je fus nommé lieutenant dans son régiment et je le joignis au printemps. Ma mère me donna les deux vieux chevaux, ils valaient au plus vingt-quatre livres chacun c’étaient les véritables montures d’un Gascon. Mon domestique avait un vieil accoutrement de mon père. J’emportai six chemises, une suite assortie et treize louis. Ma route me coûta peu de chose, ayant l’étape de Clermont jusqu’à Aire. » Voilà comment ces jeunes gens partaient, et voulez-vous voir comment ils se comportaient ? Notre gentilhomme avec son mince équipage fait en Allemagne la campagne de 1749. Voici ce qui lui arrive dans les environs de Rozendal le 14 mars. « … La déroute commençait, et je reçus à la fois un coup de sabre sur la tête, un coup de lance dans le genou, et dans la poitrine un coup de feu qui me traversa bravement de part en part. Je restai sur pied, la fureur me soutenait ; je ne voulais pas voir fuir mon piquet ; mais toutes exhortations furent inutiles, et mes soldats me passèrent sur le corps. J’avais alors quatorze ans : c’est le temps de ma vie où j’ai eu le moins de penchant à vivre : Je conservai tout mon sang-froid. En me relevant, je me trouvai entre les mains d’une horde de pandours ; il n’y avait rien à espérer de ces drôles qui avaient commis dans le courant de la guerre une foule de cruautés qui leur avaient été bien rendues. Mon âge et ma taille leur montraient assez que j’étais officier ; je brisai mon épée pour éviter le désagrément d’être désarmé par cette canaille ; mais j’avais une veste écarlate avec un petit galon d’or qui les séduisit, etc »

Ce n’est pas le lieu de conter plus au long les aventures, pourtant fort intéressantes, de cet officier imberbe, qu’on dépouille, que l’on attache mourant sur un cheval, qui parle couramment latin au chirurgien allemand qui le panse, et qui, six mois après, de retour en France, répond d’un ton hautain à M. le duc d’Aiguillon, qui refusait de lui donner de l’avancement ; « Dès que vous ne voulez pas écouter la justice et la vérité, je n’ai rien à vous dire. » Et il donna cavalièrement sa démission. J’ai voulu simplement montrer, par cet exemple pris au hasard, quelle sève avait encore cette noblesse apauvrie, et quel abîme sépare les pères de leurs enfans. Un collégien de quatorze ans, quelle figure ferait-il aujourd’hui en tête d’une compagnie, quel latin parlerait-il en pays étranger, quelle attitude serait la sienne en face d’un grand ministre ? Notre gros ami que nous venions de quitter, quel rôle eût-il joué à côté de ce petit officier élevé dans un village voisin d’Égletons ? Avec la conscience du devoir et l’enthousiasme du passé, nous avons perdu cette énergie native et ce noble orgueil où nos pères puisaient leur héroïsme. Pour acquérir ce qui leur manquait, nous avons sacrifié le trésor qui les faisait riches malgré leur pauvreté, la foi, qui seule produit des miracles.

Je reviens à Castelnau, et je déclare que jamais montagne ne porta un château de mine plus féodale. Au-dessus d’une immense vallée où la Dordogne se déroule majestueusement au milieu des prairies en fleurs et des champs jaunis par le soleil, que l’on se figure sur le haut d’un rocher, entre la terre et le ciel, un château grand comme une ville entière, construit en pierre rouge comme de la sanguine, des tours énormes profilant sur l’azur leurs silhouettes sombres échancrées par le temps, des murs crénelés sur lesquels sont poussés de gros chênes, des nuées de corbeaux et d’oiseaux de proie tournoyant dans les airs, un silence de mort pesant sur ce paysage : voilà Castelnau. Il est vrai que toutes les descriptions de châteaux ressemblent à celle-ci, et pourtant Castelnau est un monument exceptionnel. Il est plus entier, plus complet, mieux conservé qu’aucun manoir que j’aie visité : non-seulement la charpente et les toits sont encore debout, mais dans l’intérieur les boiseries sculptées, les planchers, les dorures, les peintures même, tout est à sa place. Le propriétaire actuel n’a pas dégradé, il faut lui rendre cette justice et lui pardonner pour cette raison la raideur singulière avec laquelle il interdit quelquefois l’accès de son château. Les vastes cours sont jonchées de ronces, d’orties, de sureaux, de menthes sauvages cette sombre végétation répand une odeur âcre qui vous saisit et vous attriste tout d’abord. La flore, des ruines et des cimetières est la même, et rien ne ressemble plus à un tombeau qu’une maison déserte. Ce retour mélancolique sur soi-même que la solitude inspire, je ne l’ai jamais ressenti plus vivement que dans ces murs sinistres, d’où les habitans semblent à peine sortis. Dans cette galerie grandiose qui traverse le château dans toute sa longueur et aboutit à un vaste balcon de pierre d’où l’on domine une des plus riantes vallées de France, rien ne manque, sinon les tableaux ; les patriotes intelligens de 93 les ont volés : ils les ont fait bouillir pour en confectionner des chemises. On pourrait s’établir demain dans ces chambres dorées, où l’on surprend à l’improviste les usages d’un autre siècle ; on est tenté d’y chercher dans la poussière la trace récente des derniers habitans, d’écouter si le bruit de leurs pas ne retentit point dans la pièce voisine. Un raffiné passerait tout à coup dans l’ombre avec ses bottes garnies de dentelles, ses éperons d’or et son feutre relevé ; on en serait peu surpris, et c’est sous cette forme que l’on se représente les hôtes de Castelnau. Bien que la construction première du château remonte au XIe siècle, on ne retrouve guère l’empreinte de cette époque, sauf dans les fresques naïves de la chapelle ; le reste a été refondu ou reconstruit plus tard. Tout révèle ce temps indécis de Louis XIII, où l’architecture avait tout à la fois perdu les imposantes proportions du moyen-âge et oublié l’art délicat de la renaissance ; cependant tout est large, vaste et fort : cent chevaux vivraient à l’aise dans les écuries voûtées, des bataillons entiers pourraient manœuvrer dans les cours, s’embusquer sur les murs ; les citernes sont immenses, les caveaux sans fin, et j’imagine qu’aux jours de trêve, dans ces longues galeries, bien des châtelaines promenaient leurs dentelles de Malines, leurs essaims de pages enrubannés, et miraient dans les glaces de Venise ces belles têtes hautaines, ces cheveux bouclés et ces sourires vainqueurs pour lesquels, en ces jours de chevalerie expirante, on savait encore combattre et mourir. Le XVIIe siècle a été le dernier siècle des femmes, M. Cousin a eu raison de le dire et de le montrer si bien[4]. Elles sont l’ame de cette époque galante et guerrière dont on redira long-temps l’étourdissante histoire. Il est passé le temps de ces vaillans coups d’épée, de ces intrigues folles, de ces amours changeans, de ces duels sans trêve, où l’on jouait chaque matin sa tête contre un sourire, où Mme de Chevreuse combattait Richelieu. L’ambition et l’amour ne donnent plus ces grands vertiges qui ont bouleversé tout un siècle : nous luttons maintenant pour des balles de coton ou des tonneaux d’opium ; et peut-être nos discussions profiteront-elles mieux à l’avenir que les dernières luttes de la féodalité ; mais, quand on visite ces grands débris où le passé semble, comme à Castelnau, respirer encore, on n’a pas, si bon patriote que l’on soit, d’enthousiasme pour la France actuelle.

Castelnau avait pour moi un attrait particulier dont je dirai deux mots. Il est rare que l’on soit exclusivement de son temps ; chacun a dans le passé un idéal et comme une seconde patrie. Certaines époques ont le privilège d’attirer surtout notre pensée, et il semble qu’elle s’y trouve, en y retournant, dans un pays bien connu. Sans croire précisément à la transmigration des ames, on peut par instans se figurer qu’on a vécu jadis d’une autre vie, qu’on a accompli ailleurs une destinée toute différente ; et l’on surprend en soi certaines habitudes prises on me sait où, qui résistent absolument à notre condition nouvelle. N’avez-vous pas remarqué que tel de vos amis semblait tout dépaysé dans la vie qui lui était faite ? Pour mon compté ; j’ai connu des Français qui étaient de véritables Turcs, des grands seigneurs qui ressemblaient à des cuistres, et des grandes dames tout étonnées de n’être plus des grisettes ; enfin les mémoires et les débris du XVIIe siècle ont réveillé de tout temps en moi des émotions si vives, que je m’imagine parfois avoir vu ces époques. Mes compagnons de voyage, à qui je voulus faire part de cette idée et des souvenirs que je gardais du siège de Perpignan, poussèrent de tels éclats de rire, que les voûtes silencieuses de Castelnau en retentirent. J’insistai et je les questionnai à leur tour. Le plus jeune d’entre eux, celui que j’ai nommé le brocanteur, était un garçon original et spirituel, sans convictions arrêtées, superstitieux et sceptique, humble serviteur de ses fantaisies, indolent et voluptueux ; il me répondit : — Je suis un Grec du Bas-Empire. Le second déclara qu’il était un Romain des temps héroïques. Celui-là était sorti fruit sec de l’école polytechnique. Tout différent du premier, il renfermait sa vie dans un cercle de fer ; il faisait toute chose géométriquement ; ses plaisirs eux-mêmes, il les soumettait à des règles algébriques, et, tout en raisonnant avec une rectitude mathématique, il arrivait rigoureusement sur toutes les questions de ce monde aux conclusions les plus absurdes. Combien n’en connaissons-nous pas de cette famille et de ce caractère ! Du reste, c’était un sage il visait au stoïcisme. — Entre nous deux. lui disait gaiement le Grec du Bas-Empire, il y a cette différence, que tu passes ta vie à lutter contre tes passions, et moi à déplorer de n’avoir pas des passions plus violentes, et en plus grand nombre, pour me donner la joie de les satisfaire. Pendant que nous discutions ainsi, notre troisième compagnon, assis sur le rebord d’une croisée, contemplait paisiblement le majestueux paysage qui se déroulait sous nos yeux. Je lui adressai la même question ; il me considéra un instant avec une gravité imperturbable, puis, soufflant par le nez la fumée de son cigare, il haussa les épaules, et se retourna, sans mot dire, vers le paysage. Il avait raison, et c’était le meilleur d’entre nous.

