La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 68

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LXVIII

Carles li magnes ne poet muer n’en plurt : Charles le Grand ne peut s’empêcher de pleurer :
.C. milie Franc pur lui unt grant tendrur, Cent mille Français sont pris pour lui de grand’pitié
E de Rollant merveilluse poür. Et d’une peur étrange pour Roland.
Guenes li fels en ad fait traïsun ; C’est Ganelon, c’est ce félon qui l’a trahi ;
845 Del rei païen en ad oüt granz duns,
C’est lui qui, pour cette trahison, a reçu du roi païen riches présents,
Or e argent, palies e ciclatuns, Or et argent, étoffes de soie, riches vêtements,
Muls e chevals, e cameilz e leuns. Chevaux et mulets, chameaux et lions…
Marsilies mandet d’Espaigne les baruns, Et voici que Marsile mande ses barons d’Espagne,
Cuntes, vezcuntes e dux e almacurs, Comtes, vicomtes, ducs et aumaçors,
850 Les amirafles e les filz as cunturs ; Avec les émirs et les fils de ses comtes.
.Iiii. c. milie en ajustet en .iii. jurz. Il en réunit quatre cent mille en trois jours,
En Sarraguce fait suner ses taburs.
Et fait sonner ses tambours dans toute la ville de Saragosse.
Mahumet levent en la plus halte tur ;
Sur le sommet de la plus haute tour, on élève la statue de Mahomet :
N’i ad païen ne l’ prit e ne l’ aürt. Pas de païen qui ne la prie et ne l’adore.
855 Puis, si chevalchent par mult grant cuntençun Puis ils chevauchent, en très-grande furie,
Tere Certeine e les vals et les munz ; À travers la Cerdagne, les vallées et les montagnes.
De cels de France virent les gunfanuns, Enfin ils aperçoivent les gonfanons de ceux de France.
La rere-guarde des .xii. Cumpaignuns : C’est l’arrière-garde des douze Compagnons :
Ne lesserat bataille ne lur duint. Aoi. Point ne manqueront à leur livrer bataille.


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Vers 842.Francs. O. Pour le cas sujet du pluriel, il faut Franc.

Vers 844.Guens. O. Lire p.-e. fel.

Vers 845.Oüd. O. V. la note du vers 2.

Vers 850.Mahumet levent en la plus halte tur... « Il fit placer ses dieux sur le rempart, et leur fit des sacrifices. » (Keiser Karl Magnus’s Kronike.)

Vers 854.Aort. O. Pour l’assonance, aürt. Le verbe est aürer.

Vers 858.Tere Certeine. C’est sur ces deux mots que M. d’Avril a appuyé toute sa théorie sur le théâtre des derniers exploits et de la mort de Roland. Il le place en Cerdagne, et non en Navarre. Dans notre « Note sur la Géographie de la Chanson de Roland », nous réfutons longuement cette opinion, après MM. P. Raymond, Gaston Paris et François Saint-Maur. (V. cette note au vers 703.)

Vers 859. — Lire duinst, qui se trouve au vers 1898. Le subjonctif présent a beaucoup embarrassé nos pères, qui tenaient à le bien distinguer du présent de l’indicatif. Ainsi, pour la seule 3e p. du subjonctif de duner, nous avons, dans notre Chanson, cinq ou six formes différentes : dunne (18) ; dunget (2016) ; duinset (2938) ; dunt (859) ; duinst (1898) ; doinst, etc. ═ Lire plutôt laisserat.

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