L’héritier ridicule



L'héritier ridicule ou la dame intéressée

1649



PERSONNAGES

Dom Diègue de Mendoce.

Filipin, ou Dom Pedro de Buffalos, Laquais de Dom Diègue.

Roquespine, écuyer de Dom Diègue.

Carmagnolle, Valet de Dom Pedro de Buffalos.

Dom Juan Bracamont.

Léonor de Gusman.

Hélène de Torres.

Béatrix, servante de Léonor.

Paquette, servante d'Hélène.

Musiciens.


La Scène est à Madrid.



ACTE I


Scène I

Béatrix

Madame, c'est courir beaucoup, et ne rien prendre, Pour moi, je n'en puis plus, je commence à me rendre, Si vous vouliez un peu regagner la maison, Vous ne feriez pas mal.

Léonor

Béatrix a raison 5De se lasser enfin de prendre tant de peine ; Mais elle ne sait pas le sujet qui me mène.

Béatrix

Vous ne le savez pas aussi.

LÉONOR

Je le sais bien ;

Mais trop pour mon repos.

BÉATRIX

Trop aussi pour le mien,

Moi qui croyais marcher des mieux pour une fille,

Qui l'aurais disputé contre un porte-mandille : [10]

Je confesse pourtant que vous allez du pied

Comme moi, pour le moins, voire mieux de moitié ;

Pour moi je ne vais plus quasi que d'une fesse ;

Car vous ne parlez point, et vous rêver sans cesse.

Madame, encore un coup, je ne puis tant aller, [15]

Si je n'ai quelquefois le plaisir de parler :

Mais pourvu que je parle, et que l'on me réponde

J'irai sans me lasser jusques au bout du monde.

LÉONOR

Oui, Béatrix, un peu de conversation,

J'y consens, et t'écoute avec attention. [20]

BÉATRIX

Discourons donc un peu, mais qu'il ne vous déplaise

Du sujet qui vous fait sans carrosse et sans chaise,

Sans Écuyer, sans gens, sans suite, sinon moi,

Courir le long du jour sur le pavé du Roi.

Je ne m'ingère point de condamner la chose [25]

Devant que la savoir : mais l'effet qu'elle cause

Ma lassitude à part, je ne le puis louer :

Car ma chère maîtresse, il vous faut avouer

Que depuis quatre jours que vous courez la rue,

Et faites malgré moi de la Dame inconnue, [30]

Si c'est avec dessein qu'il a mal réussi,

Et si c'est sans dessein que les fous font ainsi,

Vous ne savez pas bien ma foi ce que vous faites,

Que dira-t-on de vous, si l'on sait qui vous êtes ?

Vous qui dites toujours, mon Dieu que dira-t-on ? [35]

Vous qui dites toujours, le trouvera-t-on bon ?

Qui de tout et partout faites la scrupuleuse,

Ne redoutez-vous point qu'on vous nomme coureuse,

Car ce nom-là vous est (sauf votre honneur) bien dû,

Si vous courrez ainsi toujours à corps perdu : [40]

Et ne songez-vous point aux langues de vipère,

Qui tondent sur un oeuf, qui de tout font mystère ;

Les uns diront du moins que vous perdez le sens,

Les autres plus, selon qu'ils seront médisants :

Moi, qui chéris l'honneur autant, et plus qu'un autre, [45]

Que fera-t-on au mien, si l'on s'attaque au vôtre,

Puisque l'on dit toujours, tel maître, tel valet ?

LÉONOR

Je n'attendais pas tant de ton esprit follet,

Mais puisque je te trouve aujourd'hui si morale :

Je te veux croire aussi d'une âme assez loyale, [50]

Pour apprendre de moi le sujet important,

Qui me fait tant courir, et qui te lasse tant ;

Écoute donc.

BÉATRIX

Vraiment, Madame, si j'écoute,

Je choisirais plutôt de ne voir jamais goutte,

Que de n'écouter pas un important secret : [55]

C'est mon plus grand plaisir, mais j'ai l'esprit discret.

LÉONOR

Sache donc, Béatrix, que j'aime.

BÉATRIX

Est-il possible ?

Je vous en aime mieux, il faut être sensible,

Pour moi, je vous croyais plus dure qu'un Rocher :

Mais puisque je connais que l'on vous peut toucher, [60]

Si pour vous y servir, il ne faut que ma vie,

Madame, assurez-vous que vous serez servie.

LÉONOR

Mais je suis, Béatrix, malheureuse à tel point,

Que j'aime un Cavalier.

BÉATRIX

Qui ne vous aime point.

LÉONOR

Non, mais qui ne sait pas, que pour lui je soupire. [65]

BÉATRIX

Le malheur n'est pas grand, il ne faut que lui dire.

LÉONOR

Et comment Béatris ?

BÉATRIX

C'est moi qui lui dira,

Reposez-vous sur moi, Dieu nous assistera,

Quand c'est à bonne fin, l'oeuvre n'est pas mauvaise.

Ha ! Vraiment, il vaut mieux aimer chaud comme braise, [70]

Que haïr son prochain, et lui faire le froid,

Madame, il faut aimer ce qu'aimable l'on croit,

Et ne prétendre pas aussi pour être aimable,

Qu'on ait droit de laisser périr un misérable,

Quand votre Amant serait plus fier qu'un Narcissus, [75]

J'en viendrais bien à bout, j'en aurais le dessus :

Et si je ne tiens pas la chose difficile,

Comment trouverait-il qui vous vaille en la ville ?

Nommez-le seulement, je vous le rends rendu,

Et quand pour son mérite il ferait l'entendu, [80]

(Car je ne doute point qu'il n'en n'ait plus qu'un autre,

Puisqu'il a le pouvoir d'assujettir le vôtre).

Nous avons pour gagner les superbes Amants

Des secrets aussi forts que des enchantements :

Mais pour vous, que le ciel a faite toute belle, [85]

Vous n'avez qu'à jouer un peu de la prunelle ;

Vous n'avez qu'à lui faire une fois les yeux doux,

Vous le verrez bientôt embrasser vos genoux.

Belle, riche d'esprit, noble, avec tous ces charmes,

Vous avez des désirs qui vous coûtent des larmes ; [90]

C'est à vous bien plutôt à donner des désirs,

Qui causent de l'extase, ou bien des déplaisirs :

Selon que vous serez en humeur de bien faire,

Il sera trop heureux, Madame, de vous plaire.

LÉONOR

Ho, ho, la Béatrix, qui t'en a tant appris ? [95]

Je ne connaissais pas ton mérite et ton pris,

Je ne pensais avoir qu'une simple servante,

Et tu t'es découverte une fille savante.

BÉATRIX

{{VL|Je puis parler d'amour, puisque j'en ai tâté, 100Et vous y puis servir puisque j'en ai traité : Mais depuis un certain, qui mourut à la guerre, Je ne prends plus plaisir aux choses de la terre : Que maudit soit le jour que premier je le vis, Si mon cruel destin ne me l'avait ravi, 105Je ne me verrais pas une simple soubrette : Mais Dieu l'a bien voulu, sa volonté soit faite ; Parlons de votre affaire, et me contez un peu Comment, quand, et par qui votre cœur a pris feu.

Léonor

Ce fut un peu devant que nous fussions ensemble ;

Dieux ! À ce souvenir, je frissonne, et je tremble, [110]

Un jour qu'il fit fort beau, j'allai me promener

Aux champs, où j'avais fait apprêter le dîner,

J'avais pris avec moi, quatre de mes amies,

Après dîner étant toutes cinq endormies,

En attendant le frais, laissant passer le chaud, [115]

Un effroyable bruit me réveille en sursaut,

Je me lève, et ne vois dans la chambre paraître

Qu'une épaisse fumée, à travers la fenêtre,

Je vois le Ciel en feu, qui me remplit d'effroi :

Je tombe évanouie, et si fort hors de moi, [120]

Que qui m'eût vue alors, m'eût cru aisément morte,

Le feu gagnait déjà l'escalier, et la porte,

Ces Dames, qui m'avaient laissée en ce danger,

(La peur les avait bien empêché d'y songer)

Versaient assez de pleurs, faisaient assez de plaintes, [125]

Et je jurerais bien qu'elles n'étaient pas feintes,

Offraient assez d'argent, mais à me secourir,

Chacun faisait le sourd, de crainte de mourir,

Alors qu'un Cavalier conduit par mon bon Ange,

Arrive, est informé de ce malheur étrange, [130]

Ces Dames en pleurant, lui content mon malheur,

Et lui, fut-il jamais de pareille valeur !

Fut-il jamais vertu comparable à la sienne ?

Met sa vie en hasard pour secourir la mienne,

Saute sans hésiter, de son carrosse en bas, [135]

Passe au travers du feu qui ne l'épargne pas,

Monte vite en la chambre, ou plutôt il y vole,

Cette belle action dehors passe pour folle,

On le plaint, on le croit aussi perdu que moi,

Lorsqu'on le voit sortir, me traînant après soi, [140]

Le poil brûlé, le teint tout noirci de fumée,

Il ne s'en alla point tant qu'il me vit pâmée ;

Mais sitôt qu'il me vit reprendre mes esprits,

Sans que son action reçût le moindre prix,

Je confesse en cela que l'on fit une faute, [145]

Et par là j'ai bien vu qu'il a l'âme bien haute,

Sans se faire de fête, ou se faire valoir,

Sans qu'il me soit depuis seulement venu voir,

Il s'éloigna de nous, ce bel Ange visible,

Juge si j'en reçus un déplaisir sensible, [150]

Alors qu'on m'eût appris ce que je lui devais,

C'est ce qui m'a réduite au point où tu me vois,

C'est ce qui m'a depuis fait verser tant de larmes,

Et donné sur mon coeur tant de force à ses charmes,

Que rien ne me paraît aimable comme il est, [155]

Après lui dans la Cour personne ne me plaît,

Soit qu'il soit trop aimable, ou moi trop susceptible

D'un amour, qu'à chasser j'ai fait tout mon possible,

Car je l'ai vu depuis, cet aimable vainqueur ;

Mais je ne l'ai pu voir qu'aux dépens de mon coeur, [160]

Mais je ne l'ai pu voir sans en être amoureuse,

Et de plus, Béatrix, jalouse, et furieuse ;

Ne désapprouve point ces mouvements jaloux

Je l'ai vu depuis peu dans l'Église à genoux,

Discourant en secret avec une inconnue, [165]

Que mon Page suivit jusques dans cette rue,

Et c'est pourquoi j'y viens depuis deux ou trois jours,

Et ce qui m'y fait faire avec toi tant de tours,

Mais j'aperçois venir le plus fâcheux des hommes,

Je suis au désespoir, s'il connaît qui nous sommes, [170]

C'est un homme choquant, un homme sans raison.

BÉATRIX

Entrons sans marchander dedans cette maison,

J'en vois sortir, me semble, une femme assez belle.

LÉONOR

Mon Dieu ! Sans la connaître.

BÉATRIX

Et vous mangera-t-elle ?

Allez, allez, Madame, et parlez hardiment, [175]

Il ne vous en saurait coûter qu'un compliment.


Scène II

LÉONOR

Madame, n'ayant pas l'honneur de vous connaître

Vous n'approuverez pas ma liberté, peut-être,

Mais vous ne pouvez pas avoir tant de beauté

Que vous n'ayez beaucoup de générosité : [180]

Ce Cavalier qui vient me poursuit, il m'importe

D'éviter son abord, je crois qu'à votre porte

Je rencontre à propos un lieu de sûreté,

Où je ne craindrai point son importunité.

HÉLÈNE

À votre seul abord, sans voir votre visage, [185]

Je vous accorderais encore d'avantage,

Approchez-vous, Madame, et ne redoutez rien.


Scène III

.
DOM JUAN

En vain vous vous cachez, je vous reconnais bien,

Pourquoi me fuyez-vous, ingrate Léonore ?

Ah ! C'est trop maltraiter celui qui vous adore, [190]

Et qui pourtant est prêt de se mettre à genoux

S'il a pu vous déplaire en courant après vous.

LÉONOR

Oui ! Seigneur Dom Juan, c'est moi, je le confesse ;

Quel plaisir prenez-vous à me fâcher sans cesse ?

Pensez-vous emporter par obstination : [195]

Ce qu'on ne peut gagner que par affection,

Mon humeur, dites-vous est une chose étrange,

Quand Dieu vous aurait fait aussi parfait qu'un Ange,

Quand il vous aurait fait un objet plein d'appas,

Avecque tout cela vous ne me plairiez pas ; [200]

De cette aversion, vous demandez la cause,

C'est vous seul qui pouvez en savoir quelque chose,

Puisque cette cause est, ainsi que je le crois,

Et selon l'apparence, en vous plutôt qu'en moi,

Pour donner de l'amour, le secret est de plaire, [205]

Vous ne me plaisez pas, que pensez-vous donc faire ?

Vous m'offrez votre coeur en échange du mien,

Pourquoi changer mon coeur, si je m'en trouve bien,

Et quand je voudrais bien le changer pour un autre,

Êtes-vous assuré que je prisse le vôtre ? [210]

Parce que vous m'aimez, vous dois-je aimer aussi.

Est-ce bien raisonner que de conclure ainsi ?

Vous m'aimez, dites-vous, car je suis bien aimable,

Si vous ne m'êtes pas en cela comparable,

Si vous n'êtes aimable autant que je le suis ; [215]

C'est me demander trop, et plus que je ne puis,

Et c'est sur ce sujet tout ce que je puis dire.

