L’année littéraire ou Suite des lettres sur quelques écrits de ce temps

Méthodes nouvelles pour apprendre à lire.


Cet ouvrage sort de la plume d’un Curé qui a fréquenté long-temps les petites écoles, afin de juger par sa propre expérience quelle étoit la voye la plus sûre pour apprendre à lire aux enfans ; il a ramassé tout ce que d’habiles auteurs ont écrit sur cette matière : il a joint ses réflexions à celles de S. Jerôme, de M. Rollin, de l’Abbé Girard, de Locke, de l’Abbé Goujet, &c ; il rapporte les diverses méthodes qu’on a employées le plus avantageusement, comme l’usage des cartes, des fiches, de l’écran percé, de bureau typographique, &c ; il a ajouté un syllabaire de sa façon, qu’il juge, non seulement très-utile à la jeunesse, mais d’une grande commodité pour les maîtres eux-mêmes.

L’auteur commence par faire voir qu’il est nécessaire d’occuper les enfans à la lecture dès qu’ils peuvent articuler. Il prétend que le moyen de réussir à les instruire, est de leur faire envisager les instructions comme un amusement. Il propose, par exemple, des dez sur les facettes desquels on graveroit une lettre de l’Alphabet, au lieu des points qu’on a coutume d’y mettre ; les enfans rouleroient ces dez, & s’accoutumeroient à nommer la lettre qui paroîtroit en haut. Tout cela est fort bien ; mais voici ce qui empêchera toujours le succès de ces sortes d’inventions. Les enfans, comme on sçait, se dégoûtent aisément ; on leur présentera des dez, ils les feront rouler d’abord avec plaisir ; mais ils en seront las avant que de sçavoir quatre lettres de leur Alphabet. Si on veut les forcer à jouer, ce sera une contrainte qui les chagrinera. Il faudroit donc varier à chaque instant les jeux qui pourroient contribuer à leur instruction.

La difficulté n’est pas d’apprendre aux enfans à connoître les lettres ; mais on se trouve dans l’embarras, lorsqu’il faut leur montrer à joindre plusieurs lettres ensemble, pour en former ce que nous appellons des syllabes. Car certaines syllabes, quoique composées des mêmes lettres, ont quelquefois un son très-différent : par exemple, g u, dans le mot cigue, ne se prononce pas de la même manière que dans le mot figue. Or ces différences de prononciation reviennent à chaque instant. La lettre x se prononce de cinq ou six façons différentes. Est-il possible que des enfans puissent sçavoir tout cela par principes ? Y a-t-il même des règles pour ces sortes de prononciations ? Non sans doute : il n’y a que l’usage, dont on ne peut s’instruire qu’à force de temps & de lecture.

Comment donc remédier à tous les inconvéniens qui arrêtent les progrès que les enfans pourroient faire dans la lecture ? Pour y réussir, l’auteur propose différens moyens. Premièrement, Il adopte le systême de M. l’Abbé Girard, qui vouloit composer notre Alphabet de vingt-cinq lettres, en introduisant les consonnes v & j, & les distinguant de l’u & i régulier. Il veut que par le moyen de certaines marques ou de certains points qu’on mettra au-dessus ou au-dessous des lettres, on puisse faire sentir la manière dont il faut prononcer les syllabes. Il conseille de retrancher les doubles lettres, lorsqu’elles ne sont pas nécessaires pour faire connoître les étymologies ; en un mot, il indique plusieurs moyens qui pourroient être d’une grande utilité pour les enfans, & même pour les étrangers qui voudroient apprendre à lire le François ; mais on ne peut adopter sa méthode, sans occasionner un bouleversement considérable dans notre orthographe.

L’auteur a sur-tout visité les écoles des Frères de la Doctrine Chrétienne. Il raconte de quelle manière on s’y prend pour instruire la jeunesse « Le Maître a une chaire élevée de trois ou quatre marches, afin de voir aisément tout ce qui se passe. A cet effet les écoliers sont aussi tous tournés de son coté, même ceux qui écrivent ; en sorte qu’ils peuvent le voir toujours en face, ou au moins de profil. Il a continuellement sous sa main une espèce de pince de fer à ressort, qui fait un petit bruit comme un cliquetis d’armes, toutes les fois que ce ressort se détend; » & c’est avec ce sceptre de fer que le monarque pédagogue conduit tous les jeunes gens qui sont sous sa domination. Chaque signal les instruit de ce qu’ils ont à faire, & sur le champ ils exécutent les ordres de leur maître.

Pour donner de bonne heure des leçons de morale à la jeunesse, l’auteur a fait imprimer quelques fables à la fin de son ouvrage, & a donné la préférence à celles de M. Vaudin ; parce que ne contenant chacune que quatre vers, il est plus facile de les faire apprendre. Mais en formant le cœur des enfans, on doit aussi travailler à cultiver leur esprit ; or je ne crois pas que les fables de Monsieur Vaudin soient capables de procurer ce double avantage ; vous allez en juger.

La Fourmi & la Mouche.
Misérable Fourmi, disoit la Mouche fière,
Pauvre & vil animal que le travail tuera :

Pour moi le doux loisir, la cour, la bonne chère…..
Adieu, dit la Fourmi, Mouche, l’hyver viendra.

L’auteur a mis en vers l’Oraison Dominicale, la Salutation Angélique, le Symbole des Apôtres, les Commandemens de Dieu & de l’Eglise. Il a pareillement employé des vers pour définir les sept Sacremens ; les talens poëtiques de l’auteur n’égalent pas son zèle pastoral. Voici l’exposition qu’il fait des sept péchés mortels.

L’orgueil, l’amour de la richesse,
L’impureté, source de maux,
Du bonheur d’autrui la tristesse,
L’excès de bouche en bons morceaux,
La colère avec la paresse,
Sont les sept péchés capitaux.

L’amour des richesses & l’avarice, sont deux choses très-différentes ; la gourmandise est un excès dans le boire & dans le manger, non précisément L’excès de bouche en bons morceaux.

En condamnant les vers de M. le Curé, j’applaudis sincèrement aux motifs qui l’ont engagé à entreprendre son ouvrage, & à l’exécuter.

Je suis, &c.

A Paris, ce 10 Septembre 1755.