La Cathédrale de Lyon/II/9

Henri Laurens (p. 41-48).

Intérieur de la nef. — Peu après la construction du chœur et des chapelles latérales donnant sur le transept, on avait élevé le périmètre des collatéraux, et de la façade même jusqu’au niveau des bases des piles engagées. Les profils rappellent de très près ceux des piliers romans du chœur. Quand les travaux reprirent, au XIIIe siècle, le maître d’œuvre monta les bas côtés sur les fondations déjà établies ; mais les piliers de la nef sont tout entiers du XIIIe siècle. La disposition primitive des collatéraux, tels qu’ils étaient avant l’ouverture des chapelles, avec leurs fenêtres à deux baies, est encore visible dans la travée qui touche la façade.

La nef, qui offre une complète unité, tout au moins dans ses grandes lignes, comprend huit travées recouvertes de quatre voûtes d’ogive sexpartites. Chacune de ces grandes voûtes, coupées par une nervure intermédiaire passant par la clef, embrasse deux travées. Seules, les deux dernières travées à l’occident furent élevées en même temps que la partie intérieure de la façade sous l’administration de Pierre de Savoie, vers 1310. Les voûtes de ces deux travées ne furent terminées que plus tard, en même temps que le haut de la façade, par l’archevêque de Thurey, 1358-1365, dont on retrouve les armes aux vitraux et aux clefs des voûtes[1].

L’élévation du vaisseau comporte trois divisions : les grandes arcades s’ouvrant sur les collatéraux
Tony Desjardins del.

Coupe longitudinale de la cathédrale de Lyon
et reposant sur de robustes piliers, un triforium se développant tout autour de l’édifice et les fenêtres hautes.

Les huit piliers cruciformes, tous semblables, sont composés d’une grosse pile cantonnée de quatre colonnes engagées. Deux de ces colonnes soutiennent les grandes arcades de la nef, une autre les arcs doubleaux longitudinaux des bas côtés et la dernière s’élance jusqu’aux voûtes de la nef pour porter alternativement la retombée des arcs doubleaux ou la nervure intermédiaire des grandes voûtes. Entre ces quatre colonnes, deux colonnettes en délit montent supporter les croisées d’ogives de la nef et deux autres soutiennent les formerets et les nervures des bas côtés. Ces faisceaux de colonnes reposent sur un socle robuste à huit faces et des bases à deux tores séparés par une scotie entre deux filets, très refouillée et se creusant en gouttière profonde. Le tore inférieur, robuste et saillant, accompagné de griffes, déborde sur les bases, tandis que le tore supérieur, plus aplati, semble écrasé par le poids des colonnes. Dans les collatéraux, les arcs doubleaux, les formerets et les ogives portent également sur une grosse colonne et quatre colonnettes engagées dans le mur latéral. Au pied de ce mur régnait une assise de pierre destinée à servir de banc aux fidèles. Cette disposition se retrouve près des piliers et dans la dernière travée. Les chapiteaux des piliers et des colonnes montrent un admirable épanouissement de feuillages d’érable, de chêne, de figuier, accrochés à la corbeille et sculptés avec une parfaite observation de la nature.

Le triforium, galerie de circulation qui se prolonge tout autour de l’édifice, constitue la deuxième division de la nef et se compose de quatre arcades par travée. Les différences architecturales provenant des reprises successives dans les travaux sont ici très visibles. Ainsi, dans les deux travées faisant suite au transept, les petites voûtes de la galerie sont des voûtes d’ogives reposant sur des consoles historiées. Dans les travées suivantes, ce sont de simples berceaux, enfin, dans les deux dernières — celles du XIVe siècle — l’extrados des arcs brisés qui surmontent les arcatures est orné de crochets. De même que pour les chapiteaux des grands piliers, la flore locale a fourni les motifs de tous ceux du triforium : feuilles de vigne, d’érable, de houx, feuilles d’eau. Les crochets de l’un d’eux se terminent même de façon très inattendue par des têtes feuillagées. Ces chapiteaux, eux aussi, accusent nettement des reprises dans les travaux. Ceux des quatre premières travées, en parlant du chœur, sont simplement ornés de crochets feuillagés tandis que ceux des deux travées suivantes sont tous décorés de bouquets de feuilles s’épanouissant sur la corbeille : la plupart portent la « marque » de leur auteur, c’est-à-dire un profil humain ou une demi-feuille d’érable, très soigneusement gravés sur le tailloir ou sur la corbeille.

Les grandes fenêtres qui forment le dernier étage de la nef, au-dessus de la galerie de circulation, occupent tout l’espace compris entre les contreforts et s’élèvent jusqu’aux voûtes, formant ainsi une immense clairevoie surmontée de roses polylobées. Ces fenêtres sont divisées, chacune, en trois baies par des meneaux formés d’un groupe de colonnettes bâties en assises.
Chapiteau du triforium
Les bases de ces colonnettes, débordant sur le mur, portent en encorbellement sur des culs-de-lampe et affectent les formes les plus variées : chapiteaux à crochets, masques humains, animaux bizarres. Les contreforts intérieurs, établis au-dessus des piliers de la nef entre les colonnettes qui supportent les formerêts et les nervures des voûtes et la paroi des fenêtres, sont réunis l’un à l’autre par une arcade. C’est sur ces arcades que reposent la corniche du couronnement de la nef, le chéneau et la balustrade. Le revers de la façade, qui n’est pas occupé par un buffet de grandes orgues, puisque l’usage de cet instrument était prohibé par le rituel lyonnais, pourrait sembler un peu nu. Un gable élancé, mais peu saillant, surmonte le portail ; deux autres
Coupe transversale de la nef, côté nord

l’accompagnent latéralement couronnant des consoles et des dais, aujourd’hui privés de leurs quatre grandes statues. Au-dessus retournent le triforium et la galerie supérieure reliant ainsi les deux parois de la nef et sous la voûte s’ouvre la grande rose de Jacques de Beaujeu.

Contemporaine des grandes cathédrales du Nord, c’est dans la nef seulement que l’influence septentrionale s’affirme dans la cathédrale de Lyon. Mais ici l’ascension éperdue des lignes est tempérée par un reste d’influences méridionales et il en résulte un ensemble d’une ordonnance grave et solennelle, d’une perfection et d’une harmonie absolues. Sans doute, les proportions de cette nef sont moins monumentales que celles de Reims, de Chartres ou d’Amiens et l’impression moins violente. Mais son charme plus discret et aussi savant en fait un des purs chefs-d’œuvre de l’architecture gothique de notre pays.


  1. Une conséquence fâcheuse du plan carré formant deux travées divisées par un léger arc doubleau, c’est de donner aux arcs ogives une direction trop oblique dont la projection coupe désagréablement la vue des fenêtres, comme on peut s’en rendre compte sur l’élévation longitudinale.