HÉLÈNE

Je ne vois pas pour vous grande matière à rire :

Mais bien à composer de pitoyables Vers

Contre la dureté de ce sexe pervers, [220]

Contre les cruautés de ces méchantes femmes,

Qu'on devrait assommer à grands coups d'épigrammes.

DOM JUAN

Ah ! Madame, c'est trop avoir de cruauté,

Railler un malheureux, c'est une lâcheté ;

Mais de ce procédé, quoiqu'il soit bien étrange, [225]

Si vous me procurez un regard de mon Ange,

Je vous promets, Madame, et je vous le tiendrai,

Que comme d'un bienfait je m'en ressouviendrai.

LÉONOR

Et mon Dieu, Dom Juan, lorsque vous m'aurez vue,

Quel plaisir pensez-vous recevoir de ma vue, [230]

Je vous regarderai comme un persécuteur.

DOM JUAN

Est-ce persécuter que de donner son coeur ?

LÉONOR

Entendrai-je toujours dire la même chose ?

HÉLÈNE

Encore que je sois suspecte en cette cause,

Sachez mon Cavalier, qu'aimer sans agrément [235]

C'est dépenser son bien très inutilement,

C'est n'être pas trop bien avec sa destinée,

Et dès ce monde ici vivre en âme damnée,

Ce qui de vous étant de près considéré,

Laissez Madame en paix, et me sachez bon gré, [240]

De vous avoir donné cet avis salutaire.

DOM JUAN

Je veux suivre un avis au vôtre tout contraire,

Et que je plaise, ou non, servir jusqu'à la mort

Cette ingrate beauté, de qui dépend mon sort,

Le temps pourra changer son humeur de tigresse. [245]

LÉONOR

N'espérez rien du temps qu'une triste vieillesse

La chute des cheveux, et la perte des dents,

Et parce qu'avec vous je passe mal le temps,

Et que Madame en est sans doute importunée,

Allez pester plus loin contre la destinée. [250]

DOM JUAN

Madame, l'attendrai plutôt jusqu'à demain,

Que je n'aie l'honneur de vous donner la main

Jusqu'à votre demeure.

LÉONOR

Et moi pour m'en défendre

J'espère vous lasser en vous faisant attendre.

HÉLÈNE

Vous voulez donc, Monsieur, assiéger ma maison ? [255]

DOM JUAN

Vous êtes contre moi, Madame.

HÉLÈNE

Avec raison.

Vit-on jamais user de telle violence ?

Si quelqu'un m'avait fait une pareille offense ;

Mais je vois Dom Diègue, il vient tout à propos.

LÉONOR
, tout bas.

Ha Béatris ! C'est lui qui trouble mon repos, [260]

HÉLÈNE

Vous ne voulez donc pas laisser en paix Madame ?

DOM JUAN

Vous voulez donc qu'un corps s'éloigne de son âme.

HÉLÈNE

Je ne puis plus souffrir tant d'incivilité,

Dom Diègue, de grâce, ayez la charité

De vouloir délivrer une Dame assiégée, [265]

À quoi je suis aussi par honneur engagée.


Scène IV

.
DOM DIÈGUE

Et Madame qui donc vous fait la guerre ainsi ?

HÉLÈNE

C'est Monsieur.

DOM DIÈGUE

Dom Juan, puis-je croire ceci ?

HÉLÈNE

J'étais dessus ma porte, une Dame inconnue,

Avecque sa Suivante à la hâte est venue, [270]

Se sauver près de moi pour éviter l'abord

De Monsieur que voilà, qui la courait bien fort,

Il l'aime, à ce qu'il dit, elle ne l'aime guères,

Elle lui vient de dire en paroles bien claires,

Lui, sans se rebuter de sa sévérité, [275]

La veut accompagner contre sa volonté.

Son importunité m'a semblé bien étrange ;

Et c'est peu respecter ce qu'il nomme son Ange,

Je l'ai voulu prier, je n'ai rien obtenu,

C'est où nous en étions quand vous êtes venu. [280]

DOM DIÈGUE

Ah ! Seigneur Dom Juan, nous devons tout aux Dames,

Les hommes ne sont nés que pour servir aux femmes.

DOM JUAN

Ce que vous dites là, qui le sait mieux que moi :

Mais lorsque j'ai pensé faire ce que je dois,

Lui présenter la main pour la mener chez elle, [285]

Elle m'a refusé, l'ingrate, la cruelle,

Elle a fait l'inconnue, et m'a caché ses yeux,

Après deux ans entiers que je brûle pour eux,

À la fin la fureur suivra la patience.

DOM DIÈGUE

Prétendez-vous vous faire aimer par violence ? [290]

L'amour se doit gagner, et ne se peut ravir,

Si vous le trouvez bon, je m'offre à vous servir,

Demain si vous voulez, je lui rendrai visite.

DOM JUAN

Je suis au désespoir.

DOM DIÈGUE

Un homme de mérite

Doit espérer toujours.

DOM JUAN

Ah ! L'ingrate beauté [295]

A trop peu de justice, et trop de cruauté,

J'ai juré de la voir, je ne puis sans offense...

DOM DIÈGUE

Dom Juan, en amour le voeu d'obéissance,

Va devant tes serments. Allons.

DOM JUAN

Je le veux bien,

Vous promettez beaucoup, mais je n'espère rien. [300]


Scène V

HÉLÈNE

Il s'en va bien fâché, le pauvre misérable,

Vous ne me tiendrez pas une rigueur semblable,

Je verrai ces beaux yeux qui lui font tant de mal,

Et votre amant s'en va devenir mon rival

LÉONOR

Me montrer, ce n'est pas le moyen de vous plaire, [305]

Mais vous obéissant, je ne saurais mal faire.

HÉLÈNE

Ha ! Vraiment je l'excuse au lieu de le blâmer,

Il ne vous a pu voir, et s'empêcher d'aimer,

Ou trouvez le moyen de vous rendre invisible,

Ou laissez-vous aimer.

LÉONOR

Madame, est-il possible ? [310]

Lorsque vous me raillez assez visiblement,

Que vous gagniez pourtant mon coeur absolument ?

Vous m'avez fait, Madame, un plaisir, dont j'espère

Me revancher bientôt, et Monsieur votre frère,

En éloignant de moi cet Empereur des Fous, [315]

S'est acquis dessus moi ce qu'il peut dessus vous.

HÉLÈNE

Dom Diègue est de soi si fort considérable,

Que si j'avais pour frère un Cavalier semblable,

Quand cela m'ôterait la plupart de mon bien

J'y gagnerais beaucoup.

LÉONOR

Il ne vous est donc rien ? [320]

HÉLÈNE

Non, mais il tâche assez de m'être quelque chose.

LÉONOR

Sa qualité peut-être inégale est la cause,

Qu'il aura de la peine à parvenir si haut.

HÉLÈNE

Dans sa condition il est bien sans défaut,

On n'en saurait non plus trouver en sa personne ; [325]

Mais ce n'est pas pour rien aujourd'hui qu'on se donne,

Dom Diègue est fort pauvre, étant ce que je suis,

Je veux vivre en la Cour, sans bien je ne le puis :

Mon bien est médiocre, et j'aime la dépense.

LÉONOR
, tout bas.

Ma crainte, et mes soupçons font place à l'espérance. [330]

HÉLÈNE

Que dites-vous ?

LÉONOR

Je dis qu'en épousant un gueux,

Quelque bien que l'on ait, d'un pauvre on en fait deux.

HÉLÈNE

Dom Diègue est aimable, et son nom est Mendoce,

Mais cela ne fait pas bien rouler un carrosse,

Un oncle, à ce qu'il dit, Gouverneur au Pérou, [335]

Lui garde bien du bien : mais il n'est pas venu,

Je n'aime pas le bien qui n'est qu'en espérance,

Je l'amuse pourtant de quelque complaisance,

Qui ne me coûte guère, et ne m'engage à rien,

N'en ai-je pas sujet ?

LÉONOR

Ha ! Que vous faites bien, [340]

Et que l'on voit souvent des filles abusées,

Pour n'être pas ainsi que vous bien avisées ;

Mais le plaisir que j'ai de vous entretenir,

Dont je veux conserver toujours le souvenir,

Et que je dois sans doute à ma bonne fortune, [345]

M'empêche de songer que je vous importune,

Je prends congé de vous.

HÉLÈNE

Faites-moi donc savoir

Le nom de la Beauté que j'ai l'honneur de voir,

Et dont la connaissance est pour me rendre vaine,

Je vous veux aller voir.

LÉONOR

Je n'en vaux pas la peine, [350]

Pour vous obéir donc, mon surnom est Gusman,

Mon nom est Léonor, et je loge à Saint-Jean.

HÉLÈNE

Et moi pour vous le rendre en la même monnaie,

Hélène de Torrès.

LÉONOR

Ce m'est beaucoup de joie,

De connaître une Dame en qui la qualité [355]

Aussi bien que l'esprit égale la beauté,

Je reviendrai bientôt chez vous vous rendre grâce

De votre bon secours.

HÉLÈNE

Devant que le jour passe

Je vous visiterai, Paquette !


Scène VI

.
PAQUETTE

Qui va là ?

HÉLÈNE

Maraude, osez-vous bien me répondre cela ? [360]

Dom Diègue a-t-il lu ma lettre ?

PAQUETTE

Oui, Madame.

HÉLÈNE

Et que vous a-t-il dit ?

PAQUETTE

Il vous nomme son âme,

Son Ange, son Soleil, son Inclination,

Et cent autres beaux mots d'édification,

Qui m'ont bien fait pleurer, car je suis un peu tendre, [365]

Sans doute je serais personne aisée à prendre,

Et qui me parlerait d'une mourante voix,

Aurait mon coeur, mon âme, et plus si je l'avais,

Quand je vois Dom Diègue auprès de vous en larmes,

Vous dire cent beaux mots qui sont autant de charmes, [370]

Et que je considère aussi d'autre côté

Hélène de Torrès, dont il est écouté,

Qui ne s'en émeut point, au lieu de satisfaire

Aux obligations.

HÉLÈNE

Je vous ferai bien taire,

Cette coquine-là se mêle de prêcher, [375]

Allez dire à quelqu'un qu'on cherche le cocher.


ACTE II


Scène I

DOM DIÈGUE

Ha ! Je n'ai jamais vu d'homme plus obstiné

En son logis pourtant enfin je l'ai mené,

Il revenait toujours à la Dame inconnue,

Qu'il avait rencontrée au milieu de la rue, [380]

Et n'avait pas voulu lui montrer ses beaux yeux,

Qu'il appelait ses Rois, ses Soleils, et ses Dieux,

Il a fait cent serments qui ne sont pas vulgaires,

Il a pris le bon Dieu de toutes les manières,

Disant que la beauté, qui le méprise tant, [385]

Devait considérer un homme si constant.

Il m'a fait le récit de toutes ses prouesses,

Et le dénombrement de toutes ses Maîtresses.

Et cela pour monter, y joignant les combats

À cent contes pour rire, et tout cela fort bas, [390]

Quoique nous fussions seuls ; il m'a fait voir en prose

Deux discours sur l'État, du ton de Bellerose,

M'a récité des Vers, enfin il a tant fait,

Que de son sot esprit assez mal satisfait,

Et pour dire le vrai de sa personne entière, [395]

Je l'ai laissé pestant contre la Dame fière

Que je dois visiter pour lui dire qu'elle a

Grand tort de le traiter de cette façon-là,

Et de plus il m'a fait, bon gré, mal gré, promettre

De joindre à ma visite une efficace lettre, [400]

Pour rendre cet esprit de Tigre un peu plus doux.

ROSQUEPINE

Vous devriez bien plutôt, Monsieur, songer à vous,

Et sans vous tourmenter pour le repos d'un autre

Travailler tout de bon pour établir le vôtre,

Hélène de Torrès, vous mène par le bec, [405]

Met votre coeur en cendre, et votre bourse à sec,

Lorsque vous lui parlez de conclure l'affaire,

La matoise qu'elle est adroitement diffère,

Et jure son grand Dieu, vous faisant les yeux doux,

Que si vous l'aimez bien, elle est folle de vous ; [410]

Mais que plusieurs raisons qu'elle ne peut apprendre

Malgré tout son amour, la font encore attendre,

Et moi qui vois bien clair, Monsieur je vous apprends

Que le bien de votre oncle est tout ce qu'elle attend,

Non que vous déplaisiez à cette dame chiche, [415]

Mais elle aime le bien, et vous n'êtes pas riche.

DOM DIÈGUE

Je serai riche un jour quand mon oncle mourra,

Mon Dieu quand mourra-t-il ?

ROSQUEPINE

Le plus tard qu'il pourra,

Mais je veux qu'il soit mort, vous savez qu'un naufrage

Peut vous faire déchoir de cet ample héritage, [420]

Et la Flotte qui vient que l'Hollandais attend,

Et que le plus souvent vous savez bien qu'il prend,

Si Dieu veut qu'elle prenne Amsterdam pour Séville,

Vous passerez fort mal le temps en cette ville ;

Et je veux qu'on me pende en cas que cela soit, [425]

Si chez elle jamais l'ingrate vous reçoit,

Toute la subsistance est, peu s'en faut, tarie,

Vous sollicitez mal votre Commanderie,

Très inutilement vous tirez comme on dit,

De la poudre aux moineaux, et donnez à crédit [430]

Votre temps, dont jamais on ne vous tiendra compte.

Vous en crevez de rire, et moi j'en meurs de honte.

