La Cithare (Gille)/Vers la Beauté

La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 3-11).

VERS LA BEAUTÉ


 
Loin de ce siècle vil et des laideurs humaines,
En des temps disparus, dans un rêve enchanté
Je t’évoque aujourd’hui, foyer de la Beauté,
Ville-fleur, Ville-femme, ô lumineuse Athènes !

C’était par un matin de nacre et d’or : l’azur
Palpitait dans les bois, vibrait sur les collines ;
Dans les prés étoilés les sources cristallines
Épanchaient en riant leur flot paisible et pur ;


Et, plus loin, l’océan couleur de violette,
Frôlant le sable blanc, pétillait de rayons,
Tandis qu’avec des cris d’amour des alcyons,
Plongeant, effleuraient l’onde où leur vol se reflète.

La chanson de la brise et l’hymne de la mer
Se mêlaient en accords au pied du promontoire ;
La terre s’éveillait dans une aube de gloire,
La rose du soleil s’entr’ouvrait dans l’éther.

Je marchais enivré de force et d’harmonie ;
Un esprit circulait partout libre et hardi,
Et, des proches forêts au rivage arrondi,
Mon âme fleurissait à la nature unie.

Autour de moi, parmi les souples romarins,
Tendrement, longuement, roucoulaient des colombes ;
Entre les clairs bassins, les buissons et les tombes
Des éphèbes erraient, ornés de joncs marins.

Pressant de l’aiguillon les bœufs pesants et graves,
Les laboureurs joyeux revenaient du travail,
Et sous les sorbiers ronds aux grappes de corail
Des vierges s’égayaient de murmures suaves.


Et tous allaient heureux et d’un pas cadencé ;
De leur cœur, comme un chant, s’élevait leur prière :
Il semblait que par tous ces chemins de lumière
Une divinité charmante avait passé.

J’avais gravi la côte : un vent aromatique
Grisa soudain mes sens et mon cœur en émoi.
Je m’arrêtai. Le ciel avait fui devant moi ;
Au loin se déroulait la plaine de l’Attique,

On eût dit une mer immense aux calmes flots,
D’une poussière d’or et de neige voilée ;
Et dans cette lumière, au fond de la vallée,
Des bosquets émergeaient comme de verts îlots.

À mes pieds, jusqu’aux monts sacrés aux belles lignes,
Scintillaient, par milliers, des marbres immortels,
Des tombeaux glorieux et de simples autels
Parmi les figuiers noirs, les cyprès et les vignes ;

Et, groupés en bouquets, de minces peupliers,
Partout, sur les versants ou dans la gorge sombre,
Mollement balancés, abritaient de leur ombre
Des temples gracieux ceints de fleurs en colliers.


Et c’est au sein de cette ineffable nature,
Surgissant au milieu d’un océan vermeil,
Avec ses tuiles d’or miroitant au soleil,
Ses rotondes parmi les massifs de verdure,

Ses gymnases, ses clairs palais et ses gradins
Couronnés d’oliviers et chargés de statues
Par le chaste matin de pourpres revêtues,
Ses portiques brillants et ses vastes jardins,

Que la Ville au doux nom, la Ville au diadème
De violettes et de lis, la Ville-fleur,
Athènes, amoureuse et belle en sa blancheur,
Reposait dans l’orgueil de sa gloire suprême.

Et là-haut, élevant son sommet radieux,
Comme un prodigieux et splendide symbole
Dans l’azur transparent se dressait l’Acropole,
L’autel de la Cité, le piédestal des Dieux.

De la plaine montaient des brises odorantes,
Sur les cimes passaient des hymnes inouïs ;
Un éclair tressaillit dans mes yeux éblouis,
Et mon âme chanta sur mes lèvres vibrantes :


— Immortelle aux yeux clairs, Athèna, dont je vois
Resplendir dans le ciel la lance protectrice,
Ô Terrible, ô Guerrière, ô chaste Inspiratrice,
Fais entendre à mon cœur ta forte et douce voix !

Ô Sage, éclaire-moi, Pallas, Vierge sacrée,
Que je puise à mon tour à ton divin trésor !
Descends, descends en moi, subtile flamme d’or,
Intelligence, Esprit de Zeus, Verbe qui crée.

