La Catastrophe de la Martinique (Hess)/10

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 52-54).


X

L’AGONIE DE SAINT-PIERRE


Au téléphone et au télégraphe.


Vous vous rappelez la pièce jouée cet hiver chez Antoine, et où l’on voyait un mari assister par le téléphone au meurtre de sa femme ?

Il y a eu quelque chose qui ressemble à cela dans cette catastrophe du 8. Les dernières paroles et le hoquet de l’employé du téléphone de Saint-Pierre surpris à son appareil par le feu du volcan ont été entendus à Fort-de-France par un de ses collègues. Le directeur des services téléphoniques est M. Garnier-Laroche. Je l’ai prié de me conter ses souvenirs. Il m’a dit :

Grand’Rue, 11 mai.

« À 8 heures moins 5, je causais avec un employé de Saint-Pierre, à l’appareil. Cet employé me disait que la situation devenait très ennuyeuse à Saint-Pierre. Des nuages opaques couvraient la ville et y faisaient la nuit. On n’y voyait plus. On avait été obligé d’allumer les lampes au bureau. Tout le monde redoutait une catastrophe imminente. On n’y pouvait plus tenir…

« Alors, j’ai passé le cornet à un employé, voulant aller prévenir le gouverneur de ces graves nouvelles

« J’étais à peine dans l’escalier que mon employé me rappelait en me disant qu’on ne répondait plus à Saint-Pierre. Il avait entendu son interlocuteur pierrotin balbutier tout à coup, bredouiller comme un homme qui étrangle… Il y avait eu un crépitement de l’appareil, il avait senti une secousse dans l’oreille… puis rien…

« À ce moment, tous les voyants de l’appareil s’agitèrent avec force. Le même phénomène s’était déjà produit les jours précédents, et il se produisit encore le 20.

« À 8 h. 15, voulant essayer de me remettre en communication avec Saint-Pierre, je pris une autre ligne celle du bureau du Carbet, le plus voisin de Saint-Pierre… La ville était alors en flammes. »


Au télégraphe, c’est-à-dire au câble français, les employés de Saint-Pierre et de Fort-de-France étaient aussi occupés à « causer » lorsque survint la catastrophe.

Chaque matin, entre stations, les employés avant de prendre le service se communiquaient les nouvelles de leurs résidences respectives.

Celui de Saint-Pierre parlait du volcan. Il en riait. Il remarquait beaucoup de craintes autour de lui… Mais bast ! il ne voyait là point matière à trembler, à pleurer, mais à rire. C’est dans une plaisanterie, dans un éclat de rire pointé et ligné à son appareil que la mort l’a surpris. L’agent, de Fort-de-France a envoyé cette « bande » à la direction de Paris.