DOM DIÈGUE

Es-tu mon Pédagogue ou bien mon Gouverneur ?

ROSQUEPINE

Je suis votre Écuyer, de plus, homme d'honneur.


Scène II

.
FILIPIN
, entre en chantant.

Que la Tour de Valladolid tombe sur toi, [435]

Qu'elle tombe, et te tue, que m'importe à moi ?

DOM DIÈGUE

Ho, ho, c'est Filipin, hé bien quelles nouvelles ?

FILIPIN

Desquelles voulez-vous, dites-le-moi, desquelles,

Car j'en ai pour pleurer, et pour ne pleurer pas,

J'apporte de l'argent, et j'annonce un trépas. [440]

DOM DIÈGUE

Dis-nous donc ce que c'est.

FILIPIN

Je veux qu'on le devine

Ou je ne dirai rien.

DOM DIÈGUE

Ce laquais a la mine

De se faire un peu battre.

FILIPIN

Et devant que parler,

Je veux savoir où peut ma récompense aller,

Et si je veux de plus outre ma récompense, [445]

Que votre Seigneurie augmente ma dépense.

DOM DIÈGUE

Hé bien cela vaut fait, dis donc succinctement.

FILIPIN

Ce n'est pas là mon compte, il faut absolument

Que je parle beaucoup, ou bien que je me taise.

DOM DIÈGUE

Parle ton saoul.

FILIPIN

De plus je demande ma chaise. [450]

DOM DIÈGUE

Prends en une.

FILIPIN

Et de plus quand j'aurai commencé,

Si quelqu'un m'interrompt, je veux être offensé,

Et qu'on ait là-dessus à me bien satisfaire.

DOM DIÈGUE

Et qui t'interrompra ?

FILIPIN

Ce vieil gobbe clystère,

Cet écuyer que Dieu confonde, et qui se rit [455]

De tout ce que je dis, et fait du bon esprit.

DOM DIÈGUE

Je te réponds de tout, commence donc ?

FILIPIN

À d'autres,

Vous transgressez déjà les conditions nôtres,

Ne vous ai-je pas dit ? Et vous le savez bien,

Que vous devinassiez, et vous n'en faites rien. [460]

DOM DIÈGUE

Et si je devinais qu'aurais-tu plus à dire ?

Sais-tu bien, gros faquin, que je suis las de rire,

Et si tu fais le sot, qu'à grands coups de bâton...

FILIPIN

Ho, ho, je vous croyais aussi doux qu'un mouton.

Et que Diable vous sert d'avoir lu la Morale ? [465]

Vous vous fâchez pour rien, et vous devenez pâle ;

Et bien n'en parlons plus, je parle, écoutez-moi.

DOM DIÈGUE

Je ne t'écoute point, je le saurai sans toi.

FILIPIN

Vous ne m'écoutez point ? De grâce à la pareille,

Monsieur, accordez-moi l'honneur de votre oreille. [470]

DOM DIÈGUE

Je veux faire à mon tour quelques conditions.

FILIPIN

Faites, je passe tout, hors les contusions,

Qui diable vous a dit que c'était là mon tendre ?

Je ne veux point parler, alors qu'on veut m'entendre ;

Quand on ne le veut plus, j'enrage de parler : [475]

Et maintenant, Monsieur, je ne le puis celer :

Si vous me défendez de dire mes nouvelles,

Vous perdez le Phénix des serviteurs fidèles ;

Les discours retenus me pourront suffoquer,

Et d'une mort si sotte on se pourra moquer. [480]

DOM DIÈGUE

N'y retourne donc plus, parle je te fais grâce.

FILIPIN

Voulez-vous un discours avec une préface,

Et tous les ornements que j'y pourrai donner ?

DOM DIÈGUE

Dépêche en peu de mots, et sans tant badiner.

FILIPIN

Certes il est bien vrai que jamais la fortune... [485]

DOM DIÈGUE

Ce beau commencement dès l'abord m'importune.

FILIPIN

Je vais changer de style, outre la pension,

Monsieur, je vous apporte une succession.

DOM DIÈGUE

Mon cher oncle est donc mort.

FILIPIN

Et pour de longues années,

Que de femmes partout vous vont être données ! [490]

Le franc homme d'honneur que vous avez perdu

Le grand bien qu'il vous laisse à Séville rendu !

En est bon témoignage, ô la belle monnaie

Que de gros patacons son commis vous envoie !

En argent monnayé, diamants, et lingots, [495]

Cent mille beaux écus, trente jeunes magots,

Autant de perroquets, de Cachou plein deux caisses,

Bref trois vaisseaux chargés de toutes les richesses

Que possédait votre oncle ! Hélas, encore un coup,

En gagnant tant de bien, que vous perdez beaucoup ! [500]

Mais si vous commandiez qu'on me donnât à boire,

Pour m'ôter, si l'on peut, sa mort de ma mémoire,

Tandis que vous lirez ce que l'on vous écrit,

J'irais me délasser, et le corps, et l'esprit,

J'ai bien peur de trouver tout froid dans la cuisine. [505]

DOM DIÈGUE

Va le faire manger ; et reviens, Roquespine.

ROSQUEPINE

Le voilà qui revient.

FILIPIN

Monsieur sortant d'ici,

Une Dame voilée, et sa servante aussi,

Qui ne m'a pas paru non plus qu'elle pourrie,

Attend pour vous parler en cette Galerie. [510]

DOM DIÈGUE

Dis-lui qu'elle entre.

FILIPIN

Entrez, Madame, au nez caché

Dom Diègue est tout seul, et n'est pas empêché.


Scène III

LÉONOR

C'est comme je le veux.

DOM DIÈGUE

Elle a fort bonne mine.

FILIPIN

La putain de servante a guigné Roquespine.

LÉONOR

Monsieur pour un sujet que vous allez savoir, [515]

Faites sortir vos gens.

DOM DIÈGUE

Vous vous ferez donc voir.

LÉONOR

Vous n'en serez pas mieux lorsque vous m'aurez vue.

FILIPIN

La Dame qui se cache, est ou vielle, ou barbue.

DOM DIÈGUE

Pour être ainsi, Madame a trop bonne façon,

Mais alors qu'on se cache, on donne du soupçon. [520]

FILIPIN

Et vous, qui paraissez être la Damoiselle

De cette Demoiselle, ou vous n'êtes pas belle,

Ou j'ose bien gager que vous ne valez rien,

Puisque vous vous cachez aux yeux des gens de bien.

BÉATRIX

Et vous, plaisant, ou Fou de Monsieur votre Maître, [525]

Muletier ou laquais, car tout cela peut être,

Je gage bien plutôt que vous ne valez rien,

Puisque vous tourmentez ainsi les gens de bien

FILIPIN

Il n'a pas mal parlé, ce visage de crêpe,

Ô beauté, qui m'avez piqué comme une guêpe ! [530]

Daignez me recevoir pour votre humble frelon,

Quoique laquais, je suis favori d'Apollon.

LÉONOR

Sortons, sortons d'ici, Dom Diègue et sa suite

Devaient mieux recevoir ma première visite.

DOM DIÈGUE

Ha ! Madame, arrêtez, Dom Diègue fera [535]

(N'en doutez nullement) tout ce qu'il vous plaira.

LÉONOR

Commandez donc Monsieur encore un coup qu'ils sortent,

Et vous saurez de moi des choses qui vous importent.

FILIPIN

Adieu belle inconnue !

BÉATRIX

Adieu vilain connu.

FILIPIN

Adieu vieille suivante ?

BÉATRIX

Adieu laquais chenu. [540]


Scène IV

LÉONOR

Sans employer le temps en discours inutiles,

Et sans vous accabler de paroles civiles

De la part d'une Dame à qui vous êtes cher,

Je suis ici venue exprès pour vous chercher ;

Et pour savoir de vous si vous êtes à prendre, [545]

Ou si vous êtes pris. Veuillez donc me l'apprendre,

Cette Dame a dessein de vous bien marier,

En cas que vous soyez un homme à vous lier ;

Elle sait votre nom, connaît votre mérite,

Et c'est pour cela seul que je vous rends visite. [550]

DOM DIÈGUE

Je ne vous dirai rien si vous ne promettez

De lever votre voile, et montrer vos beautés.

LÉONOR

S'il ne tient qu'à cela, vous verrez mon visage,

Encore qu'à le cacher, j'aie un grand avantage,

Dites-moi cependant si vous aimez ou non. [555]

DOM DIÈGUE

Volontiers.

LÉONOR

Vous aimez.

DOM DIÈGUE

Oui j'aime.

LÉONOR

Tout de bon.

{{Personnage|DO M DIÈGUE|c}}

Tout ce qu'on peut aimer.

LÉONOR

Et vous aimez.

DOM DIÈGUE

Hélène;

LÉONOR

Hélène De Torrès.

DOM DIÈGUE

C'est elle qui m'enchaîne.

LÉONOR

Et qui se meurt d'amour pour vous.

DOM DIÈGUE

Qui m'aime bien.

LÉONOR

Vous le croyez.

DOM DIÈGUE

Sans doute. [560]

LÉONOR

Et moi je n'en crois rien. [560]

DOM DIÈGUE

Vous ne le croyez pas ?

LÉONOR

Je la sais de sa bouche,

Que le bien de votre oncle, et non pas vous, la touche,

Et que s'il vous manquait cette succession,

Vous n'auriez jamais part en son affection.

DOM DIÈGUE

Femme qui n'êtes pas sans doute son amie, [565]

Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie,

En venant m'avertir que l'on ne m'aime pas,

Sachez que vous perdez votre temps, et vos pas.

Hélène de Torrès m'aime, je le veux croire,

Plutôt que les avis d'une Donzelle noire, [570]

Dont peut-être l'esprit que l'on ne saurait voir,

À son voile est pareil, c'est-à-dire bien noir.

LÉONOR

Ne jugez plus de moi par ma noire figure,

Mon visage n'est pas de si mauvaise augure.

Regardez-moi, Monsieur, s'il vous reste des yeux, [575]

Pour d'autres que pour ceux dont vous faites des Dieux.

DOM DIÈGUE

Ô qu'il est difficile, après vous avoir vue,

De se gardez des maux qui suivent votre vue,

Et si j'avais encor un coeur à saccager,

Madame, qu'avec vous je serais en danger ! [580]

Mais, Madame, il me vient, vous ayant regardée

De votre beau visage une confuse idée,

Il faut bien qu'autrefois il m'ait été connu.

LÉONOR

Encore est-ce beaucoup de s'être souvenu

D'un visage commun et fait comme le nôtre, [585]

Tandis qu'absolument possédé par un autre,

On ne vit que pour elle, et l'on songe fort peu

À voir par charité ceux qu'on sauve du feu ;

Car de civilité l'on n'en espère aucune

De qui méprise tout, fors sa bonne fortune. [590]

DOM DIÈGUE

Femme qui n'êtes pas sans doute son amie,

Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie,

Oui, Madame, il est vrai : contre vous j'ai péché,

Vous me l'avez chez moi justement reproché,

En ne vous voyant point, j'en ai fait pénitence, [595]

Et j'en ai tout de bon beaucoup de repentance.

LÉONOR

En ne me voyant point vous n'avez point souffert :

Ce que l'on aime point, sans regret on le perd,

Si vous avez de moi la mémoire perdue,

Puisqu'à notre mérite elle n'était point due ; [600]

Me dire qu'en cela vous avez bien péché,

C'est rire à mes dépens, et même à bon marché,

Vous adorez des yeux qui vous gardent des nôtres :

Mais Seigneur Dom Diègue, ouvrez un peu les vôtres.

Ne faites pas de moi ce mauvais jugement, [605]

De croire qu'à dessein de tromper seulement,

Je vienne ici chez vous, vous avertir qu'Hélène

Amuse votre amour d'une espérance vaine :

D'elle même je sais que son affection

Suit seulement l'espoir d'une succession, [610]

Que la succession ou tardive ou manquée,

Rendra de tous vos soins l'espérance moquée,

Et que ce dessein seul fait qu'elle vous reçoit ;

Ne doutez nullement que tout cela ne soit.

À moi-même, tantôt elle a fait confidence [615]

De cette trahison qu'elle nomme prudence,

Je suis la Dame même à qui Dom Juan

Plus funeste pour moi que n'est un chat-huant,

A causé le bonheur de se voir dégagée

Par vous, lorsqu'il m'avait chez Hélène assiégée. [620]

Vous m'obligeâtes moins en me sauvant du feu,

Peut-être cet avis vous importune un peu,

Ne vous en prenez point à moi, qui vous le donne,

Je ne fais qu'obéir à certaine personne,

Dame de grand mérite, et qui vous aime assez [625]

Pour souhaiter ailleurs vos feux récompensés,

Sans votre engagement vous auriez avec elle,

Ce que vous n'aurez point avec votre infidèle

Elle a six mille écus de rente : en qualité,

Elle surpasse Hélène, et peut-être en beauté : [630]

Ne considère en vous que votre seul mérite

Et là-dessus, Monsieur, je finis ma visite.

DOM DIÈGUE

Et ne saurais-je point sa demeure et son nom.

LÉONOR

Sans le bien mériter, je pense bien que non.

DOM DIÈGUE

J'irai chez vous l'apprendre.

LÉONOR

Et que dirait Hélène ? [635]

Non, non, n'y venez pas, je n'en vaux pas la peine.


Scène V

.
DOM DIÈGUE

Roquespine, laquais, quelqu'un venez à moi,

L'aventure est plaisante, et rare sur ma foi.