Si Castelnau était célèbre dans l’histoire, je serais impardonnable d’avoir si long-temps divagué, mais ce beau château n’a pas d’annales. On sait que les états du Quercys s’y réunirent dans le XVe siècle ; on raconte que le dernier des Armagnac y fut étranglé le jour de sa naissance, et c’est une erreur. Il est, au contraire, constant que ce crime fut accompli à Castelnau-Montmirail et non point à Castelnau de Bretenoux. On sait, et voilà tout, que ces grands murs appartinrent aux Caylus, dont les descendans prirent le nom de Clermont-Lodève. Les ducs de Luynes en héritèrent plus tard. Ils ont commis, il y a peu d’années, la faute de vendre pour quelques milliers de francs ce monument imposant, qui parlait si haut et si bien du temps de Marie de Rohan, ils doivent tenir plus que personne à conserver les débris. Le propriétaire actuel, M. de Tessieu, n’a pas le même intérêt à réparer ces vieux murs ; il se propose, au contraire, de les démolir, si la commission des monumens historiques refuse, comme il est probable, d’en faire l’acquisition. Déjà le vent traverse en sifflant les crevasses du donjon la pluie s’infiltre dans les chambres dorées ; nous verrons tomber ces vastes murailles, et avec Castelnau disparaîtra la ruine la plus mélancolique, la plus grandiose du centre de la France.

À trois lieues de Castelnau, et à peu de distance de la ville de Saint-Ceré, s’élève, au milieu des peupliers et des prairies, dans une fraîche vallée, un autre château plus modeste dans ses proportions, mais infiniment supérieur au point de vue de l’art : c’est Montal. Montal, où nous nous rendîmes le soir même, est un bijou exquis et ignoré de la renaissance. Jamais sculpteur amoureux ne fouilla d’une main plus délicate les murs d’un plus joli château. Montal, est brodé du haut en bas à l’extérieur et au dedans, comme l’Alhambra. Pour plus de ressemblance, le temps, au lieu de noircir ces murs flanqués de tourelles, les a revêtus d’une teinte rosée que l’on peut comparer, sans trop d’exagération, à cette nuance tant vantée que le sable du Jenil a donnée au stuc des Mores. Ce château a été construit vers 1520. Au-dessous des médaillons en demi-relief qui se détachent sur le mur, du côté de la cour, règne une large frise, du plus élégant dessin, de l’exécution la plus exquise, et dans cette frise on remarque de distance en distance R. I., qui ont de tout temps fort intrigué les archéologues indigène. J’en trouve dans les annuaires du Lot les interprétations les plus diverses, et les plus divertissantes. Rien ne dépasse la hardiesse d’imagination d’un savant de province. Sur cette mystérieuse inscription, on a fait des sonnets et des romans. Pas un collégien du pays, un peu fort en narration française, ne s’est dispensé d’envoyer au journal de la localité un feuilleton sur ces lettres amoureuses. J’en suis bien fâché, mais R. I. cela veut dire simplement Robert et Jeanne, Robert de Mental et Jeanne de Balzac, qui ont fait construire le château. « Le vrai est comme il peut, a dit Mme de Staël, son seul mérite est d’être ce qu’il est. » Du reste, la jeunesse quercinoise aurait l’imagination bien engourdie, si ce castel charmant et triste ne lui inspirait pas des légendes. Honte au cœur de vingt ans qui ne rêverait pas dans ces murs coquets une élégante jeune fille, délaissée ou captive, toute une histoire amoureuse avec la confidente obligée et le page assorti ? Ces deux mots plus d’espoir ! qu’on voit encore gravés sous la fenêtre la plus élevée de Montal, sont bien faits d’ailleurs pour exciter au dernier point la curiosité que toute habitation déserte inspire. Il faut être très indulgent pour les légendes ; ces amoureuses histoires que les rêveurs prêtent aux ruines sans annales, sur lesquelles planent l’incertitude et le mystère, ont toujours quelque chose de touchant, et je plains ceux qui les dédaignent. Montal devait avoir sa ballade, la voici, et pas un habitant du centre de la France ne permettra qu’on en conteste l’authenticité. — Rose de Montal aimait le sire de Castelnau, et le sire de Castelnau aimait Rose de Montal ; mais il partit pour l’armée, et au retour la tendresse du beau sire sembla refroidie, ses visites devinrent plus rares. Tristement accoudée à la fenêtre la plus haute du château de son père, la belle Rose passait ses jours les yeux mélancoliquement fixés sur la route de Castelnau. Son malheur était plus grand encore qu’elle ne pensait ; bientôt elle apprit que son amant lui était infidèle. D’abord elle refusa de le croire, elle l’aimait tant ! mais, hélas ! un matin qu’elle était à son observatoire, elle vit passer au loin, se dirigeant vers Bretenoux, une brillante cavalcade : le sire de Castelnau allait épouser Laure de Montmirail ; il conduisait à l’autel sa jeune fiancée. — Plus d’espoir ! s’écria Rose, et elle se jeta par la fenêtre. — On grava pieusement sur la pierre les dernières paroles de l’infortunée, et le souvenir de son amour, conservé d’âge en âge, fait encore rêver toutes les jeunes filles des environs ; il inspire même de tendres élégies aux plus doctes personnages.. M. Delpon, ancien député, dans un ouvrage statistique et sérieux sur le Lot, publié il y a peu d’années, oublie ses chiffres en parlant de Montal, et il s’écrie douloureusement : « Ce château inspire moins d’intérêt par ses sculptures variées à l’infini que parce qu’il vit la mort d’une amante délaissée, après avoir retenti de ses tristes soupirs. » Quant aux annuaires du département, ils jettent chaque année des fleurs sur cette tombe, qui donne un reflet romanesque à l’histoire du pays. Il faut que je mette un terme à ces sanglots. Rose de Montal est morte à quatre-vingts ans, entourée de ses enfans, de ses petits-enfans, et le plus paisiblement du monde. Qu’on se le dise. Elle avait épousé François des Cars, baron de Merville, grand sénéchal de Guyenne, et, en raison de cette alliance, cette famille a porté depuis accolées à ses armes les armes de Montal. -Voilà ce que j’ai trouvé dans les parchemins de la Bibliothèque nationale, où je cherchais, pour l’offrir aux lecteurs de la Revue, la légende de Rose. J’en suis bien fâché pour le Lot ; mais cela est ainsi. L’histoire ne se fait jamais faute de jouer de pareils tours à ces ballades naïves qui plaisent à tous, qui ne nuisent à personne, et qu’elle ne remplace pas.

Au reste, s’il faut en juger par les myriades d’inscriptions au crayon ou au canif qui émaillent les murs de Montal, ces murs, à défaut des amours de Rose, pourraient conter encore de doux mystères. On y lit de tous côtés : Que j’aime Ferdinand ! ou Pierre ! ou Léonard ! ou Joseph ! et l’on signe Julie, Mariette ou Euphrosine. Des cœurs entrelacés, des dates bienheureuses servent d’illustrations à ces aveux sans voiles, et il est de toute évidence que la jeunesse de Saint-Ceré prend Montal pour Cythère. Il est fâcheux, il est incompréhensible que ce château, qui, je le répète, est un chef-d’œuvre, soit ainsi abandonné. Je conçois que M. le duc de Luynes laisse Castelnau s’écrouler : ses proportions féodales ne vont plus aux fortunes actuelles, et le riche propriétaire de Dampierre se ruinerait à restaurer ce donjon ; mais Montal est petit et complet ; hors les meubles, rien n’y manque. Un modeste républicain ne s’y trouverait pas trop au large. Enfin ce château, qui coûterait assurément un million à construire, a été acheté, il y a peu d’années, 15,000 francs, y compris les terres qui en dépendent, et qui rapportent, dit-on, 12 ou 1,500 francs. Il est encore à vendre ; avis à ceux qui sont en quête d’une villégiature.

