La Catastrophe de la Martinique (Hess)/10
X
L’AGONIE DE SAINT-PIERRE
Vous vous rappelez la pièce jouée cet hiver chez Antoine, et où l’on voyait un mari assister par le téléphone au meurtre de sa femme ?
Il y a eu quelque chose qui ressemble à cela dans cette catastrophe du 8. Les dernières paroles et le hoquet de l’employé du téléphone de Saint-Pierre surpris à son appareil par le feu du volcan ont été entendus à Fort-de-France par un de ses collègues. Le directeur des services téléphoniques est M. Garnier-Laroche. Je l’ai prié de me conter ses souvenirs. Il m’a dit :
« À 8 heures moins 5, je causais avec un employé de Saint-Pierre, à l’appareil. Cet employé me disait que la situation devenait très ennuyeuse à Saint-Pierre. Des nuages opaques couvraient la ville et y faisaient la nuit. On n’y voyait plus. On avait été obligé d’allumer les lampes au bureau. Tout le monde redoutait une catastrophe imminente. On n’y pouvait plus tenir…
« Alors, j’ai passé le cornet à un employé, voulant aller prévenir le gouverneur de ces graves nouvelles
« J’étais à peine dans l’escalier que mon employé me rappelait en me disant qu’on ne répondait plus à Saint-Pierre. Il avait entendu son interlocuteur pierrotin balbutier tout à coup, bredouiller comme un homme qui étrangle… Il y avait eu un crépitement de l’appareil, il avait senti une secousse dans l’oreille… puis rien…
« À ce moment, tous les voyants de l’appareil s’agitèrent avec force. Le même phénomène s’était déjà produit les jours précédents, et il se produisit encore le 20.
« À 8 h. 15, voulant essayer de me remettre en communication avec Saint-Pierre, je pris une autre ligne celle du bureau du Carbet, le plus voisin de Saint-Pierre… La ville était alors en flammes. »
Au télégraphe, c’est-à-dire au câble français, les employés de Saint-Pierre et de Fort-de-France étaient aussi occupés à « causer » lorsque survint la catastrophe.
Chaque matin, entre stations, les employés avant de prendre le service se communiquaient les nouvelles de leurs résidences respectives.
Celui de Saint-Pierre parlait du volcan. Il en riait. Il remarquait beaucoup de craintes autour de lui… Mais bast ! il ne voyait là point matière à trembler, à pleurer, mais à rire. C’est dans une plaisanterie, dans un éclat de rire pointé et ligné à son appareil que la mort l’a surpris. L’agent, de Fort-de-France a envoyé cette « bande » à la direction de Paris.