Savez-vous ce qu'a fait cette Dame voilée ?

ROSQUEPINE

Non je sais seulement qu'elle s'en est allée. [640]

DOM DIÈGUE

Elle a fait ses efforts pour me persuader

Qu'Hélène me trahit, que je m'en dois garder,

Et que si je veux rompre avec cette infidèle

Une autre se présente, et plus riche, et plus belle.

ROSQUEPINE

Il n'est rien de plus vrai, je l'ai su depuis peu. [645]

DOM DIÈGUE

C'est elle qu'une fois je garantis du feu.

ROSQUEPINE

La peste qu'elle est belle !

FILIPIN

Et jeune.

ROSQUEPINE

Et de plus, riche.

FILIPIN

C'est dommage qu'un champ si beau demeure en friche.

DOM DIÈGUE

Elle parlait pour elle, ou je me trompe fort.

FILIPIN

Et prenez-la-moi donc, ou vous avez grand tort, [650]

Prenez-la-moi, vous dis-je, et me laisser la peine,

De découvrir au vrai l'intention d'Hélène.

DOM DIÈGUE

Et comment ferais-tu ?

FILIPIN

Feignez tout attristé

Que votre oncle vous a tout net déshérité,

Que ma mère est sa soeur, mariée en Galice, [655]

Et que par mon bonheur, ou par mon artifice

Lui faisant cent rapports que vous ne valez rien,

Le bonhomme en mourant m'a laissé tout son bien.

Vous savez qu'à la cour on ne me connaît guère,

Que je parle un langage étonnant le vulgaire ; [660]

Et qu'ayant autrefois appris quelque latin,

Je sais, quoique laquais, dire sort, et destin ;

Parler Phoebus, écrire, en vers ainsi qu'en prose,

Appliquer bien ou mal une métamorphose,

Si malgré mon langage et mine de pédant [665]

Votre Hélène reçoit le nouveau prétendant,

Pour l'espoir des grands biens dont il fera fanfare,

Plantez pour reverdir cette maîtresse avare ;

Prenez-moi bien et beau Madame Léonor,

Et ce sera changer votre argent faux en or. [670]

DOM DIÈGUE

Bien je veux essayer avec ton stratagème

De savoir s'il est vrai que c'est mon bien qu'on aime.

FILIPIN

Il faut battre le fer cependant qu'il est chaud,

L'héritier Ridicule agira comme il faut.


ACTE III




Scène I

HÉLÈNE

Mon Dieu ! Ne jurez point, ou véritable ou feinte, [675]

Une noire tristesse en votre face est peinte.

DOM DIÈGUE

Étant auprès de vous, pourrais-je m'attrister ?

HÉLÈNE

Contre la vérité voulez-vous contester ?

Mais ne saurais-je point le sujet qui vous fâche ?

DOM DIÈGUE

Ce qu'on ne peut celer, il faut bien qu'on le sache. [680]

HÉLÈNE

La flotte a-t-elle fait naufrage ?

DOM DIÈGUE

Elle est au port

Heureusement conduite, et si mon oncle est mort.

HÉLÈNE

Qu'est-ce qui vous met en peine ?

DOM DIÈGUE

En cette lettre

Vous verrez un malheur capable de m'y mettre.

LETTRE.

MONSIEUR, etc.

Votre oncle Dom Pelage a cassé en mourant le Testament qu'il avait fait en votre faveur, et a fait votre Cousin Dom Pedro de Buffalos son héritier universel : Il ne vous laisse que trois cents Ducats de rente durant votre vie : j'ai fait ce que j'ai pu pour vous servir, je n'ai pu rien obtenir du vieillard, auprès de qui on vous a rendu sans doute de très mauvais offices : j'en suis au désespoir, et suis,

MONSIEUR, Votre très humble, et très obéissant serviteur George Rinaldi.

HÉLÈNE

Vous avez grand sujet de n'être pas content, [685]

Et trop de coeur pour vous affliger tant ;

Une âme généreuse, et qui n'est pas commune,

Est au-dessus des biens que donne la fortune.

DOM DIÈGUE

Pourvu qu'Hélène m'aime, et me veuille du bien,

Les malheurs les plus grands me touchent moins que rien, [690]

Sa main mise en la mienne, ainsi que je l'espère ;

Car il n'est plus saison que sa bonté diffère

De m'accorder bientôt ce sensible bonheur,

Dont le retardement blesserait votre honneur :

Sa main, dis-je, donnée, et la mienne reçue, [695]

Feront qu'en ses desseins la Fortune déçue

Me laissera jouir de ce bonheur parfait,

Sans me plus tourmenter, comme elle a toujours fait.

Ne différez donc plus ce bien incomparable,

Faites un homme heureux d'un homme misérable : [700]

Achevez ma fortune en public dès demain,

Et recevant mon coeur, donnez-moi votre main.

HÉLÈNE

Vous pressez un peu trop ce qu'on peut toujours faire,

Vouloir être mon Maître, est-ce vouloir me plaire ?

Vous m'aimez Dom Diègue, au moins, ce dites-vous, [705]

J'aime bien Dom Diègue, et craint fort un époux :

Vous n'avez point de bien, j'aime fort la dépense,

Jugez par ce discours de tout ce que je pense.

DOM DIÈGUE

Vous refusez un bien si longtemps attendu ?

HÉLÈNE

Osez-vous vous en plaindre, et vous était-il dû ? [710]

DOM DIÈGUE

Ô que vous cachiez bien votre âme intéressée !

HÉLÈNE

Ô qu'en vous épousant je serais insensée !

DOM DIÈGUE

Je ne le pouvais croire alors qu'on me l'apprit

Que vous aimiez le bien.

HÉLÈNE

C'est avoir de l'esprit.

DOM DIÈGUE

Vous en avez beaucoup, mais bien plus d'avarice. [715]

Ô que mon beau cousin frais venu de Galice

Serait bien votre fait, tout mal bâti qu'il est !

HÉLÈNE

Vous pensez-vous railler ? S'il est riche, il me plaît.

DOM DIÈGUE

Et ne craignez-vous point de passer pour infâme ?

HÉLÈNE

Non, mais je crains bien fort de me voir votre femme. [720]

DOM DIÈGUE

Je me verrais venger par vous-même, de vous,

Si mon sot de Cousin devenait votre époux.

HÉLÈNE

S'il n'est pas comme vous accablé de misère,

Et non pas comme vous d'une âme peu sincère,

Je ne le cèle point, je l'aimerai bien mieux [725]

Qu'un incivil, un brave, un pauvre, un glorieux.


Scène II

PAQUETTE

Madame un Cavalier, ou qui paraît de l'être,

Suivi d'un Écuyer bien mieux fait que son Maître,

Demande à vous parler, j'ai retenu son nom :

Pedro de Buffalos, il se donne du Dom, [730]

Je croirais pourtant bien en voyant sa personne,

Que ce Dom a besoin que quelque autre lui donne.

DOM DIÈGUE

C'est mon Cousin lui-même.

HÉLÈNE

Hé bien je le veux voir,

Qu'on le fasse monter, je le veux recevoir,

Pour vous faire dépit, en homme de mérite. [735]

DOM DIÈGUE

Dieu veuille que l'amour succède à la visite !

HÉLÈNE

Ô l'étrange figure !


Scène III

FILIPIN

Ha, pardon bel objet !

Je pensais bien encore faire un plus long trajet ;

J'ai traversé déjà deux salles et deux chambres.

Ce logis, Dieu me sauve, a quantité de membres : [740]

Que dites-vous de moi, d'oser sans parasol

Visiter un soleil, c'est un acte de fol ?

Mais dans l'occasion je vais tête première :

Quitte pour me saucer un peu dans la Rivière :

En quittant vos beaux yeux, qui sont miroirs ardents. [745]

Holà, je suis tout seul, Carmagnolle, mes gens,

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN

Tiens-moi bien, je palpite !

Ô dangereuse vue ! Ô fatale visite !

Cousin où prends-tu donc l'aquiline valeur,

Qui fait que sans ciller, sans changer de couleur, [750]

Sans baisser seulement à demi la paupière,

Tu la guignes en aigle, une journée entière ?

Hélas ! Je ne la vois que depuis un moment,

Et je me sens déjà tout je ne sais comment :

Mais elle ne dit mot, me semble, cette belle, [755]

J'aime les gens d'esprit, dis, Cousin, en a-t-elle ?

DOM DIÈGUE

Et du plus raffiné.

FILIPIN

Je lui rendrai des soins.

HÉLÈNE

Si je ne vous dis mot, je n'en pense pas moins.

{{Personnage|F ILIPIN|c}}

Je ne prends pas aussi plaisir qu'on m'interrompe ;

Vous m'aimez n'est-ce pas ?

DOM DIÈGUE
.

Oui, si je ne me trompe. [760]

HÉLÈNE

Qui ne vous aimerait ?

FILIPIN

Bon, elle le prend bien :

Ha, petite civette ! Ha chatte ! Ha petit chien !

Petit chien, ce mot-là pour femme est ridicule.

Ha, pardon ! Je voulais vous nommer canicule ;

Mais vous avez bon sens, et vous savez fort bien [765]

Qu'on nomme également femelle et mâle un chien.

Ha, vous m'assassinez de certaines oeillades,

Qui ravissent les gens en les faisant malades.

Vos yeux m'ont inspiré de certains sentiments,

Qui sont fort opposés aux saints commandements. [770]

Madame fermez-les, fermez-les ces paupières,

Ces assassins qui font enfler les cimetières.

Mais ne les fermez point, brûlez, je le veux bien,

Brûlez mon pauvre coeur, je n'y prétends plus rien :

Vous me gâtez l'esprit, ou la peste me tue, [775]

Et ma pauvre raison de désirs combattue

M'oblige à vous parler en termes ambigus.

Ha, si j'avais cent yeux comme défunt Argus,

Ou si j'étais aveugle ainsi que Tirésie,

Ou si vous aviez pris assez de malvoisie, [780]

Et mangé tant de pain, que Cérès et Bacchus

Vous pussent rendre enfin prenable par blocus,

Ou si je savais bien ce que je vous veux dire,

Ou si j'avais pouvoir de m'empêcher de rire,

Comme vous que je vois vos deux lèvres manger, [785]

Tant vous avez eu peur de me désobliger !

Mais riez, bel objet, riez si bon vous semble,

Et pour vous enhardir, rions, ma belle, ensemble.

Ça je vais commencer, rions à l'unissons :

Mon Dieu que vous riez de mauvaise façon ! [790]

Hi, hi, hi, hi, hi, hi ; vous riez en guenuche,

Adorable beauté qui m'allez rendre cruche :

Je dis vos vérités, c'est mon plus grand regret.

Si je vous aimais moins, je serais plus discret :

Mais vous venez encor, assassinante oeillade, [795]

Malgré mes beaux discours sur moi battre l'estrade !

Hé, trêve de matras, ils sont hors de saison,

Et parmi les chrétiens c'est une trahison.

Je vous le maintiendrai, merveille des merveilles !

Tout à l'heure en champ clos avec armes pareilles : [800]

Mais vous délibérez, et tant délibérer

Sur un semblable cas, c'est me désespérer.

Hé bien, ma belle, hé bien suis-je en amour novice ?

C'est le style d'amour dont on use en Galice.

S'il n'est pas à la mode, il le faudra changer ; [805]

Pour vous je ferai tout, jusqu'à me fustiger.

HÉLÈNE

Je ne veux pas de vous une si rude épreuve.

FILIPIN

Si vous me promettiez de n'être jamais veuve,

Quoique j'aie un regard de Caton le Censeur,

Nous autres Buffalos, savons tous un coup sûr [810]

Pour faire des enfants, et la générative

Dedans nous, fait la nique à la végétative :

Étant génératif plus que végétatif,

Il ne tiendra qu'à vous qu'un noeud copulatif,

En langage moins fin que l'on nomme hyménée, [815]

Ne nous soigne tous deux, et dès cette journée.

HÉLÈNE

Connaissons-nous devant, et ne nous pressons point.

FILIPIN

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN

Dégrafe mon pourpoint,

L'amour qui dans mon coeur chante ville gagnée

Excite en mon jabot exhalaison ignée. [820]

{{Personnage| HÉLÈNE|c}}

Vraiment, mon Cavalier, ce terme de jabot

Est un terme fort bas, et qui sent le sabot.

FILIPIN

Un homme comme moi peut le mettre en usage :

Cousin, approuves-tu ce subit mariage ?

Dis, puis-je mieux choisir ? Peut-elle choisir mieux ? [825]

DOM DIÈGUE

Vous montrez en cela que vous avez bons yeux :

Je prends congé de vous, Madame.

FILIPIN

Et je demeure

Auprès de ce bel Ange.

DOM DIÈGUE
tout bas à Carmagnolle.

Elle est prise, ou je meure.

FILIPIN

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN

Qu'on me donne un fauteuil,

D'où je puisse aisément faire la guerre à l'oeil [830]

Sur ces tétons de lait, amoureuses collines ;

Ces deux mondes jumeaux, ces boules assassines,

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN

Mon rabat est-il bien ?

CARMAGNOLLE

Il est bien.

FILIPIN

Et le reste ?

CARMAGNOLLE

Il ne vous manque rien.

FILIPIN

Carmagnolle.

{{Personnage|CA RMAGNOLLE|c}}

Monsieur. [835]

FILIPIN

J'en tiens, j'en ai dans l'âme. [835]

Carmagnolle.