Notre ami le brocanteur ne pouvait se décider à quitter cette demeure charmante. Il s’était paresseusement couché dans un grand salon sur une épaisse litière de paille de maïs dont les dalles étaient jonchées. La nuit venait, et il restait en contemplation devant une belle cheminée de pierre, sur laquelle dormait depuis des siècles un grand cerf sculpté. Il évoquait le souvenir de Diane de Poitiers, qui semblait avoir oublié là cette jolie bête dont Jean Goujon faisait sa compagne. Dans l’ombre croissante, il voyait passer le siècle des élégantes amours, et ces souvenirs le mettaient fort en train de suivre les conseils de Marot !

Plus tost que tard ung amant, s’il est saige,
Doit à sa dame en petit de langaige
Dire son cas, et puis s’il apperçoit
Qu’il perd son temps et qu’amour le déçoit,
Quitte tout là, cherche ailleurs advantage.

Marot, selon notre ami, avait dû venir à Montal. Rien n’est plus probable en effet, car Marot, comme on sait, était du Lot. Il naquit à Cahors, et c’est assurément la plus grande illustration de cette petite ville, bien que M. Cathala-Coture, dans son Histoire du Quercy[5], prétende que César, en voyant Cahors, fut si surpris de son étendue et de sa magnificence, qu’il s’écria : — Ah ! je vois une seconde Rome ! J’ai voulu citer cette phrase. Pas un historien gascon ne trouvera mieux. Marot, pour en revenir à lui, peut avoir composé dans ce château quelques-unes de ces rimes faciles que nous y récitions trois siècles plus tard. Nous faisions des conjectures à ce sujet, quand le bruit des sabots pesans de la fermière de Montal, qui grimpait les escaliers quatre a quatre, mit fin à nos poétiques controverses. La bonne femme s’inquiétait de la prolongation de notre séjour dans ces salles abandonnées. — Il est nuit ; nous cria-t-elle d’un ton aigre, que pouvez-vous faire ici ?

— Ce que j’y fais, dit le brocanteur en s’avançant vers elle avec une galanterie qui nous fit pouffer de rire,

Cherchant plaisir le meurs du mal d’aymer,
Et tout pour vous, dame au cœur très amer.

— De quoi parlez-vous ? interrompit la fermière.

— De Marot.

— Il est notaire, reprit-elle, vous le trouverez à Saint-Ceré ; mais il est temps de partir. La bonne femme songeait au propriétaire de Montal. Il fallut obéir, et nous nous mîmes en marche en riant des citations continuelles de notre ami qui savait son Marot à merveille :

D’aller à pied, très illustre seigneur,
Lassé je suis, car profit ni honneur
N’y puis avoir. . …
Et suis tant las que, sans mentir,
Je n’ai jambe qui ne me tremble, etc.

Le soir, enfin, nous continuâmes dans une sombre auberge, remplie de rouliers un peu ivres, nos dissertations sur le siècle de Benvenuto, du Primatice de Diane et du roi chevalier.

Au lieu de décrire l’auberge où nous étions, je laisserai parler La Fontaine ; le grand poète a fait le voyage de Limousin, et sa prose consolera de la mienne. Dans une lettre inédite publiée récemment et écrite de Limoges en 1663, je trouve une description d’auberge à laquelle, après deux siècles de progrès, il n’y a rien à retrancher, rien à ajouter, les hôtelleries du centre de la France y sont peintes de main de maître « Dispensez-moi, vous qui êtes propre, de vous en rien dire. On place, en ce pays-là, la cuisine au second estage ; qui a une fois veu ces cuisines n’a pas grande curiosité pour les sausses qu’on y appreste. Ce sont gens capables de faire un très meschant mets d’un très bon morceau Quoique nous eussions choisi la meilleure hostellerie, nous y bûmes du vin à teindre les nappes, et qu’on appelle communément la tromperie de Bellac. Ce proverbe a cela de bon que Louis XIII en est l’auteur. » Il paraîtrait, malgré tout, que le grand poète ne fut pas trop révolté, car ; dans ce taudis, il ne dédaigne pas de mettre ses contes en action ; il ajoute gaiement : « Rien ne m’auroit plu, sans la fille du logis, jeune personne et assez jolie. Je la cajeolay sur sa coiffure ; c’estoit une espèce de cale à oreilles des plus mignonnes et bordée d’un galon d’or large de trois doigts. La pauvre fille, croyant bien faire, alla aussitôt quérir sa cale de cérémonie pour me la montrer. Passé Chavigny, on ne parle quasi plus français ; cependant cette personne m’entendit sans beaucoup de peine ; les fleurettes s’entendent par tout pays, et ont cela de commode, qu’elles portent avec elle leur trucheman. Tout meschant qu’estoit notre giste, je ne laissay pas d’y avoir une nuit fort douce… » Le lendemain, son humeur est moins noire ; il parle du Limousin sur un autre ton : « N’allez pas vous figurer que ce pays soit malheureux et disgracié du ciel comme on se le figure. Je vous donne les gens de Limoges pour aussi fins et aussi polis que le peuple de France : les hommes ont de l’esprit dans ce pays-là (il écrivait six ans avant M. de Pourceaugnac), et les femmes ont de la blancheur ; mais leurs costumes, façon de vivre, préoccupations, compliments ne me plaisent point. C’est dommage que… n’y ait point été mariée ; quant à mon égard :

« Ce n’est plus un plaisant séjour ;
J’y trouve aux mystères d’amour
Peu de savants, force profanes ;
Peu de Phylis, beaucoup de Jeannes,
Peu de muscat de Saint-Mesmin,
Force boisson peu salutaire,
Beaucoup d’ail et peu de jasmin
Jugez si c’est là mon affaire. »

Après une nuit moins romanesque, le lendemain au point du jour, je gravissais péniblement, au milieu des vignes, la montagne, qui domine, Saint-Céré, et que couronnent les ruines pittoresques des tours de Saint-Laurent. La matinée était fraîche et pure, le soleil brillait sur les feuilles humides, des volées d’oiseaux enivrés par le raisin babillaient dans les haies, les merles sifflaient à l’envi dans les sorbiers couverts de leurs baies rouges, et une caille mêlait à ces gazouillemens divers ses trois notes argentines. Quelques moutons chétifs, poussés par un berger en guenilles, suivaient devant moi le sentier montueux et raviné. De temps à autre, le pâtre et moi nous nous arrêtions pour reprendre haleine. Au-dessous de nous, une brume légère flottait encore entre les toits de la ville et les peupliers de la prairie. Les coteaux, au contraire, étaient frappés en plein par une lumière chaude et blonde ; les vendangeurs y travaillaient en chantant. Depuis long-temps, la journée avait commencé pour eux ; mais ceux de la ville, qui devaient jouir de leur labeur plus qu’eux-mêmes, dormaient encore. De ceux-ci ou de ceux-là lesquels fallait-il plaindre ? je me sentais fort pastoral en ce moment. Le travail, en plein champ des vignerons, par cette matinée claire et embaumée, ne me semblait avoir rien à envier au sommeil tourmenté, aux veilles inquiètes de ceux qu’on nomme les heureux de ce monde. Je respirais l’air pur avec une ivresse digne des fades héros de Florian. On dit que les hommes vertueux aiment à voir lever l’aurore ; cela m’étonne. Après le repos de la nuit, quand toutes nos facultés ont repris leurs forces, que nous respirons dans une tiède atmosphère le parfum pénétrant des plantes rafraîchies par la rosée, quand la terre retrouve sa beauté, que la nature entière semble sourire, l’ame s’ouvre à l’espérance ; on sent fermenter en soi, si l’on est jeune, la sève de la jeunesse, et je crois que la vertu serait, à tout prendre, plus facile le soir, à ces heures tristes où le soleil s’éteint, où les fleurs se ferment, où la pensée fatiguée s’affaisse et se livre au charme mélancolique des souvenirs.