Ô Déesse au grand cœur, en ce jour j’ai surpris
Les secrets de ton âme harmonieuse et fière
Sur ton auguste front, dans tes yeux de lumière
Et dans ces bois sacrés, pleins de nobles esprits.

Vers le temple éclatant que ta lance protège
J’irai, portant des fleurs, avec le peuple entier ;
Tu me verras, tremblant, gravir l’étroit sentier
Parmi les chœurs émus qui forment ton cortège.

Que ton souffle m’anime, et que dans la clarté
De tes regards sereins s’envolent mes pensées !
Et, lorsque sur ta lèvre elles seront posées,
Tu leur enseigneras le Vrai par la Beauté.


D’un cœur nouveau je te salue, ô nouveau monde !
Je renais à la vie et bénis d’autres dieux
Qui, nés de la splendeur du jour mélodieux,
Veillent avec amour sur la terre féconde.

D’un peuple adolescent incarnant l’idéal,
De l’Olympe neigeux, ces fils heureux des âmes,
Ces gardiens indulgents, vêtus d’or et de flammes,
Sont vers nous descendus dans l’éther matinal.

De leurs cheveux soyeux s’épanche l’ambroisie
En rosée odorante au sein des fleurs d’avril ;
L’océan les soulève en un rythme subtil,
L’air les porte aux autels sur la roche choisie.

Ces grèves, ces vallons, ces sources et ces bois
Sont pleins de leur sourire et pleins de leur pensée ;
La rose est à leur souffle embaumé balancée,
Les arbres chevelus tressaillent à leur voix.

Des temples d’Éleusis aux chênes de Dodone,
Des sommets glorieux aux rivages vermeils,
Ils se révèlent par leurs bienveillants conseils ;
Et l’homme confiant à leurs soins s’abandonne.


Il leur rit ; et parmi leur cortège joyeux,
À leur bouche de miel recueillant la sagesse,
Il goûte leur bonheur, partage leur ivresse ;
Il bénit la nature en entr’ouvrant les yeux.

C’est le temps des héros et des vertus viriles :
Un amour généreux l’attache à la Cité ;
Il lutte pour l’autel et pour la liberté,
Ou remplit les vallons de ses tendres idylles.

Pour la chère patrie unissant son effort,
Il offre sa jeunesse et sa volonté libre ;
En lui tout est vigueur, harmonie, équilibre ;
Il poursuit son destin, calme, paisible et fort.

Sur les monts radieux, dans les fraîches vallées,
Dans la verte clairière il dresse des autels,
Et ses chants en l’honneur des divins Immortels
Réveillent les échos des forêts étoilées ;

Et dans les lumineux jardins de son esprit
Le soleil fait fleurir d’adorables légendes
Qu’avec ferveur il tresse en légères guirlandes
Sur le front rayonnant du dieu qui lui sourit.


Mais, d’un grand cri parfois arrêtant la Victoire
Qui passe, aile éployée et pleine de rayons,
Il la force à descendre au sein des bataillons
Et lui sculpte du glaive un piédestal de gloire.

Et si la Paix alors lui verse son trésor,
Ayant posé la main sur son cœur pacifique,
Couronné d’olivier, revêtant la tunique
Qu’attache sur l’épaule une cigale d’or,

Il va, dans le lycée, à l’ombre du platane,
Recueillir le discours de ses sages vieillards,
Tandis qu’en s’ébattant les oiseaux babillards
Chantent dans le feuillage ardent et diaphane.

La fontaine languit et retient ses sanglots ;
Partout, autour de lui, les collines sublimes,
Les ondulations caressantes des cimes
Et partout le sourire innombrable des flots.

Là-bas, il voit, à l’heure où brillent les Pléiades,
Contre un fût de colonne, en son rêve absorbé,
Le satyre rieur au front large et bombé,
Charmer de ses accents les peureuses naïades.


Il écoute ; il sourit ; il regarde le faon
Parmi le thym rosé jouer avec les lièvres,
Et sur les rocs abrupts les sauts brusques des chèvres
Qui dansent aux sons vifs de la flûte de Pan.

Tout est splendeur et joie et parfum et lumière ;
La vie est une rose immense sous les cieux ;
Et lui, sans nul effort, enfant insoucieux,
Offre aux divinités sa floraison première.