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN
.

Ne dis plus rien. Madame,

Que dites-vous de moi ?

HÉLÈNE

Je dis que vous valez

Tout ce qu'on peut valoir.

FILIPIN

Ha ! Vous me cajolez,

Et moi je dis de vous que déjà j'extravague ;

Enfin que ma raison auprès de vous naufrague. [840]

HÉLÈNE

Ce terme est fort nouveau.

FILIPIN

Je parle élégamment,

Et non pas mon Cousin qui parle bassement ;

Écoutez, écoutez, je vais dire, merveilles,

Vous ravissez mes yeux, défendez vos oreilles,

Si le style est trop haut, je l'accommoderai [845]

À votre connaissance, et l'humaniserai.

HÉLÈNE

Vous me ferez plaisir, pourvu que je l'entende.

FILIPIN

Moitié Zone Torride, et moitié Groenlande,

Qui Torride brûlez, Groenlande glacez,

Trêve de glace et de feu, c'est assez, c'est assez, [850]

De vos regards doubles les forces agissantes

Font sur mon pauvre coeur impressions puissantes :

Mitigez-les, Madame, ou s'en faudra bien peu,

Si vous continuez, que je ne cr ie au feu.

Me voilà tantôt cuit, quoique aussi dur que roche, [855]

En donnant seulement encor un tour de broche :

Et bien vous en riez ?

HÉLÈNE

Tout autant que je puis.

FILIPIN

Je divertis toujours les maisons où je suis,

Cependant qu'en rêvant mon esprit se repose

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur. [860]

FILIPIN

Raconte quelque chose [860]

À Madame, fais-lui quelques contes plaisants,

Tels que tu m'en faisais durant mes jeunes ans :

Tu me dis quelquefois mille coyonneries,

Qui font crever de rire : et dans tes railleries

Tu réussis assez ; mais trêve du prochain, [865]

Dis-lui que Dom Diègue est pour mourir de faim.

Et qu'il a seulement pour sa mère, ma tante,

Pour ses soeurs et pour lui, trois cents Ducats de rente,

Qu'il ne peut disposer de ces trois cents Ducats,

Mais du seul usufruit, ce qui n'est pas grand cas ; [870]

Qu'il a perdu ce bien pour mainte et mainte faute,

Qu'il pensait tout avoir, et contait sans son hôte,

Que pour avoir été par trop Vénérien,

Joueur, filou, hargneux ; en un mot un Vaurien.

Mon Oncle Dom Pelage, ayant appris ces choses, [875]

L'a frustré de son bien pour ces trop justes causes,

Que ce qu'il m'a laissé vaut en argent comptant

Trois cent mille Ducats.

CARMAGNOLLE

Et les meubles autant.

HÉLÈNE

Vraiment, mon Cavalier, vous êtes donc bien riche ?

FILIPIN

Oui, ma belle, et sachez si vous n'êtes pas chiche [880]

De ce que je ne veux recevoir que de vous,

Que tous mes biens seront en commun entre nous.

{{Personn age|HÉLÈNE|c}}

Refuser un bonheur alors qu'il se présente,

C'est n'avoir point d'esprit.

FILIPIN

Ce discours me contente,

J'ai de plus un procès aussi clair que le jour, [885]

Qui sera terminé bientôt en cette Cour,

Dont j'attends force bien, c'est une bonne affaire ;

Écoutez, et voyez si la chose est bien claire.

Mon grand-père, l'honneur de tous les Buffalos

Vendit certaine terre au Seigneur d'Avalos. [890]

À quelque temps de là cette terre vendue

Deux cent mille écus, dont la somme était due

À mon oncle, de qui les enfants héritiers

S'opposant au décret seulement pour un tiers.

Ma tante mariée avec un Aquavive [895]

Obtint contre l'arrêt sentence informative :

Par retrait lignager forme opposition,

Et reprend tout le bien ; mais par intrusion

La chose n'étant pas encore homologuée,

Je dis que la cutume est fort mal alléguée, [900]

Et que j'y dois rentrer. J'ai su d'un Avocat

Que le procès pourtant était fort délicat ;

Mais j'ai de bons amis, et je sais la chicane,

Trouvez-vous cette affaire obscure ou diaphane ?

HÉLÈNE

Je ne l'entends pas bien.

FILIPIN

En bonne vérité [905]

J'y trouve comme vous beaucoup d'obscurité,

Par mon Solliciteur je vous la ferai dire,

Carmagnolle !

CARMAGNOLLE

Monsieur.

FILIPIN

Approche, sais-tu lire ?

CARMAGNOLLE

Oui, Monsieur.

{{Personnage|F ILIPIN|c}}

Tu sais combien j'ai de magots ?

CARMAGNOLLE

Trente.

FILIPIN

Et de perroquets. [910]

CARMAGNOLLE

Autant. [910]

FILIPIN

Et de lingots ?

CARMAGNOLLE

Je n'en sais pas le nombre.

FILIPIN

Et l'escarboucle fine.

CARMAGNOLLE

C'est un riche trésor, une pierre divine.

FILIPIN

Mon Oncle la trouva chez Attabalippa,

Elle était à Ganac fils de Gainaccappa,

Qui se fit baptiser, et fut appelé George. [915]

Foin, ces noms Indiens me font mal à la gorge ;

J'ai de fort beaux rubis dont je fais fort grand cas.

CARMAGNOLLE

Et deux cents diamants.

FILIPIN

Je ne m'en souviens pas.

CARMAGNOLLE

Ni moi de ces rubis.

FILIPIN

Ce chien de Carmagnolle

Se fâche bien souvent pour la moindre parole : [920]

Mais je vais recevoir quatorze mille écus.

Adieu beaux yeux brillants, dont les miens sont vaincus,

Ne vous ennuyez point, belle en charmes fertile,

Que nous aurons d'enfants si vous n'êtes s térile !

En cas, cela s'entend, que je sois votre époux. [925]

HÉLÈNE

Cela pourrait bien être.

FILIPIN

Il ne tiendra qu'à vous.

PAQUETTE

Quoi vous voulez, Madame, après un Dom Diègue

Choisir un Campagnard, et de plus, un Gallégue ?

HÉLÈNE

Quand il est question d'établir mon repos

M'irai-je embarrasser d'un gueux mal à propos ? [930]

PAQUETTE

Un mari jeune et beau, vaut bien la bonne chère :

Le plaisir vaut l'argent, j'ai ouï dire à ma mère :

Lorsqu'à mes grandes soeurs elle faisait leçon,

Qu'il faut choisir toujours jeune chair, vieux poisson :

Dieu veuille avoir son âme, elle en savait bien d'autres. [935]

Je me souviens qu'un jour disant ses patenôtres,

Elle vint à parler du plaisir de la chair,

Où repentir, dit-on, suis toujours le pécher.

HÉLÈNE

Hé bien, que diras-tu ? Ne te veux-tu pas taire ?

PAQUETTE

Alors que j'ai raison, j'ai bien peine à le faire : [940]

Madame, encore un mot, puis après je me tais.

HÉLÈNE

Dis en trois si tu veux, et puis me laisse en paix.

PAQUETTE

J'accepte le parti ; savez-vous bien, Madame,

Que ce nouveau galant sentait l'ail, sur mon âme ?

HÉLÈNE

Opulent comme il est, moi n'ayant point de bien, [945]

Il est bien mieux mon fait, que quelque bon à rien :

Je l'aurai dans six mois, de bien fou, fait bien sage,

Et changerai bientôt sa mine et son langage.

PAQUETTE

Et moi devant six mois je lui ferais porter...

HÉLÈNE

Si je prends un bâton, je t'irai bien frotter. [950]


ACTE IV





Scène I

DOM DIÈGUE

La chose s'est passée ainsi que je le dis,

LÉONOR

Vraiment elle est plaisante, et le tour bien hardi.

Je voudrais qu'autrement elle se fût passée,

Et je sais ce que peut une femme offensée.

DOM DIÈGUE

Offensée ou contente, et moi je sais fort bien [955]

Que n'étant plus qu'à vous, elle ne tient plus rien.

LÉONOR

Je n'ai pas jusqu'ici grand sujet de le croire.

DOM DIÈGUE

Et moi j'en ai beaucoup de perdre la mémoire

D'une avare beauté, qui se moque de moi,

Et de vous consacrer mon amour et ma foi. [960]

LÉONOR

Le temps découvrira la vérité des choses.

DOM DIÈGUE

Je vous aime, et la hais pour de trop justes causes,

Pour avoir à chercher l'assistance du temps.

Si je fus remarquable entre les plus constants

Pour les soins assidus d'un immuable zèle, [965]

Que ferai-je pour vous, ayant tant fait pour elle ?

Que ne ferai-je point, de vous favorisé,

Si j'ai tant fait pour elle, en étant abusé ?

Mes services rendus, dont maintenant j'ai honte,

Selon toute équité doivent entrer en compte [970]

Chez l'ingrate, j'ai fait mon approbation,

J'aurai de vous le prix de mon affection :

Ne différez donc point.

BÉATRIX

Votre Madame Hélène

Demande à voir Madame.

DOM DIÈGUE

Et sa fièvre quartaine,

Et que vient-elle faire ?

LÉONOR

Elle vient vous chercher. [975]

DOM DIÈGUE

Je ne le pense pas.

LÉONOR

Allez tôt vous cacher

Dedans mon cabinet.

DOM DIÈGUE

Que je la donne au diantre,

Et du bon de mon coeur.

LÉONOR

Cachez-vous donc, elle entre.


Scène II

HÉLÈNE

Vous voyez comme quoi je cultive avec soin

L'honneur de vous connaître ?

LÉONOR

Il n'était pas besoin [980]

Pour si peu de sujet de peindre tant de peine :

Mais les civilités de la charmante Hélène

Sont toutes dans l'excès, et c'est me reprocher

Que m'ayant obligée, il fallait rechercher

Dès aujourd'hui l'honneur de la voir la première : [985]

Accordez un pardon à mon humble prière,

Vous verrez par les soins que je veux prendre exprès

Qu'il est bon de faillir, pour faire mieux après ;

Votre bonté pourtant en m'obligeant m'afflige.

HÉLÈNE

Quand on vous fait plaisir, soi-même l'on s'oblige, [990]

Pour le peu que j'ai fait tant de remerciement

Me fait voir ma faiblesse assez adroitement :

Mais si je l'avais pu, j'aurais fait davantage.

LÉONOR

L'interprétation sensiblement m'outrage,

Je ne conteste pas avec vous de l'esprit : [995]

La conversation de l'autre jour m'apprit

Combien vous en avez, et que jointe à vos charmes

Personne contre vous n'a d'assez fortes armes.

BÉATRIX

Madame.

LÉONOR
, elle parle à l'oreille.

Approchez-vous ; est-il déjà là-bas ?

BÉATRIX

Oui, Madame.

LÉONOR

À l'instant je reviens sur mes pas, [1000]

Vous me pardonnez bien une faute si grande,

C'est un Oncle Tuteur qui là-bas me demande.

HÉLÈNE

Nous ne sommes ici que pour vous obéir.

LÉONOR

Pour cet acte incivil, vous me devrie z haïr :

Mais vous excuserez, comme vous êtes bonne, [1005]

Une nécessité.

HÉLÈNE

L'excellente personne

Que cette Léonor.

PAQUETTE

Chacun en dit du bien.

HÉLÈNE

Sa chambre est magnifique.

PAQUETTE

Elle n'épargne rien

Pour être bien meublée.

HÉLÈNE

Approche-toi, Paquette,

L'agréable tapis pour être de moquette, [1010]

Ce cabinet est riche, et plein de bons tableaux.

PAQUETTE

Je ne sais s'ils sont bons, mais je les trouve beaux.

HÉLÈNE

N'y vois-je pas quelqu'un ? Quel homme pourrait-ce être ?

PAQUETTE
.

C'est un que vous devez, me semble, bien connaître.

HÉLÈNE

Mendoce ?

PAQUETTE

C'est lui-même. [1015]

HÉLÈNE

Ha, le traître, c'est lui. [1015]

Qui l'aurait jamais dit ?

PAQUETTE

En sortant aujourd'hui

Il paraissait fâché, vous en savez la cause.

LÉONOR

Je reviens, mon tuteur ne voulait pas grand-chose :

Vous avez mal passé le temps.

HÉLÈNE

Vous vous trompez,

Les sens ne sont ici que trop bien occupés ; [1020]

Ce cabinet est plein de peintures fort belles,

Qui divertissent bien.

LÉONOR

J'en ai de telles quelles.

HÉLÈNE

Sont-elles d'Italie ? Et sont-ce originaux ?

Vous avez un portrait pourtant pue je tiens faux,

Qui fut longtemps à moi, mais je m'en suis défaite : [1025]

Comment avez-vous fait cette mauvaise emplette ?

LÉONOR

Vous y connaissez-vous ?

HÉLÈNE

Je m'y connais fort bien.

LÉONOR

Ne vous y trompez plus, vous n'y connaissez rien,

Le portrait est de prix, et vaut bien qu'on le garde,

Une âme généreuse à la bonté regarde, [1030]

Ne fut-il que passable, étant sans intérêt,

Je l'aimerai toujours à cause qu'il me plaît :

Aimer pour le profit, c'est être mercenaire.

HÉLÈNE

Courir sur le marché d'un autre, est-ce bien faire ?

LÉONOR

Courir après l'argent, ce n'est pas faire mieux. [1035]

HÉLÈNE

C'est avoir le goût bon.