J’arrivai fort essoufflé sur la plate-forme au-dessus de laquelle se dressent audacieusement les vieilles tours carrées et noires de Saint-Laurent. Le soleil, qui est toujours jeune et qui sait tout rajeunir, inondait de ses gais rayons, sans pouvoir cependant leur rien ôter de leur tristesse, ces masses sombres qu’il avait vues s’élever il y a quelques siècles et qu’il regardait crouler maintenant du haut de son trône éternel. Le pays tout entier est dominé par ces deux tours, qui se rattachaient, s’il faut en croire les chroniqueurs, au château de Turenne en Limousin, par une ligne d’ouvrages fortifiés dont on voit encore les vestiges à Martel et à Montvalent. Pareilles de forme, quoique inégales de hauteur, elles ne sont remarquables que par l’extrême solidité de leur architecture massive. Suivant les historiens indigènes, ces ruines seraient d’origine romaine. Ils citent à l’appui de leur dire l’opinion d’un chroniqueur du XIIe siècle, Aymeric de Saint-Céré, lequel déclare que les Romains avaient établi un camp en cet endroit, et ajoute qu’au VIIIe siècle ce château appartenait à Serenus, personnage fort puissant en Aquitaine. Ce Serenus, d’après Aymeric de Saint-Céré, avait une fille charmante qui s’appelait Espérie, et un fort mauvais voisin nommé. Elidius. Elidius, qui trouvait Espérie fort à son gré, s’avisa de lui faire un jour des propositions malhonnêtes, et, comme la jeune fille ne voulut pas l’écouter, il lui trancha la tête, au bord de la rivière, à l’endroit où la ville Saint-Céré ; nommée d’abord Sainte-Espérie, fut dans la suite bâtie autour de la chapelle expiatoire élevée aux mânes de cette vierge martyre. À cette lamentable histoire je n’ai pas d’objections ; mais, quant à l’origine romaine des deux tours, je me permettrai de la contester. Il sera même inutile de faire, sur la façon dont elles sont bâties, de pédantesques dissertations, et un seul fait, qu’apprécierait un écolier, suffit à renverser toutes les conjectures des archéologues du Lot. Ce fait est celui-ci. La clé de voûte de la grande tour porte encore les traces très visibles d’un écusson, et ces armoiries sont celles des Roger Beaufort, vicomtes de Turenne. Ainsi donc les Romains ont pu camper sur ces hauteurs, mais ils n’ont point construit ces tours. Charmé de ma concluante découverte, je montais et je descendais avec une certaine satisfaction l’escalier étroit, mais encore très solide, de la plus haute des deux tours. On y trouve à chaque étage une seule grande salle carrée, percée de quatre fenêtres sombres où vient s’enchâsser un paysage charmant. Pour tout ornement, on voit dans chacune de ces pièces une vaste cheminée encore noircie par la fumée. Chose étrange, la fumée, cette chose si légère que les poètes en font l’emblème de tout ce qui passe, la fumée laisse des traces là où l’homme n’en laisse aucune. Le feu allumé par un soldat dans une heure de désoeuvrement a imprimé sur les murs de Saint-Laurent des vestiges qui se retrouvent encore lorsque lui et tous ceux de sa race sont oubliés. Je voulais monter sur la plate-forme de la tour ; mais l’escalier brisé ne me permettait pas de le faire sans un véritable péril. Je me résignai. Un homme plus courageux s’était cependant rencontré, qui avait fait récemment cette escalade, car j’avisai au-dessus de ma tête un bâton énorme, fiché dans le pavé, et où pendait encore une loque déchiquetée. C’était un démocrate de février, qui, sans souci de son cou, était allé prendre possession de la plate-forme au nom de la république et y avait planté son glorieux drapeau. Le vent a fait justice de cette profanation ; il a enlevé le lambeau de calicot, et la hampe, qui subsiste seule au sommet de ce monument séculaire, est une image assez fidèle de l’échafaudage grotesque et fragile que les novateurs modernes ont tenté de dresser sur le piédestal antique de la société française. À l’honneur des républicains de Saint-Ceré, il, faut rappeler que leurs amis de Paris ne se sont pas fait faute d’orner d’un bonnet phrygien la perruque stupéfaite de la statue de Louis XIV. Les héros de juillet avaient également eu le bon goût d’armer Henri IV d’un drapeau tricolore et d’en faire une sorte de cornette immuable de leur révolution. Enfin les légitimistes avaient donné, en 1815, l’exemple de ces plaisanteries agréables en jetant Napoléon à bas de la colonne Vendôme. Et penser que notre nation est la plus spirituelle de l’univers !

Je redescendis l’escalier et me trouvai tout à coup et presque sans m’en douter dans un véritable souterrain. Il y faisait noir comme dans un four, et le bruit de mes pas résonnait sous les voûtes d’une façon singulière. Je pensai qu’il devait y avoir des caveaux sous mes pieds et probablement des squelettes dont je troublais le sommeil. Cette idée me déplut ; elle ramenait dans mon imagination une procession de fantômes dont on avait épouvanté mon enfance. Je cherchai donc à tâtons, voulant m’éloigner, l’escalier que je ne voyais pas et que je ne trouvais plus. Tout à coup, derrière moi, un bruit léger se fit entendre. J’écoutai ce que je crus d’abord être l’écho de mes pas, mais le bruit augmenta ; on marchait évidemment à mes côtés. Je me retournai et je vis une ombre se dresser dans les ténèbres. C’était mon berger du matin, le drôle déguenillé qui avait été, depuis Saint-Ceré ; mon compagnon de route. — Vous avez eu peur ! me dit-il en riant. Je l’aurais battu, mais je pris le parti de rire. — Il y a un homme qui a eu bien peur à cette place où nous sommes, continua-t-il en patois. Je compris que le berger était quelque peu cicerone et qu’il tenait à ma disposition une histoire pour un sou. Je l’engageai à parler. Alors il me raconta que deux ouvriers de Saint-Ceré, s’étant figuré, il y a quelques années, que des trésors pouvaient être cachés dans le souterrain où nous étions, avaient un dimanche fait des fouilles. Ils étaient parvenus à déterrer une grande caisse de fer. Voilà ces gens fort en émoi ; mais, quand il s’était agi d’ouvrir cette caisse, elle avait résisté à tous leurs efforts. Il fallut aller chercher à la ville des outils et des pinces. L’un des deux archéologues partit, laissant à son compagnon la garde du commun trésor. Cet homme fit alors la réflexion qu’un trésor à soi seul vaut exactement le double d’un trésor partagé. Il était scieur de long, et, comme tous les gens de cette profession, portait dans sa poche un grand compas de fer. Il imagina d’en introduire la pointe dans la jointure du coffre, puis il fit un effort, et le couvercle s’entr’ouvrit. Tout à coup une sorte de terreur le saisit. Cette caisse de fer avait la forme d’un cercueil. L’idée de la profanation qu’il allait accomplir, jointe à la pensée de la méchante action qu’il commettait, le silence du souterrain, l’obscurité profonde, tout cela le fit hésiter. Se hasarderait-il à glisser ses doigts dans le cercueil ? Et s’il allait y trouver un cadavre ! Puis la cupidité prit le dessus, et il plongea sa main sous le couvercle. Aussitôt il poussa un grand cri et tomba à la renverse. Il avait été mordu jusqu’aux os. Son compagnon, qui arriva dans ce moment, le trouva étendu sur le sol, les cheveux hérissés, les yeux retournés : il était fou et mourut peu de temps après. Le cercueil ne renfermait pas autre chose que des ossemens, une épée et un casque.

— Et qui avait donc mordu cet homme ? demandai-je au berger, était-ce un serpent ?

— C’était un clou, me répondit-il ; mais le scieur de long avait pris cette pointe-là pour les dents du mort.

Revenu à Saint-Ceré, je cherchai dans toute la ville le casque de ce guerrier dont l’exhumation avait eu un si dramatique résultat ; mais ce casque, qui est long-temps resté, m’assura-t-on, dans la boutique d’un serrurier, s’est égaré ; il fallut renoncer à l’espoir que j’avais conçu de chercher dans sa forme un argument de plus à l’appui de mon opinion sur la date des tours de Saint-Laurent.

Je trouvai à l’auberge mon ami le brocanteur fort en train de parler sculpture sur bois avec notre hôtelier, qui se croyait passé maître en cet art… Ce brave homme nous exhiba une quantité de bûches de tilleul par lui transformées en saints doués de gros yeux à fleur de tête et de grandes mains plates toutes grandes ouvertes. Il y a peu de villes en province où ne réside un de ces artistes, mécaniciens ou sculpteurs, qui se croient méconnus. Saint-Ceré, du reste, est la patrie d’un homme qui fait à bon droit quelque bruit dans le monde agricole ; je veux parler de l’abbé Paramelle, le grand découvreur de sources. Il est certain que cet abbé, sans la moindre magie et même, à ce qu’on assure, sans aucune science, indique des sources et fait jaillir des fontaines là où personne n’en peut découvrir, et cela grace à un instinct merveilleux ou à des observations encore inexpliquées et dont il promet de laisser la clé après sa mort. Nul n’est prophète en son pays, et M. l’abbé Paramelle, qui passe en beaucoup de contrées pour une manière de sorcier, n’a pas dans sa ville natale la même réputation. Toujours est-il qu’il a donne dans beaucoup de départemens, et même en Angleterre et en Russie, des preuves étonnantes de son habileté. S’il n’en est pas de son secret comme des remèdes si souvent promis contre la rage, il aura le double mérite de faire sa vie durant une grande fortune et de laisser après lui l’explication d’une découverte qui peut valoir tout au moins les mines de la Californie.

