La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XVII

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 100-102).

Chapitre dix-septième.
Du l’alant et de toute sa nature.


Alanz est une nature et manière de chiens ; et les uns sont que on appelle alanz gentilz ; les autres sont que on appelle alans veautres. Les autres sont alans de boucherie. Les alans gentilz si doivent estre fez et taillez droitement comme un levrier de toutes choses fors de la teste qui doit estre grosse et courte. Et combien qu’il en y ait de chescun poill, le droit bon poil de alant et qui plus est commun si doit estre blanc avec aucune tache noire environ l’oreille ; les yeulz bien petiz et blans, et les narrines blanches ; les oreilles droites et agusiées, et aussi les y afaite l’en[1].

Alant faut mieulz acoustumer que nulle autre beste, quar il est mieulz taillé et plus fort pour fere mal que nulle autre beste ; et aussi de leur nature les alans sont voulentiers estourdiz et si n’ont mie si bon sens comme moult d’autres chiens ont ; quar se on court un cheval, ils le prennent voulentiers ; et vont aux buefz ou brebis, ou pourcialx ou à autre bestiaill, ou aux gens, ou à autres chiens ; quar j’ay veu alant qui tuait son maistre ; et en toutes guises alans sont mal gracieux et mal entechiez et plus foulz et estourdiz que autre manière de chiens. Et oncques je n’en vi trois bien entechiez et bien bons ; quar bon alant doit courre si tost comme un levrier et ce à quoy il ataint, il doit metre la dent, et ce doit estre sanz leissier, quart un alant de sa nature tient plus fort sa morsure que ne feroient trois lévriers les meilleurs que on puisse trouver. Et pour ce est-ce le meilleur chien que on puisse tenir pour prendre toutes bestes à tenir fort. Et quant il est bien duit et parfaictement bon, je tiens que c’est le souverain de tous les autres chiens. Mes pou en trouve en de parfet.

Bon alant doit amer son maistre et suyvir et luy aidier en tous cas et fere ce qui li commendera, queuque chose que ce soit. Bon alant doit aller tost et estre hardy à prendre toute beste sans marchander et tenir fort sans leissier et bien aconditioné et bien à commandement de son maistre ; et quant il est tel, je tiens comme j’ay dit, que c’est le meilleur chien qui puisse estre pour prendre toute beste.

L’autre nature d’alans veautres, si sont auques taillez comme leide taille de levrier ; mes ils ont grosses testes, grosses levres et granz oreilles ; et de cez[2], si s’aide l’en très bien de chassier les ours et les porcs ; quar ilz tiennent de leur nature fort ; mes ils sont pesans et lez ; et s’ils muerent d’un sanglier ou d’un ours, ce n’est mie trop grande perte ; et meslez avec levriers qui puissent, sont bons ; quar quant ils ateinhent, ils lient la beste et la tiennent tout quoy. Mes par eulx mesmes ils ne l’ateindroient jà, se leuvriers ne métoient la beste en destri[3]. Donc tout homme, qui vuelt hanter la chasse des ours et des porcs, doit avoir et levriers et alanz veautres ou de boucherie, et mastins si n’en puelt avoir des autres ; quar fort tiennent comme j’ai dit plus que lévriers. L’autre nature d’alans de boucherie sont tels que vous pouvez veoir tousjours ès bonnes villes les quieux les bouchers tiennent pour leur aidier à mener les bestaillz qu’ils achatent hors des bonnes villes ; quar si un buef eschapoit du bouchier qui le maine, son chien le va prendre et arrester, jusques tant que son mestre soit venu et l’aide à ramener à la ville ; et sont de pou de despenz, qu’ilz menjent les ordures des boucheries ; et aussi gardent ilz l’ostel de le mestre et sont bons pour la chasse des ours ou des sangliers, ou soit avec levriers au titre[4] ou soit avec chiens courans aux abois dedenz les fourz ; quar quant un sanglier est en i fort païs, jà de tout le jour par aventure ne le vuideroit pour les chiens courrans. Et quant on gete cieu mastinaille, ou ilz le prennent en my le fors et le font tuer à aucun homme ; ou ilz lui font vuider le païs, qu’il ne demourra gueres longuement aux abois. Et aussi sont ilz bons pour veautrer de nuiz, si comme je diray, quant parleray du veneur.

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  1. Afaite, de l’espagnol afeytar, parer, accommoder, raser.
  2. De cez, de ces, de ceux-là.
  3. Destri. Suivant le Glossaire de Ducange, destric, distringere, ce qui resserre et de là destrois, détresse, douleur.
  4. Au titre. Dans le manuscrit 7098, le mot est en abrégé tite. Dans le manuscrit 7097, on trouve la même abréviation. Dans le manuscrit 7099, on lit au traites.

    Le magnifique manuscrit provenant de la Bibliothèque de Saint-Vallier qui se trouvait à Neuilly et que j’ai déjà cité dans les notes des pages 16–34, a été réclamé par la Bibliothèque nationale. Il vient d’y être réintégré après en avoir été distrait pendant un siècle et demi.

    Ce passage y est ainsi transcrit : Ou soit avec levriers au titre. Je crois que cette version est la bonne, et qu’elle signifie à tir.