LÉONOR

Et de fort mauvais yeux

De mépriser la forme, et choisir la matière.

HÉLÈNE

Votre portrait en l'un et l'autre ne vaut guère.

LÉONOR

Peut-être en avez-vous tâté, car autrement

Vous ne parleriez pas de lui si hardiment. [1040]

HÉLÈNE

Je ne tâte jamais d'une chose mauvaise.

LÉONOR

Vous êtes délicate, et moi je sui bien aise

Aux dépens de mon goût de croire en tout honneur

Qui dans la vertu seule établit le bonheur.

HÉLÈNE

Vous êtes bien parfaite.

LÉONOR

Et point du tout avare. [1045]

HÉLÈNE

C'est trop voir pour un coup une dame si rare.

Paquette, suivez-moi.

LÉONOR

Je vous visiterai.

HÉLÈNE

Vous pouvez mieux passer le temps.

LÉONOR

Je vous croirai.

Madame encore un mot.

HÉLÈNE

Parlez vite, j'ai hâte.

LÉONOR

Un portrait de Province en peu de temps se gâte, [1050]

La plupart en sont faux : sans les bien éplucher,

N'en acquérez jamais.

HÉLÈNE

Et vous sans le cacher

Ne retenez jamais ce qu'il faut que l'on cache.

LÉONOR

Votre face est en feu, quelque chose vous fâche.

HÉLÈNE

Je rougis, mais de vous.

LÉONOR

De moi ? Je le veux bien ; [1055]

Et moi je ris de vous, pour ne vous devoir rien.

BÉATRIX

Ha, Madame, elle enrage.

LÉONOR

Et moi je suis ravie,

Je ne passai jamais mieux le temps de ma vie ;

Mais Dom Diègue a tort, il se devait cacher.

BÉATRIX

L'aventure est pour rire, et non pour se fâcher. [1060]

LÉONOR

Dom Diègue !

DOM DIÈGUE

Madame.

BÉATRIX

Elle s'en est allée,

Madame l'a, me semble, assez mal consolée

De vous avoir perdu.

DOM DIÈGUE

Comment ?

BÉATRIX

On vous a vu.

DOM DIÈGUE

Ha ! Madame, pardon, surpris au dépourvu,

Si jamais je le fus, sans songer à la porte, [1065]

J'ai gagné votre Alcôve.

LÉONOR

Il n'importe, il n'importe ;

Je m'en vais vous conter tout ce qu'elle m'a dit :

Mais je n'ai rien voulu prendre d'elle à crédit,

Je l'ai bientôt payée en la même monnaie.

Ô le fâcheux objet que le malheur m'envoie ! [1070]

Elle s'enfuit dans son Cabinet.

Adieu je me retire.


Scène III

{{Pers onnage|DOM JUAN|c}}

Hé, de grâce, arrêtez ;

J'ai donc toujours pour moi des incivilités,

Et je verrai toujours favoriser les autres ?

Mais il m'importe peu, je ne suis plus des vôtres,

Vous ne me verrez plus embrasser vos genoux. [1075]

DOM DIÈGUE

J'étais ici venu pour lui parler de vous :

Mais j'ai perdu ma peine, elle est toujours la même,

Et pour vous sa rigueur, je l'avoue, est extrême.

DOM JUAN

Il m'est indifférent qu'elle soit douce ou non,

J'en veux tout oublier, et, si je puis, le nom, [1080]

Et c'est là le sujet, qui chez elle m'amène :

J'ai dessein de servir cette Madame Hélène,

Que vous connaissez tant, et qui la retira

Chez elle, quand l'ingrate enfin me déclara

Qu'elle ne m'aimait point : depuis cette journée [1085]

J'ai résolu d'aimer quelque Dame bien née,

Et qui reconnaîtra la constance, et la foi

D'un homme de mérite, enfin fait comme moi.

DOM DIÈGUE

Je trouve en ce dessein quelque obstacle, me semble,

Un Dom Pedre la sert, ils sont fort bien ensemble, [1090]

Dom Pedre est mon cousin, des champs tout frais venu.

DOM JUAN

Ce que vous voulez dire à moi-même est connu :

Mais ce Dom Pedre-là n'est qu'une grosse bête.

DOM DIÈGUE

Il est vrai, mais je sais qu'elle l'a dans la tête,

À cause qu'il est riche, elle aime plus le bien [1095]

Que vertu ni noblesse.

DOM JUAN

Et moi je n'en crois rien.

Ce Dom Pedre tantôt lui donne sérénade,

L'homme que vous voyez, lui dresse une embuscade.

Où je ferai savoir à ce gros paysan,

Combien pèsent les coups que donne un courtisan : [1100]

Nous verrons à ce soir lequel a belle amie.

DOM DIÈGUE

Vous irez éveiller une Dame endormie,

Faire aboyer des chiens, émouvoir le Bourgeois,

Faire pleuvoir sur vous des pierres, et du bois.

Laissez-là ce Dom Pedre, et par mon entremise, [1105]

Hélène vous sera demain peut-être acquise.

Si vous me promettez d'agir d'autre façon :

Ce Campagnard Dom Pedre, est un mauvais garçon,

Et bien qu'il soit d'esprit, et de corps ridicule,

Il passe en son pays pour un brave, un Hercule. [1110]

DOM JUAN

Bien s'il est Hercule, et moi j'en serai deux,

Démordre d'un dessein, quand il est hasardeux,

Je ne le fis jamais, vous perdez votre peine,

Il laissera la vie, ou bien l'amour d'Hélène.

DOM DIÈGUE

Dom Juan, croyez-moi, le cas est bien douteux ; [1115]

Faites plus sagement, attendez le boiteux :

Sur le moindre incident, on rompt un mariage.

DOM JUAN

Et durant ce temps-là, que fera mon courage ?

DOM DIÈGUE
.

Je vous en avertis, mon cousin se bat bien ?

DOM JUAN

Et moi, me bats-je mal ?

DOM DIÈGUE

Vous n'y gagnerez rien. [1120]

DOM JUAN

Y gagner de l'honneur avec une Maîtresse,

N'est-ce pas bien gagner ? Adieu le temps me presse,

Je m'en vais de ce pas m'assurer de mes gens.

DOM DIÈGUE

Je t'étrillerai bien tantôt, malgré tes dents,

LÉONOR
sort de son Cabinet.

Avez-vous entendu ce qu'il m'est venu dire ? [1125]

DOM JUAN

Oui j'ai tout entendu.

DOM DIÈGUE

Je crois que le bon Sire

Avait pris de son vin : il me fâcherait fort,

Comme il sera tantôt sans doute le plus fort,

S'il battait mon laquais : j'y donnerai bon ordre,

Et j'empêcherai bien ce gros mâtin de mordre. [1130]

Il les fera beau voir, mon valet est poltron,

L'autre ne l'est pas moins, pour être fanfaron !

Bon, voilà Roquespine, il vient à la bonne heure.

Va quérir une épée, et choisis la meilleure.

Prends ma jaque de maille, et ma rondelle aussi, [1135]

Et reviens vitement me retrouver ici.

ROSQUEPINE

Suis-je de la partie ?

DOM DIÈGUE

Et pourquoi non ? Apporte

Ce qu'il faut pour nous battre, et de bonne sorte.

ROSQUEPINE

Vous me verrez ici dans un petit moment.

LÉONOR

M'aimez-vous, Dom Diègue ?

DOM DIÈGUE

Oui, très assurément. [1140]

LÉONOR

Ne vous parjurez point, je crois bien le contraire.

Puisque vous m'aimez bien, comment pouvez-vous faire

De semblables desseins, encore devant moi ?

DOM DIÈGUE

Je fais voir mon amour, faisant ce que je dois,

C'est vous mériter peu que d'être sans courage. [1145]

LÉONOR

Ô l'étrange discours à quoi l'amour m'engage !

Je rougis, ha ! Mon Dieu, ne me regardez point :

J'aime bien Dom Diègue, et je l'aime à tel point,

Que pour le conserver, je ne veux plus rien dire,

Je n'en ai que trop dit : adieu, je me retire. [1150]

DOM DIÈGUE

Ha ! Madame, achevez le discours commencé :

Il était obligeant, mais vous l'avez laissé.

Puisqu'en si peu de temps vous changez ma fortune ;

C'est après avoir plu, signe que j'importune :

Je ne le cèle point, d'un tel mal combattu [1155]

Mon coeur désespéré manquera de vertu.

Je redoute bien moins une âme de Tigresse,

Que l'inégalité d'une belle Maîtresse.

De ce charmant discours, qui vous a détourné ?

Il promettait beaucoup, mais il n'a rien donné. [1160]

LÉONOR

S'il a promis beaucoup, je tiendrai sa promesse,

Si j'avais moins d'amour j'aurais moins de faiblesse :

Puisque votre courage étonne mon amour,

Ne se hasarder point, c'est bien faire sa cour.

DOM DIÈGUE

Si ce grand Fanfaron par malheur allait battre [1165]

Mon laquais, il faudrait l'assommer ou combattre ;

Je hasarde bien moins, empêchant son dessein.

LÉONOR

On ne conserve pas un jugement bien sain,

Quand on a de l'amour ; mais souvent le courage

L'emporte dessus lui, sans être le plus sage. [1170]

DOM DIÈGUE

Je crains trop de mourir, puisque je vous suis cher :

Si je fais jamais rien qui vous puisse fâcher,

Ne me souffrez jamais : mais voici Roquespine.

LÉONOR

Ha, tout cet attirail de guerre m'assassine !

Ce que vous m'avez dit, ne me peut rassurer, [1175]

Adieu, cruel, adieu, je me vais retirer !

DOM DIÈGUE

Madame, encore un mot.

LÉONOR

Non, méchant, je vous laisse,

Je ne saurais vous voir sans mourir de tristesse.

Elle s'en va.


Scène IV

.
DOM DIÈGUE

Ils s'arment en marchant.

Quelle heure est-il ?

ROSQUEPINE

Il est bien tard.

DOM DIÈGUE

Dépêchons-nous,

Que j'aurai du plaisir à voir battre ces fous ! [1180]

ROSQUEPINE

Je sais fort bien que l'un, n'est pas homme à se battre.

DOM DIÈGUE

L'autre ne se fait pas non plus tenir à quatre.

ROSQUEPINE

Je vois venir quelqu'un.

DOM DIÈGUE

Tout beau, c'est Dom Juan,

Dom Juan se cache.

Où diable ira nicher ce brave chat-huant,

Et comment est-il seul ?

ROSQUEPINE

C'est qu'il ne veut rien faire [1185]

Au salut de son corps qui puisse être contraire,

Il ne veut être ici que paisible auditeur.

DOM DIÈGUE

Il paraissait tantôt l'Ange exterminateur,

Chut, j'entends la musique, entrons en cette porte,

Ils se cachent.

Filipin s'est armé d'une plaisante sorte. [1190]


Scène V

FILIPIN

Posons auprès de nous Rondache et Morion,

Afin de les trouver en toute occasion :

Nous commençons trop tôt, l'heure est, me semble, indue,

J'ai peur que la musique étant trop entendue,

Il ne tombe sur nous quelque défluxion, [1195]

Ou se fasse sur nous quelque profusion.

Je me sens dedans moi quelque esprit prophétique,

Qui m'effraye et me dit, Malheur sur ta Musique !

Les gens de ce quartier ne sont pas endormis,

Et tu pourrais trouver ici des ennemis : [1200]

Mais au nom de Dieu soit, commençons.

DOM DIÈGUE

Roquespine,

Ils s'en vont bien crier, au meurtre, on m'assassine !

Va charger Filipin, quand ils auront fini.

Je vais à Dom Juan rendre le teint terni,

Et peut-être donner à son dos platassades. [1205]

ROSQUEPINE

J'en prétends faire autant aux donne sérénades.

FILIPIN

Commençons.

DOM DIÈGUE

Taisons-nous, ils s'en vont commencer.

SÉRÉNADE.

Beauté qui m'assassinez,

Et dont l'oeil dessus mon coeur s'acharne,

Ta lucarne [1210]

Me devrait montrer ton nez ;

Hélas ! Je suis pour lui,

Jour et nuit dans l'ennui :

Belle aurore

Je t'adore, [1215]

Je t'honore,

Exhibe-toi,

Ou bien c'est fait de moi.

Pour détourner ce méchef,

Montre-toi, vénérable Comète, [1220]

En cornette,

Ou bien prends ton couvre-chef,

Si ton temporiser

Me fait agoniser,

Je trépigne, [1225]

Je rechigne,

Je t'échigne,

Et dès demain

Tu sentiras ma main.

Foi de parfait quinola [1230]

Notre main n'est pas si téméraire,

Que de faire

À ton nez, cet affront-là,

Non, non, je m'en dédis,

Je suis ton Amadis, [1235]

Ma levrette,

Ma civette,

Ma friquette,

Sois douce ou non,

Je trouverai tout bon. [1240]

FILIPIN

Êtes-vous là, charmante étoile poussinière,

Plus fraîche mille fois que la fleur matinière ?

Êtes-vous en cornette, ou bien escoffion,

Avez-vous entendu votre brave Amphion ?

DOM JUAN

Je ne puis plus souffrir.

Dom Diègue va charger Dom Juan, et se retire en son poste.

DOM DIÈGUE

Demeure, ou je t'assomme. [1245]

FILIPIN

Hélas ! J'entends du bruit, et si je vois un homme.

Roquespine va charger Filipin, et se retire en son poste.

ROSQUEPINE

Rends l'épée.