Nus reprîmes assez tard dans la matinée nos hâtons de pèlerins et notre voyage pédestre ; cette fois, nous abandonnions les routes. Nous allions nous enfoncer un peu au hasard dans des solitudes dont on ne peut se faire, sans les avoir vues, aucune idée. En effet, à peine a-t-on gravi les collines riantes qui dominent Saint-Ceré, que l’on voit s’ouvrir devant soi une véritable Sibérie : c’est un désert sans bornes, sans arbres, sans maisons. Ces plaines immenses, où croissent à grand’ peine de loin en loin quelques maquis rabougris, sont tellement jonchées de cailloux blancs ; qu’on les croirait à première vue saupoudrées par une neige récente. De tristes murailles à hauteur d’appui coupent seules, de temps à autre, l’uniformité des lignes dans cette campagne désolée. Quelques troupeaux de moutons, qui semblent avoir été passés au safran, tant ils sont jaunis par une boue argileuse, errent tristement et comme à l’aventure dans ces steppes abandonnées, où l’on n’entend d’autre bruit que le tintement lugubre de la cloche fêlée que porte au cou le bélier conducteur de sa bande. Parfois un oiseau de proie ou un corbeau sinistre traverse, au-dessus de vos têtes, un ciel méridional, dont les teintes ardentes contrastent de la manière la plus frappante avec la couleur morne de la terre : c’est une véritable Thébaïde, et je ne sache pas en Europe un endroit plus propre à se brûler la cervelle. Ce pays est celui des truffes. Le gastronome du Café de Paris, qui voit apparaître sur sa table, à côté d’une bouteille de vin de Champagne, ce mets tant recherché, ne se doute guère de l’aspect misérable des champs et des hommes qui lui procurent ses plaisirs ; il sait à peine qu’un humble cochon a été seul capable de découvrir sous terre ce tubercule sans racines et sans tige qu’il dévore aux dépens du quadrupède frustré. Aucun sentier, aucun signe ne nous guidait dans ce désert, et nous avions trop présumé de notre sagacité de montagnards. Après avoir fait un circuit immense, nous nous aperçûmes que nous nous étions complètement égarés. Pour comble de disgrace, la nuit était prochaine, et de gros nuages, traversés à toute minute par des éclairs, nous annonçaient un orage. Il n’y avait pour nous aucun abri en vue, pas un arbre, pas une haie. Le tonnerre retentit à ce signal, un vent terrible se déchaîna, et une pluie torrentielle vint nous fouetter le visage et détremper un sol visqueux où nous trébuchions à chaque pas. La perspective de passer la nuit debout au milieu de ces plaines inondées n’avait rien de souriant. Par bonheur, nous avions avec nous, comme je l’ai dit, un ex-élève de l’École polytechnique : ces mathématiciens sont gens précieux. Depuis une heure, notre ami faisait des opérations savantes : il calculait l’angle du soleil, il précisait l’endroit du ciel où il allait disparaître, il se flattait de retrouver notre route, et, comme nous nous étions moqués de son estime, il était parti seul à la découverte.. Au moment de notre plus grande anxiété, il revint en courant. Il avait découvert, nous dit-il, une maison. Nous nous élançâmes au pas de course, et nous arrivâmes en effet à une masure abandonnée, où nous nous blottîmes avec joie.

Cette hutte, si misérable qu’elle fût, était une heureuse trouvaille. Elle semblait avoir été habitée autrefois. Un trou percé dans le toit et une grande pierre servant de foyer indiquaient qu’on y avait fait du feu. Dans un coin se trouvaient un peu de paille, quelques branches sèches, et les restes d’une échelle brisée qui avait dû servir d’escalier pour grimper dans une sorte de grenier pratiqué entre la toiture et les solives. Je parle de cette distribution pour une raison fort dramatique que l’on saura bientôt. Les fumeurs ont toujours des briquets ; un grand feu fut bientôt allumé, et nous nous préparâmes, sans trop de chagrin, à passer la nuit sans souper dans ce bivouac improvisé. À tout prendre, notre malheur n’était pas grand ; nous étions assez jeunes pour prendre en bonne part cet incident pittoresque que les dandies de Paris ne rencontrent guère en voyage. Ce n’est pas en Suisse, par exemple, que cette bonne fortune de coucher forcément à la belle étoile écheoit au touriste altéré d’émotions ; là, toutes les étapes sont irrévocablement fixées. Il est décidé depuis un temps immémorial que vous boirez du vin chaud dans tel chalet, du lait dans tel autre, que vous arriverez à la couchée à une heure fixe pour en repartir à un moment déterminé, que vous suivrez une certaine route entre deux chaînes, de montagnes bien connues, invraisemblables, qu’on dirait de carton et peintes pour le bon plaisir des Anglais. Au pied du Montanvert, vous admirerez une petite fille, goîtreuse, qui met en mouvement, à l’aide d’une tringle de fer, un soufflet, lequel donne l’ame à trois trompettes criardes cachées dans une chaufferette et qui jouent, à ce qu’on assure, le ranz des vaches ; plus haut, vous achèterez des fraises à un autre goîtreux. Votre guide ne vous fera grace d’aucun article du programme, vous n’aurez pas votre libre arbitre. Dans le Causse, c’est ainsi qu’on nomme le pays que nous traversions, nous étions du moins les maîtres d’attraper à volonté la fièvre ou une fluxion de poitrine. Nous raisonnions gaiement, autour de notre feu sur toutes ces choses, quand le bruit d’une clochette qui vint à retentir à peu de distance interrompit notre conversation : c’était un troupeau qui s’approchait. Il faisait déjà sombre, et nous n’aperçûmes pas d’abord un berger qui, caché derrière un mur, semblait regarder avec terreur ce qui se passait dans l’intérieur de notre masure. En nous voyant apparaître sur le seuil, ce jeune homme poussa un cri et se sauva à toutes jambes. Nous n’avions garde, malgré le charme de notre aventure, de perdre cette occasion excellente de retrouver avec notre route un dîner quelconque. Nous poursuivîmes donc ce berger en blouse blanche, pareil à un Bédouin, l’appelant à grands cris. Il fuyait comme le vent ; enfin, se voyant serré de près, il tomba à genoux en proie à une épouvante risible. Sur notre assurance que nous ne lui voulions aucun mal, et que nous le récompenserions au contraire, s’il voulait nous conduire au prochain village, il reprit la voix ; puis il marcha en avant, non sans jeter sur nous de temps à autre dans l’obscurité des regards soupçonneux. En moins d’une heure, il nous amena à l’entrée d’un assez grand bourg, et nous montra du doigt une fenêtre éclairée, prétendant qu’elle était celle d’une auberge. En recevant sa bonne-main, le drôle nous examina encore ; puis reculant de trois pas et d’un ton moitié sérieux, moitié railleur :

— Que faisiez-vous, nous dit-il, dans la maison maudite ?

— Maudite et pourquoi ?

— Vous le demanderez à M. le maire, répondit-il, et il se sauva à toutes jambes.

Pour toute description de l’auberge où nous entrâmes, il me suffira de dire que l’on nous fit payer pour nos lits deux sous par tête, et c’était cher ! Ce nom de maison maudite me trottait dans la tête, et j’en rêvai la nuit, car notre hôtesse, vieille mégère sourde et de méchante humeur, n’avait pas été femme à satisfaire notre curiosité.

Le brocanteur, qui était le plus jeune et le moins aguerri d’entre nous, quitta le premier, le lendemain matin, le taudis où nous ronflions de conserve. Il revint bientôt l’œil brillant et la figure enluminée.

— Victoire ! s’écria-t-il, et il nous conta comment il avait entrevu à une croisée du village une jeune femme très belle, portant un châle de crêpe de chine rouge, laquelle était précisément, d’après les informations qu’il avait prises, la fille du maire. C’est là, disait-il, que nous devions aller déjeuner tous, si nous n’étions pas des sots. Cet avis fut accueilli avec un enthousiasme unanime, que justifiait la Physionomie de notre auberge où nous avions soupé la veille au soir dans une cuisine immonde, près du maître de la maison qui grognait dans un lit placé juste auprès de la table à manger ; mais sous quel prétexte nous introduire chez le maire ? Il fut décidé, après une discussion orageuse, que deux d’entre nous, désignés par le sort, aviseraient aux moyens de négocier cette affaire. On tira à la courte paille, et le sort tomba sur le brocanteur et sur moi. Mon parti fut bientôt pris. Laissant de côté toutes les fables que l’on avait d’abord proposées, je résolus d’entrer carrément en matière en allant déclarer au maire qui nous étions, quelle situation était la nôtre, et quelle curiosité le berger avait éveillée dans nos imaginations. Nous nous mîmes en route à travers les rues boueuses du village. La jeune fille au châle de crêpe était encore à sa fenêtre. Elle ne parut pas peu surprise de nous voir frapper inopinément à la porte de sa maison. Par bonheur, le maire était médecin ; il avait été chirurgien dans un régiment. C’était un gros homme, vert encore, réjoui, haut en couleur, et je compris à son aspect que notre mission serait facile. Après les excuses d’usage sur notre apparition inattendue, nous lui contâmes gaiement notre pèlerinage, nos aventures de la veille et le mot du berger. Je vis aussitôt sa physionomie s’éclairer, et l’excellent homme me parut avoir tout autant d’envie de conter cette histoire que nous de l’entendre.

— Allons, messieurs, nous dit-il d’un ton jovial, je vous conterai cela ; — vous êtes des artistes, à ce que je vois ; — mais, ventrebleu ! Je ne sais pas parler à jeun, et il faut que vous déjeuniez avec moi. Le brocanteur me jeta un regard de triomphe, et je pensai à nos deux compagnons dont il n’avait pas été question encore. Mon ami n’y songeait plus ; il voulait même, par excès de discrétion, qu’il n’en fût pas dit mot. J’eus le cœur moins dur, et à peine notre hôte connut-il la cause de notre colloque, qu’il envoya chercher nos deux camarades. Dans ce village, au milieu de ce désert, la société n’était pas gaie tous les jours, et rarement se présentait pour lui l’occasion de causer avec des gens de vive humeur. Évidemment le vieux militaire était charmé de nous avoir recrutés. Après mainte excuse sur la médiocrité de son ménage, il nous fit asseoir devant un énorme déjeuner, qui était sans doute l’œuvre de sa fille, que nous ne vîmes plus. Il y fut fait le plus ardent accueil. Quand vint le café, le médecin bourra sa pipe, nous allumâmes des cigarettes, et je lui rappelai la maison maudite.

