Le Courrier fédéral (p. 217-220).

CHAPITRE XXII

UN SUPPLICE À LA CASTELLO


On avait confié à Paul la direction de l’expédition. Paul seul, connaissait tous les tours et détour des couloirs de la caverne. On ne pouvait risquer d’éclairer sa route, même au moyen d’une allumette ; trahir sa présence dans la grotte, ce serait la condamnation d’Éliane peut-être. En effet, Castello, se sachant découvert, serait capable d’en venir aux extrémités, afin de se venger. On devait donc cheminer à tâtons, dans une parfaite obscurité. Tous marcheraient, à moitié courbés, les mains en avant et n’avançant qu’avec d’extrêmes précautions ; sans quoi on risquerait de s’assommer sur les parois ou sur le plafond de la caverne.

Paul ferma la porte d’entrée de la caverne, car un courant d’air pouvait trahir leur présence, et il fit, aussitôt, noir… comme il fait sous terre…

C’est une expression populaire que celle-ci : « Il fait noir comme sous terre. » Expression erronée cependant ; il ne fait jamais noir comme sous terre, à la surface du sol, jamais ! Il y a toujours un point de repère — si je puis m’exprimer ainsi — à la surface du sol. Il existe toujours une sorte de lueur, inexplicable peut-être, mais réelle, qui fait que l’œil fini par s’accoutumer à l’obscurité, assez pour pouvoir s’y conduire un peu… Mais, sous terre !… Ah ! là règne une obscurité au-delà de ce qu’on peut s’imaginer… bien au-delà.

Un jour que j’explorais une houillère, dans la Nouvelle Écosse, accompagnée de l’inspecteur de cette houillère, j’eus la curiosité de connaître la sensation de l’obscurité complète. Nous étions à 1800 pieds sous terre… Je remis ma lanterne à l’inspecteur et je restai seule, dans un couloir formant un coude brusque… «  Je crois que vous n’aimerez guère la sensation, » m’avait dit l’inspecteur en riant… En effet… Je n’y pus tenir que trois ou quatre secondes et j’appelai l’inspecteur à grands cris… C’était terrible ! Tout simplement terrible !  ! L’obscurité qu’il fait sous terre semble peser sur vous et vous écraser ; elle vous enveloppe dans une étreinte qui ressemble à celle de la mort. Vos yeux se dilatent, comme pour essayer de saisir une lueur, votre cœur cesse de battre, des sueurs froides inondent votre front… Si l’inspecteur n’était accouru à mon appel, je sais bien que je me serais évanouie…

Nos amis, précédés de Paul, se mirent à cheminer dans la caverne… On n’allait pas vite, dans cette profonde obscurité… À un moment donné, le garçonnet se pencha à l’oreille d’Yves Courcel et dit :

« Le couloir tourne brusquement à gauche, ici ; avertissez les autres, s’il vous plaît. »

À peine Paul venait-il de dire ces paroles que des cris, cris de terreur, d’une terreur indicible, parvinrent jusqu’aux excursionnistes.

« C’est Éliane ! » cria, presque, Tanguay.

— « Ma fille ! » murmura Yves Courcel.

— « Silence Pour l’amour de Dieu, silence ! » supplia Paul. « Castello est là ; je viens de l’entendre parler… S’il soupçonnait notre présence ici, il tuerait Mlle Courcel ! »

Les cris se répétèrent… À ces cris désespérés, à ces appels de leur bien-aimée ils ne pouvaient répondre… Il leur fallait cheminer lentement et à tâtons dans ces interminables couloirs… Ils n’avaient pas la liberté de répondre aux appels d’Éliane par un mot encourageant… Un mot, un cri de leur part et c’en était fait de la jeune fille, ils le sentaient bien…

« C’est intolérable ! » dit, tout bas, Andréa.

— « Courage ! » dit Paul. « Nous aurons bientôt les lumières du grand salon pour guider nos pas. »

En effet, ayant parcouru le petit couloir, ils arrivèrent dans le couloir principal de la caverne ; celui qui conduisait directement au grand salon…

Le salon était vivement éclairé et les portières entr’ouvertes laissaient passer assez de clarté pour les guider tous à travers la caverne…

« Consentez à devenir ma femme, Éliane, » disait, en ce moment, la voix de Castello, » et je vous délivrerai immédiatement de ce supplice.

Seuls, des cris perçants, désespérés, répondirent à Castello.

Alors, Yves, Andréa, Tanguay, Sylvio et Mme Duponth hâtèrent le pas, précédés de Paul et, arrivés près du grand salon, ils virent un tableau si épouvantable qu’ils crurent mourir de désespoir et de colère : Éliane, les bras et les jambes fortement liés, était couchée sur un canapé — sur ce même canapé, nous avons vu souvent Lucia étendue — et Castello, debout, près du canapé, les bras croisés, un sourire méchant et sot sur les lèvres, regardait souffrir sa victime…

Car, Éliane souffrait tellement, de la frayeur surtout, que ses yeux avaient de ces lueurs qu’on aperçoit chez les insensés.

Des rats entouraient le canapé sur lequel Éliane était couchée. D’énormes rats, qui sautaient sur ses pieds, sur ses genoux, sur sa poitrine et sur ses bras, frôlant souvent son visage… Éliane, les yeux agrandis par la terreur, les lèvres blanches, le nez pincé, était incapable de faire un seul mouvement pour se défendre de cette sale vermine… C’est seulement par le battement de ses paupières et par ses cris qu’elle était venue à bout de protéger son visage, jusqu’alors… Les rats, effrayés par ces cris et par ces battements de paupières, sans doute, avaient respecté le visage de la jeune fille.