L. Hachette et Cie (p. 183-185).

LXIV

MURMURES DES ISRAÉLITES

(Même année, 1398 ans avant J.-C.)



Après deux années de cette vie errante…

Françoise. Qu’est-ce que c’est, vie errante ?

Grand’mère. Une vie errante est une vie sans repos, sans long séjour nulle part, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre ; les Israélites s’ennuyèrent de cette vie. Ils recommencèrent à murmurer, à regretter l’Égypte, à se plaindre de la fatigue. Le Seigneur indigné, qui les entendait, envoya une grande flamme qui parcourut le camp, brûlant tout ce qu’elle rencontrait.

Le peuple cria vers Moïse pour qu’il les sauvât de la colère de Dieu. Moïse pria le Seigneur de pardonner à son peuple, et aussitôt la flamme s’éteignit.

Louis. Je trouve que le bon Dieu était bien sévère pour son peuple ; il lui était si facile de le rendre heureux en le transportant dans un beau pays, comme il le lui avait promis, au lieu de le faire promener pendant quarante ans dans cet affreux désert. Ces pauvres gens grognent, c’est bien naturel, et j’aurais grogné comme eux.

Grand’mère. Et tu aurais eu tort comme eux ; et tu aurais été puni comme eux. C’était une épreuve à laquelle les soumettait le bon Dieu ; il voulait, par les fatigues et les privations, leur faire expier les fautes si graves qu’ils avaient commises pendant leur long séjour en Égypte, où ils avaient abandonné le culte du vrai Dieu. Il ne voulait pas les laisser entrer dans la Terre promise avant que le repentir eût expié les mauvaises actions de leur vie passée, avant qu’ils eussent repris leur foi et leurs habitudes pieuses d’autrefois ; et, au lieu de se repentir, ils continuent à murmurer, à se plaindre. Ils n’ont pas même l’idée de faire comme leur chef Moïse, de prier le Seigneur au lieu de murmurer contre lui.

Jeanne. C’est vrai ça. Chaque fois que Moïse priait, il était tout de suite exaucé.

Grand’mère. Après cet incendie du camp d’Israël, quelques groupes du peuple s’assirent par terre en pleurant, et demandèrent avec instance qu’on leur donnât de la viande à manger.

« De la manne, toujours de la manne ! disaient-ils. Cette manne insipide ! En Égypte, nous avions de la viande, du poisson, des légumes, des fruits. Depuis que nous en sommes sortis, nous n’avons que de la manne, qu’il faut aller ramasser chaque matin avant le lever du soleil, parce que le soleil la fait fondre et que nous n’aurions plus rien si nous dormions plus tard. »

Moïse, se promenant dans le camp, entendit des pleurs et des plaintes sortir de chaque tente ; il s’attrista de ces murmures, il alla au Tabernacle et pria le Seigneur d’avoir pitié de lui.

« Je ne puis, Seigneur, supporter les pleurs de votre peuple. Que puis-je faire, si vous ne nous secourez, Seigneur ? Ils demandent de la viande ; où puis-je en trouver ?

— Puisqu’ils en demandent, répondit le Seigneur, ils en auront tant qu’ils en pourront manger, non pas pendant un jour ou deux, mais pendant un mois entier, jusqu’à ce qu’ils en soient dégoûtés.

— Seigneur, dit Moïse, il y a six cent mille hommes sans compter les femmes et les enfants ; tous nos troupeaux de bœufs, de vaches, de moutons, de chèvres, d’ânes, ne suffiront pas à les nourrir de viande pendant un mois.

— Ma main est-elle donc impuissante ? dit le Seigneur. Dès ce soir ils mangeront de la viande sans égorger une seule bête de leurs troupeaux. »

En effet, peu d’instants après, un vent violent amena dans le camp une multitude innombrable de cailles qui ne volaient qu’à deux coudées de terre…

Gaston. Combien est-ce une coudée ?

Grand’mère. Une coudée est à peu près un demi-mètre ; c’est la longueur d’un bras d’homme, depuis la pointe du coude jusqu’au bout des doigts.

Les cailles tombèrent ainsi dans le camp pendant plusieurs jours ; on en faisait sécher au feu et au soleil. Mais Dieu, pour les punir de leurs murmures, frappa de plaies ceux qui en mangèrent avec trop d’avidité.