— Ah ! c’est une vieille histoire, messieurs, nous dit-il. Tout le monde la connaît dans le pays, et je m’étonne que vous n’en ayez pas entendu parler. — Prenez d’abord un verre de ce rhum ; il est vieux. — Voici, en deux mots, l’affaire ; ce berger a eu raison de vous adresser à moi. — A votre santé, messieurs, — et nous fîmes tous raison à ce toast. – Il y a de cela vingt-cinq ans, continua notre amphitryon, c’était l’année de mon mariage. Je n’habitais pas alors ce village où je me suis établi plus tard dans la maison de ma femme. Un soir, je venais, comme vous, de Saint-Ceré, et, comme vous, je fus surpris dans le Causse par un orage. J’étais à cheval, et mon cheval, effrayé par la grêle et les éclairs, refusa bientôt d’avancer. Je descendis et tentai, ne sachant trop que faire, de le tirer par la bride ; heureusement j’entrevis bientôt une lumière. Je me dirigeai de ce côté, et j’arrivai à la maison où, hier soir, vous vous êtes réfugiés vous-mêmes ; elle était habitée alors. J’y trouvai un homme et une femme ; ils étaient assis tous les deux autour d’un petit feu, occupés à tresser des paniers avec des écorces de ronces. — Bonjour, braves gens, leur dis-je en patois, il ne fait pas beau dehors. Les deux paroissiens ne me firent pas grande mine ; je n’en tins aucun compte. Je leur demandai une place à leur feu, les assurant que j’étais prêt à la payer ; puis, sans plus de façon, je jetai une brassée de sarmens sur le foyer, et me débarrassai de mon manteau. — Est-ce que vous nous prenez pour des aubergistes ? me dit la femme, d’un ton aigre. Je tirai ma bourse, et je lui donnai, vingt sous. À la vue de l’argent, cette mégère s’adoucit sur-le-champ. — Allons, ajouta-t-elle, je vois que vous êtes un brave monsieur, et elle reprit son ouvrage : Cependant l’orage continuait au dehors. Le vent ébranlait la cabane, et mon cheval piétinait sous le hangar où je l’avais attaché. Il n’y avait guère moyen de continuer ma route, et je ne savais où coucher dans cette maison. — Tenez, me dit la femme, ce serait pitié de sortir par un pareil temps. Nous sommes pauvres, et je n’ai pas de lit pour un homme comme, vous ; mais, si, vous voulez monter là-haut - elle me montrait une échelle et une sorte de grenier, — vous y serez du moins au sec comme une châtaigne dans un séchoir. — Je remarquai de nouveau que cette femme avait une mauvaise figure ; mais je venais de l’armée, je ne suis pas une femmelette ; d’ailleurs il n’y avait pas à choisir. Je fis comme elle disait, et je grimpai dans la soupente. Là, j’étendis mon manteau sur les planches, et je finis par m’endormir malgré le fracas du vent et de l’orage.

Ici le médecin s’arrêta et nettoya le fond de sa pipe avec un os de lièvre qu’il tira de son pot à tabac.

— Je crois, deviner le reste, lui dis-je.

— Vous ne devinez rien reprit-il Quand on a votre âge messieurs on braverait le diable en personne, et, on ne se méfie pas. Je la risquai belle pourtant cette nuit-là. Un rêve me sauva. Figurez-vous que, tout en dormant sur mon plancher, je me mis à songer. Je croyais être auprès de ma fiancée, assis devant la cheminée que voici, quand tout à coup, au-dessus de sa tête, je vis paraître une figure horrible. C’était celle de la femme dont je vous ai parlé ; elle tenait une hache à la main, et allait frapper… Je voulus m’élancer… impossible ; mes jambes me refusaient tout service ; je les regardai, et je m’aperçus qu’elles étaient coupées toutes les deux auprès du col du fémur.

— De sorte que vous étiez cul-de-jatte, remarqua le brocanteur.

— Oui, monsieur, et j’en fus si contrarié, que je m’éveillai. Je me retrouvai dans la soupente, la tête sur mon manteau ; je prêtai l’oreille ; la tempête continuait au dehors. Ce rêve m’avait troublé ; j’eus l’idée d’appliquer mon œil à une des fentes du plancher vermoulu qui me servait de lit, et je regardai ce qui se passait en bas. L’homme et la femme étaient toujours au coin du feu ; mais ils ne travaillaient plus ; ils parlaient à voix basse. — Je te dis qu’il a plus d’argent dans sa bourse que tu n’en gagneras dans toute ta vie, disait la femme. — Eh bien ? reprit l’homme. — Eh bien ! il faut le lui prendre : il dort ; monte l’échelle, empoigne-le par les pieds, fa lou segre (fais-le suivre), jette-le en bas, je me charge du reste, et elle lui montra un marteau de maçon qu’elle tenait à la main. — Et après que ferons-nous de l’homme ? reprit le mari. — Nous le porterons sur la route ; il se sera tué en tombant de cheval pendant la nuit. En même temps elle souffla le caler[6] ; le feu s’était éteint. Je ne vis plus rien. Ils parlaient encore à voix basse ; mais je n’entendais plus. Sans être plus poltron qu’un autre, je vous avoue, messieurs, que mes oreilles tintaient fort. Je n’avais pas d’armes. Un instant j’eus l’idée de sauter en bas par la trappe ; mais l’échelle n’était pas commode, et si le pied m’avait manqué ? Je n’eus pas le temps de réfléchir d’ailleurs ; je sentis tout à coup une petite secousse, un frisson courut dans mes os. L’homme montait l’échelle. À chaque barreau, son pied faisait un peu crier le bois. J’étais parvenu à me soulever sans bruit et à m’agenouiller au bord de la trappe. Le corps replié, les yeux fixes, les oreilles dressées, le cœur tremblant, j’attendais avec angoisse. Tout à coup, dans l’ombre, une forme se dressa devant moi, une main me toucha ; je pars comme un ressort, je saisis l’homme à la gorge, je le renverse en poussant de toute ma force, le pied lui manque, et il tombe lourdement au bas de l’échelle.

— Je le tiens ! cria la femme. En même temps j’entendis un coup sourd, un grand cri, un second coup, et puis plus rien, que le bruit du vent et de la pluie. Elle avait assommé son mari.

— Elle avait assommé son mari ! nous écriâmes-nous tous les quatre.

— Oui, messieurs, bien assommé. Voilà toute mon histoire. Je n’eus jamais le courage de descendre l’échelle. Cette femme, ce cadavre… ma foi j’avais peur. L’idée me vint de passer à travers le toit de paille. C’est par là que je sortis. Je retrouvai mon cheval et j’allai faire ma déclaration au juge de paix. La femme a été jugée et condamnée à mort, les circonstances atténuantes n’étant pas encore inventées. Voilà l’affaire. Qu’en pensez-vous ? Personne depuis n’a osé habiter cette maison, et les bergers disent qu’on y voit des revenans. C’est pourquoi vous leur avez fait peur hier soir. Allons, messieurs, une goutte par là-dessus, dit le maire en finissant.

Ce drame local nous avait intéressés, et nous dissertâmes long-temps avec son héros sur les mœurs peu naïves des habitans du Causse. À midi, pourtant, force nous fut de prendre congé de notre hôte, qui nous fit promettre de repasser chez lui au retour de notre pèlerinage.

Nous reprîmes notre route à travers les steppes jonchés de cailloux, où l’on ne rencontre que des pâtres à demi sauvages qui passent leur vie à lancer des pierres et à manier la fronde. En moins de trois heures, nous devions atteindre Roc-Amadour. À moitié chemin, il fallut s’arrêter brusquement. Devant nous s’ouvrait un abîme à pic, un puits cyclopéen, dans lequel on aurait renversé une des tours de Notre-Dame. Des guirlandes de lierre et de vigne vierge tapissaient les parois de cet abîme. Au fond, un clair ruisseau coulait sur un frais gazon. Des volées de corneilles tourbillonnaient autour de nous en croassant. C’était effrayant et tout à la fois charmant à voir. Les géologues expliquent que les eaux creusent souvent, dans les terrains calcaires, des excavations pareilles, et le puits de Padirat, qui était sous nos yeux, n’a rien de surnaturel à leur sens. J’aime mieux, pour ma part, l’explication des indigènes. — Un jour, il y a probablement fort long-temps, saint Martin et le diable voyageaient ensemble, on ne sait pour quelle raison. Ils montaient l’un et l’autre des mulets excellens. Comme ils étaient de plaisante humeur, l’idée leur vint de faire un steeple-chase. Les voilà donc franchissant à qui mieux mieux les murailles, descendant à fond de train des précipices ; pas un rocher n’était assez haut, pas un abîme assez large pour les arrêter. Lassé d’une course trop facile, Satan s’arrêta, et, appelant saint Martin : « Je parie, dit-il, creuser un fossé que tu ne sauteras pas. » Le saint se mit à rire. L’ange des ténèbres alors étendit la main ; son index s’allongea démesurément, s’alla ficher en terre et creusa en une minute le puits de Padirat. — N’est-ce que cela ? dit le saint, et, piquant des deux, il franchit l’abîme. C’était un joli saut, car ce puits n’a pas moins de cinquante-quatre mètres de profondeur sur trente-cinq de large. Pour preuve du haut fait de saint-Martin, on montre très nettement imprimée dans le rocher la trace des fers de sa mule. Un des fers est un peu tourné en dehors ; j’en demandai la raison au berger qui nous contait cette légende. — C’est que la mule de saint Martin était boiteuse, me répondit-il. L’histoire ne finit pas- là. Un peu plus loin, le saint paria à son tour d’arrêter le diable. Au bord d’une fissure de rocher, il planta une croix de joncs. Aussitôt le mulet de Satan se cabra et renversa son cavalier. En souvenir de ce triomphe remporté sur l’ennemi du genre humain, on a élevé en cet endroit une belle croix de pierre.

