L’amour saphique à travers les âges et les êtres/34

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 271-276).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXXIV

LA VOLUPTÉ CHEZ LA PETITE FILLE


C’est un fait reconnu et facilement contrôlable que le sens de la volupté naît chez l’enfant et particulièrement chez la petite fille bien avant sa puberté.

La sensibilité des organes génitaux prend naissance, on peut dire, presque avec la vie du petit enfant.

Ce qui prouve cette assertion, c’est, comme nous l’avons déjà mentionné, l’exécrable habitude de tant de nourrices de masturber leurs nourrissons et de leur faire contracter cette manie pour les rendre plus maniables.

La « fricarelle » du clitoris d’une petite fille, quel que soit son âge, amène en elle une sensation plus ou moins vive, mais ne reste jamais absolument sans écho.

Plus l’enfant est jeune, plus la sensation est aisée à obtenir ; parce qu’alors l’acte n’éveille pas en elle la honte, l’étonnement, l’effroi, l’intimidation qu’il produirait plus tard et qui viendrait paralyser plus ou moins l’impression.

Ce qu’il est intéressant de noter et qui prouve combien l’amour sentimental allié à l’amour sensuel est factice, résultat de complications amenées par la civilisation, c’est que la volupté des enfants est toujours matérielle, en quelque sorte mécanique, aucunement liée à un sentiment d’amour ou d’affection.

L’onanisme de la petite fille est instinctif ; elle accomplit un geste que le hasard lui a révélé agréable, elle ne connaît pas la cause profonde qui provoque en elle ces sensations.

Cependant, en même temps que son clitoris prend plus de sensibilité, il se lève des impressions cérébrales conjointes aux sensations nerveuses.

Il arrive un moment où l’orgasme est toujours accompagné de pensées, d’images, de scènes plus ou moins confuses et présentant néanmoins une certaine association d’idées qui, obscurément, se rapportent à l’acte amoureux.

En général, le spasme voluptueux éveille chez la petite fille l’idée de tourments, de persécution, de châtiments subis, d’aventures pleines d’effroi et de mystère, et, en même temps, ces tourments, cet inconnu, lui sont précieux.

Tandis que l’orgasme impérieux s’emparait d’elle, « Marie» croyait que sa mère l’injuriait, la frappait ; et, loin d’éprouver une sensation pénible, cette souffrance imaginaire l’exaltait ; elle se confondait si bien avec l’impression voluptueuse obtenue par le frottement du clitoris de l’enfant que, toujours, ensuite, elle recommençait mentalement son même petit roman.

C’était au lit, le soir, avant de s’endormir qu’elle se livrait à la masturbation.

Et, dès que ses doigts avaient rejoint son sexe, son esprit travaillait, mettait en scène le toujours pareil petit drame. Elle avait commis quelque faute, sa mère la grondait, elle demandait pardon, suppliait qu’on ne lui donnât pas le fouet, sa mère devenait plus colère, la saisissait et, avec les affres délicieuses de l’orgasme, la petite fille se débattait, ravie sous la correction de rêve.

Une autre, « Claire », avait un père sombre, taciturne, âgé, qui, sans jamais la châtier, lui inspirait pourtant une terreur invincible.

Quand elle pensait à lui ou parlait de ses terreurs à ses petites amies, elle ne l’appelait jamais père ou papa, mais le désignait sous le nom qui pour elle était synonyme d’un mystère plein d’effroi : l’homme.

Quand elle commença à se masturber, l’idée qu’elle commettait quelque chose de défendu amena fatalement dans son cerveau la pensée que « l’homme » la punirait. L’image de son père s’allia donc involontairement à la volupté qu’elle s’accordait. Et, tout naturellement, l’angoisse sensuelle prit dans son esprit la forme d’épouvante personnifiée par l’être qu’elle craignait le plus au monde.

Par une association d’idées auxquelles elle ne pouvait qu’obéir, son roman sensuel à elle était lié à son père.

Avec un effroi plein de délices, elle l’imaginait s’approchant d’elle, la transperçant de son regard sévère, énigmatique, prononçant des paroles dont le sens lui demeurait étranger, puis, tout à coup — et ceci coïncidait avec le spasme — l’attachant pour la battre, la torturer, la faire mourir.

Pour « Henriette », l’impression qui s’alliait à la volupté était la terreur du naufrage. La plus grande épouvante de son existence de fillette avait été une promenade en mer assez périlleuse, et c’était cette impression qui, dans l’orgasme, revenait s’imposer à elle.

Une autre, particulièrement impressionnée par l’incendie, se voyait, au moment du spasme, environnée de flammes. De ses lèvres montaient des cris d’appel que, parfois, ses parents surprirent et qu’ils attribuaient à de mauvais rêves, ne se doutant pas que, dans son petit lit blanc de fillette, Alice, parfaitement éveillée, se donnait par la masturbation toutes les joies de la volupté la plus intense.

Nous pourrions multiplier ces exemples à l’infini ; dans tous l’on retrouverait la même impression causée par la volupté, qui, pour la petite fille, s’allie toujours à une terreur, mais une terreur qui lui est agréable et chère.

C’est la même loi d’attrait de l’inconnu, de l’effroi d’une force supérieure qui fait que la passionnette d’une adolescente va presque toujours à un homme d’un certain âge, qui lui fait peur, mais qui l’hypnotise en quelque sorte, et à qui elle souhaite passionnément, servilement, plaire.

Quelquefois cette adoration troublée de la fillette va à son propre père, ou bien à un oncle, à n’importe quel ami âgé de la maison, pourvu que celui-ci lui paraisse avoir une supériorité quelconque.

Son amour se traduit par la hantise perpétuelle de l’individu ; elle veut fébrilement lui plaire, se désole de n’être qu’une petite fille pour lui, se réjouit follement s’il lui a parlé, l’a regardée, lui a fait un compliment. Un baiser de lui l’affole.

Pourtant, elle ne sait rien de l’union des sexes, et il est bien rare, même si elle pratique la masturbation, et que l’image de l’élu préside à son spasme, qu’elle songe à ce qu’il puisse lui-même, par son geste, lui apporter ce bonheur.

Elle mourrait de honte en songeant que son idole saurait ce qu’elle fait en cachette et qui lui paraît abominable et indécent, parce qu’elle croit les organes qu’elle touche uniquement destinés à des choses laides, sales et bonnes à cacher.

Cependant, si la fillette s’est habituée au couvent, en pension, au masturbage à deux, à l’aveu de son vice, à son partage, elle concevra plus aisément l’idée que l’homme qu’elle distingue pourrait lui apporter la joie sensuelle.

Si elle ignore que la verge de l’homme est chargée de l’emploi qu’elle attribue à la main, elle peut arriver à désirer le geste au moins manuel d’un homme.

Du reste, il n’est pas rare qu’une fillette s’éprenne d’un homme et qu’elle satisfasse de préférence seule ou avec une autre jeune fille les troubles sensuels qu’il lui cause. Avec lui, elle n’oserait pas, cela lui couperait son plaisir.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
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