FILIPIN

Et le casque, et la rondelle aussi.

Mes compagnons sont prêts d'en user tout ainsi :

Mais il s'enfuit, courage, il me le faut poursuivre,

Pour faire le vaillant.

DOM JUAN

Le bon Dieu me délivre, [1250]

D'un dangereux pendard, mais, hélas ! Le voilà.

FILIPIN

Ha ! C'est de moi qu'il parle, alors qu'il s'en alla,

Je devais ne bouger, comme un homme bien sage.

Si j'étais confessé...

DOM JUAN

J'ai trop cru mon courage.

DOM DIÈGUE

Les voilà dos à dos, ils ne se feront rien. [1255]

ROSQUEPINE

Pour faire un homicide, ils sont trop gens de bien.

FILIPIN

Hélas, je suis gâté !

DOM JUAN

Malheureuse embuscade !

FILIPIN

Si jamais à putain, je donne sérénade...

L'épée de Dom Juan se choque avec celle de Dom Pedro de Buffalos.

DOM JUAN

Je demande la vie.

FILIPIN

Et moi certes aussi,

L'ami, fais rien, fais rien.

DOM DIÈGUE

Cavaliers, qu'est-ce ci, [1260]

Vous vous entr'assommer ?

FILIPIN

Hélas ! Tout au contraire,

Nous nous entre sauvons.

DOM DIÈGUE

Vous ne pouviez mieux faire.

FILIPIN

Mon cousin, est-ce vous ?

DOM DIÈGUE

Moi-même.

FILIPIN

Un assassin

A bien pensé gâter votre brave Cousin ;

Mais certes la valeur qui toujours m'accompagne, [1265]

À pied comme à cheval, jour et nuit en campagne,

Comme dedans la rue, a fait doubler le pas

À ce larron d'honneur que je ne connais pas :

Ha ! Si je puis voir clair en cette action noire...

DOM JUAN

Je vais vous révéler le secret de l'histoire. [1270]

Certain Duc est l'auteur de ce noir attentat,

Pour certaines raisons, et d'amour, et d'État.

Ce bon Duc, qui n'a pas l'âme des plus guerrières,

Qui me craint, et me hait, et que je n'aime guères,

Comme je m'amusais après certain concert, [1275]

A pensé pour le coup, que j'étais pris sans vert.

Il s'est jeté sur moi, suivi de trois ou quatre,

Mais je n'ai pas laissé toutefois de les battre,

À l'aide de Monsieur, et sans être blessé :

Et c'est de la façon que le tout s'est passé. [1280]

FILIPIN

Et c'est de la façon que l'on ment par la gorge.

DOM DIÈGUE

C'est être aussi vaillant, que le Cid, que Saint George.

DOM JUAN

Il prend à part Dom Diègue.

Vous êtes mon ami, je suis homme d'honneur ;

Je vous avais parlé tantôt avec chaleur,

Mais j'ai songé depuis que la plus douce voie [1285]

Est toujours la meilleure, et c'est avecque joie

Que renonçant pour vous à mon ressentiment,

Suivant votre conseil, j'agirai doucement :

Mais vous devez aussi tenir votre promesse,

Et voir sans y manquer dès demain ma maîtresse : [1290]

Vous savez mon mérite, et vous savez mon bien,

Et comme en l'épousant, mon bonheur est le sien,

Que tout le monde m'aime, ou me craint, ou m'estime :

Et qu'étant Espagnol, je suis fils légitime

De cette valeur rare, et de tant de vertus, [1295]

Dont toujours les Héros ont été revêtus.

Je vous en dirais plus. Mais vous savez le reste,

Et que tout mon défaut est d'être trop modeste,

Adieu, je vais chercher encore à dégainer ;

Car je n'ai fait, me semble, ici que badiner, [1300]

Et si je n'ai fourni matière à funéraille,

Tant que dure la nuit, je ne dors rien qui vaille.

Il s'en va.

FILIPIN

Et moi si l'on pouvait ne point funérailler,

Je ne ferais, ma foi, jamais que batailler ;

Mais parce que combat engendre funéraille, [1305]

Alors que je combats, je ne fais rien qui vaille.

DOM DIÈGUE

Fera-t-il ce qu'il dit ?

ROSQUEPINE

Il ne le fera point,

Le Sire a trop grand soin du moule du pourpoint.

DOM DIÈGUE

Ô ! Que j'étais tenté par quelque estafilade

De punir son orgueil, et sa fanfaronnade ! [1310]

FILIPIN

C'est le plus grand poltron qui...

DOM DIÈGUE

L'est-il plus que toi ?

FILIPIN

Plus que mille fois.

DOM DIÈGUE

Sans jurer, je le crois.

Or ça, parlons un peu de notre Dame Hélène.

FILIPIN

Nous épousons demain.

DOM DIÈGUE

Demain ?

FILIPIN

Chose certaine,

Nous avons dès tantôt ordonné des habits, [1315]

Des esclaves ; carrosse.

DOM DIÈGUE

Ha ! Ce que tu me dis,

Ne peut s'imaginer.

{{Personnage|FI LIPIN|c}}

Vous le pouvez bien croire.

DOM DIÈGUE

Allons, chemin faisant, tu m'apprendras l'histoire.


ACTE V





Scène I

FILIPIN

Où diable est donc Madame ?

PAQUETTE

Elle viendra bientôt.

FILIPIN

Ma Paquette !

PAQUETTE

Monsieur. [1320]

FILIPIN

Le dirai-je tout haut ? [1320]

PAQUETTE

Puisque nous sommes seuls, vous le pouvez bien dire.

FILIPIN

Ma Paquette, sais-tu que j'aime bien à rire ?

Ta maîtresse me rend l'esprit tout sérieux,

Pour te dire le vrai, je t'aimerais bien mieux.

PAQUETTE

Vous vous pensez moquer parmi des Damoiselles, [1325]

Telles que je puis être, on en voit d'aussi belles

Que ces Dames de prix, en qui souvent, dit-on,

Blanc, perles, coques d'oeuf, lard et pieds de mouton,

Baume, lait virginal, et cent mille autres drogues

De têtes sans cheveux aussi rases que gogues, [1330]

Font des miroirs d'amour, de qui les faux appas

Étalent des beautés qu'ils ne possèdent pas.

On les peut appeler visages de moquette.

Un tiers de leur personne est dessous la toilette ;

L'autre dans les patins, le pire est dans le lit : [1335]

Ainsi le bien d'autrui tout seul les embellit,

Ce qu'ils peuvent tirer de leur propre domaine,

C'est chair molle, gousset aigre, mauvaise haleine.

Et pour leurs beaux cheveux si ravissants à voir,

Ils ont pris leur racine en un autre terroir. [1340]

Ils sont le plus souvent des plantes transplantées,

Qu'on applique avec art sur têtes édentées.

FILIPIN

Paquette, ma Paquette, où prends-tu tant d'esprit ?

Aimes-tu quelque auteur, lorsque ton oeil me prit,

Je te soupçonnais bien d'avoir l'esprit alerte, [1345]

Mais de l'avoir si bon, Ha ! C'est trop pour ma perte,

Je veux rompre aujourd'hui bien plutôt que demain,

Avecques ta Maîtresse, et te donner la main ;

Mais la voici venir.


Scène II

HÉLÈNE

Je vous ai fait attendre,

Vous me le pardonnez, j'avais visite à rendre [1350]

À certaine Duchesse, à qui je dois beaucoup.

FILIPIN

Ma belle Tramontane, hé bien, est-ce à ce coup,

Que l'hymen ayant joint Dom Pedre, et Dame Hélène,

De leur congrès fécond viendra la digne graine !

Laquelle pullulant en ce puissant État, [1355]

Soumettra tout le monde à notre Potentat.

HÉLÈNE

Puisque votre vertu m'a tout à fait acquise,

Ma volonté doit être à la vôtre soumise.

FILIPIN

Je n'ai présentement que dix mille Ducats,

Un faquin de facteur, dont j'ai fait quelque cas, [1360]

Et que pour sa paresse, il faut casser au gage,

Me fait de jour en jour attendre, dont j'enrage :

M'écrit, qu'à la monnaie, on agit lentement,

À cause que l'on sert le Roi premièrement,

Et que son Commissaire enlève de Séville [1365]

Autant de Patagons qu'on fait en cette ville.

HÉLÈNE

Cette guerre de Flandre enlève tout l'argent.

FILIPIN

Il me promet pourtant d'être plus diligent,

Et d'envoyer bientôt une notable somme.

Vous pouvez cependant ravir d'aise un pauvre homme [1370]

Qui ne vit depuis peu que d'expectation,

Comme les sots de Juifs font après leur Sion :

Hélas ! Dans peu de jours, je vais mourir par braise !

Au lieu qu'un prompt Hymen me fera mourir d'aise.

Quatre ou cinq mille écus en velours et tabis, [1375]

Suffiront, ce me semble, à faire des habits,

Le carrosse, le train, et tout notre équipage,

Se feront à loisir après le mariage ;

Lorsque j'aurai reçu la somme que j'attends,

Et quelques diamants : au reste je prétends [1380]

Que les couleurs seront, selon ma fantaisie,

Et que l'étoffe aussi sera de moi choisie.

HÉLÈNE

Avecque vous, Monsieur, je renonce à mon choix.

FILIPIN

Vous aurez douze habits, c'est-à-dire un par mois,

Que l'orangé pastel est couleur agréable ! [1385]

HÉLÈNE

On ne s'habille plus d'une couleur semblable.

FILIPIN

Et zinzolin, Madame.

HÉLÈNE

Il n'est plus de saison.

FILIPIN

J'aime cette couleur qu'on dit, merde d'oison :

Elle réjouit l'oeil.

HÉLÈNE

Ce n'est donc qu'en Galice.

FILIPIN

Une robe de peau, couleur de pain d'épice ; [1390]

Qu'un drap marbré bien chaud, doublerait pour l'hiver,

Avec trois passepoils, jaune, minime, et vert,

Qui feraient ce qu'on dit, Pistache ou bien Pistage,

Serait le vêtement le plus riche d'Espagne.

HÉLÈNE

Envoyez-moi l'argent, tout sera bien choisi. [1395]

FILIPIN

On me fait un pourpoint de velours cramoisi,

Dont les chausses seront de satin tristamie.

PAQUETTE

Dom Diègue est là-bas.

FILIPIN

La fortune ennemie

Assez mal à propos m'envoie un importun.

HÉLÈNE

Ne le verrez-vous point ?

FILIPIN

Ce me serait tout un, [1400]

S'il ne m'avait point fait une supercherie

Sous mon nom. Il m'escroque une commanderie,

Et retient mes papiers après cet acte noir.

Vous me pardonnerez si je ne le puis voir,

Il nous faudra sans doute enfin tirer la lame. [1405]

HÉLÈNE

Entrez dans mon Alcôve.

FILIPIN

Et de bon coeur, mon âme,

Quand il sera sorti, faites-le moi savoir,

Coupez court avec lui.

HÉLÈNE

J'y ferai mon pouvoir.


Scène III

DOM DIÈGUE

Madame, ce n'est pas l'amour qui me ramène :

Je perdrais près de vous, et mon repos, et ma peine, [1410]

Je viens vous proposer un homme pour époux

Que vous confesserez être digne de vous,

Dom Juan Bracamont.

HÉLÈNE

Brisons-là, je vous prie.

DOM DIÈGUE

Depuis quand faites-vous si fort la rencherie ?

Il est riche, Madame.

HÉLÈNE

Étant de votre main, [1415]

Il me serait suspect.

DOM DIÈGUE

C'est mon Cousin germain,

Qui règne en votre coeur comme un clou chasse l'autre.

HÉLÈNE

C'est ce que vous voudrez.

DOM DIÈGUE

Il y va trop du vôtre,

De prendre un campagnard tout opulent qu'il est.

HÉLÈNE

Tant moins vous l'estimer, d'autant plus il me plaît. [1420]

DOM DIÈGUE

Vous l'aimez donc, Madame ?

HÉLÈNE

Et de plus, je l'épouse.

DOM DIÈGUE

Que le Ciel me faisant d'une humeur peu jalouse,

M'a fait un riche don, quoiqu'il m'ait fait sans bien !

HÉLÈNE

Auprès de Léonor, il ne vous manque rien.

DOM DIÈGUE

Il est vrai ; mais pourtant, je crains qu'elle n'apprenne [1425]

Que je suis venu voir la nompareille Hélène.

HÉLÈNE

Le péril n'est pas grand pour vous.

DOM DIÈGUE

Il le serait,

Si j'étais assez riche.

HÉLÈNE

On vous enlèverait,

Si Dieu vous avait fait ce que vous pensez être.

DOM DIÈGUE

Il m'a fait trop de grâce, en me faisant connaître [1430]

Que pour vous être cher, il faut n'être pas gueux.

HÉLÈNE

Vous diriez bien plus vrai, si vous disiez, fâcheux.

DOM DIÈGUE

Je me vois sur le point de l'être davantage.

HÉLÈNE

Et comment ferez-vous ?

DOM DIÈGUE

Rompant un mariage.

HÉLÈNE

Le mien ?

DOM DIÈGUE

Le vôtre même. [1435]

HÉLÈNE

Et quelle autorité [1435]

Prétendez-vous sur moi ?

DOM DIÈGUE

C'est par sincérité

Que je veux empêcher l'inégal Hyménée,

Qui joindrait à ce fat une Dame bien née.