Une heure plus tard, nous vîmes la plaine immense que nous traversions se rompre tout à coup en précipice. Une tranchée circulaire, large comme la Tamise et d’une profondeur à donner le vertige, nous coupait le passage ; une ligne de petites maisons accrochées aux pavois de la falaise qui surplombe sur leurs toits de la façon la plus effrayante, allait en serpentant jusqu’au fond de l’abîme. Là, traversée par un ruisseau riant, s’étendait une vaste pelouse qui contraste merveilleusement avec les roches sauvages qui la dominent : au fond du tableau enfin, trois cathédrales littéralement incrustées dans le rocher, entées les unes sur les autres, de façon à ce que le toit de l’une sert de fondation à l’autre qui porte la troisième sur sa voûte ; un grand ciel rouge au-dessus de ce paysage silencieux. Tel est Roc-Amadour, dont la situation rappelle un peu les tableaux de Constantine. Jamais village plus misérable ne fut le but d’un plus célèbre pèlerinage. Dans l’unique rue bordée de maisons la plupart faites de boue, couvertes de sarment, on ne voit que des femmes échevelées et noires comme des Bohémiennes, des ânes chassés par des enfans à demi nus. Rien en France ne donnerait l’idée d’une semblable misère. Le château des missionnaires, qui élève au-dessus de la falaise ses murailles blanches, indique seul qu’il doit y avoir dans ces gorges quelque chose d’extraordinaire. Il s’y trouve en effet, outre la chapelle de Notre-Dame, qui attire chaque année des pèlerins par milliers, le sabre de Roland, qui a le singulier don de rendre mères toutes les femmes qui le soulèvent, et ce sabre, il faut le dire, compte encore plus de dévotes que la chapelle.

On a longuement écrit en latin, en espagnol, en français, même en anglais, et à des époques diverses, sur la fondation de Roc-Amadour et sur l’origine de son pèlerinage. J’ajouterai que, là comme ailleurs, les dissertations des savans ont embrouillé la question plus qu’elles ne l’ont résolue. Il est malaisé de démêler la vérité au milieu de ces controverses. Selon saint Antonin[7], archevêque de Florence, saint Amadour, qui fonda la chapelle de Notre-Dame, n’était autre que le célèbre Zachée de l’Évangile ; il fait donc remonter son origine aux premières années de notre ère. D’après un petit ouvrage publié à Toulouse, vers 1520[8], l’origine du saint qui nous occupe serait moins orthodoxe. Fils d’un chevalier romain, nommé Preconius, et d’Altea, il n’aurait dû la vie qu’à une convention blâmable faite avec le démon, à qui Preconius, désolé de n’avoir pas d’enfans, aurait promis son premier-né, à condition qu’il aurait plusieurs rejetons. Le diable se saisit de sa proie et voulut l’emporter en Égypte où il résidait ; mais, en passant par les airs au-dessus de l’Égypte, il aperçut saint Paul, et Satan eut une telle frayeur qu’il laissa tomber le fils de Preconius, lequel, recueilli par le grand saint, se fit ermite comme lui et vint terminer sa vie à Roc-Amadour.

Cette légende, déclare fort sérieusement M. Caillau, chanoine du Mans, auteur d’un livre assez récent et fort mystique sur Roc-Amadour[9], cette légende ne vaut pas la peine d’être discutée. Rangeons-nous à son avis, et examinons de préférence l’opinion de M. Caillau lui-même. Selon lui, saint Amadour, solitaire humble et inconnu, dut son nom à sa résidence habituelle ; il passa sa vie agenouillé sur le rocher, ce qui le fit nommer amator rupis, amateur de la roche, d’où la corruption a fait Amadour ; elle en a fait bien d’autres. Il était, d’après M. Caillau, ami de saint Martial et vivait par conséquent au IIIe siècle.

Enfin la voix de l’histoire, qui est plus simple et moins prétentieuse, déclare, et cette version paraît plus acceptable, que saint Amatre, Amator ou Amateur, évêque d’Auxerre, dont on voit encore la statue à Saint-Germain-l’Auxerrois, a donné son nom à Roc-Amadour ; saint Didier, un de ses successeurs à Auxerre, qui était de Cahors, fit transporter, à la prière de sa mère Nicteria, les restes du saint, son prédécesseur, dans les rochers de son pays. Cela se passait au commencement du VIIe siècle, et cette origine, comme on le voit, est encore fort respectable.

Il va sans dire que M. Caillau trouve cette opinion beaucoup trop naturelle, il la combat longuement, en homme à qui la vérité, si elle est simple, ne saurait convenir, et qui veut à tout prix un petit mystère. Ce n’est pas seulement une histoire qu’écrit M. Caillau, c’est un monument qu’il édifie, il le dit lui-même ; il ne vise pas à un succès de librairie, mais bien à gagner le ciel en vertu de sa prose, et il espère avoir réussi. « Ma récompense me sera sans doute assurée, écrit-il dans sa préface, auprès du souverain juge par l’intercession, etc. Ainsi soit-il. » Ajouterai-je, pour compléter cet aperçu historique, que Froissart a raconté le siége de Roc-Amadour par les Anglais, et que, dans la Croisade contre les Albigeois, publiée par M. Fauriel, je trouve dans un vers la preuve que ces lieux saints étaient alors en la possession d’un abbé :

E fo il senher abas cui Rocamadour es ?

