L. Hachette et Cie (p. 91-93).

XXVIII

JACOB ÉPOUSE LIA ET RACHEL

(1749 ans avant J.-C.)



Au bout d’un mois, Laban, voyant que Jacob le servait comme s’il était un de ses fils, lui dit : « Il ne faut pas que tu me serves pour rien parce que tu es mon neveu ; dis-moi quelle est la récompense que tu désires pour te payer de ta peine, »

Laban avait deux filles, Lia et Rachel ; Lia était l’aînée, mais elle avait les yeux chassieux et n’était pas d’un caractère aimable ; tandis que Rachel était belle, et son caractère était aussi agréable que sa figure.

Valentine. Grand’mère, qu’est-ce que c’est, des yeux chassieux ?

Grand’mère. Ce sont des yeux dont les paupières sont rouges, gonflées, et qui rendent de l’humeur.

Petit-Louis. C’est très-dégoûtant, cela ; j’espère qu’elle ne va pas être la femme de Jacob.

Grand’mère. C’est ce que tu vas voir. — Laban ayant demandé à son neveu ce qu’il voulait avoir comme récompense de ses services, Jacob pensa que l’occasion était bonne pour demander en mariage sa cousine Rachel, à laquelle il s’était tendrement attaché. Il répondit donc à Laban : « Mon oncle, j’aime votre fille Rachel ; si vous voulez me la donner en mariage, je vous servirai fidèlement pendant sept ans.

— Je le veux bien, dit Laban ; tu vas me servir pendant sept ans, après lesquels je te donnerai Rachel. J’aime mieux le la donner à toi qu’à un étranger. »

Louis. Je trouve que Laban n’est pas aimable de ne pas donner Rachel tout de suite à Jacob et de le faire travailler pendant sent ans.

Grand’mère. Je trouve comme toi que Laban aurait pu mieux faire, d’autant que Jacob avait déjà soixante-dix ans quand il a demandé Rachel en mariage.

Henriette, riant. Soixante-dix ans ! Ha, ha, ha ! ce vieux bonhomme ! Je n’aurais pas voulu l’épouser, si j’avais été Rachel.

Grand’mère. Les filles d’Israël n’avaient pas, comme les nôtres, le droit de choisir leurs maris ; leurs pères les mariaient sans leur demander leur avis, ou bien ils les gardaient à leur service s’ils le jugeaient plus avantageux. D’ailleurs, comme la vie des hommes était plus longue qu’elle ne l’est maintenant, il n’était pas singulier de se marier à soixante-dix ans.

Henriette. Je n’aurais pas aimé à vivre dans ce temps-là ; mais ce n’était pas de même chez d’autres peuples ?

Grand’mère. C’était partout de même ; ce n’est qu’après la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce monde que les femmes n’ont plus été soumises par la loi de Dieu à l’esclavage de leurs pères et de leurs maris. Jusque-là, elles ont porté la peine du péché d’Ève ; c’est la sainte Vierge qui a tiré la femme de son humiliation, ayant été choisie par Dieu pour donner au monde son Sauveur et devenir la Mère de Dieu. — Au reste, maintenant encore, dans les pays non chrétiens, comme la Turquie, la Chine et d’autres pays habités par des païens et des sauvages, les femmes sont toujours esclaves ; on les donne, on les vend, comme nous vendons et donnons les moutons, les vaches, les chevaux.

Marie-Thérèse. C’est abominable ! Pourquoi ne cherche-t-on pas à rendre ces pays chrétiens ?

Grand’mère. Mais, chère petite, c’est ce que font, depuis des siècles, de saints prêtres qu’on appelle missionnaires. Ils consacrent leur vie à instruire ces pauvres ignorants, malgré les souffrances de toutes sortes qu’ils ont à endurer, et souvent même malgré le martyre. — Mais nous voilà bien loin de Jacob et de Rachel ; revenons-y pour savoir ce qui leur arriva.

Jacob, ayant donc consenti à servir Laban pendant sept ans avant d’épouser Rachel, tint fidèlement sa promesse. Au bout de sept années, il dit à Laban : « Donnez-moi Rachel puisque je vous ai servi pendant sept ans, comme vous me l’avez demandé. »

Alors Laban invita un grand nombre d’amis pour assister aux noces et leur donna un magnifique repas. À la nuit, quand les amis furent partis, il amena sa fille couverte d’un voile, comme c’était l’usage chez les Juifs, et la fit entrer dans la tente de Jacob pour en prendre possession.

Le lendemain, quand il fit jour, Jacob fut tout surpris et affligé en voyant Lia à la place de Rachel. Il alla chez Laban et lui dit : « Mon oncle, pourquoi m’avez-vous trompé ? Je vous ai servi sept ans pour Rachel, que j’aime, et voilà que vous m’avez donné Lia, que je n’aime pas. »

Laban répondit : « Ce n’est pas l’usage, dans notre pays, de marier la sœur cadette avant l’aînée : voilà pourquoi je t’ai donné Lia. Mais si tu veux me servir encore sept ans, je te donnerai Rachel. Et pour que tu aies la récompense d’avance, garde Lia dans la tente pour ne pas l’humilier en la renvoyant, et dans sept ans je te donnerai Rachel. »

Jacob accepta l’offre de son oncle, et, sept ans après, il épousa Rachel.

Louis. Laban a bien mal agi envers le pauvre Jacob ; à sa place, je me serais joliment fâché et j’aurais chassé Lia.

Grand’mère. Jacob, en se fâchant, n’aurait pas eu Rachel, qu’il aimait. Il a agi plus sagement en y mettant de la douceur et de la patience, puisque sept ans après il a épousé Rachel.