Dom Buffalos n'est pas tout ce que vous pensez,

Vous le croyez bien riche, il ne l'est pas assez. [1440]

HÉLÈNE

Que vous avez en vain la tête embarrassée !

DOM DIÈGUE

Pour vous perdre d'honneur vous êtes bien pressée.

HÉLÈNE

Je pourrais aisément me passer de vos soins.

DOM DIÈGUE

Je n'en aurais pas tant, si je vous aimais moins.

HÉLÈNE

Et moi, pour vous montrer combien je vous redoute, [1445]

Dans une heure au plus tard, je l'épouse.

DOM DIÈGUE

Sans doute ?

HÉLÈNE

Il n'est rien de plus sûr, et je fais plus encor,

Nous aurons pour témoins, et vous et Léonor,

Il m'est indifférent de quel sens on explique

Une bonne action que je rendrai publique. [1450]

DOM DIÈGUE

Elle le sera trop, mais pour la détourner

Je saurai malgré vous le remède donner.

HÉLÈNE

Joignez à Léonor toute la terre ensemble,

J'aurai votre Cousin.

DOM DIÈGUE

Dites, si bon vous semble,

Je vais chez Léonor, pour l'amener ici. [1455]

HÉLÈNE

Vous enragerez bien tantôt.

DOM DIÈGUE

Et vous aussi.

FILIPIN

Il sort de l'Alcôve.

Ha le mauvais parent ! Madame, je vous jure,

Si je n'ai eu peur de vous faire une injure,

Que j'aurais fait sur lui notable irruption :

Mais j'en retrouverai bientôt l'occasion. [1460]

Au prix de moi, Madame, un lion n'est qu'un ase,

Quand je suis en colère, une antipéristase

Me trouble le dedans, la consanguinité

Fait la guerre en mon âme, à sa méchanceté.

Si je mangeais son coeur, je mordrais en la grappe. [1465]

Madame, tenez-moi, de peur que je m'échappe.

Ne me retenir point, c'est me faire enrager,

Que sait-on ? Je ferai bien mieux de ne bouger.

Si je l'allais trouver, et qu'il fît résistance,

Le malheureux mourrait sans nulle repentance. [1470]

Comme mes premiers coups ne sont pas jeux d'enfants ;

Mais de ces orbes coups à tuer éléphants.

J'ai pourtant grand sujet de me mettre en colère,

C'est une passion qui grandement m'altère.

Qu'on me presse en un verre, un, deux ou trois limons, [1475]

J'aime la limonade, elle est bonne aux poumons.

Ma chère âme !

HÉLÈNE

Monsieur.

FILIPIN

Nous allons faire noce.

PAQUETTE

Dom Juan Bracamont, Dom Diègue , Mendoce,

Amènent avec eux Madame Léonor.

FILIPIN

N'ont-ils point amené quelques autres encor ? [1480]

PAQUETTE

Je ne le pense pas.

FILIPIN

Bien, que mon cousin monte,

Copulativement je m'en vais à sa honte

Me joindre aux yeux de tous au trésor de beauté

Qu'il ne méritait point, et que j'ai mérité.

Paquette, approchez-vous, est-il prêt le Notaire ? [1485]

PAQUETTE

Oui Monsieur.

FILIPIN

Achevons vitement cette affaire,

Je suis grand amateur de la conclusion,

Et naturellement j'appète l'union.


Scène IV

LÉONOR

Je viens me conjouir avec la belle Hélène.

HÉLÈNE

Ignorant le sujet, qui chez moi vous amène, [1490]

Si c'est pour m'obliger, ou pour vous divertir,

Je ne sais comment je vous dois répartir,

De quelle façon donc voulez-vous que j'en use ?

FILIPIN

Qui rit à mes dépens, je soutiens qu'il s'abuse,

Quatre cent mille fois, quelque chose de plus. [1495]

LÉONOR

Les éclaircissements sont ici superflus.

Nous ne venons ici qu'à dessein de vous plaire,

Et de vous obliger.

FILIPIN

Vous ne pouvez mieux faire.

HÉLÈNE

Je n'attendais pas moins de vous, mais pour Monsieur ?

LÉONOR

Vous le connaissez mieux que moi, c'est un rieur, [1500]

Qui dit d'une façon, et qui pense de l'autre.

DOM DIÈGUE

Madame, vous savez que je fus toujours vôtre.

Attribuez, de grâce, au sensible regret

De vous avoir perdue, un discours indiscret,

Dont je viens à vos yeux me châtier moi-même, [1505]

En laissant voir aux miens ravir celle que j'aime :

Car ce n'est rien qu'un rapt que l'Hymen inégal

De vous, et d'un laquais, qui panse mon cheval.

FILIPIN

Ha ! Ne blasphémons point.

HÉLÈNE

Vous êtes fou, Mendoce.

DOM DIÈGUE

Vous êtes folle, Hélène, avecque votre noce. [1510]

HÉLÈNE

Dom Pedre, endurez-vous ?

FILIPIN

Je suis un autre fou.

Qui le nie, a menti par sa gorge, ou son cou.

HÉLÈNE

Vous n'êtes qu'un laquais ?

FILIPIN

Fort à votre service.

HÉLÈNE

Quoi, me jouer ainsi ?

DOM DIÈGUE

C'est vous faire justice.

HÉLÈNE

Ha ! Qui me vengera, peut espérer de moi [1515]

Ce que je puis donner.

FILIPIN

Ce ne sera pas moi.

HÉLÈNE
, à Dom Diègue.

Indigne de ton ordre, et du nom que tu portes,

Qui me vient outrager en tant, et tant de sortes.

Tu prétends te jouer avec impunité

D'une femme d'honneur, et de ma qualité ? [1520]

DOM DIÈGUE

Aboyer votre saoul, vous ne me pouvez mordre :

Vous vous êtes causé vous-même ce désordre ;

Vous m'avez abusé par un déguisement.

Celui de mon laquais entrepris justement,

Au lieu de vous fâcher, doit plutôt vous instruire, [1525]

Qu'il ne faut pas choisir tout ce qu'on voit reluire.

Sachez-moi donc bon gré d'un tour qui vous apprend

Qu'à tout esprit qui fourbe, à la fin on le rend :

Vous m'avez amusé de vos belles paroles,

Vous ne considériez en moi que les pistoles, [1530]

La pauvreté pour moi vous donna du mépris.

Parce que tous les chats durant la nuit sont gris,

À notre Filipin vous vous êtes soumise,

Vous m'avez pris pour dupe, un laquais vous a prise.

Le tour était bien lâche, et je vous l'ai rendu : [1535]

Mais gagner un laquais, ce n'est pas tout perdu.

HÉLÈNE

Ha ! Je me vengerai d'une pièce si rude.

DOM DIÈGUE

La vengeance n'est pas l'action d'une prude.

HÉLÈNE

Ha ! Seigneur Dom Juan, de grâce, vengez-moi :

C'est le prix où je mets mon amour, et ma foi. [1540]

DOM JUAN

Qui moi, vous épouser ? Vous, une intéressée

Que Mendoce a servie, et puis après laissée :

Parce qu'elle l'aimait seulement pour le bien,

Qu'un laquais a férue, et prise en moins de rien.

Puis pour son pis-aller qui m'a pris, moi la crème, [1545]

De la Cour de Madrid, moi que tout le monde aime !

Madame, je serais le plus sot des humains,

Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

DOM DIÈGUE

Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée,

Chez qui le profit seul règne dans la pensée. [1550]

Qui m'avez préféré mon laquais travesti,

Parce que vous croyiez prendre un meilleur parti !

Ha ! Ne vous flattez plus d'une fausse espérance :

Je n'aurai plus pour vous que de l'indifférence.

Madame, je serais le plus sot des humains, [1555]

Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

FILIPIN

Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée,

Que mon Maître a servie, et puis après laissée ;

Et qui me donneriez bientôt du pied au cul,

Lorsque vous me verriez être sans un quart d'écu ! [1560]

Nous autres Filipins avons trop de courage,

Guérissez votre esprit, oubliez mon visage.

Madame, je serais le plus sot des humains,

Je ne veux point de vous, et vous baise les mains.

HÉLÈNE

Elle est dans une chaise, un mouchoir devant les yeux, qui pleure.

Je ne manquerai pas de parents en Espagne. [1565]

LÉONOR

Que vous avais-je dit des tableaux de campagne ?

Ne savais-je pas bien qu'ils étaient souvent faux ?

Et ne connais-je pas mieux que vous les Tableaux ?

HÉLÈNE

Ha ! C'est trop endurer, qu'on me mène en ma chambre.

FILIPIN

Qui vous appliquerait de l'or sur chaque membre, [1570]

C'est un grand lénitif, et que vous aimez fort.

DOM DIÈGUE

Taisez-vous, Filipin.

HÉLÈNE

Ma vengeance ou ma mort,

Me mettront en repos, devant que le jour passe.

Elle s'en va.

DOM DIÈGUE

En attendant l'effet de si grande menace,

Madame, d'un seul mot vous pouvez bien casser [1575]

Le rigoureux Arrêt qu'on vient de prononcer.

LÉONOR

Si votre droit est bon, je vous ferai justice,

Surtout, n'usez jamais envers moi d'artifice :

Ne sollicitez point d'autres juges que moi,

Et je me souviendrai de ce que je vous dois. [1580]

DOM DIÈGUE

Mon sort dépend de vous.

LÉONOR

N'en soyez point en peine ;

Mais nous incommodons votre adorable Hélène.

Allons dans mon logis, et là je vous dirai

Ce que je crois de vous, et ce que j'en ferai.


Scène V

.
BÉATRIX

Filipin.

FILIPIN

Béatrix. [1585]

BÉATRIX

Mon tout. [1585]

FILIPIN

Mon coeur. [1585]

{{Personnage|BÉ ATRIX|c}}

Mon âme, [1585]

Si tu voulais.

FILIPIN

Et quoi ?

BÉATRIX

Prendre.

FILIPIN

Parle.

BÉATRIX

Une femme.

FILIPIN

La prendre ? À quel dessein ?

BÉATRIX

Pour épouse.

FILIPIN

Ha ! Ma foi.

Le conseil est fort bon, la connais-je ?

BÉATRIX

C'est moi.

FILIPIN

Vade, Vade, retro Satanas, qui me tente !

Mon front ne fut jamais une table d'attente ; [1590]

Et ne portera point le mystérieux bois

Que personne ne voit, et qu'on croit toutefois.

Je ne veux point avoir un timbre de pécore,

Je ne veux point de toi, redoutable Pandore !

Moi, te prendre, ha ! Vraiment, c'est moi qui serais pris, [1595]

Et pour qui me prends-tu, maudite Béatris ?

Tu me crois aussi sot que Mendoce mon Maître.

Moi j'aurais des enfants, et leur mère à repaître !

Si je suis sans enfants, on dira c'est un sot,

Et si j'en fais enfin, ou quelque autre, un marmot. [1600]

J'aurai neuf mois durant une femme ventrue,

Je l'entendrai hurler comme un pourceau qu'on tue.

Quand elle mettra bas cet enfant tout mouillé,

Non sans avoir longtemps en son ventre souillé,

Une sotte dira, c'est le portrait du père ; [1605]

Un autre, il a les yeux, et le nez de la mère :

Puis il faudra baiser un fils, qui sentira

Le ventre de sa mère, et ce ventre puera.

Il me faudra souffrir une sotte nourrice,

Un enfant qui toujours, ou crie, ou tète, ou pisse, [1610]

Me relever la nuit, pour le faire bercer,

Et cela tous les ans, c'est à recommencer.

Avoir tous les matins à prier, quelle peine !

De me voir bientôt veuf par une mort soudaine.

Au lieu qu'ayant l'esprit content et satisfait, [1615]

Le front comme d'abord le bon Dieu me l'a fait :

Je vais, je viens, je dors, je ris, je bois, je mange,

Je fais ce que je veux, sans qu'on le trouve étrange ;

La chose est arrêtée, il n'y faut plus penser,

Si mes yeux t'ont fait mal, va te faire panser. [1620]

BÉATRIX

Il s'en veut aller, elle le retient.

Arrête, Filipin, que je te désabuse,

Moi, t'épouser, crois-tu que je sois assez buse

Pour mettre à mes côtés un pareil Damoiseau ?

Voyez le beau mari, voyez le bel oiseau,

Moi, qui suis de galants jour et nuit recherchée [1625]

De Bourgeois, Courtisans, Prélats, et gens d'épée,

Qui depuis quelques jours sans quelques ennemis,

Aurais eu pour époux un opulent commis ;

Qui viens de refuser le clerc ou secrétaire

D'un riche président : gros vilain, va te faire [1630]

Cent fois plus honnête homme, et lors j'aviserai,

Par pitié seulement, si je t'épouserai.

J'ai reçu depuis peu deux gros poulets d'un Comte,

Un Duc me couche en joue, et j'en fais peu de compte.

Un jeune abbé, qui n'est ni prêtre ni demi, [1635]

S'offre de m'épouser, ou d'être mon ami :

Il me fit l'autre jour don d'une porcelaine,

Et je t'épouserais ? C'est ta fièvre quartaine.

FILIPIN

Arrête, Béatrix, elle s'en va, ma foi,

Je devais bien aussi faire du quant à moi, [1640]

M'a-t-elle ainsi quitté par dépit ou par ruse ?

Foin, j'enrage d'avoir tout ce qu'on me refuse,

Mon Dieu, que l'on est sot, alors que l'on est beau !

Il faut que là-dessus je lui fasse un Rondeau.