J’ai hâte d’arriver aux miracles qui font de Roc-Amadour un lieu tout-à-fait exceptionnel et au pèlerinage qui a successivement attiré Roland, neveu de Charlemagne ; Henri II, roi d’Angleterre ; Simon, comte de Montfort ; le légat du pape, Arnaud Amalric ; saint Louis, roi de France ; la reine Blanche ; Alphonse III, roi de Portugal ; Charles-le-Bel, Louis XI, beaucoup d’autres encore, et qui attire tous les ans, malgré l’incrédulité croissante, une foule innombrable de pèlerins. S’il faut s’en rapporter à M. Caillau, dont le livre ne laisse rien à désirer sur ce point, les miracles opérés par Notre-Dame de Roc-Amadour justifient très bien l’empressement des fidèles et expliquent à merveille les donations faites, à diverses époques, à la chapelle en question. On a dressé une longue nomenclature de ces miracles. Je ne la transcrirai point ici, elle serait trop dépaysée en cet écrit profane. Il suffira de savoir que, par la protection de Notre-Dame de Roc-Amadour, des marins par milliers ont été sauvés du naufrage, des victoires éclatantes remportées sur les infidèles, des vieillards préservés de chutes dangereuses. Grace à elle, des enfans de trois ans ont pu, sans inconvénient, tomber de trente pieds de haut sur le pavé ; des plaideurs, M. de Conflans par exemple, ont vu tourner à bien, malgré les gens de loi, les plus détestables procès. Quant aux malades rendus à la santé par cette sainte entremise, la liste en est innombrable. On y voit, ainsi que dans certaines statistiques médicales, la guérison d’une infinité de jeunes filles, de petits garçons, de capitaines, d’écuyers et de magistrats. Enfin, des morts ont été ressuscités par Notre-Dame de Roc-Amadour, témoin le fils de Marguerite Amoros en 1551, et, le siècle suivant, la fille d’Antoine de Guillaume, natif du Vigan en Quercy, laquelle avait été étouffée, ainsi que cela est constaté, par un noyau de prune. L’abbé Caillau assure même qu’un châtiment a été exercé par la sainte contre un riche bourgeois qui, ayant prêté aux moines de Roc-Amadour une somme d’argent en prenant pour gage les rideaux de la sainte chapelle, eut l’impiété, faute de remboursement, de garder les rideaux. Le bourgeois, sa femme et son fils furent aussitôt frappés et moururent en rendant des flots de sang par les narines. Bref, saint Janvier à Naples et sainte Rosalie à Palerme n’ont pas fait assurément plus de prodiges. Je ne nomme pas sans raison ces deux saints si chers aux lazzaroni : la dévotion ardente et bizarre qu’ils excitent, les cérémonies étranges qu’on accomplit en leur honneur, tout cela ressemble fort au sentiment qui anime les pèlerins de Roc-Amadour. C’est à peine si j’ose en dire plus long, et je craindrais d’encourir de graves reproches, si je racontais, même très légèrement, les scènes bien connues dans le Midi, auxquelles, s’il faut en croire les mauvaises langues, donne lieu ce pèlerinage. Que l’on se figure des milliers de pèlerins de tout âge, de toute condition, entassés une semaine durant, sans aucune distinction de sexe, dans les cinquante maisons du village. Chaque chambre doit suffire à trente personnes au moins : éteignez les lumières, pensez à la fougue méridionale, au laisser-aller des provinces, aux incidens sans nombre qui peuvent surgir en pareille situation, à la gaieté qui peut éclater tout à coup dans ce phalanstère, et vous comprendrez que les mauvais plaisans racontent à cet égard des scènes à faire pâmer d’aise l’ombre de Pigault-Lebrun. Le jour, dans tous les cas, on fait pénitence, et quelle pénitence ! Saint Simon Stylite, en restant debout, un pied en l’air, sur un fût de colonne, s’infligeait un bien moins cruel martyre. Il s’agit de monter sur les genoux les deux cent trente-sept marches de l’escalier de pierre le plus dangereux et le plus raide qui soit sous le soleil. Imaginez une échelle de granit dressée presque verticalement contre les tours de Saint-Sulpice, de chaque côté, un précipice effroyable qui donne un continuel vertige, sous les genoux enfin des angles de pierre qui déchirent ; devant le désordre étrange des patientes qu’il faut suivre ; derrière, les soupirs de celles qui poussent et hâtent leurs devancières : n’est-ce pas une procession singulière ? Il va sans dire que les belles dévotes accomplissent ce périlleux et difficile exercice sous les regards railleurs d’une quantité de garnemens qui ne se font faute d’observations malséantes et de réflexions peu orthodoxes. Ce mélange de religion et d’impiété, de paganisme et de foi naïve, de superstition et de gravelure, ne rappelle-t-il pas l’Espagne et l’Italie ? Ces transactions bizarres dont la dévotion méridionale s’accommode, cet attrait plus que mondain qui se mêle à la piété, n’ont-ils aucune parenté avec ces madones bénévoles dont une main amoureuse voile par momens la sainte image ? Cette étourdissante anarchie se voit partout à Roc-Amadour ; nul ne s’en étonne, c’est chose acceptée ; l’intention excuse le fait, et l’on efface par la sainteté du but les peccadilles de la route. À tous les reposoirs de cette fatigante procession, des boutiques se trouvent où les pèlerins font emplette d’objets de piété. Au milieu des missels, des rosaires, des crucifix, on rencontre les médailles les plus profanes et les bagues les moins édifiantes. Sans être précisément collet monté, je n’oserais pas transcrire ici une seule des devises qui entourent ces anneaux de crins. La politique elle-même a place en cette confusion. Parmi les saints dont j’achetai le profil, un me frappa. Il portait le fez africain et l’habit militaire : c’était le général Cavaignac. On sait que l’honorable général est, comme le roi Murat, originaire du Lot ; à ce titre, il était assez naturel que son portrait se rencontrât à Roc-Amadour. La forme oblongue de la médaille, le petit anneau qui la soutenait et la rendait absolument pareille à celle de tous les autres saints, me surprenaient pourtant un peu. Je priai le marchand de me donner une explication à ce sujet. Il me répondit que toutes les médailles étaient faites ainsi pour que l’on pût aisément les suspendre à son chapelet. Un chapelet, voilà certes un collier bizarre pour l’imagé d’un général républicain, et l’on ne sait qui doit être le plus étonné de se trouver ensemble, de la médaille ou du rosaire !

À moitié route, on arrive enfin au palier de la première église. C’est là qu’est pendu à un mur le fameux sabre de Roland. Roland, tué à Roncevaux, offrit, en 778, à Notre-Dame de Roc-Amadour un don en argent du poids de « son bracmar ou épée, » et Duplex, dans son Histoire de France, ajoute qu’après sa mort « son épée fut mise au-dessus de son chef et sa trompe à ses pieds, et l’épée, traduite depuis en l’église de Saint-Séverin de Bordeaux, fut portée à Roquemadeur en Quercy[10]. » Cette épée a été, dit-on, enlevée pendant la révolution. Dieu sait si on n’a pas fait une broche de cette fameuse Durandal que Roland, près de mourir, craignait tant de voir tomber en des mains peu vaillantes.

Ne vos ait hume ki pur attre (se) fuiet[11] !


Elle a été remplacée par un coutelas de fer informe que les femmes soulèvent à l’aide d’une petite chaîne, et qui ne doit ressembler en rien à cette arme incomparable qui taillait, sans s’émousser, des brèches dans les montagnes, et à laquelle son maître disait avec amour :

E. Durandal, cum es clere e blanche !
Cuntre soleill si luises et reflambes[12] !

Telle quelle, l’épée actuelle a cependant hérité, s’il faut en croire les matrones du pays, du plus rare mérite de sa devancière. J’ai dit quelle était la féconde vertu de cette arme vénérée. C’est un de ces mystères qu’il faut croire sur parole. Pourquoi l’épée de Roland donne-t-elle des enfans aux jeunes femmes qui n’en ont pas, c’est ce que personne ne peut expliquer. Toujours est-il que cette croyance a, dans le Midi, beaucoup d’adhérens. On m’a raconté qu’une mère désolée de voir sa fille sans postérité l’avait conduite au sabre de Roland ; le miracle s’opéra, mais il se trompa d’adresse, et ce fut la mère qui eut un fils l’année suivante. On devine que les esprits voltairiens de la contrée ne manquent pas, en parlant de ces prodiges, de faire allusion aux phalanstères que vous savez et même à de méchans moines, depuis long-temps disparus, et que l’on nommait, disent-ils, à juste titre les pères de l’endroit ; mais ces railleries sont partout les mêmes, et je ne les citerais pas si, en définitive, ces croyances coupables, ces dévotions païennes que la religion condamne ne prêtaient fort à la médisance et n’appelaient même jusqu’à un certain point la sévérité. Au reste, ces abus ont existé de tout temps à Roc-Amadour, et l’on doit penser même qu’ils étaient autrefois beaucoup plus considérables. Un ménestrel du XIIIe siècle, Pierre de Sygeland, a dit en un style équivoque :

A Rochemadour, ce me semble,
Où grans peuples souvent assemble
En pélérinage en alla ;
Moult de pélerins trouva là
Qui de lointains pays étoient
Et qui moult grant fente faisoient.

Hors l’audace incomparable de la construction première, les trois églises superposées de Roc-Amadour n’ont rien de très remarquable, et l’art n’a rien à dire aux nombreux tableaux suspendus en ex voto dans la chapelle dorée de Notre-Dame. Au-dessus des zigzags infinis de l’escalier taillé en plein dans la falaise, dominant le toit de la dernière église et tout le pays à la ronde, s’élève la maison élégante des missionnaires. Là comme partout, la vie claustrale, si austère et si froide, ne dédaigne pas de revêtir à l’extérieur une sorte d’apparence souriante et presque coquette. Ces religieux, qui font beaucoup de bien dans le pays et y sont très aimés, emploient en ce moment les souscriptions des pèlerins à la construction d’un grand bâtiment, également suspendu aux flancs des rochers. Ils logeront là plus convenablement les prêtres que le pèlerinage attire chaque année, et les auberges n’abriteront plus que la jeunesse pieuse et folle, ascétique et rieuse dont j’ai parlé.

Notre voyage était fini. Après avoir gagné la ville de Souillac, nous revînmes au logis en diligence et sans plus d’aventures. Avions-nous pieusement accompli notre pèlerinage ? Je ne sais, mais huit jours s’étaient passés gaiement. J’ai dit en commençant que l’on pouvait, sans aller loin, faire d’intéressans voyages : cette tournée m’a laissé, en effet, un souvenir plus durable et plus doux que bien des courses lointaines, et je me suis donné souvent beaucoup de peine pour dépenser plus mal une semaine de ma vie.


ALEXIS DE VALON.

  1. On nomme le pays bas la portion méridionale du département de la Corrèze qui est couverte de vignobles.
  2. Pour l’année 1767.
  3. Au château du Saillant.
  4. Voir les Femmes du dix-septième siècle dans la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1844.
  5. Les étymologistes prétendent que Quercy vient du mot latin quercus (chêne), et que ce nom a été donné à cette partie de la France en raison des forêts de chênes qui la couvraient.
  6. Caler, sorte de lampe. On dit en patois limousin tsoler. À la place du ts qui commence dans la Corrèze une quantité de mots d’une prononciation difficile, les habitans du Lot mettent un C. Tsomin, camin (chemin), tsostel, castel (château), tsoval, caval (cheval), etc., etc. Règle générale, le Français dit cha ou che, le Quercinois ca, le Limousin tso.
  7. Sanct. Ant. Chronic., part. I, tit. VI.
  8. Vida del glorioso confesser sant Amadour. – Colomier.
  9. Histoire critique et religieuse de Notre-Dame de Roc-Amadour, par A.-B. Caillau. Paris, 1834 ; chez Camus, rue de l’Abbaye.
  10. Duplex, Hist. de France, chap. VIII et XI, page 321.
  11. « Ne vous ait homme qui pour autre s’enfuie ! » Chanson de Roland, poème attribué à Théroulde et traduit récemment par M. Génin, chant III, v. 868.
  12. Eh ! Durandal, comme tu es claire et blanche !

    Comme au soleil tu reluis et flamboies ! Idem., v. 878.