Le Courrier fédéral (p. 209-212).

CHAPITRE XX

DISPARUE


Le lendemain matin, Yves Courcel, Andréa, Sylvio Desroches et Tanguay étaient réunis dans la salle à manger ; ils attendaient Éliane pour se mettre à table. Mais, comme l’heure avançait sans qu’Éliane apparut, Yves proposa qu’on déjeunât.

« Éliane sera mécontente, si nous retardons le déjeuner pour l’attendre, » dit-il. « Elle ne saurait tarder à arriver, d’ailleurs, puisque nous devons partir à dix heures pour Cave City et qu’il est déjà neuf heures. »

Les quatre hommes se mirent à table. Inutile de dire que Tanguay n’aurait pu nommer ensuite les mets qu’il mangeait, car il avait les yeux fixés continuellement sur la porte, espérant, à chaque instant, y voir apparaître sa bien-aimée. Cependant, le déjeuner était déjà chose du passé et Éliane était toujours absente.

« Éliane est en retard, » dit, tout à coup, Andréa. « Pourtant, ce n’est pas son habitude de se faire attendre, la chère enfant ! »

— « Elle fait la grâce matinée, je présume, » répondit Yves Courcel. « Nous en serons quittes pour partir plus tard… Allons fumer un cigare à la bibliothèque, » ajouta-t-il ; « cela fera passer plus vite les heures de l’attente. »

Tous se dirigèrent vers la bibliothèque, mais un pli soucieux se creusait sur le front d’Andréa.

« C’est singulier, » se disait-il, in petto ; mais je n’aime guère ce retard d’Éliane… Serait-elle malade ?… Je vais attendre un peu ; ensuite, j’aviserai… Courcel n’est pas inquiet — il n’a pas raison de l’être non plus — Il est vrai qu’il ignore ce qui s’est passé hier soir… Il ignore qu’un étranger a été vu par Éliane, par moi ensuite, sur les terrains de la villa… Pauvre Éliane !… Chère petite !… « Cest Castello ! C’est Castello ! » s’est-elle écriée… et moi, je me suis lancé à sa poursuite… Inutilement ; l’individu avait disparu et j’ai eu beau faire bonne garde, je ne l’ai pas aperçu… Éliane aurait-elle ?… »

« À quoi pensez-vous si sérieusement, Andréa ? » demanda Yves Courcel. « Pourquoi froncez-vous les sourcils ainsi ?… Quelque chose vous tracasse, peut-être ?… Qu’est-ce ?… »

— « C’est ridicule de ma part, je le sais, Courcel, » répondit Andréa, « mais je n’aime guère ce retard d’Éliane. »

— « Éliane ! » s’écria Tanguay. « Vous êtes inquiet au sujet d’Éliane ?… Dites-nous, M. Andréa, dites-nous… »

— « Il est probable que la chère enfant est, en ce moment, dans la salle à manger, à prendre tranquillement son déjeuner, » dit Sylvio Desroches, en souriant.

— « Vraiment, » dit Andréa, « j’ai bien envie d’aller m’en assurer. J’y vais ! »

— « Je vous accompagne, Andréa, » dit Courcel.

— « Nous vous accompagnerons tous, » dit Tanguay, « Éliane !… Quelque chose est arrivé à Éliane !  ! »

— « Mon fils, » dit Sylvio Desroches à Tanguay, « ne te mets pas martel en tête ainsi, je te prie. Il ne peut être arrivé quoi que ce soit à la chère petite ; sauf qu’elle est peut-être un peu indisposée et préfère garder sa chambre. »

— « Sylvio a raison ; il ne peut être arrivé rien de mal à ma chérie, » dit Courcel. « Mais, allons à la salle à manger sans retard ; peut-être y trouverons-nous Éliane. »

— « Allons ! Oui, allons ! » s’écrièrent-ils tous.

Mais Éliane n’était pas dans la salle à manger et, tout à coup, ces quatre hommes qui l’adoraient, furent pris de panique… Où était Éliane ?… Pourquoi se retard ?… Était-elle malade, souffrante, seule dans sa chambre ?… Il fallait s’en assurer tout de suite ; cette incertitude était intolérable !

Yves posa son doigt sur un timbre et un domestique entra dans la salle à manger.

« Dites à Lucette que je désire lui parler immédiatement, » dit Yves au domestique. Lucette était la servante attachée au service personnel d’Éliane.

Quelques instants s’écoulèrent, puis Lucette arriva dans la salle à manger. Lucette, une jeune fille de Bowling Green, était toute dévouée à sa jeune maîtresse.

« Lucette, » demanda Yves Courcel, « Mlle Éliane n’est-elle pas encore levée ? »

— « Non, Monsieur, » répondit la jeune servante, « et j’en suis un peu surprise, même. »

— « Surprise ? » demanda Yves, « Pourquoi ? »

— « Parceque, hier soir, Mlle Éliane m’a dit qu’elle allait se lever de bonne heure ce matin, à cause d’une excursion projetée à Cave City. »

— « Allez immédiatement frapper à la porte de chambre de Mlle Éliane ! » s’écria Yves. « Allez ! »

Lucette ne prit pas seule la direction de la chambre d’Éliane : Yves, Andréa, Tanguay et Sylvio la suivirent. Arrivée à la porte de la chambre de la jeune fille, Lucette frappa ; mais elle ne reçut pas de réponse…

« Frappez encore ! » s’écrièrent les quatre hommes ensemble

Lucette, très effrayée, frappa, de nouveau, à coups précipités… Pas de réponse !

Yves Courcel, repoussant la servante, saisit alors le bouton de la porte ; la porte s’ouvrit.

« Entrez, Lucette, » dit Courcel, d’une voix tremblante, « et faites de la lumière… La chambre est sombre ; on n’y voit rien. »

Lucette pénétra dans la chambre et fit de la lumière. Aussitôt, un cri retentit et les quatre hommes se précipitèrent, à leur tour, dans la pièce…

Le cri de Lucette eut vite son explication et les quatre hommes restèrent pétrifiés sur place, en proie au désespoir : le lit d’Éliane n’avait pas été défait. La robe de nuit de la jeune fille était encore au pied de la couchette, là où Lucette la plaçait, chaque soir… Par terre, à côté d’un fauteuil, sur lequel Éliane avait l’habitude de s’asseoir pour faire un peu de lecture avant de se mettre au lit, étaient un livre et un éventail. La fenêtre était large ouverte, quoique cachée, sous des rideaux épais. Sur l’appui de la fenêtre, des empreintes de terre fraîche se voyaient clairement…

Éliane avait été enlevée ! Éliane avait disparu !  !