La Charité, c’est le meurtre !


Le Père Peinard du 4 juillet 1897Série 2, numéro 37 (p. 3).

La Charité, c’est le Meurtre !


Rue Fessart, en haut de Belleville, y a un cochon d’asile où sont reçues à bras ouverts les pauvres bougresses dans la débine.

Très probablement, les bons bougres, vous avez reluqué à diverses reprises dans les quotidiens, des tartines pommadeuses au sujet de cet asile.

C’était du chiquet, nom de dieu !

Je vas vous le prouver : sachez d’abord que, sur les deux cents pauvres bougresses qui y sont habituellement réfugiées, y en a bien cent cinquante qui ont un polichinelle dans le tiroir.

Les pauvres travaillent à la repopulation de la France, — mais comme les grosses légumes s’en foutent, les malheureuses enceintrées n’en sont que d’avantage mistouflières.

Alors, ne sachant comment se tirer d’affaire, elles font un plongeon dans le bagne de la rue Fessart.

Ah, mille dieux, quel bagne et quelle misère !

Les réfugiées travaillent depuis sept heures et demie du matin jusqu’à six heures du soir, — et il ne faut foutre pas qu’elles musardent !

En retour, l’administrance de l’asile leur aboule, — en guise de salaire, — quatre sous par jour.

Parfaitement, quatre sous !

Et ces quatre pétards, on se borne à les leur faire voir…, les pauvres frangines ne les touchent qu’à leur sortie.

Seules les piqueuses à la machine sont un tantinet privilégiées : elles gagnent six sous par jour.

Or, les bons fieux, n’allez pas supposer que les pauvrettes gagnent leur maigre journée à se rouler les pouces.

Fichtre non ! Elles confectionnent de la lingerie pour les magasins de nouveautés, — et l’administrance de l’asile sait se faire casquer.

Turellement, les réfugiées sont nourries, — mais comment !… Elles bouffent des patates et des fayots, des fayots et des patates…, et c’est à peu près tout. Si seulement c’était cuisiné potablement. Ah ouat ! On leur sert des ratatouilles à faire refouler et vomir un cochon !

À chaque repas les malheureuses devraient recevoir un verre de vin, — on leur en aboule juste un demi-verre. Quant au bricheton, elles en ont à peine pour se caler une dent creuse : deux cents grammes par jour !

La semaine dernière quatre bonnes bougresses sont tombées malades ; leurs copines ont attribué ça au manque de nourriture. Les vétérinaires, eux, ont été d’un avis contraire : après un mûr examen, ils ont décidé que les quatre malheureuses sont malades d’avoir liché trop d’eau.

C’est jamais le sirop de grenouille qui vous foutra à cul, vous autres, sales bougres de médicastres, — mais ça pourrait bien être les pernods !

Afin que d’autres réfugiées ne se soûlent pas d’eau claire, on a fermé les robinets, — et maintenant, par la chaleur de ces jours-ci, les pauvrettes crèvent de soif !

Hein, non d’un foutre, c’est le cas de le seriner : La charité, c’est le meurtre !

Le conseiller cipal du quartier, — Grébauval, qui a troqué sa cocarde boulangeuse pour celle de socialo révisionnard, — perche à deux pas de ce maudit asile.

Et il ne pipe pas mot ! Pourtant, à moins qu’il ait les quinquets farcis de feinte de richard, il ne doit pas ignorer de quoi il retourne.

Il est vrai, c’est pas son affaire !

Le métier de conseiller cipal consiste à gaspiller le plus bêtement et le plus vivement possible le pognon soutiré au populo, — et non à rouspéter contre les monstruosités sociales.